N° C.17.0665.F
CENTRE PUBLIC D'ACTION SOCIALE DE SCHAERBEEK, dont les bureaux sont établis à Schaerbeek, boulevard Auguste Reyers, 70,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,
contre
CLINIQUE FOND'ROY, association sans but lucratif, dont le siège est établi à Uccle, avenue Jacques Pastur, 43,
défenderesse en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 29 septembre 2016 par la cour d'appel de Bruxelles.
Par ordonnance du 27 avril 2018, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième chambre.
Le conseiller Mireille Delange a fait rapport.
L'avocat général Jean Marie Genicot a conclu.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Le moyen ne précise pas en quoi consiste la violation alléguée des articles 23 de la Constitution et 1382 et 1383 du Code civil.
L'arrêt ne décide pas que les parents de la patiente ne devaient pas être considérés comme les débiteurs naturels des frais d'hospitalisation litigieux.
Il ne suit pas des articles 1er et 57, §§ 1er et 2, de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'action sociale, 1er de l'arrêté royal du 12 décembre 1996 relatif à l'aide médicale urgente octroyée par les centres publics d'aide sociale aux étrangers qui séjournent illégalement dans le royaume et 4 de la loi du 2 avril 1965 relative à la prise en charge des secours accordés par les centres publics d'action sociale que, pour décider que l'aide sociale consistant en la prise en charge de ces frais était nécessaire pour permettre à la patiente mineure de mener une vie conforme à la dignité humaine, l'arrêt devait examiner si ses parents étaient en mesure de payer les frais d'hospitalisation.
Le moyen ne peut être accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de cinq cent quatre-vingt-cinq euros septante-sept centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt euros au profit du Fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Mireille Delange, Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du vingt-huit mai deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.
L. Body A. Jacquemin M.-Cl. Ernotte
M. Lemal M. Delange Chr. Storck
REQUÊTE EN CASSATION
Pour : Le Centre public d'action sociale de Schaerbeek, dont le siège social est établi à 1030 Bruxelles, boulevard Auguste Reyers, 70 ;
Demandeur en cassation, (ci-après, le « CPAS de Schaerbeek ») ;
assisté et représenté par Madame Michèle Grégoire, avocate à la Cour de cassation, dont les bureaux sont établis à 1000 Bruxelles, 4, rue de la Régence, chez qui il est fait élection de domicile ;
Contre : L'A.S.B.L. Clinique Fond'Roy, dont le siège social est établi à 1180 Bruxelles, avenue Pastur, 53 ;
Défenderesse en cassation, (ci-après, « Fond'Roy »).
*
* *
A Messieurs les Premier Président et Président, Mesdames et Messieurs les Conseillers, composant la Cour de cassation,
Mesdames,
Messieurs,
Le demandeur en cassation a l'honneur de déférer à Votre censure l'arrêt contradictoirement rendu entre parties le 29 septembre 2016 par la 18ème chambre F, affaires civiles, de la cour d'appel de Bruxelles dans l'affaire portant le numéro de rôle 2012/AR/229 (ci-après l'« arrêt attaqué »).
I. LES FAITS ET LES ANTÉCÉDENTS DE LA PROCÉDURE PEUVENT ÊTRE RÉSUMÉS COMME SUIT
1. Le litige est relatif à la demande de paiement, adressée par Fond'Roy au CPAS de Schaerbeek, de frais d'hospitalisation exposés au profit de Madame J.
2. Le 23 juin 2000, le Procureur du Roi de Bruxelles décida de la mise en observation de Madame J., mineure à l'époque des faits, à Fond'Roy en application de la loi du 26 juin 1990 relative à la protection des malades mentaux. Cette mise en observation faisait suite à un fax du CHU Saint-Pierre qui mentionnait que Madame J. souffrait de troubles de comportement, de retard mental, était suicidaire et qu'une mise en observation était urgente et indispensable.
Le 26 juin 2000, Fond'Roy écrivit au CPAS de Schaerbeek qu'il allait faire appel au Fonds Spécial d'Assistance (ci-après, le « Fonds ») pour cette patiente et lui demanda de remplir le formulaire d'enquête sociale.
Le même jour, Fond'Roy écrivit au Fonds pour demander son intervention.
Le 27 juin 2000, le CPAS de Schaerbeek répondit à Fond'Roy que « Compte tenu que l'intéressée a été transférée du Centre Hospitalier Universitaire Saint-Pierre vers votre établissement hospitalier, la prise en charge des frais d'hospitalisation de Madame J. D. ne relève pas de notre compétence ».
Par jugement du 30 juin 2000, le juge de paix d'Uccle leva la mesure de mise en observation de Madame J., « les conditions cumulatives requises par la loi du 26 juin 1990 n'étant pas remplies ». Ce jugement mentionnait que Madame J. habitait à [Bruxelles] mais qu'elle résidait à [Schaerbeek].
Nonobstant cette mainlevée, Madame J. prolongea son hospitalisation jusqu'au 14 juillet 2000.
Le 30 juin 2000, Fond'Roy adressa au CPAS de Schaerbeek une facture concernant le séjour de Madame J. d'un montant de 50.075 BEF.
Le 29 août 2000, le CPAS de Schaerbeek déclina son intervention au motif que « Votre établissement ne dépend pas de la loi du 2.4.65 relative à la prise en charge des secours accordés par les Centres publics d'aide sociale. D'autre part, sauf erreur de notre part, nous n'avons pas délivré de réquisitoire de prise en charge en faveur de cette personne ».
Le 20 octobre 2000, Fond'Roy écrivit au CPAS de Schaerbeek pour solliciter son intervention pour la facture de 50.025 BEF du 30 juin 2000 et une facture de 90.024 BEF du 31 juillet 2000, faisant valoir qu'au moment de son admission, Madame J. avait déclaré résider à Schaerbeek et qu'elle était munie d'une attestation du CPAS de Schaerbeek certifiant lui accorder l'aide médicale urgente, datée du 31 mai 1999.
3. Le 5 juillet 2002, Fond'Roy cita le CPAS de Schaerbeek et le CPAS d'Uccle devant le tribunal de première instance de Bruxelles en vue d'obtenir la condamnation du premier à lui payer la somme de 3.472,96 euros.
Par jugement du 15 décembre 2011, le tribunal :
- donna acte à Fond'Roy de son désistement contre le CPAS d'Uccle ;
- déclara la demande pour partie irrecevable car prescrite et pour le surplus, recevable mais non fondée ;
- condamna Fond'Roy aux dépens de l'instance.
Par requête d'appel déposée au greffe de la cour d'appel de Bruxelles le 25 janvier 2012, Fond'Roy interjeta appel de cette décision.
Par l'arrêt attaqué, la cour d'appel de Bruxelles :
- reçoit l'appel et le dit partiellement fondé ;
- condamne le CPAS de Schaerbeek à payer à Fond'Roy la somme de 1.241,33 euros à majorer des intérêts au taux annuel de 5% depuis le 31 juillet 2000 jusqu'au 31 décembre 2009 et au taux légal ensuite ;
- déboute Fond'Roy pour le surplus ;
- prononce la compensation des dépens.
A l'encontre de cette décision, le demandeur fait valoir le moyen de cassation qui suit.
II. PREMIER MOYEN DE CASSATION
A. DISPOSITIONS LÉGALES DONT LA VIOLATION EST INVOQUÉE
- Articles 1382 et 1383 du Code civil,
- Articles 1er et 57, §§1er et 2ème de la loi organique des centres publics d'aide sociale du 8 juillet 1976, avant sa modification par la loi programme du 2 août 2002 (ci-après, « la loi du 8 juillet 1976 ») ;
- Article 1er de l'arrêté royal du 12 décembre 1996 relatif à l'aide médicale urgente octroyée par les centres publics d'aide sociale aux étrangers qui séjournent illégalement dans le Royaume, avant sa modification par l'arrêté royal du 13 janvier 2003 modifiant l'arrêté royal du 12 décembre 1996 relatif à l'aide médicale urgente octroyée par les centres publics d'aide sociale aux étrangers qui séjournent illégalement dans le Royaume (ci-après, « l'arrêté royal du 12 décembre 1996 ») ;
- Article 4 de la loi du 2 avril 1965 relative à la prise en charge des secours accordés par les centres publics d'aide sociale, avant sa modification par la loi du 2 juin 2006 (ci-après « la loi du 2 avril 1965 ») ;
- Article 23 de la Constitution ;
- Article 149 de la Constitution.
B. DÉCISION ATTAQUÉE ET MOTIFS CRITIQUÉS
1. L'arrêt attaqué :
- reçoit l'appel et le dit partiellement fondé ;
- condamne le CPAS de Schaerbeek à payer à Fond'Roy la somme de 1.241,33 euros à majorer au taux annuel de 5% depuis le 31 juillet 2000 jusqu'au 31 décembre 2009 et au taux légal ensuite ;
- déboute Fond'Roy pour le surplus ;
- prononce la compensation des dépens.
2. L'arrêt attaqué se fonde sur l'ensemble de ses motifs, tenus ici pour intégralement reproduits, et, plus spécifiquement, sur les motifs suivants :
« a. Sur l'aide médicale urgente - Principes
14.
II est préalablement rappelé que lorsqu'ils sont saisis d'une demande en réparation fondée sur les articles 1382 et suivants du Code civil, les cours et tribunaux sont compétents pour vérifier si une autorité administrative a, lors de l'adoption d'un acte administratif, règlementaire ou individuel, méconnu une norme de droit international ayant des effets directs ou une norme de droit interne imposant à cette autorité administrative de s'abstenir ou d'agir d'une manière déterminée et dans l'affirmative, ils doivent décider qu'en l' absence d'une erreur invincible ou d'une autre cause de justification, l'autorité administrative a commis une faute.
Les cours et tribunaux de l'ordre judiciaire sont également compétents pour vérifier si une autorité administrative a méconnu son obligation générale de prudence et si cette méconnaissance a causé préjudice à la partie qui l'invoque. II en est ainsi même si l'acte en cause a été adopté dans l'exercice d'une compétence discrétionnaire.
Tout tiers justifiant d'un intérêt légitime peut demander, devant les juridictions ordinaires, la réparation du dommage que la méconnaissance d'une obligation légale ou de l'obligation générale de prudence lui a causé. Cette demande n'est pas subordonnée en matière d'aide sociale à l'exercice d'un recours par la personne envers laquelle le C.P.A.S. était légalement tenu d'accorder son aide et elle ne requiert pas que ce tiers ait personnellement le droit à l'aide sociale (...).
Par ailleurs, fondée sur la lésion d'un droit civil, une action en réparation fondée sur les articles 1382 et suivants du Code civil est de la compétence des cours et tribunaux et l'examen d'une telle demande n'emporte aucune violation du principe de la séparation des pouvoirs.
15.
Dans sa version applicable au moment de l'hospitalisation litigieuse, l'article 57 de la loi du 8 juillet 1976 (loi organique des CPAS) applicable au moment de l'hospitalisation litigieuse, énonçait :
« Art. 57. § 1. Sans préjudice des dispositions de l'article 57 ter, le centre public d'aide sociale a pour mission d'assurer aux personnes et aux familles l'aide due par la collectivité. II assure non seulement une aide palliative ou curative, mais encore une aide préventive. Cette aide peut être matérielle, sociale, médicale, médico-sociale ou psychologique.
§ 2. Par dérogation aux autres dispositions de la présente loi, la mission du centre public d'aide sociale se limite à l'octroi de l'aide médicale urgente, à l'égard d'un étranger séjournant illégalement dans le Royaume.
Le Roi peut déterminer ce qu'il y a lieu d'entendre par aide médicale urgente. Un étranger qui s'est déclaré refugié et a demandé à être reconnu comme tel, séjourne illégalement dans le Royaume lorsque la demande d'asile a été rejetée et qu'un ordre de quitter le territoire exécutoire a été notifié à l'étranger concerné. L'aide sociale accordée à un étranger qui était en fait bénéficiaire au moment où un ordre de quitter le territoire exécutoire lui a été notifié, est arrêtée, à l'exception de l'aide médicale urgente, le jour où l'étranger quitte effectivement le territoire et, au plus tard, le jour de l'expiration du délai de l'ordre de quitter le territoire. II est dérogé aux dispositions de l'alinéa précédent pendant le délai strictement nécessaire pour permettre à l'étranger de quitter le territoire, pour autant qu'il ait signé une déclaration attestant son intention explicite de quitter le plus vite possible le territoire, sans que ce délai ne puisse en aucun cas excéder un mois. La déclaration d'intention précitée ne peut être signée qu'une seule fois. Le centre informe sans retard le Ministre qui à l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers dans ses compétences, ainsi que la commune concernée, de la signature de la déclaration d'intention (...).
En exécution de cette disposition légale, l'arrêté royal du 12 décembre 1996 « relatif à l'aide médicale urgente octroyée par les centres publics d'aide sociale aux étrangers qui séjournent illégalement dans le Royaume » (...) a été adopté et son article 1er disposait, pour la période litigieuse, que l'aide médicale urgente accordée aux étrangers qui séjournaient illégalement sur le territoire visé à l'article 57, § 2 alinéa 1er de la loi du 8 juillet 1976:
« (...) concerne l'aide qui revêt un caractère exclusivement médical et dont le caractère urgent est attesté par un certificat médical. Cette aide ne peut pas être une aide financière, un logement ou une autre aide sociale en nature.
L'aide médicale urgente peut être prestée tant de manière ambulatoire que dans un établissement de soins, comme visé à l'article 1er, 3°, de la loi du 2 avril 1965 relative à la prise en charge des secours accordés par les centres publics d'aide sociale.
L'aide médicale urgente peut couvrir des soins de nature tant préventive que curative ».
En vertu de l'article 2 du même arrêté royal :
« Les frais de l'aide médicale urgente sont remboursés par l'Etat au centre public d'aide sociale, à condition que celui-ci fournisse un certificat médical attestant l'urgence des prestations effectuées. Sans préjudice des dispositions de l'article 3, le remboursement des frais d'aide médicale urgente, est limité à l'aide qui revêt un caractère exclusivement médical. L'aide financière, le logement au d'autres aides sociales en nature n'entrent pas en ligne de compte pour le remboursement ».
Dans sa rédaction applicable à l'époque, avant sa modification par la loi du 2 juin 2006, entrée en vigueur le 1er juillet 2006, l'article 1er, 3°, de la loi du 2 avril 1965 « relative à la prise en charge des secours accordés par les centres publics d'aide sociale » définissait les établissements de soins en excluant notamment les « (...) hôpitaux psychiatriques, les maisons de soins psychiatriques, les initiatives d'habitation protégée pour patients psychiatriques, les établissements médico-pédagogiques, les établissements pour sourds¬ muets, aveugles ou estropiés atteints d'une infirmité grave ou incurable, les homes pour enfants et les maisons de repos pour personnes âgées, (tout comme les résidences-services et les complexes résidentiels proposant des services, pour autant que ces établissements aient été agrées en tant que tels par l'autorité compétente) ».
16.
Partant, il découle de ce qui précède que, dans le régime légal en vigueur à l'époque, une hospitalisation réalisée dans un établissement psychiatrique comme Fond'Roy ne rentrait pas dans les conditions de l'aide médicale urgente qui devait être fournie par les CPAS à un étranger en séjour illégal en vertu de l'article 57 § 2 de la loi du 8 juillet 1976.
Par centre, l'hospitalisation dans un établissement psychiatrique d'une personne autre qu'un étranger en séjour illégal n'était pas exclue de l'aide médicale urgente due par les CPAS en vertu de l'article 57 § 1 de la loi du 8 juillet 1976.
L'aide due à la personne qui n'est pas un étranger en séjour illégal est ainsi logiquement plus large que pour cette dernière catégorie de personnes, envers lesquelles le législateur a limité l'aide.
17.
Enfin, la jurisprudence de la Cour de cassation, à laquelle la cour adhère, est fixée en ce sens
que (i) en raison de l'urgence, l'aide médicale urgente ne requiert aucune demande préalable du patient au de l'institution hospitalière vers laquelle il est dirigé (...); (ii) si une demande est néanmoins introduite par le patient ou son mandataire, elle n'a pas pour effet d'exclure l'application de l'article 57, §2 (ou § 1) dès lors que l'urgence existe; (iii) l'aide médicale urgente n'est pas subordonnée à une enquête sociale ou à une décision du conseil de l'aide sociale, vu l'urgence ; (iv) l'aide médicale urgente prévue pour les étrangers en séjour illégal peut consister, tout comme celle due à toute personne résidant régulièrement sur le territoire, dans la prise en charge des frais d'hospitalisation d'urgence qui incombent au patient après l'intervention éventuelle de l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités (par hypothèse inexistante pour les étrangers en séjour illégal, (...). Cette prise en charge ne se confond pas avec une aide financière qui serait accordée au patient et que prohibe l'article 1er de l'arrêté royal du 12 décembre 1996 visé ci-dessus.
Une demande en responsabilité formulée par une institution hospitalière ne constitue pas non plus une action oblique par laquelle cette institution tenterait d'obtenir à son profit l'aide sociale due à la personne du patient.
b. Appréciation par la cour
18.
Alors que le 31 mai 1999, le CPAS de Schaerbeek atteste que Melle J. est en situation de séjour illégal, il soutient devant la cour que certes la patiente était en situation de séjour irrégulier, faute de domiciliation sur le territoire belge, mais qu'elle n'était cependant pas en situation de séjour illégal au sens de l'article 57 § 2 de la loi du 8 juillet 1976, aucun ordre de quitter le territoire ne lui ayant été notifié.
Fond'Roy partage l'analyse actuelle du CPAS de Schaerbeek quant à l'absence de séjour illégal, qui est en effet confortée par l'extrait du registre national de Melle J.
Par conséquent, l'aide médicale urgente qui pouvait être due à Melle J., l'était non pas en vertu de l'article 57 § 2 de la loi du 8 juillet 1976, mais en vertu de son § 1 qui n'exclut pas de son champ d'application l'hospitalisation dans une institution psychiatrique.
Le premier motif de refus invoqué par le CPAS de Schaerbeek n'est dès lors pas justifié.
19.
Le CPAS de Schaerbeek ne peut pas non plus refuser son intervention au motif qu'il n'a pas délivré de réquisitoire pour cette hospitalisation et que l'urgence ne serait pas établie.
En effet, un réquisitoire de mise en observation a été délivré par le procureur du Roi et il atteste de l'urgence médicale, laquelle ressort aussi du certificat médical établi par le CHU Saint-Pierre le 23 juin 2000, qui fait état de tendances suicidaires ainsi que du certificat d'hospitalisation d'urgence établi par le Dr B. à Fond'Roy (...).
La levée de la mise en observation par le juge de paix à partir du 30 juin 2000 ne permet pas de mettre en doute le constat d'urgence médicale posé le 23 juin, pour la période du 23 au 30 juin 2000.
20.
Dans une situation d'urgence, l'obligation pour le CPAS d'assurer au patient l'aide prévue par
l'article 57 de la loi organique des CPAS n'est pas subordonnée à une demande préalable d'intervention émanant du patient ou de son mandataire, à une enquête sociale ou à une décision du CPAS lui-même qui précèderait les soins (...).
C'est dès lors à tort que le CPAS de Schaerbeek invoque ce motif de refus dans sa lettre du 29 août 2000.
21.
L'état d'indigence de Melle J. au moment de sa mise en observation n'est pas contestable et ne l'a pas été à l'époque par le CPAS de Schaerbeek.
22.
En vertu de l'article 1, 1° de la loi du 2 avril 1965 « relative à la prise en charge des secours accordés par les CPAS », le CPAS « secourant », qui doit en principe offrir son secours, est celui « de la commune sur le territoire de laquelle se trouve une personne qui a besoin d'assistance, dont ce centre public d'aide sociale a reconnu l'état d'indigence et à qui elle fournit des secours dont elle apprécie la nature et, s'il y a lieu, le montant ».
Le CPAS de Schaerbeek décline sa compétence territoriale (...) au motif que Melle J. aurait été préalablement hospitalisée au CHU Saint-Pierre.
Cependant, l'hospitalisation de Melle J. au CHU Saint-Pierre n'est nullement établie.
Melle J. a été examinée au CHU Saint-Pierre le 23 juin 2000 et elle a immédiatement fait l'objet d'une mesure d'hospitalisation à Fond'Roy.
Par ailleurs, le CPAS de Schaerbeek est le centre secourant au sens de l'article 1, 1° de la loi du 2 avril 1965 ainsi qu'il ressort de son attestation délivrée à Melle J. le 31 mai 1999 dans laquelle il reconnait sa compétence territoriale à son égard, outre son état d'indigence.
Enfin, même en l'absence de domiciliation dans la commune, la résidence habituelle de Melle J. sur le territoire de Schaerbeek est attestée à suffisance de droit par son adresse de résidence communiquée à l'époque et reprise également dans le jugement du juge de paix.
Le CPAS de Schaerbeek, qui n'a pas contesté cet élément dans ses premiers refus, n'apporte pas la preuve contraire, en particulier au vu d'une seule attestation d'une certaine Mme V. qui indique, à la date du 18.09.2000 que « les intéressés ne résident plus à Schaerbeek. Ils n'y ont jamais été domiciliés », mais sans que cette attestation ne comporte le nom de Melle J. ou de sa famille (...).
22.
II résulte des principes rappelés ci-avant que c'est encore à tort que le CPAS de Schaerbeek entend limiter son obligation d'accorder une aide matérielle et conteste devoir intervenir dans des factures d'hospitalisation.
Conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation à laquelle la cour adhère, l'obligation qui pèse sur le CPAS de fournir l'aide médicale urgente implique la prise en charge des frais de transport, d'admission, de séjour et de traitement dans un service hospitalier avec lequel le CPAS n'a pas conclu de convention (...). Cette obligation découle de l'article
57, §2, de la loi organique des CPAS.
23.
Il est encore inexact de prétendre que le FSA aurait été seul compétent pour la prise en charge des patients psychiatriques indigents.
Il ne découle pas de la loi du 27 juin 1956 relative au Fonds spécial d'assistance que le Fonds aurait vocation à se substituer aux CPAS dans leurs obligations.
De surcroit, en l'espèce, Fond'Roy allègue, sans être contredit, qu'il a transmis au CPAS de Schaerbeek le formulaire pour l'introduction d'une demande d'intervention auprès du FSA (...), mais que le CPAS de Schaerbeek n'y a pas donné suite.
Dans ces circonstances, le CPAS de Schaerbeek ne peut naturellement se prévaloir de la non¬ intervention du Fonds pour limiter ses propres obligations.
24.
II résulte de l'ensemble des considérations que le CPAS de Schaerbeek devait assurer à la patiente l'aide prévue à l'article 57, § 1er de la loi organique CPAS, par la prise en charge des frais de l'hospitalisation urgente encourus auprès de Fond'Roy, pour la période du 23 au 30 juin 2000, correspondant à la première facture émise.
Pour la période postérieure, du 1er au 14 juillet 2000, après la mainlevée de la mise en observation, l'hospitalisation de la patiente s'est poursuivie sur une base volontaire. Aucun élément n'établit l'urgence médicale à partir du 1er juillet 2000.
D'ailleurs, dans un certificat médical détaillé établi par un médecin de Fond'Roy sur le formulaire du FSA, il apparait que la durée de l'hospitalisation est directement dépendante de la possibilité de faire admettre Melle J. en internat à l'IRSA, ce qui confirme qu'à cette date, l'hospitalisation ne se poursuivait pas en raison d'une urgence médicale véritable, mais dans l'attente de trouver une solution pour la prise en charge de Melle J.
Le CPAS ayant refusé son intervention sans juste motif pour la période du 23 au 30 juin 2000, il a commis une faute civile qui l'oblige, conformément à l'article 1382 du Code civil, à réparer le préjudice que cette faute a causé à Fond'Roy.
25.
Le CPAS de Schaerbeek énonce certes avec raison que le débiteur naturel d'une facture d'hospitalisation est le patient lui-même ou ses parents, dans le cas d'un patient mineur. II parait en l'espèce reprocher à Fond'Roy de ne pas avoir cherché à obtenir le paiement de sa facture auprès de Melle J. ou sa famille. Cependant, il ne tire aucune conséquence juridique de ce reproche de sorte que la cour ne doit pas en tenir compte.
Enfin, compte tenu des motifs qui précédent, il n'y a pas lieu de poser à la Cour constitutionnelle les questions préjudicielles suggérées par le CPAS de Schaerbeek. » (voir pages 8 à 14 de l'arrêt attaqué).
3. L'arrêt attaqué en déduit que :
« 26.
Le refus fautif de prise en charge du CPAS de Schaerbeek a privé Fond'Roy du remboursement des frais exposés par lui pour soigner la patiente pendant la période de mise en observation. En effet, si le CPAS n'avait pas illégalement refusé son intervention ces frais auraient été payés.
Fond'Roy est dès lors fondé à obtenir une indemnité égale à ces frais, dent le montant n'est pas contesté en soi et est justifié par la pièce 8 de son dossier, soit un montant de 50.075 BEF = 1.241,33 euro .
27.
Le point de départ des intérêts, s'agissant d'intérêts compensatoires, est à apprécier souverainement par le juge du fond, dans les limites du principe dispositif, sous le contrôle marginal de la Cour de cassation et pour autant que le juge n'accorde pas d'intérêts pour une période à laquelle le dommage n'est pas encore réalisé. Ces intérêts font partie intégrante du dommage subi (...), et sont attribués dans la mesure nécessaire à la réparation intégrale du préjudice subi pour tenir compte du dommage résultant du retard dans l'indemnisation (...).
D'après la pièce 8 de son dossier, Fond'Roy a adressé sa facture au CPAS de Schaerbeek le 30 juin 2000 et celle-ci devait être payée dans un délai de 30 jours ; le préjudice résultant du non-paiement n'a dès lors pris cours que le 31 juillet 2000, date à partir de laquelle les intérêts sont dus.
Le taux de l'intérêt, pour accorder l'indemnisation du préjudice subi, sera fixe à 5 % jusqu'au
31 décembre 2009 et au taux légal après cette date » (voir pages 14 et 15 de l'arrêt attaqué).
C. GRIEFS
1. Aux termes de l'article 1er de la loi du 8 juillet 1976, « toute personne a droit à l'aide sociale. Celle-ci a pour but de permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine ».
Il se déduit de cette disposition légale que le droit à l'aide sociale est assujetti à la condition qu'elle soit nécessaire pour permettre à une personne de mener une vie conforme à la dignité humaine.
Ce principe s'applique de manière générale, y compris dans les hypothèses couvertes par l'article 57, §1er et 2 de la loi du 8 juillet 1976 qui dispose, dans sa version applicable au litige, que :
« 1. Sans préjudice des dispositions de l'article 57 ter, le centre public d'aide sociale a pour mission d'assurer aux personnes et aux familles l'aide due par la collectivité. II assure non seulement une aide palliative ou curative, mais encore une aide préventive. Cette aide peut être matérielle, sociale, médicale, médico-sociale ou psychologique.
§ 2. Par dérogation aux autres dispositions de la présente loi, la mission du centre public d'aide sociale se limite à l'octroi de l'aide médicale urgente, à l'égard d'un étranger séjournant illégalement dans le Royaume.
Le Roi peut déterminer ce qu'il y a lieu d'entendre par aide médicale urgente. Un étranger qui s'est déclaré refugié et a demandé à être reconnu comme tel, séjourne illégalement dans le Royaume lorsque la demande d'asile a été rejetée et qu'un ordre de quitter le territoire exécutoire a été notifié à l'étranger concerné. L'aide sociale accordée à un étranger qui était en fait bénéficiaire au moment où un ordre de quitter le territoire exécutoire lui a été notifié, est arrêtée, à l'exception de l'aide médicale urgente, le jour où l'étranger quitte effectivement le territoire et, au plus tard, le jour de l'expiration du délai de l'ordre de quitter le territoire. II est dérogé aux dispositions de l'alinéa précédent pendant le délai strictement nécessaire pour permettre à l'étranger de quitter le territoire, pour autant qu'il ait signé une déclaration attestant son intention explicite de quitter le plus vite possible le territoire, sans que ce délai ne puisse en aucun cas excéder un mois. La déclaration d'intention précitée ne peut être signée qu'une seule fois. Le centre informe sans retard le Ministre qui à l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers dans ses compétences, ainsi que la commune concernée, de la signature de la déclaration d'intention (...).
En exécution de cette disposition légale, l'arrêté royal du 12 décembre 1996 « relatif à l'aide médicale urgente octroyée par les centres publics d'aide sociale aux étrangers qui séjournent illégalement dans le Royaume » (...) a été adopté et son article 1er disposait, pour la période litigieuse, que l'aide médicale urgente accordée aux étrangers qui séjournaient illégalement sur le territoire visé à l'article 57, § 2 alinéa 1er de la loi du 8 juillet 1976.
(...) ».
L'article 1er de l'arrêté royal du 12 décembre 1996 énonce quant à lui que :
« L'aide médicale urgente, visée à l'article 57, § 2, alinéa 1er de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'aide sociale concerne l'aide qui revêt un caractère exclusivement médical et dont le caractère urgent est attesté par un certificat médical. Cette aide ne peut pas être une aide financière, un logement ou une autre aide sociale en nature.
L'aide médicale urgente peut être prestée tant de manière ambulatoire que dans un établissement de soins, comme visé à l'article 1er, 3°, de la loi du 2 avril 1965 relative à la prise en charge des secours accordés par les centres publics d'aide sociale.
L'aide médicale urgente peut couvrir des soins de nature tant préventive que curative.
(En cas de maladies contagieuses reconnues comme telles par les autorités compétentes et soumises à des mesures de prophylaxie, l'aide médicale urgente octroyée au patient doit permettre d'assurer la continuité des soins s'ils sont indispensables pour la santé publique en général.) ».
Enfin, l'article 4 de la loi du 2 avril 1965 dispose que :
« Sans préjudice des dispositions relatives au Fonds spécial d'assistance et au Fonds de soins médico-socio-pédagogiques pour handicapés, les frais résultant du traitement d'un indigent, avec ou sans hospitalisation, dans un établissement de soins sont à la charge :
1° du centre public d'aide sociale du domicile de secours;
2° de l'Etat, lorsqu'il s'agit d'un indigent n'ayant pas acquis de domicile de secours ».
Il découle de la combinaison des dispositions légales qui précèdent que : (i) le CPAS n'est tenu d'octroyer l'aide médicale urgente qu'à la condition que, sans cette aide, le patient ne soit pas en mesure de mener une vie conforme à la dignité humaine ; (ii) ce critère s'apprécie à l'aune de la situation économique du patient, débiteur naturel des prestations de soins de santé ou s'il est mineur, à l'aune de la situation économique de ses parents ou représentants légaux.
2. En l'espèce, après avoir constaté que :
- Madame J. était mineure au moment de sa mise en observation (voir page 3 de l'arrêt attaqué) ;
- « L'état d'indigence de Melle J. au moment de sa mise en observation n'est pas contestable et ne l'a pas été à l'époque par le CPAS de Schaerbeek » (voir page 14 de l'arrêt attaqué) ;
- « un réquisitoire de mise en observation a été délivré par le procureur du Roi et il atteste de l'urgence médicale, laquelle ressort aussi du certificat médical établi par le CHU Saint-Pierre le 23 juin 2000, qui fait état de tendances suicidaires ainsi que du certificat d'hospitalisation d'urgence établi par le Dr B. à Fond'Roy (...) » voir page 12 de l'arrêt attaqué) ;
l'arrêt analysé décide que « le CPAS de Schaerbeek devait assurer à la patiente l'aide prévue à l'article 57, § 1er de la loi organique CPAS, par la prise en charge des frais de l'hospitalisation urgente encourus auprès de Fond'Roy, pour la période du 23 au 30 juin 2000, correspondant à la première facture émise » de sorte que « Le CPAS ayant refusé son intervention sans juste motif pour la période du 23 au 30 juin 2000, il a commis une faute civile qui l'oblige, conformément à l'article 1382 du Code civil, à réparer le préjudice que cette faute a causé à Fond'Roy » (voir pages 13 et 14 de l'arrêt attaqué) aux motifs que :
- « l'aide médicale urgente prévue pour les étrangers en séjour illégal peut consister, tout comme celle due à toute personne résidant régulièrement sur le territoire, dans la prise en charge des frais d'hospitalisation d'urgence » (voir page 11 de l'arrêt attaqué) ;
- « l'obligation qui pèse sur le CPAS de fournir l'aide médicale urgente implique la prise en charge des frais de transport, d'admission, de séjour et de traitement dans un service hospitalier avec lequel le CPAS n'a pas conclu de convention (...). Cette obligation découle de l'article 57, §2, de la loi organique des CPAS » (voir page 13 de l'arrêt attaqué) ;
- « le débiteur naturel d'une facture d'hospitalisation est le patient lui-même ou ses parents, dans le cas d'un patient mineur » (voir page 14 de l'arrêt attaqué).
De la sorte, l'arrêt attaqué constate que Madame J., mineure au moment des faits, était personnellement indigente et admet qu'en une telle occurrence, ce sont les parents du mineur qui sont « le débiteur naturel d'une facture d'hospitalisation » mais n'examine, en aucun cas des motifs précités ni aucun autre, si les parents de Madame J. étaient en mesure d'en assurer le paiement afin de permettre à leur fille de mener une vie conforme à la dignité humaine.
3. En conséquence, l'arrêt attaqué, qui décide que « le CPAS de Schaerbeek devait assurer à la patiente l'aide prévue à l'article 57, §1er de la loi organique du CPAS par la prise en charge des frais d'hospitalisation urgente encouru auprès de Fond'Roy » et qu'en refusant de se faire, le CPAS de Schaerbeek a commis une faute, sans constater que les conditions de l'article 57, §1er de la loi du 2 avril 1965 sont réunies, n'est pas légalement justifié (violation de toutes les dispositions légales visées au moyen, hormis l'article 149 de la Constitution).
A tout le moins, à défaut d'énoncer les raisons pour lesquelles les parents de Madame J. ne devaient pas être considérés comme les débiteurs naturels des frais d'hospitalisation litigieux, l'arrêt attaqué ne permet pas à Votre Haute Juridiction d'exercer son contrôle de légalité et n'est, partant, pas régulièrement motivé (violation de l'article 149 de la Constitution).
PAR CE MOYEN ET CES CONSIDÉRATIONS,
L'avocate à la Cour de cassation soussignée conclut qu'il vous plaise, Messieurs, Mesdames, casser l'arrêt attaqué, renvoyer la cause devant une autre cour d'appel, statuer comme de droit sur les dépens de l'instance en cassation et ordonner que mention soit faite de Votre arrêt en marge de la décision annulée.
Bruxelles, le 28 novembre 2017
Michèle Grégoire
Avocate à la Cour de cassation