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11/05/2018 | BELGIQUE | N°F.16.0117.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 11 mai 2018, F.16.0117.F


N° F.16.0117.F
1. T. L. L.,
2. L., société anonyme,
demanderesses en cassation,
représentées par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile, et ayant pour conseils Maîtres Daniel Garabedian et Jean-Michel Degée, avocats au barreau de Bruxelles, dont le cabinet est établi à la même adresse,

contre

ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12,
défendeur en

cassation,
représenté par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le...

N° F.16.0117.F
1. T. L. L.,
2. L., société anonyme,
demanderesses en cassation,
représentées par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile, et ayant pour conseils Maîtres Daniel Garabedian et Jean-Michel Degée, avocats au barreau de Bruxelles, dont le cabinet est établi à la même adresse,

contre

ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 15 mars 2016 par la cour d'appel de Liège.
Le conseiller Sabine Geubel a fait rapport.
Le premier avocat général André Henkes a conclu.

II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, les demanderesses présentent un moyen.

III. La décision de la Cour

Sur le moyen :

L'arrêt constate qu'une contrainte a été décernée à charge de chacune des demanderesses pour des taxes à la valeur ajoutée que la première aurait éludées du 25 octobre 1998 au 5 janvier 1999 et la seconde, du 16 juin 1998 au 4 janvier 1999, que « l'administration fiscale a appliqué pour les taxes [ainsi] dues sur les opérations à la sortie, les amendes proportionnelles prévues par l'article 70, § 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée qui s'élèvent à deux fois la taxe éludée et [qu']elle n'a pas réduit ces amendes en application de l'article 1er de l'arrêté royal n° 41, selon lequel ‘l'échelle de réduction prévue aux tableaux A à J de l'annexe au présent arrêté n'est pas applicable en cas d'infractions commises dans l'intention d'éluder ou de permettre d'éluder la taxe' ».
Le jugement du premier juge ayant décidé, « s'agissant [...] d'une ‘première infraction', [...] devoir, en vertu du principe de proportionnalité, réduire les amendes [de moitié] », l'arrêt relève que le premier juge « a validé les contraintes litigieuses établies à charge des [demanderesses], tout en réduisant le montant de l'amende à 100 p.c. des taxes éludées au lieu de 200 p.c. ».
Il s'ensuit que, contrairement à ce que suppose le moyen, le premier juge n'a pas prononcé d'amende contre les demanderesses mais a réduit à 100 p.c. celles qui résultaient des contraintes litigieuses et que, partant, en décidant que « l'application d'une amende de 200 p.c. [aux] faits [litigieux] n'est pas disproportionnée » et en validant les contraintes pour l'intégralité des amendes qui y étaient portées, la cour d'appel n'a pas aggravé les amendes en les doublant.
Le moyen manque en fait.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;
Condamne les demanderesses aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de quatre cent trente euros dix centimes envers les parties demanderesses.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Didier Batselé, Mireille Delange, Sabine Geubel et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du onze mai deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence du premier avocat général André Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont A. Jacquemin S. Geubel
M. Delange D. Batselé Chr. Storck


Requête
REQUETE EN CASSATION
POUR : 1. L. T. L.,
2. La société anonyme L.,

Demanderesses en cassation,
assistées et représentées par Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, et Daniel Garabedian, avocat, et représentées en outre par Jean-Michel Degée, avocat, ayant tous trois leur cabinet à 1000 Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,
CONTRE : L'Etat Belge, Service Public Fédéral Finances, représenté par le
Ministre des Finances, dont le cabinet est établi à 1000 Bruxelles, rue de
la Loi 12, ayant désigné pour recevoir les citations en justice, les
significations et notifications à l'Etat, Service Public Fédéral Finances, le
directeur du Service d'Encadrement logistique, Bruxelles, North Galaxy,
Tour B, 2e étage, boulevard du Roi Albert II, 33, bte 971, à 1030
Bruxelles (arrêté ministériel du 25 octobre 2012, publié au Moniteur du
22 novembre 2012),
Défendeur en cassation.
*
A Messieurs les Premier Président et Présidents, à Mesdames et
Messieurs les Conseillers composant la Cour de cassation.
Messieurs, Mesdames,
Les demanderesses ont l'honneur de soumettre à votre censure l'arrêt
contradictoirement rendu entre les parties le 15 mars 2016 par la cour d'appel de Liège
(22ème chambre - R.G. n° 2013/RG/1709).

En tant qu'ils intéressent le présent pourvoi, les faits et antécédents de
la cause, tels qu'ils ressortent des constatations de l'arrêt entrepris et des pièces de la
procédure, peuvent être résumés comme suit.
Les demanderesses sont assujetties à la TVA. Par contraintes rendues exécutoires le 9 novembre 2001, le défendeur leur réclamé respectivement 745.143 francs beIges (18.471,61 euros) et 901.619 francs belges (22.350,55 euros) à titre de TVA en principal, à majorer d'un intérêt de 0,8 % par mois de retard à partir du 21 janvier 2000, et d'une amende égale à 200 % de la TVA en principal, sur pied de l'article 70, § 1er, du Code TVA.
Les demanderesses ont formé opposition aux contraintes devant le tribunal de première instance de Liège. Par jugement du 3 mai 2010, celui-ci a validé les contraintes litigieuses quant à la TVA en principal, mais réduit le montant de l'amende de 200 à 100 %.
Sur l'appel des demanderesses et l'appel incident de l'Etat, l'arrêt entrepris déclare les contraintes valables et réforme le jugement en tant que celui-ci a réduit l'amende de 200 à 100 %.
* * *
A l'appui du présent pourvoi, les demanderesses invoquent le moyen de
cassation suivant.

MOYEN UNIQUE DE CASSATION
Dispositions légales et principe dont la violation est invoquée

- Articles 10 et 11 de la Constitution ;
- Pour autant que de besoin :
- article 109bis, § 1er et § 3, tel que modifié par la loi du 19 octobre 2015, et articles 778 et 1042 du Code judiciaire ;
- article 211bis du Code d'instruction criminelle ;
- articles 6, spécialement § 1er, et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après « Convention européenne des droits de l'homme »), signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée par la loi du 13 mai 1955 ;
- principe général du droit selon lequel une norme de droit international conventionnel doit prévaloir sur le droit interne, à tout au moins lorsqu'il s'agit d'une norme d'effet direct.

Décision et motifs critiqués
Après avoir constaté que le jugement a quo a validé les contraintes litigieuses à la TVA établies à charge des demanderesses mais réduit le montant de l'amende de 200 % à 100 % des taxes éludées et que, par son appel incident, l'Etat belge sollicite la réformation du jugement sur ce point et entend voir maintenir les amendes à 200 % du montant des taxes éludées,

La cour d'appel, par l'arrêt entrepris rendu par un conseiller unique, déclare l'appel incident de l'Etat belge recevable et fondé et aggrave ainsi l'amende prononcée par le premier juge contre les demanderesses.

Il fonde cette décision notamment sur les motifs suivants :
« L'administration fiscale a appliqué pour les taxes dues sur les opérations à la sortie, les amendes proportionnelles prévues par l'article 70,§ 1er, du Code de la TVA qui s'élèvent à deux fois la taxe éludée et telle n'a pas réduit ces amendes en application de l'article 1er de l'arrêté royal n°41 selon lequel « l'échelle de réduction prévue aux tableau A à J de l'annexe au présent arrêté n'est pas applicable en cas d'infractions commises dans l'intention d'éluder ou de permettre d'éluder la taxe ;
Les appelantes ne cherchent pas à contester l'existence d'une intention d'éluder l'impôt, laquelle est manifeste en l'espèce, mais sollicitent la réduction des amendes de 200 % ou, à titre subsidiaire, l'octroi du sursis ;
Les amendes infligées ont un caractère pénal et le Juge exerce un contrôle qui doit lui permettre de vérifier si la décision est justifiée en fait et en droit et si elle respecte l'ensemble des dispositions législatives et des principes généraux qui s'imposent à l'administration, parmi lesquels le principe de proportionnalité (cfr. Cass., 24 janvier 2002, www.cass.be) ;
Ce contrôle doit notamment permettre au Juge d'examiner si la sanction n'est pas disproportionnée par rapport à l'infraction, de sorte que le juge peut examiner si l'administration pouvait raisonnablement infliger une sanction d'une telle importance et ce, aussi dans les cas où l'administration ne dispose d'aucun pouvoir de modération en la matière (cfr. Cass., 13 février 2009, rôle n° F.06.0107.N, www.cass.be) ;
Le Juge peut spécialement avoir égard à la gravité de l'infraction, au taux des sanctions précédemment infligées et à la manière dont il a été statué dans des causes similaires, mais il doit tenir compte à cet égard de la mesure dans laquelle l'administration elle-même était liée par rapport à la sanction et ce droit de contrôle n'implique pas que, sur la base d'une appréciation subjective de ce qu'il considère comme raisonnable, le juge puisse remettre ou réduire des amendes pour de simples motifs d'opportunité et à l'encontre des règles légales (cfr. Cass., 8 avril 2011, F.10.0033.N ; Cass., 11 mars 2011, F.10.0020.N ; Cass., 16 février 2007, C040390N. ; cfr. également Cass., 20 mai 2011, F.10.0074.N, www.cass.be) ;
L'on se trouve en l'espèce en présence d'une fraude caractérisée à la TVA, au vu des constatations consignées dans les procès-verbaux, lesquels constituent des éléments graves, précis et concordants, la suppression par la manipulation répétée de nombreuses données informatiques en vue d'occulter un chiffre d'affaires non déclaré constituant une infraction parmi les plus graves qui soit ;
Aussi, la cour considère-t-elle que l'application d'une amende de 200 % à de tels faits n'est pas disproportionnée ».
Griefs

Les amendes fiscales prévues par l'article 70, § 1er, du Code de la TVA ont pour objet de prévenir et de sanctionner des infractions à la réglementation TVA commises par tous les assujettis à la TVA, sans distinction aucune. Elles ont donc un caractère répressif et sont de nature pénale au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

En vertu de l'article 109bis, § 1er, du Code judiciaire, tel que modifié par la loi du 19 octobre 2015, et de l'article 211bis du Code d'instruction criminelle, le contrevenant comparaissant pour les mêmes faits devant les juridictions répressives à la garantie que la cour d'appel ne pourra aggraver la peine prononcée contre lui qu'à l'unanimité de ses trois membres.

En revanche, en vertu de l'article 109bis, § 3, du Code judiciaire, tel que modifié par la loi du 19 octobre 2015, l'assujetti qui exerce, devant le tribunal de première instance et la cour d'appel statuant en matière civile, un recours contre l'amende que l'administration lui a infligée sur la base de l'article 70, § 1er, est en règle jugé en appel par une Chambre à un conseiller à la cour, et est par conséquent privé de la garantie de ne voir l'amende aggravée qu'à l'unanimité des voix.

L'article 109bis, § 3, seconde phrase dispose que « lorsque la complexité ou l'intérêt de l'affaire ou des circonstances spécifiques et objectives le requièrent, le premier président peut attribuer, d'autorité, au cas par cas, les affaires à une Chambre à trois conseillers » ; même dans ce cas, il ressort des articles 778 et 1042 du Code judiciaire que la Cour d'appel peut aggraver la peine prononcée par le premier juge sans nécessairement statuer à l'unanimité.

Si les règles constitutionnelles de l'égalité des Belges devant la loi et de
la non-discrimination dans la jouissance des droits reconnus aux Belges n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre certaines catégories de personnes, encore faut-il que le critère de différenciation soit susceptible de justification objective et raisonnable par rapport au but et aux effets de la mesure considéré.

En l'occurrence, la différence de traitement est dénuée de justification objective et raisonnable : le fait que l'amende soit prononcée par une juridiction autre que pénale ne justifie pas de priver le justiciable de la garantie de ne pas voir sa peine aggravée en degré d'appel si ce n'est par plusieurs magistrats statuant à l'unanimité des voix.

En doublant, sur l'appel incident de l'Etat, l'amende prononcée par le premier juge par une décision rendue par une Chambre à un conseiller plutôt que par trois conseillers statuant à l'unanimité des voix, l'arrêt entrepris a privé sans justification objective et raisonnable les demanderesses de la garantie de ne pas voir l'amende aggravée en degré d'appel si ce n'est par trois magistrats statuant à l'unanimité des voix.

L'arrêt viole, partant, les articles 10 et 11 de la Constitution et les autres dispositions et principe visés en tête du moyen.

DÉVELOPPEMENTS

La question soulevée par le moyen a déjà été soumise à la Cour constitutionnelle à propos de l'aggravation en degré d'appel des peines prononcées par les juridictions militaires et par les juridictions de la jeunesse.

Dans les deux cas, la Cour constitutionnelle a jugé qu'il n'y avait pas violation de l'article 10 et 11 de la Constitution, mais pour des motifs spécifiques qui, à l'estime des demanderesses, n'ont pas leur équivalent ici.

Dans son arrêt n° 115/99 du 10 novembre 1999, la Cour constitutionnelle a relevé que l'introduction de la règle de l'unanimité dans l'article 211 bis du Code d'instruction criminelle a été introduite par le législateur pour « compenser la réduction, de cinq à trois, du nombre des conseillers composant les chambres correctionnelles des cours d'appel » ; elle en a inféré que, puisque la Cour militaire était toujours composée de cinq membres, l'absence de la même exigence d'unanimité ne limitait pas les droits du justiciable de manière disproportionnée dès lors que devant le Cour militaire, « la règle de la majorité à un siège composé de cinq membres aboutit nécessairement à ce que trois membres au moins - soit à tout le moins le même nombre de conseillers dont l'unanimité est requise par l'article211bis -soient favorables à la décision d'aggraver la peine originaire », « par ailleurs, l'exigence du vote au scrutin secret au sein de la Cour militaire est de nature à garantir l'indépendance des membres militaires de cette juridiction qui sont de grades différents ».
Dans son arrêt n° 112/200 du 8 novembre 2000, la Cour constitutionnelle a constaté qu'en faisant comparaître le mineur devant une Chambre à un seul conseiller, le législateur avait « entendu amenuiser le caractère répressif et intimidant d'une chambre à trois juges et permettre une relation moins distante entre le mineur et le juge », de sorte que « l'attribution des affaires à un juge unique est liée au caractère sui generis du droit de la protection de la jeunesse, qui est fondé sur une approche différente de celle du droit pénal et qui met l'accent sur l'aide et l'assistance aux mineurs d'âge » (considérant B.2). Elle a jugé que « l'absence de collégialité au sein des juridictions de la jeunesse est compensée par les garanties prévues par le législateur au profit des mineurs pour ce qui est de la composition, de la procédure et des mesures appropriées qui peuvent être prises par les juridictions concernées à l'égard du mineur d'âge », et que « le législateur ne pouvait à la fois procurer au mineur, entre autres avantages indiqués plus haut, celui d'avoir affaire à un seul juge, et le faire bénéficier d'une règle qui n'est concevable que s'il y en a plusieurs ».
PAR CE MOYEN ET CES CONSIDERATIONS,
L'avocat à la Cour de cassation et l'avocat soussignés, pour les demanderesses, concluent qu'il vous plaise, Messieurs, Mesdames, casser l'arrêt entrepris; renvoyer la cause et les parties devant une autre cours d'appel; ordonner que mention de votre arrêt soit faite en marge de la décision annulée ; dépens comme de droit.
Déclaration pro fisco (droit de mise au rôle) : la valeur de la demande n'excède pas 250.000 euros et la cause est par conséquent exemptée du droit de mise au rôle par application de l'article 269/1, alinéa 7, du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, tel que modifié par la loi du 28 avril 2015.

Bruxelles, le 26 septembre 2016

Jean-Michel Degée, avocat,
loco Simone Nudelholc et Daniel Garabedian


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : F.16.0117.F
Date de la décision : 11/05/2018
Type d'affaire : Arrêt

Analyses

Tribunaux ; matière fiscale


Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-05-11;f.16.0117.f ?

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