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25/05/2018 | BELGIQUE | N°C.15.0354.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 25 mai 2018, C.15.0354.F


N° C.15.0354.F
S. R.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,

contre

AXA BELGIUM, société anonyme, dont le siège social est établi à Bruxelles, place du Trône, 1,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile.

I. La procédur

e devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 31 mars 2015 par le tribuna...

N° C.15.0354.F
S. R.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,

contre

AXA BELGIUM, société anonyme, dont le siège social est établi à Bruxelles, place du Trône, 1,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 31 mars 2015 par le tribunal de première instance francophone de Bruxelles, statuant en degré d'appel.
Le 27 décembre 2017, l'avocat général Philippe de Koster a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Mireille Delange a fait rapport et l'avocat général Philippe de Koster a été entendu en ses conclusions.

II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente six moyens.

III. La décision de la Cour

Sur le premier moyen :

Lorsqu'il applique la loi étrangère, le juge doit en déterminer la portée en tenant compte de l'interprétation qu'elle reçoit dans le pays dont elle émane.
La Cour vérifie la conformité de la décision du juge du fond à cette interprétation.
En vertu de l'article 77, alinéa 1er, du dahir marocain du 12 septembre 1913 formant le code des obligations et des contrats, tout fait quelconque de l'homme qui, sans l'autorité de la loi, cause sciemment et volontairement à autrui un dommage matériel ou moral, oblige son auteur à réparer ledit dommage, lorsqu'il est établi que ce fait en est la cause directe.
Suivant l'article 78, alinéa 1er, du même code, chacun est responsable du dommage moral ou matériel qu'il a causé, non seulement par son fait, mais par sa faute, lorsqu'il est établi que cette faute en est la cause directe.
L'article 98 de ce code prévoit que les dommages, dans le cas de délits ou de quasi-délits, sont la perte effective éprouvée par le demandeur et les dépenses nécessaires qu'il a dû ou devrait faire afin de réparer les suites de l'acte commis à son préjudice, ainsi que les gains dont il est privé dans la mesure normale en conséquence de cet acte.
Aux termes de l'article 99 dudit code, si le dommage est causé par plusieurs personnes agissant de concert, chacune d'elles est tenue solidairement des conséquences, sans distinguer si elles ont agi comme instigateurs, complices ou auteurs principaux.
Aux termes de l'article 100 du code, la règle établie en l'article 99 s'applique au cas où, entre plusieurs personnes qui doivent répondre d'un dommage, il n'est pas possible de déterminer celle qui en est réellement l'auteur, ou la proportion dans laquelle elles ont contribué au dommage.
Le jugement attaqué constate que la demanderesse a été victime d'un accident de la circulation causé par l'assuré de la défenderesse et un autre conducteur entre lesquels « les juridictions marocaines ont conclu au partage [par moitié] des responsabilités de l'accident ».
Il déduit des articles 99 et 100 du code des obligations et des contrats et de « plusieurs dispositions, [par exemple les articles 10 et 11 du dahir portant loi n° 1-84-177 du 2 octobre 1984 relatif à l'indemnisation des victimes d'accidents causés par des véhicules terrestres à moteur], qui se réfèrent expressément, en matière d'indemnisation, à la part de responsabilité imputable à l'auteur de l'accident », que le droit marocain ne consacre une solidarité entre plusieurs auteurs d'un dommage que dans les deux hypothèses prévues par ces articles 99 et 100 et que, « dans le cas où, comme en l'espèce, une décision judiciaire a déterminé un partage précis de responsabilité entre les auteurs du dommage sans que ceux-ci aient agi de concert, [...] la victime ne peut obtenir à la charge de chaque auteur que la réparation de son dommage jusqu'à concurrence du pourcentage de responsabilité précis retenu à la charge de cet auteur ». Il décide par conséquent que le recours de la demanderesse contre la défenderesse sera « limité à 50 p.c. de [son] dommage ».
Le jugement attaqué ne donne pas ainsi des dispositions précitées du code marocain des contrats et des obligations une interprétation qui ne pourrait manifestement pas être tenue pour conforme à celle qu'elles reçoivent au Maroc.
Le moyen ne peut être accueilli.

Sur le deuxième moyen :

Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen par la défenderesse et déduite de ce qu'il critique une appréciation du juge du fond qui gît en fait :

Les faits constatés par le jugement attaqué suffisent à l'examen du moyen.
La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.

Sur le fondement du moyen :

L'article 2, alinéa 1er, du dahir du 2 octobre 1984 dispose que l'indemnisation comporte le remboursement des frais médicaux.
Statuant sur les frais médicaux « après consolidation », c'est-à-dire selon ses constatations « après le 1er septembre 1996 », le jugement attaqué évalue ces frais à 146,64 euros par mois, condamne la défenderesse à payer à la demanderesse 221 fois ce montant « pour la période du 1er octobre 1996 au 31 mars 2015 » et déboute la demanderesse du surplus de sa demande.
En refusant l'indemnisation des frais médicaux exposés par la demanderesse après la consolidation, en septembre 1996, le jugement attaqué donne de l'article 2, alinéa 1er, du dahir du 2 octobre 1984 une interprétation qui ne peut manifestement être tenue pour conforme à celle que cette disposition reçoit au Maroc.
Dans cette mesure, le moyen est fondé.

Sur le troisième moyen :

L'article 1er du dahir du 2 octobre 1984 dispose que, nonobstant toutes dispositions législatives contraires, les dommages corporels causés à des tiers par un véhicule terrestre à moteur sont indemnisés, dans les limites et suivant les bases et la procédure fixées par le dahir portant loi et les textes pris pour son application.
Dans un arrêt du 10 décembre 1998, n° P 2695/7, la Cour suprême du Maroc a considéré qu'en vertu de cet article, l'indemnisation des dommages occasionnés par un accident de la circulation causé par des véhicules terrestres est déterminée dans les limites et suivant les règles et procédures fixées par ledit dahir.
Aux termes de l'article 2, alinéa 1er, du même dahir, l'indemnisation comporte le remboursement des frais du transport de la victime et, le cas échéant, de la personne qui l'accompagne, ainsi que des frais médicaux, chirurgicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation et des dépenses nécessitées par le recours à des appareils de prothèse ou d'orthopédie et par la rééducation de la victime.
Le jugement attaqué déduit de l'article 1er précité que les « préjudices indemnisables sont énumérés de manière limitative » dans l'article 2, alinéa 1er, et il considère que cette disposition ne prévoit pas d'indemnisation pour des frais d'adaptation du logement de la victime ; il refuse par ces motifs une telle indemnité à la demanderesse.
Le jugement attaqué ne donne pas ainsi de l'article 2, alinéa 1er, du dahir du 2 octobre 1984 une interprétation qui ne pourrait manifestement pas être tenue pour conforme à celle que cette disposition reçoit au Maroc.
Le moyen ne peut être accueilli.

Sur le quatrième moyen :

En vertu de l'article 3, b), du dahir du 2 octobre 1984, outre le remboursement des frais et dépenses prévus à l'article 2 ci-dessus, l'indemnisation due à la victime en cas d'incapacité physique permanente compense la perte du salaire ou des gains professionnels qui en résulte pour la victime ainsi que les dommages causés à son intégrité physique et, le cas échéant, les préjudices suivants : recours à une tierce personne, changement total de profession, conséquences défavorables de carrière, interruption définitive ou quasi-définitive de scolarité, préjudice esthétique et pretium doloris, le tout dans les conditions prévues aux articles 5 à 10 inclus du même dahir.
Suivant les articles 5 à 9 précités, l'indemnisation de la victime pour incapacité physique permanente comporte une indemnité principale déterminée en fonction de l'âge de la victime au moment de l'accident, du montant du salaire ou des gains professionnels, du taux d'incapacité et de la part de responsabilité imputable au responsable de l'accident. Selon l'article 10, à l'indemnité principale ainsi déterminée s'ajoutent, le cas échéant, des indemnités complémentaires pour l'incapacité permanente obligeant la victime à avoir recours, d'une manière permanente, à une tierce personne pour accomplir les actes ordinaires de la vie, pour le pretium doloris, pour le préjudice esthétique, pour l'incapacité permanente entraînant pour la victime un changement total de profession ou des conséquences défavorables de carrière et pour l'incapacité permanente entraînant pour la victime une interruption de scolarité.

Le jugement attaqué refuse l'indemnité pour le préjudice moral permanent de la demanderesse au motif que le dahir du 2 octobre 1984 « ne [prévoit] pas d'indemnisation pour ce poste de dommage ».
En considérant que l'indemnisation de l'intégrité physique due à la victime en cas d'incapacité physique permanente ne comporte pas d'indemnisation pour dommage moral distincte de l'indemnité principale et des indemnités complémentaires pour le recours à une tierce personne, le changement total de profession, les conséquences défavorables de carrière, l'interruption définitive ou quasi-définitive de scolarité, le préjudice esthétique et le pretium doloris, le jugement attaqué ne donne pas des articles 3, b), et 5 à 10 du dahir du 2 octobre 1984 une interprétation qui ne pourrait manifestement pas être tenue pour conforme à celle que cette disposition reçoit au Maroc.
Le moyen ne peut être accueilli.

Sur le cinquième moyen :

Le jugement attaqué énonce que la demanderesse « a conclu le 1er mars 1994 un contrat de travail ‘emploi-formation' pour travailler comme fille de cuisine en parallèle avec une formation à suivre en cours d'hôtellerie » mais qu'« elle a interrompu ce travail et cette formation, à une date non précisée, en 1994, [et] a ensuite fait un séjour au Maroc, où vit l'essentiel de sa famille », et que « c'est à ce moment-là que l'accident s'est produit, le 28 février 1995 ». Il en conclut que, « au moment de l'accident, la demanderesse ne travaillait pas et ne percevait aucun salaire ».
Le moyen, qui, tout entier fondé sur l'affirmation que le contrat de travail de la demanderesse était en vigueur au moment de l'accident, s'érige contre cette appréciation en fait du jugement attaqué, est irrecevable.

Sur le sixième moyen :

Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen par la défenderesse et déduite de ce qu'il exige la recherche d'éléments de faits :

Les faits constatés par le jugement attaqué suffisent à l'examen du moyen.
La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.

Sur le fondement du moyen :

Le jugement attaqué décide d'accorder des intérêts compensatoires pour réparer le préjudice subi en raison du retard de l'indemnisation, sauf « sur les montants forfaitaires reconnus par le dahir de 1984 (aide d'une tierce personne, pretium doloris et préjudice esthétique) », mais il déboute la demanderesse de sa demande d'intérêts sur l'indemnité de 1.859,20 euros alloués pour les frais de médecin-conseil de la demanderesse.
En refusant les intérêts sur cette indemnité sans vérifier si la demanderesse n'a pas subi un retard d'indemnisation à cet égard, le jugement attaqué fait de l'article 2, alinéa 1er, du dahir du 2 octobre 1984 une interprétation qui ne peut manifestement être tenue pour conforme à celle que cette disposition reçoit au Maroc.
Dans cette mesure, le moyen est fondé.

Par ces motifs,

La Cour

Casse le jugement attaqué en tant qu'il rejette les demandes de la demanderesse en paiement d'une indemnité pour les frais médicaux exposés en septembre 1996 et d'intérêts sur l'indemnité pour les frais de médecin-conseil, et qu'il statue sur les dépens entre les parties à l'instance en cassation ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement partiellement cassé ;
Condamne la demanderesse à la moitié des dépens et en réserve le surplus pour qu'il soit statué sur celui-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant le tribunal de première instance du Brabant wallon, siégeant en degré d'appel.
Les dépens taxés à la somme de mille six cent soixante euros soixante-quatre centimes envers la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Mireille Delange, Michel Lemal, Sabine Geubel et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du vingt-cinq mai deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Philippe de Koster, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont A. Jacquemin S. Geubel
M. Lemal M. Delange Chr. Storck


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C.15.0354.F
Date de la décision : 25/05/2018
Type d'affaire : Arrêt

Analyses

LOI ETRANGERE


Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-05-25;c.15.0354.f ?

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