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28/05/2018 | BELGIQUE | N°C.17.0586.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 28 mai 2018, C.17.0586.F


N° C.17.0586.F
1. M. D. L.,
2. J. D. L.,
3. C. D. L.,
4. F. R., agissant tant en son nom propre qu'en qualité d'héritière de C. D.,
5. G. R.,
6. P. F.,
7. C. D.,
8. R. D.,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,

contre

1. SOCIÉTÉ GENERALI, ASSURANCES IARD, société de droit français, dont le siège est établi à Paris (IXe arrondissement) (France), boule

vard Haussmann, 7,
2. CLUB MÉDITERRANÉE SOCIÉTÉ ANONYME BELGE, société anonyme, dont le siège social est étab...

N° C.17.0586.F
1. M. D. L.,
2. J. D. L.,
3. C. D. L.,
4. F. R., agissant tant en son nom propre qu'en qualité d'héritière de C. D.,
5. G. R.,
6. P. F.,
7. C. D.,
8. R. D.,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,

contre

1. SOCIÉTÉ GENERALI, ASSURANCES IARD, société de droit français, dont le siège est établi à Paris (IXe arrondissement) (France), boulevard Haussmann, 7,
2. CLUB MÉDITERRANÉE SOCIÉTÉ ANONYME BELGE, société anonyme, dont le siège social est établi à Bruxelles, avenue Louise, 523,
défenderesses en cassation,
représentées par Maître Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 480, où il est fait élection de domicile,

en présence de

CLUB MÉDITERRANÉE, société de droit français, dont le siège est établi à Paris (XIXe arrondissement) (France), rue de Cambrai, 11, faisant élection de domicile en l'étude de l'huissier de justice Philippe Boulet, établie à Liège, rue du Parc, 9,
partie appelée en déclaration d'arrêt commun.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 5 mai 2017 par la cour d'appel de Liège.
Le 24 avril 2018, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé des conclusions au greffe.
Par ordonnance du 26 avril 2018, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième chambre.
Le conseiller Michel Lemal a fait rapport et l'avocat général Jean Marie Genicot a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation

Les demandeurs présentent un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- articles 1er, 2 et 30 de la loi du 16 février 1994 régissant le contrat d'organisation de voyages et le contrat d'intermédiaire de voyages ;
- articles 88, § 2, et 150 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances et, en tant que de besoin, 34, § 2, et 86 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre.

Décision et motifs critiqués

L'arrêt décide que l'action directe introduite par les demandeurs contre la première défenderesse, en sa qualité d'assureur de la deuxième défenderesse, est prescrite, par tous ses motifs réputés ici intégralement reproduits et, spécialement, que :
« Les (demandeurs) estiment que leur action directe à l'égard de (la première défenderesse) ne serait pas prescrite en vertu des articles 150 et 88, § 2, de la loi du 4 avril (2014) sur le contrat d'assurance. Cela suppose une application pour la question de la prescription de l'action d'un délai de deux ans contre l'organisateur de voyages tandis que l'action directe de ce voyageur contre l'assureur de l'organisateur serait de cinq ans.
Cette argumentation ne peut être retenue.
L'article 88, § 2, de la loi du 4 avril 2014 sur le contrat d'assurance indique que, ‘sous réserve de dispositions légales particulières, l'action résultant du droit propre que la personne lésée possède contre l'assureur en vertu de l'article 150 se prescrit par cinq ans à compter du fait générateur du dommage (...)'.
L'action de l'article 30, § 1er, de la loi [du 16 février 1994] sur le contrat de voyage qui prévoit un délai de deux ans est une disposition particulière applicable uniquement en matière de contrat de voyage. Cette loi doit être qualifiée de loi particulière dérogeant à la prescription générale de l'article 88, § 2.
Partant, l'action est prescrite, le délai de deux ans étant largement dépassé au moment où l'action est introduite.
C'est de façon erronée que les (demandeurs) invoquent une jurisprudence de la Cour constitutionnelle puisque, dans les deux arrêts mentionnés, la Cour se prononce sur des cas dans lesquels le délai maximal de prescription de l'action dirigée contre la personne responsable est plus long que celui de l'action directe contre l'assureur. Il s'agit donc de la situation inverse du cas d'espèce. En outre, dans ces arrêts, il est fait application de dispositions de droit commun. Il n'est pas fait application d'une loi spéciale ».

Griefs

L'article 88, § 2, de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances dispose que, « sous réserve de dispositions légales particulières, l'action résultant du droit propre que la personne lésée possède contre l'assureur en vertu de l'article 150 se prescrit par cinq ans à compter du fait générateur du dommage ou, s'il y a infraction pénale, à compter du jour où celle-ci a été commise. Toutefois, lorsque la personne lésée prouve qu'elle n'a eu connaissance de son droit envers l'assureur qu'à une date ultérieure, le délai ne commence à courir qu'à cette date, sans pouvoir excéder dix ans à compter du fait générateur du dommage ou, s'il y a infraction pénale, du jour où celle-ci a été commise ».
En vertu de l'article 150 de la même loi, « l'assurance fait naître au profit de la personne lésée un droit propre contre l'assureur. L'indemnité due par l'assureur est acquise à la personne lésée, à l'exclusion des autres créanciers de l'assuré ».
Ces deux dispositions constituent l'exacte transposition des articles 34, § 2, et 86 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre.
Il s'en déduit qu'en principe, l'action directe à l'encontre de l'assureur se prescrit par cinq ans, sauf « disposition légale particulière », et que ce délai commence à courir à dater du fait générateur du dommage, la prise de cours de ce délai pouvant toutefois, et pour autant que la personne lésée l'établisse, être reportée au moment où la personne lésée a eu connaissance de son droit envers l'assureur.
L'arrêt ne dénie pas l'allégation des demandeurs selon laquelle ils n'ont appris qu'en mai 2015 que la première défenderesse était l'assureur de la deuxième défenderesse.
Il oppose cependant aux demandeurs le délai de prescription de deux ans visé à l'article 30 de la loi du 16 février 1994 aux motifs que « cette loi doit être qualifiée de loi particulière dérogeant à la prescription générale de l'article 88, § 2 ».
L'article 30 de la loi du 16 février 1994 régissant le contrat d'organisation de voyages et le contrat d'intermédiaire de voyages dispose que « les actions auxquelles peut donner lieu un contrat de voyages tombant sous l'application de la présente loi, pour cause de décès, de blessures ou d'autres atteintes à l'intégrité physique ou morale d'un voyageur, se prescrivent par deux ans ; le délai de deux ans prend cours à la date à laquelle le contrat dispose que prend fin la prestation ayant donné lieu au différend ».
L'article 1er de cette loi est rédigé de la manière suivante :
« Pour l'application de la présente loi, il faut entendre par :
1. Contrat d'organisation de voyages : tout contrat par lequel une personne s'engage, en son nom, à procurer à une autre, moyennant un prix global, au moins deux des trois services suivants :
a) transport,
b) logement,
c) autres services touristiques, non liés au transport ou au logement, qui ne sont pas accessoires au transport ou au logement,
dans une combinaison préalable organisée par ladite personne ou par un tiers, pour autant que les prestations incluent une nuitée ou dépassent une durée de vingt-quatre heures.
La facturation séparée de divers éléments d'un même forfait ne soustrait pas l'organisateur de voyages ou l'intermédiaire de voyages aux obligations de la présente loi ;
2. Contrat d'intermédiaire de voyages : tout contrat par lequel une personne s'engage à procurer à une autre, moyennant le paiement d'un prix, soit un contrat d'organisation de voyages, soit une ou plusieurs prestations isolées permettant d'accomplir un voyage ou un séjour quelconque ;
3. Organisateur de voyages : toute personne agissant en tant que vendeur au sens de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur qui vend ou offre en vente la combinaison décrite au 1°, directement ou à l'intervention d'un intermédiaire de voyages ;
4. Intermédiaire de voyages : toute personne agissant en tant que vendeur au sens de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur, qui prend l'engagement visé au 2° ;
5. Voyageur : toute personne qui bénéficie de l'engagement visé au 1° ou au 2°, que le contrat ait été conclu ou le prix payé par elle ou pour elle ».
Aux termes de l'article 2, § 1er, « la présente loi est applicable aux contrats d'organisation et d'intermédiaire de voyages vendus ou offerts en vente en Belgique ».
Il se déduit de ces deux dispositions que la loi du 16 février 1994 est exclusivement applicable aux relations contractuelles des consommateurs avec les intervenants du secteur du voyage et qu'elle ne s'applique ni aux relations contractuelles existant entre les fournisseurs de services ni aux actions directes intentées contre l'assureur des intervenants de voyages et fondées sur leur responsabilité extracontractuelle.
L'arrêt, qui décide que l'article 30 de la loi du 16 février 1994 est applicable à l'action directe introduite par les demandeurs à l'encontre de la première défenderesse sur la base de la responsabilité extracontractuelle de la deuxième défenderesse et que cette disposition constitue une « disposition légale particulière » au sens de l'article 88, § 2, de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances et, en tant que de besoin, de l'article 34, §, 2, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, viole, partant toutes les dispositions visées au moyen.

III. La décision de la Cour

L'article 88, § 2, de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances dispose, en son alinéa 1er, que, sous réserve de dispositions légales particulières, l'action résultant du droit propre que la personne lésée possède contre l'assureur en vertu de l'article 150 se prescrit par cinq ans à compter du fait générateur du dommage ou, s'il y a infraction pénale, à compter du jour où celle-ci a été commise et, en son alinéa 2, que, toutefois, lorsque la personne lésée prouve qu'elle n'a eu connaissance de son droit envers l'assureur qu'à une date ultérieure, le délai ne commence à courir qu'à cette date, sans pouvoir excéder dix ans à compter du fait générateur du dommage ou, s'il y a infraction pénale, du jour où celle-ci a été commise.
Par dispositions légales particulières, on entend celles qui soumettent la prescription de l'action résultant du droit propre que la personne lésée possède contre l'assureur à un délai différent de celui dudit article 88, § 2.
L'article 30.1, alinéa 1er, de la loi du 16 février 1994 régissant le contrat d'organisation de voyages et le contrat d'intermédiaire de voyages, en vertu duquel les actions auxquelles peut donner lieu un contrat de voyages tombant sous l'application de ladite loi, pour cause de décès, de blessures ou autres atteintes à l'intégrité physique ou morale d'un voyageur, se prescrivent par deux ans, ne soumet pas la prescription de l'action résultant du droit propre que le voyageur possède contre l'assureur de l'organisateur de voyage ou de l'intermédiaire de voyages à un délai différent de celui de l'article 88, § 2, précité.
L'arrêt, qui considère que « l'action est prescrite » aux motifs que « la loi [précitée du 16 février 1994] doit être qualifiée de loi particulière dérogeant à la prescription générale de l'article 88, § 2 », en sorte que le délai de prescription de deux ans prévu par l'article 30.1, alinéa 1er, s'applique à l'action des demandeurs contre la première défenderesse en sa qualité d'assureur de la responsabilité civile de la seconde défenderesse, et que « [ce] délai [est] largement dépassé au moment où l'action est introduite », viole l'article 88, § 2, de la loi du 4 avril 2014.
Le moyen est fondé.

Et il y a lieu de déclarer le présent arrêt commun à la partie appelée à la cause à cette fin.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il déclare prescrite l'action des demandeurs contre la première défenderesse en sa qualité d'assureur de la seconde défenderesse et qu'il statue sur les dépens ;
Déclare le présent arrêt commun à la société de droit français Club Méditerranée ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Mons.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Mireille Delange, Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du vingt-huit mai deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.
L. Body A. Jacquemin M.-Cl. Ernotte
M. Lemal M. Delange Chr. Storck


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.17.0586.F
Date de la décision : 28/05/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-05-28;c.17.0586.f ?

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