N° C.17.0514.N
BEHERMAN EUROPEAN, s.a.,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
contre
GENERAL MOTORS COMPANY, société de droit de l'État du Delaware,
Me Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 8 février 2017 par la cour d'appel d'Anvers.
L'avocat général André Van Ingelgem a déposé des conclusions écrites le 17 avril 2018.
Le président de section Beatrijs Deconinck a fait rapport.
L'avocat général André Van Ingelgem a conclu.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
1. En vertu de l'article 96, 2°, du Code de droit international privé, les juridictions belges sont compétentes pour connaître de toute demande en matière d'obligations, outre dans les cas prévus par les dispositions générales de la présente loi, lorsque cette demande concerne une obligation dérivant d'un fait dommageable, a) si le fait générateur de l'obligation est survenu ou menace de survenir, en tout ou en partie, en Belgique ; ou b) si et dans la mesure où le dommage est survenu ou menace de survenir en Belgique.
2. Il ressort de l'article 96, 2°, précité et de ses travaux préparatoires que cette disposition s'inspire de la jurisprudence interprétative que la Cour de justice de l'Union européenne a donnée de l'article 5.3 du règlement de Bruxelles I, auquel correspond actuellement l'article 7.2 du règlement de Bruxelles Ibis.
En tant qu'il suppose que, pour l'interprétation de l'article 96, 2°, du Code de droit international privé, il n'est pas loisible de s'inspirer de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne relative à l'article 5.3 du règlement de Bruxelles I, le moyen, en cette branche, manque en droit.
3. En vertu de l'article 5.3 du règlement de Bruxelles I, les personnes domiciliées dans un État membre pourront être attraites dans un autre État membre, en ce qui concerne les obligations dérivant d'un fait illégal, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire.
4. Suivant la jurisprudence constante de la Cour de justice, il y a lieu d'entendre par lieu où le fait dommageable s'est produit soit le lieu de l'événement causal qui est à l'origine du dommage, soit le lieu où le dommage est survenu (arrêts C-21/76, Bier, 30 novembre 1976 ; C-51/97, Réunion européenne SA, 27 octobre 1998 ; C-375/13, Harald Kolossa, 28 janvier 2015 ; C-12/15, Universal Music International Holding BV, 16 juin 2016).
Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de justice que la notion de « lieu où le dommage est survenu » au sens de l'article 5.3 du règlement de Bruxelles I ne peut être interprétée de façon extensive au point d'englober tout lieu où peuvent être ressenties les conséquences préjudiciables d'un fait ayant déjà causé un dommage effectivement survenu dans un autre lieu. La notion ne couvre donc pas le lieu où la personne lésée a subi un préjudice patrimonial consécutif à un dommage initial survenu et subi par elle dans un autre État contractant (arrêts C-364/93, Marinari, 19 septembre 1995, points 14-15; C-168/02, Kronhofer, 10 juin 2004, points 21; C-375/13, Harald Kolossa, 28 janvier 2015, points 48-49 ; C-12/15, Universal Music International Holding BV, 16 juin 2016, points 34-35).
5. Il résulte de ce qui précède qu'en vertu de l'article 96, 2°, du Code de droit international privé, interprété dans le sens de l'article 5.3 du règlement de Bruxelles I, il y a lieu d'entendre par lieu où le dommage est survenu le lieu où l'événement causal a directement produit ses effets dommageables à l'égard d'une personne directement lésée.
Dans la mesure où, en cette branche, il est fondé sur le soutènement contraire, le moyen manque en droit.
Quant à la deuxième branche :
6. En vertu de l'article 96, 2°, du Code de droit international privé, les juridictions belges sont compétentes pour connaître de toute demande en matière d'obligations, outre dans les cas prévus par les dispositions générales de la présente loi, lorsque cette demande concerne une obligation dérivant d'un fait dommageable, a) si le fait générateur de l'obligation est survenu ou menace de survenir, en tout ou en partie, en Belgique ; ou b) si et dans la mesure où le dommage est survenu ou menace de survenir en Belgique.
7. En vertu de l'article 5.3 du règlement de Bruxelles I, les personnes domiciliées dans un État membre pourront être attraites dans un autre État membre, en ce qui concerne les obligations dérivant d'un fait illégal, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire.
8. Dans l'arrêt C-375/13, Harald Kolossa, du 28 janvier 2015, points 48-50, la Cour de justice a considéré que la notion de « lieu où le fait dommageable s'est produit » ne vise pas le lieu du domicile, au seul motif qu'il y aurait subi un préjudice financier résultant de la perte d'éléments de son patrimoine intervenue et subie dans un autre État membre. En revanche, une telle attribution de compétence est justifiée dans la mesure où le domicile du demandeur constitue effectivement le lieu de l'événement causal ou celui de la matérialisation du dommage.
9. Il s'ensuit qu'en vertu de l'article 96, 2°, du Code de droit international privé, interprété dans le sens de l'article 5.3 du règlement de Bruxelles I, le lieu où le dommage est survenu ne vise pas le lieu du domicile du demandeur, au seul motif qu'il y a subi une préjudice financier résultant de la perte d'éléments de son patrimoine intervenue et subie dans un autre État. En revanche, les juridictions du domicile du demandeur sont compétentes si le dommage y est survenu directement.
10. Les juges d'appel ont constaté et considéré que :
- la cession contestée des parts de la société et constructeur automobile Saab Automobile établi en Suède, le concédant, a eu lieu aux États-Unis entre la défenderesse en tant que vendeur et une société établie aux Pays-Bas en tant qu'acheteur ;
- le dommage prétendument subi par la demanderesse en tant que concessionnaire du fait de la vente fautive des actions, avec la faillite du concédant en Suède un an et demi plus tard comme conséquence prétendument logique de cet acte fautif au lieu d'une « liquidation correcte », constitue un préjudice collectif subi par tous les créanciers du concédant ;
- partant, ce dommage s'est produit au lieu et au moment de cette vente en lieu et place d'une « liquidation correcte » du concédant ;
- la « liquidation correcte » invoquée du concédant aurait en outre dû avoir lieu en Suède ;
- le dommage que la demanderesse prétend avoir subi est survenu directement, soit aux États-Unis, soit en Suède, mais en aucun cas en Belgique ;
- le fait que la demanderesse ressent ce prétendu dommage en tant que concessionnaire dans son patrimoine en Belgique n'est pas suffisant pour que le dommage ait eu lieu en Belgique.
11. En considérant par ces motifs que les tribunaux belges ne sont pas compétents en vertu de l'article 96, 2°, du Code de droit international privé, les juges d'appel ont légalement justifié leur décision.
Le moyen, en cette branche, ne saurait être accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Beatrijs Deconinck, président, le président de section Alain Smetryns, les conseillers Koen Mestdagh, Geert Jocqué et Koenraad Moens, et prononcé en audience publique du vingt-quatre mai deux mille dix-huit par le président de section Beatrijs Deconinck, en présence de l'avocat général André Van Ingelgem, avec l'assistance du greffier Vanessa Van de Sijpe.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Ariane Jacquemin et transcrite avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
Le greffier, Le conseiller,