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11/05/2018 | BELGIQUE | N°F.17.0106.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 11 mai 2018, F.17.0106.F


N° F.17.0106.F
1. ENTREPRISES GÉNÉRALES D., société anonyme,
2. VILLE DE TOURNAI, représentée par son collège communal, dont les bureaux sont établis à Tournai, en l'hôtel de ville, rue Saint-Martin, 52,
demanderesses en cassation,
représentées par Maître Daniel Garabedian, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,

contre

ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12,
défen

deur en cassation,
représenté par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, don...

N° F.17.0106.F
1. ENTREPRISES GÉNÉRALES D., société anonyme,
2. VILLE DE TOURNAI, représentée par son collège communal, dont les bureaux sont établis à Tournai, en l'hôtel de ville, rue Saint-Martin, 52,
demanderesses en cassation,
représentées par Maître Daniel Garabedian, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,

contre

ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 12 mai 2016 par la cour d'appel de Mons.
Le 25 avril 2018, le premier avocat général André Henkes a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Christian Storck a fait rapport et le premier avocat général André Henkes a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation
Les demanderesses présentent un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- articles 12, § 1er, modifié par la loi du 21 mai 1996, et 253, 1°, modifié par le décret wallon du 18 décembre 2003, du Code des impôts sur les revenus 1992 ;
- article 1er, alinéa 2, de la loi du 8 juillet 1964 relative à l'aide médicale urgente, modifié par la loi du 22 février 1998.

Décisions et motifs critiqués

Après avoir constaté, en substance, que la première demanderesse demande l'exonération du précompte immobilier (exercice d'imposition 2007) pour l'immeuble qu'elle donne en location à la seconde demanderesse à usage exclusif d'arsenal de pompiers ; que la seconde demanderesse est intervenue volontairement au titre de locataire contractuellement tenue de supporter ledit précompte ; que le premier juge a déclaré la demande fondée et a annulé la cotisation au motif que le service de pompiers installé dans l'immeuble est une œuvre de bienfaisance au sens de l'article 12, § 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992, au même titre que les hôpitaux ou les maisons de repos, l'arrêt, saisi de conclusions par lesquelles les demanderesses faisaient notamment valoir que l'immeuble litigieux était affecté au service d'incendie de la ville de Tournai et que ce service « assure la fonction d'aide médicale urgente au sens de la loi du 8 juillet 1964 relative à l'aide médicale urgente », réforme le jugement entrepris et décide que le service des pompiers n'est pas une œuvre de bienfaisance analogue à l'installation des hôpitaux, des cliniques, des dispensaires ou des maisons de repos, dit par conséquent non fondée la demande originaire de la première demanderesse tendant à l'annulation de la cotisation au précompte immobilier litigieuse et dit l'arrêt opposable à la seconde demanderesse.
L'arrêt fonde cette décision sur les motifs qu'il indique aux pages 3 à 5 et qui sont tenus ici pour intégralement reproduits, et plus spécialement sur les motifs suivants :
« Les termes ‘œuvres analogues de bienfaisance' visent les institutions qui fournissent des soins physiques ou psychiques de quelque manière que ce soit (Cass., 24 mai 2012, C.11.0492.N) ;

Si les pompiers sont amenés à administrer les premiers soins aux personnes en situation d'urgence médicale à l'occasion de leurs interventions, dans l'attente d'une prise en charge effective par des médecins ou du personnel infirmier, ils ne peuvent être assimilés, au sens de la disposition en cause, aux institutions ayant vocation à fournir des soins physiques ou psychiques aux personnes ».

Griefs

Première branche

L'article 253, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992 dispose qu'« est exonéré du précompte immobilier, le revenu cadastral des biens immobiliers ou des parties de biens immobiliers visés à l'article 12, § 1er, y compris les résidences-services et les infrastructures d'accueil d'enfants de moins de trois ans ainsi que les infrastructures d'accueil et d'hébergement pour personnes handicapées ».
L'article 12, § 1er, du même code dispose qu'« est exonéré le revenu cadastral des biens immobiliers ou des parties de biens immobiliers qu'un contribuable ou un occupant a affectés sans but de lucre à l'exercice public d'un culte ou de l'assistance morale laïque, à l'enseignement, à l'installation d'hôpitaux, de cliniques, de dispensaires, de maisons de repos, de homes de vacances pour enfants ou personnes pensionnées, ou d'autres œuvres analogues de bienfaisance ».
Par « œuvres analogues de bienfaisance » sont visées les institutions qui fournissent des soins physiques ou psychiques de quelque manière que ce soit (Cass., 24 mai 2012, C.11.0492.N, avec les conclusions conformes de monsieur le procureur général Thijs, alors avocat général, rejetant le pourvoi contre un arrêt accordant l'exonération pour des locaux abritant un service de « télé-accueil » ; 24 avril 2015, F.14.0121.N, et 4 avril 2016, F.15.0131.N, avec les conclusions conformes de monsieur le procureur général Thijs, alors avocat général, cassant tous deux un arrêt ayant accordé l'exonération pour des locaux abritant un atelier protégé ; 23 décembre 2016, F.15.0194.N, rejetant le pourvoi contre un arrêt accordant l'exonération pour des locaux affectés à des activités pour enfants, et 10 février 2017, F.16.0013.N, avec les conclusions conformes de monsieur le procureur général Thijs, rejetant le pourvoi contre un arrêt accordant l'exonération pour des locaux affectés à l'aide aux personnes défavorisées).
L'arrêt ne dénie pas que, comme les demanderesses le faisaient valoir en conclusions, l'immeuble litigieux est affecté au service d'incendie de la ville de Tournai et que ce service assure la fonction d'aide médicale urgente au sens de la loi du 8 juillet 1964 relative à l'aide médicale urgente.
Aux termes de l'article 1er, alinéa 2, de ladite loi, l'« aide médicale urgente » se définit comme « la dispensation immédiate de secours appropriés à toutes les personnes dont l'état de santé par suite d'un accident ou d'une maladie soudaine ou de la complication soudaine d'une maladie requiert une intervention urgente après un appel au système d'appel unifié par lequel sont assurés les secours, le transport et l'accueil dans un service hospitalier adéquat ». L'aide médicale urgente consiste donc à fournir des soins physiques ou psychiques.
Ni la circonstance que les soins physiques ou psychiques seraient des « premiers soins », ni la circonstance que ces soins seraient prodigués « en situation d'urgence », ni la circonstance qu'ils seraient prodigués par un « service public » n'excluent les soins de la notion d'« œuvres analogues de bienfaisance » au sens de l'article 12, § 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992.
Par conséquent, l'arrêt
a) viole les articles 253, 1°, et 12, § 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 en excluant de la notion d'« œuvres analogues de bienfaisance », au sens de cette dernière disposition, les « premiers soins », les soins prodigués « en situation d'urgence » et les soins prodigués par un « service public », et ce, que l'arrêt se fonde sur chacune de ces circonstances isolément ou en combinaison avec l'autre ou les deux autres ;

b) viole en outre l'article 1er, alinéa 2, de la loi du 8 juillet 1964 relative à l'aide médicale urgente, si l'arrêt doit se comprendre comme disant que le service d'incendie de la ville de Tournai occupant l'immeuble litigieux ne fournit pas des soins physiques ou psychiques ;
c) viole en toute hypothèse les articles 253, 1°, et 12, § 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 en ne justifiant par aucun de ses motifs sa décision que l'immeuble litigieux n'est pas affecté à une « œuvre analogue de bienfaisance » au sens de l'article 12, § 1er.
L'arrêt n'est, partant, pas légalement justifié (violation de toutes les dispositions visées en tête du moyen).

Seconde branche (subsidiaire)

L'exonération prévue par les articles 253, 1°, et 12, § 1er, du Code des impôts sur les revenus s'applique aux immeubles affectés, sans but de lucre, directement ou indirectement à l'une des activités visées par cette dernière disposition, pour autant que cette affectation soit nécessaire, en ce sens que l'activité ne peut être exercée à défaut de ladite affectation (Cass., 28 octobre 2011, Pas., 2011, n° 582, à propos de l'activité d'enseignement ; voir aussi, à propos des soins, Bruxelles, 29 novembre 2006, FJF, n° 2007/256, confirmant civ. Bruxelles, 4 décembre 2003, recensé dans Fiscologue, n° 927, p. 12, à propos des locaux administratifs du service d'infirmières à domicile « La Croix jaune et blanche », qui relève judicieusement que « le caractère analogue d'une œuvre de bienfaisance ne réside pas dans sa localisation ; que ce n'est en effet pas l'installation qui doit être analogue à celle d'un hôpital, d'une clinique ou d'un dispensaire, mais l'œuvre de bienfaisance en elle-même qui doit permettre l'analogie avec un hôpital ou une des œuvres citées »).
Le fait que l'activité visée par la loi soit en tout ou partie exercée en dehors de l'immeuble ne fait pas obstacle à l'exonération.

Partant, si, par les motifs spécialement reproduits en tête du moyen, l'arrêt entend que l'exonération litigieuse doit être refusée parce que les pompiers prodiguent les soins à l'occasion d'interventions en dehors de l'immeuble litigieux et non au sein de celui-ci, il viole la notion d'« affectation » au sens de l'article 12, § 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 et viole, partant, cette disposition légale, et ne justifie par conséquent pas légalement sa décision de refuser l'exonération (violation de toutes les dispositions visées en tête du moyen).

III. La décision de la Cour

Quant à la première branche :

Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen, en cette branche, par le défendeur et déduite du défaut d'intérêt :

Le motif que « le service des pompiers [de la seconde demanderesse] ne constitue pas une œuvre de bienfaisance analogue à l'installation des hôpitaux, des cliniques, des dispensaires ou des maisons de repos », qui n'est pas distinct des autres considérations de l'arrêt que critique le moyen, en cette branche, ne suffit pas à fonder la décision contre laquelle est dirigé celui-ci.
La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.

Sur le fondement du moyen, en cette branche :

Aux termes de l'article 253, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992, tel qu'il s'applique dans la Région wallonne, est exonéré du précompte immobilier, le revenu cadastral des biens immobiliers ou des parties de biens immobiliers visés à l'article 12, § 1er, y compris les résidences-services et les infrastructures d'accueil d'enfants de moins de trois ans ainsi que les infrastructures d'accueil et d'hébergement pour personnes handicapées.
Ces biens sont, suivant ledit article 12, § 1er, ceux qu'un contribuable ou un occupant a affectés sans but de lucre à l'exercice public d'un culte ou de l'assistance morale laïque, à l'enseignement, à l'installation d'hôpitaux, de cliniques, de dispensaires, de maisons de repos, de homes de vacances pour enfants ou personnes pensionnées, ou d'autres œuvres analogues de bienfaisance.
Une institution qui, de quelque manière que ce soit, procure des soins physiques ou psychiques est, au sens de cette disposition, une œuvre de bienfaisance analogue à un hôpital, une clinique ou un dispensaire.
L'arrêt constate que, « par convention du 6 décembre 2004, la [première défenderesse] a consenti à [la seconde], pour une durée de trente ans, un bail portant sur un immeuble à usage exclusif d'arsenal de pompiers situé à Tournai ».
En considérant, pour dénier au revenu cadastral de ce bien l'exonération du précompte immobilier prévue à l'article 253, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992, que, « si les pompiers sont amenés à administrer les premiers soins aux personnes en situation d'urgence médicale à l'occasion de leurs interventions, dans l'attente d'une prise en charge effective par des médecins ou du personnel infirmier, ils ne peuvent être assimilés, au sens de [l'article 12, § 1er, de ce code], à des hôpitaux, des cliniques ou des dispensaires, qui sont des institutions ayant vocation à fournir des soins physiques ou psychiques aux personnes », et « que le service des pompiers, qui est un service public, ne constitue pas une œuvre de bienfaisance analogue à l'installation des hôpitaux, des cliniques, des dispensaires ou des maisons de repos », l'arrêt viole ces dispositions légales.
Le moyen, en cette branche, est fondé.

Et il n'y a pas lieu d'examiner la seconde branche du moyen, qui ne saurait entraîner une cassation plus étendue.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué, sauf en tant qu'il reçoit l'appel ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Liège.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Didier Batselé, Mireille Delange, Sabine Geubel et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du onze mai deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence du premier avocat général André Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont A. Jacquemin S. Geubel
M. Delange D. Batselé Chr. Storck


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : F.17.0106.F
Date de la décision : 11/05/2018
Type d'affaire : Arrêt

Analyses

IMPOTS SUR LES REVENUS ; PRECOMPTES ET CREDIT D'IMPOTS ; Précompte immobilier


Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-05-11;f.17.0106.f ?

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