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04/05/2018 | BELGIQUE | N°C.16.0145.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 04 mai 2018, C.16.0145.F


N° C.16.0145.F
INTER REAL ESTATE TRUSTY, société civile ayant adopté la forme de la société en commandite par actions, dont le siège social est établi à Bruxelles, avenue du Port, 86c,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,

contre

1. SAVILLS FUND MANAGEMENT GmbH, société de droit allemand, anciennement dénommée Seb Investment GmbH, dont le siège est établi à Francfort (Allemagne), Rotfeder

-Ring, 7,
2. BALNI, société privée à responsabilité limitée, dont le siège social est établ...

N° C.16.0145.F
INTER REAL ESTATE TRUSTY, société civile ayant adopté la forme de la société en commandite par actions, dont le siège social est établi à Bruxelles, avenue du Port, 86c,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,

contre

1. SAVILLS FUND MANAGEMENT GmbH, société de droit allemand, anciennement dénommée Seb Investment GmbH, dont le siège est établi à Francfort (Allemagne), Rotfeder-Ring, 7,
2. BALNI, société privée à responsabilité limitée, dont le siège social est établi à Schaerbeek, boulevard Auguste Reyers, 207-209,
3. BEFIMMO, société anonyme, dont le siège social est établi à Auderghem, chaussée de Wavre, 1945,
défenderesses en cassation,
représentées par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,
4. S. V., avocat, agissant en qualité de curateur à la faillite de la société anonyme Parc Estate, anciennement dénommée Royal Properties, dont le siège social est établi à Bruxelles, rue de la Presse, 4,
5. L. D. P., avocat, en qualité de liquidateur de la société anonyme Urban Development, anciennement dénommée Robelco, dont le siège social est établi à Kontich, Prins Boudewijnlaan, 5/10, et dont la faillite a été clôturée le 24 mars 2015,
défendeurs en cassation ou, à tout le moins, parties appelées en déclaration d'arrêt commun.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 21 avril 2015 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le 19 avril 2018, l'avocat général Philippe de Koster a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Didier Batselé a fait rapport et l'avocat général Philippe de Koster a été entendu en ses conclusions.

II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente trois moyens.

III. La décision de la Cour

Sur le premier moyen :

Quant à la seconde branche :

Tel qu'il s'applique au litige, l'article 1704, 1, du Code judiciaire dispose que la sentence arbitrale ne peut être annulée que dans les cas énumérés à cet article.
En vertu de l'article 1704, 2, a), du même code, applicable au litige, la sentence arbitrale peut être annulée si elle est contraire à l'ordre public.
N'est d'ordre public que la loi qui touche aux intérêts essentiels de l'État ou de la collectivité ou qui fixe, dans le droit privé, les bases juridiques sur lesquelles repose l'ordre économique ou moral de la société.
Tel n'est pas le cas de la règle de la relativité des conventions consacrée à l'article 1165 du Code civil.
En considérant, après avoir relevé que la demanderesse fait valoir « que la sentence arbitrale viole l'ordre public belge, en l'occurrence l'article 1165 du Code civil, en ce qu'elle étend l'application de la convention du 1er juillet 2003 relative à l'arbitrage à une convention distincte conclue entre des parties distinctes », qu'« il n'y a [...] pas lieu de faire droit à la demande d'annulation de la sentence arbitrale sur la base d'une violation de l'ordre public belge », l'arrêt ne viole aucune des dispositions légales visées au moyen, en cette branche.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.

Quant à la première branche :

Dès lors qu'il ressort de la réponse à la seconde branche du moyen que l'arrêt statue sur la contestation de la demanderesse fondée sur l'article 1704, 2, a), du Code judiciaire comme il eût dû le faire s'il n'avait pas, ainsi que l'allègue le moyen, en cette branche, méconnu la foi due aux conclusions de la demanderesse, le moyen, en cette branche, est dénué d'intérêt, partant, irrecevable.

Sur le second moyen :

Dès lors qu'il ressort des motifs repris aux pages 27 à 29 de la sentence arbitrale qu'aux yeux des arbitres, les parties avaient consenti à ce que les litiges découlant de la convention de garantie de location fussent soumis à l'arbitrage, l'arrêt ne donne pas de ces passages de la sentence une interprétation inconciliable avec leurs termes en considérant qu'ils répondent au moyen déduit par la demanderesse de ce que l'auteur de la troisième défenderesse « n'était pas partie à la convention du 1er juillet 2003 et ne pouvait dès lors se prévaloir de la clause d'arbitrage stipulée par cette convention ».

Pour le surplus, le moyen revient à s'ériger contre l'appréciation de l'arrêt, qui gît en fait, que les autres éléments invoqués par la demanderesse devant le tribunal arbitral ne constituaient que des « détail[s] de son argumentation ».
Le moyen ne peut être accueilli.

Sur le troisième moyen :

La sentence arbitrale constate que la convention de garantie de location « visait à couvrir l'absence de loyers, la différence de loyers à la baisse et les loyers accordés gratuitement à un preneur durant une période de vingt-cinq mois » et que les défenderesses « réclament la somme de 789.264 euros qui correspondrait à la réduction de loyer accordée à la Commission européenne pour la mise à disposition de l'hôtel de maître ».
Après avoir considéré que « cette réduction de loyer ne se trouve aucunement mentionnée dans le contrat d'usufruit conclu entre les [défenderesses] et la Commission européenne », la sentence énonce que, « par contre, l'article 16.1, dernier alinéa, de la convention d'usufruit prévoit [...] qu'à compter du 1er novembre 2006, une réduction de loyer mensuel de [...] 21.924 euros était accordée à la Commission européenne », qu'« entre le 1er novembre 2006 et le 30 avril 2007, cette réduction atteignait donc un montant de 131.544 euros » et qu'« il y a donc lieu de réduire la demande de [l'auteur de la troisième défenderesse] sur ce point ».
Il ne ressort pas de ces motifs que, en réduisant la demande dans la mesure où elle était justifiée par les stipulations de la convention d'usufruit sur laquelle elle était fondée, la sentence ait substitué une prétention à une autre.
En décidant « que les arbitres n'ont pas excédé leurs pouvoirs en statuant ultra petita », l'arrêt, qui ne donne pas de cette sentence une interprétation inconciliable avec ses termes, ne méconnaît pas, dès lors, la foi due à l'acte qui la contient et ne viole aucune des dispositions légales visées au moyen.
Celui-ci ne peut être accueilli.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de mille dix-huit euros trente-neuf centimes envers la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Didier Batselé, Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, et prononcé en audience publique du quatre mai deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Philippe de Koster, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont S. Geubel M.-Cl. Ernotte
M. Lemal D. Batselé Chr. Storck


Requête
REQUÊTE EN CASSATION

POUR : La société civile sous forme d'une société en commandite par actions INTER REAL ESTATE TRUSTY, dont le siège social est établi à 1000-Bruxelles, avenue du Port, 86c (bte 103), inscrite à la Banque Carrefour des Entreprises sous le numéro 0447.846.129,

demanderesse en cassation,

assistée et représentée par Me Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation soussigné, dont le cabinet est établi à 1050-Bruxelles, avenue Louise, 149 (Bte 20), où il est fait élection de domicile.

CONTRE : 1. La société de droit allemand SAVILLS FUND MANAGEMENT GmbH, antérieurement dénommée SEB INVESTMENT GmbH, dont le siège social est établi à Rotfeder-Ring 7, D-60327 Frankfurt (Allemagne),

2. La sprl BALNI, dont le siège social est établi à 1030-Schaerbeek, boulevard Auguste Reyers, 207-209, inscrite à la Banque Carrefour des Entreprises sous le numéro 0453.711.659,

3. La société anonyme BEFIMMO, dont le siège social est établi à 1160-Bruxelles, chaussée de Wavre, 1945, inscrite à la Banque Carrefour des Entreprises sous le numéro 0455.835.167, venant aux droits de la s.a. RINGCENTER,

défenderesses en cassation,

4. Me S. V., avocat, agissant en sa qualité de curateur de la s.a. Parc Estate, antérieurement dénommée s.a. ROYAL PROPERTIES, dont le siège social est établi à 1000-Bruxelles, rue de la Presse, 4, inscrite à la Banque Carrefour des Entreprises sous le numéro 0414.637.089,

5. Me L. D. P., avocat, en sa qualité de liquidateur de la société anonyme URBAN DEVELOPMENT, antérieurement dénommée ROBELCO, dont le siège social était situé à 2550-Kontich, Prins Bouwdewijnlaan, 5/10, dont la faillite a été clôturée le 24 mars 2015 (M.B. 13 avril 2015),

défenderesses en cassation ou à tout le moins parties appelées à la cause pour s'entendre déclarer commun l'arrêt à intervenir.

* *
*

A Messieurs les Premier Président et Président, Mesdames et Messieurs les Conseillers composant la Cour de cassation de Belgique,

Messieurs,
Mesdames,

La demanderesse en cassation a l'honneur de déférer à votre censure l'arrêt rendu contradictoirement entre parties, le 21 avril 2015, par la 17ème chambre de la cour d'appel de Bruxelles (nos 2012/AR/3318 et 2012/AR/3319).

Cet arrêt confirme le jugement par lequel le tribunal de première instance de Bruxelles avait, le 23 octobre 2012, déclaré non fondée la demande de la demanderesse en cassation et des défenderesses en cassation sub 2 et 3 tendant à l'annulation de la sentence arbitrale du 12 juillet 2010, laquelle avait condamné la demanderesse en cassation et les défenderesses en cassation sub 2 et 3 à payer diverses sommes à la défenderesse en cassation sub 1.

L'arrêt attaqué déclare notamment non fondés les moyens d'annulation de la sentence pris, 1°) sur pied des articles 1701.6 et 1704.2.i du Code judiciaire, de l'absence de motivation de la sentence sur d'autres points que le pouvoir de juridiction du tribunal arbitral (arrêt p. 13, sub B), 2°) sur pied de l'article 1704.2°.a du Code judiciaire, de la violation de la disposition d'ordre public belge de l'article 1165 du Code civil, en ce que la sentence étend l'application de l'article 18.14.1 de la convention du 1er juillet 2003 relatif à l'arbitrage à une convention distincte, étant la convention de garantie de location (arrêt, p. 11, sub c) et 3°) sur pied de l'article 1704.2.d du Code judiciaire, de ce que la sentence arbitrale avait commis un excès de pouvoir en condamnant les appelantes (la demanderesses en cassation et les actuelles défenderesses sub 2 et 3) à payer à RINGCENTER, aux droits de laquelle se trouve la défenderesse en cassation sub 1, une somme de 131.544 euros qui ne leur était pas réclamée (p. 14, sub c).

Au soutien du pourvoi qu'elle forme contre cette décision, la demanderesse en cassation a l'honneur d'invoquer le moyen de cassation ci-après.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Dispositions légales violées

- articles 6, 1108, 1119, 1131, 1165, 1317, 1319, 1320 et 1322 du Code civil ;
- article 1704.1 et 2.a du Code judiciaire dans sa version applicable immédiatement avant l'entrée en vigueur de la loi du 24 juin 2013.

Décisions et motifs critiqués

1. L'arrêt attaqué déclare non fondé l'appel de la demanderesse en cassation tendant à l'annulation de la sentence entreprise (pièce jointe n° 1) notamment sur pied de l'article 1704.1 et 2.a du Code judiciaire, en raison de la contrariété de la sentence à l'ordre public et condamne la demanderesse aux dépens d'appel (p. 15).

2. L'arrêt fonde cette décision sur les motifs suivants.

« Suivant l'article 1704, 2°, a du Code judiciaire, la sentence arbitrale doit être annulée lorsqu'elle est contraire à l'ordre public.

« Les appelantes font valoir que la sentence arbitrale viole l'ordre public belge, en l'occurrence l'article 1165 du Code civil, en ce qu'elle étend l'application de l'article 18.14.1 de la convention du 1er juillet 2003 relatif à l'arbitrage à une convention distincte conclue entre des parties distinctes.

« En l'espèce, les appelantes restent en défaut d'établir que la sentence arbitrale a été rendue en violation de l'article 1165 du Code civil.

« Elles n'explicitent d'ailleurs pas en quoi la sentence aurait étendu l'application de la clause d'arbitrage prévue à la convention du 1er juillet 2003 à une convention distincte, étant la convention de garantie de location.

« En relevant notamment que ‘c'est la procédure d'arbitrage qui doit régir les litiges relatifs à la garantie de location puisque les dispositions du contrat principal s'appliquent aux annexes en vertu de l'article 1.2.2. du contrat de cession d'actions', la sentence arbitrale n'a pas violé l'ordre public belge.

« Il n'y a, ce faisant, pas lieu de faire droit à la demande d'annulation de la sentence arbitrale sur la base d'une violation de l'ordre public belge » (p. 11, sub c) et condamne les appelantes, dont la demanderesse en cassation, aux dépens d'appel (p. 15).

Griefs

Première branche

1. L'arrêt attaqué décide ainsi que la sentence entreprise (pièce jointe n° 1), n'a pas violé l'article 1165 du Code civil, que les appelantes n'explicitent pas en quoi la sentence aurait étendu l'application de la clause d'arbitrage à la convention distincte, étant la convention de garantie de location et que la sentence entreprise ne viole pas l'ordre public belge.

La demanderesse en cassation avait cependant démontré de manière circonstanciée, dans ses conclusions de synthèse d'appel (nos 23 à 32 et no 35), que la clause d'arbitrage énoncée à l'article 18.14 de la convention de cession ne pouvait être appliquée aux litiges relatifs à la convention distincte que constitue la convention de garantie de location. Elle faisait valoir à cet égard qu' « en étendant l'application de l'article 18.14.1 de la Convention de cession à une convention distincte, conclue entre des parties distinctes, le Tribunal arbitral a [enfin] méconnu la règle d'ordre public, énoncée notamment par l'article 1165 [...] (art. 1704, 2°, a, C. jud.) » (no 29 in fine, p. 18 ; voy aussi no 24 in fine, p. 15).

Elle réfutait à cet égard successivement l'argumentation du premier juge (no 25 à 28) et les « arguments des intimées » (nos 30 à 32 et no 35).

Elle faisait valoir à cet égard notamment que le premier juge s'est mépris en fait et en droit lorsqu'il s'est fondé sur les considérations :

«  que la clause arbitrale (article 18. 4.1 de la Convention) et l'article 18.5 de la Convention ont un libellé large, ce libellé étant en vertu des articles 1119, 1134 et 1165 du Code civil, de toute façon limité à la Convention et ne concernant pas la garantie locative, acte juridique distinct et autonome.

• que la garantie locative est l'accessoire de la Convention, ce constat ne permettant pas d'identifier la garantie locative à la Convention et de lui appliquer une clause arbitrale qui ne se trouve que dans la Convention.

• que la Convention et la garantie locative s'inscrivent dans le cadre d'une seule opération commerciale, cet élément de fait ne pouvant justifier d'appliquer à la garantie locative une clause arbitrale propre qui se trouve dans la Convention.

• qu'il serait pertinent de tenir compte de l'ensemble des conventions intervenues afin d'interpréter l'étendue d'une clause se trouvant dans la garantie locative, puisqu'aucune clause dans la garantie locative n'était à interpréter en ce qui concerne la concluante. La clause de la garantie locative visée par le premier juge ne concernait par ailleurs que ROBELCO en tant que caution. Force est en effet de constater que par l'effet de cette clause visée par le premier juge, ne s'est pas trouvée dans la garantie locative une clause arbitrale propre à cet acte juridique opposable à la concluante.

• que les annexes de la Convention font partie intégrante de cette Convention : ce constat implique seulement que des litiges au sujet desdites annexes (il s'agissait notamment du projet de la garantie locative) étaient susceptibles d'être soumis à l'arbitrage entre les cédants et les cessionnaires, pour autant qu'ils concernent les parties engagées par la Convention et ne permet en aucun cas à un tiers, tel que RINGCENTER, de se prévaloir d'une clause arbitrale qui ne se trouve pas dans la garantie locative dont elle est bénéficiaire.

• que ROBELCO aurait accepté de participer à toute procédure entamée par RINGCENTER, puisque l'engagement de ROBELCO en tant que caution dans le cadre de la garantie locative est contractuellement limité aux procédures que RINGCENTER peut introduire sur la base de cette garantie à l'encontre de la concluante et/ou de ROYAL PROPERTIES, l'arbitrage n'en faisant pas partie à défaut de clause arbitrale propre à ladite garantie locative entre le bénéficiaire et les débiteurs de la garantie locative » (no 27, p. 16 in fine et p. 17).

Elle soutenait encore que les défenderesses ne sauraient se prévaloir d'une renonciation à l'article 1165 du Code civil, qu'en effet :

« Elles présentent ainsi une renonciation à la relativité contractuelle qui n'en est pas une.

La renonciation ne se conçoit en effet que par rapport à un droit subjectif préexistant. La question est, en l'espèce, de savoir si le Tribunal arbitral pouvait légalement admettre, sans heurter à l'ordre public, que RINGCENTER, tiers par rapport à la Convention, pouvait se prévaloir de l'effet interne de la clause arbitrale qui n'engage que les parties à cette Convention.

On aperçoit immédiatement qu'aucune « renonciation » ne permet à RINGCENTER de se prévaloir d'une clause arbitrale se trouvant dans une convention à laquelle elle n'est pas partie.

Cette « renonciation » est en effet, à défaut de droit subjectif, sans objet dans son chef et ne saurait en outre produire l'effet recherché par les intimées, à savoir conférer un droit à RINGCENTER. La renonciation est au contraire destinée à éteindre un droit subjectif préétabli.

En réalité, la « renonciation » invoquée par les intimées est un acte juridique nouveau, créateur d'obligation par lequel un tiers, ayant pris connaissance d'une obligation mise à sa charge par des parties contractantes, n'en conteste pas la validité, mais - par une nouvelle expression de volonté − accepte cette obligation par volonté unilatérale, source autonome d'obligations, ou adhère à la convention.

Dans ce cas de figure, la relativité contractuelle n'est plus en cause : la « renonciation » (quod certe non) se réfère à un nouvel acte juridique par lequel le tiers perd cette qualité et devient, par sa volonté unilatérale, partie à l'obligation, de sorte que la relativité contractuelle est respectée.

Cette « renonciation », étrangère à la relativité contractuelle, ne donne en effet pas lieu à une situation dans laquelle les parties obligeraient un tiers par leur seule convention ou dans laquelle un tiers demande, à son profit, l'exécution d'une clause contractuelle à laquelle il n'est pas partie, cette dernière hypothèse étant celle de RINGCENTER qui - avec l'aide illégale du Tribunal arbitral - cherche à bénéficier de la clause arbitrale, figurant dans la Convention à laquelle elle n'est pas partie. » (n° 35, p. 23).

2. Il s'ensuit qu'en décidant que :« les appelantes n'explicitent d'ailleurs pas en quoi la sentence aurait étendu l'application de la clause d'arbitrage ... à une convention distincte... » (arrêt, p 111, sub c, al. 3), l'arrêt attaqué considère que les susdites conclusions d'appel de la demanderesse ne contiennent pas l'explicitation qui y figure, donne ainsi des conclusions une portée inconciliable avec leurs termes et viole, partant, la foi qui leur est due (violation des articles 1317, 1319, 1320 e t1322 du Code civil).

Seconde branche

1. D'une part, aux termes de l'article 1165 du Code civil , « les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes; elles ne nuisent point au tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu par l'article 1121 du Code civil ».

Cette règle s'apparente à celles exigeant le consentement de la partie qui s'oblige (article 1108 du Code civil) et interdisant la promesse pour autrui (article 1119 du Code civil) ainsi que la demanderesse en cassation le soulignait dans ses conclusions de synthèse d'appel (sub nos 33 et 34).

2. D'autre part, la règle de la relativité des conventions énoncée par l'article 1165 du Code civil touche à l'ordre public dès lors qu'elle fixe, dans le droit privé, les bases juridiques sur lesquelles repose l'ordre économique ou moral de la société.

3. En considérant dès lors que la sentence entreprise a pu, sans méconnaître l'article 1165 du Code civil, admettre RINGCENTER à se prévaloir d'une clause arbitrale figurant dans une convention de cession d'actions à laquelle elle n'est pas partie, l'arrêt attaqué :

1°/ a méconnu le principe de relativité des conventions consacré par l'article 1165 du Code civil et dont les articles 1108 et 1119 du même Code constituent une expression (violation des articles 1108, 1119 et 1165 du Code civil) ;

2°/ violé dès lors les articles 6, 1131 et 1165 du Code civil en refusant d'accueillir un moyen pris d'une disposition d'ordre public ou, à tout le moins, en refusant d'admettre que le principe disposé dans l'article 1165 du Code civil relève de l'ordre public ;

3°/ violé enfin l'article 1704.1 et 2.a. du Code judiciaire en refusant d'annuler la sentence entreprise alors que celle-ci, en raison de la violation par elle de l'article 1165 du Code civil , était contraire à l'ordre public.

Développements

Au même titre que l'article 544 du Code civil (voy Cass., 4 octobre 2012, Pas., 2012, no 512 et les conclusions de M. l'avocat général TH. WERQUIN), les articles 1134, alinéa 1er et 1165 du Code civil relèvent de l'ordre public. Les principes de la convention-loi et de la relativité contractuelle constituent en effet des dispositions fondamentales de l'ensemble du régime contractuel.

Le caractère d'ordre public de l'article 1165 du Code civil est confirmé par cela que l'action directe, qui constitue une exception à cet article 1165, ne peut être créée que par une loi (voy. P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., nos 461 à 463 ; P. WÉRY, op. cit., n° 886 ; R. DEKKERS et A. VERBEKE : Handboek Burgerlijk recht, III, n° 158).

Sur la notion de l'ordre public (voy. P. VAN OMMESLAGHE, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, vol. 1, n° 216 ; P. WÉRY, Droit des obligations, vol. 1, 2ème éd., n° 308).

DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION

Dispositions légales violées

- articles 1317, 1319, 1320 et 1322 du Code civil ;
- articles 1701.6 et 1704.1 et 2.i du Code judiciaire dans leur version applicable immédiatement avant l'entrée en vigueur de la loi du 24 juin 2013 ;
- article 149 de la Constitution coordonnée.

Décisions et motifs critiqués

1. L'arrêt attaqué déclare non fondé l'appel de la demanderesse en cassation tendant à l'annulation de la sentence entreprise (pièce jointe n° 1), notamment sur pied des articles 1701.6 et 1704.1 et 2.i du Code judiciaire, en raison de l'absence de motivation de la sentence sur la question du pouvoir de juridiction du tribunal arbitral.

2. L'arrêt fonde cette décision sur les motifs suivants.

« Suivant les articles 1704, 6° et 1704, 2°, i du Code judiciaire, la sentence arbitrale doit être motivée et l'absence de motivation constitue une cause d'annulation.
La motivation étant une obligation de forme et non de fond, sous réserve de la vérification de la conformité à l'ordre public, le contrôle de l'existence de la motivation par la juridiction saisie d'un recours en annulation ne peut se confondre avec un contrôle de la légalité de la sentence.
Le recours en annulation n'est pas un recours en révision. La cour n'a dès lors pas à vérifier non plus la pertinence des motifs invoqués ni à contrôler leur valeur intrinsèque. Elle doit examiner si la motivation existe et peu importe qu'elle soit convaincante ou non et peu importe même qu'elle soit erronée.
Il appartient à la cour de vérifier si la sentence arbitrale répond aux moyens soulevés par les actuelles appelantes dans les écrits qu'elles ont déposés devant les arbitres, étant entendu que le tribunal arbitral n'avait pas à répondre à chaque détail de l'argumentation, pourvu qu'il ait répondu à chacun des différents moyens.

« Les appelantes prétendent que la sentence arbitrale ne répond pas aux moyens qu'elles avaient invoqués dans le cadre de leur contestation du pouvoir de juridiction des arbitres.

« Suivant le second mémoire en réponse déposé devant le tribunal arbitral pour toutes les actuelles appelantes, lequel est produit en pièce 5 du dossier de la partie Iret et 3 du dossier des parties Royal Properties et Robelco, les appelantes faisaient valoir d'une part que les parties Seb Investment et Balni étaient sorties du cadre contractuel en commercialisant l'immeuble ‘à des conditions entièrement étrangères aux stipulations contractuelles applicables entre parties' de sorte qu'elles ne pouvaient plus ‘recourir à l'article 18.14.1 de la convention prévoyant la résolution par arbitrage, selon les règles du Cepani, des litiges tirés de ou en relation avec ladite convention, puisque les demanderesses ne l'ont pas appliquées', et d'autre part que la partie Ringcenter n'était pas partie à la convention du 1er juillet 2003 et ne pouvait dès lors se prévaloir de la clause d'arbitrage stipulées par cette convention.
Le détail de l'argumentation que les actuelles appelantes développaient devant le tribunal arbitral figure aux pages 6 à 15 et 76 de leur mémoire.

« La sentence arbitrale répond à chacun de ces deux moyens en pages 24 à 29, et développe plus particulièrement ses réponses au premier moyen en pages 24 à 27 et au second en pages 27 à 29.

« Le fait que la sentence ne répond pas à chaque détail de l'argumentation des appelantes ne permet pas de l'annuler dès lors qu'il est constaté que celle-ci répond aux moyens invoqués.

« Comme exposé ci-dessous, la circonstance que la motivation développée dans la sentence ne serait pas juste ne constitue pas un motif d'annulation de la sentence.

« C'est vainement que les appelantes soutiennent que la sentence devrait être déclarée nulle au motif qu'elle ne répond pas à leurs moyens tirés de l'absence de juridiction du tribunal arbitral » (p. 9 à 11 sub B) et condamne les appelantes, dont la demanderesse en cassation, aux dépens d'appel (p. 15).

Griefs

1. Il suit de l'article 1704.2.i du Code judiciaire que la sentence arbitrale peut être annulée si elle n'est pas motivée conformément au prescrit de l'article 1701.6 du même Code.

N'est pas régulièrement motivée, au sens de cette disposition, la sentence qui laisse sans réponse un moyen formulé par l'une des parties dans ses écrits de procédure déposés devant le tribunal arbitral (articles 1701.6 du Code judiciaire et 149 de la Constitution).

2. La demanderesse en cassation avait fait valoir, dans son second mémoire en réponse devant le tribunal arbitral (pièce jointe n° 2) que la sentence arbitrale (pièce jointe n° 1) avait laissé sans réponse la défense déduite par l'actuelle défenderesse de ce que

1° la garantie de location émise au bénéfice de Ringcenter ne constituait pas une annexe à la convention de cession des actions Ringcenter (celle-ci ne comportant en annexe qu'un projet de garantie) et que, par suite, l'article 18. 4.1 de cette convention de cessation ne s'appliquait pas à la convention de garantie locative, Ringcenter ne pouvant dès lors se prévaloir de la clause d'arbitrage contenue dans l'article 18. 4.1 précité, cette clause n'étant applicable qu'aux litiges entre acquéreurs et vendeurs ayant trait à l'exécution de la convention de cession (second mémoire nos 2 et s., spécialement nos 2, 4, 5 et 10) et de ce que

2° la garantie de location ne comportant pas de clause d'arbitrage, il en découle que les vendeurs, les acquéreurs, Robelco et Ringcenter ont clairement indiqué, en connaissance de cause, que les litiges éventuels relatifs à la garantie de location n'étaient pas soustraits aux juridictions étatiques et n'étaient donc pas du ressort de l'arbitrage (second mémoire, spécialement nos 4, 5 et 6).

Dans ses conclusions d'appel de synthèse (nos 23 à 32 pour le premier défaut de réponse précité, nos 37 à 52 pour le second défaut de réponse) la demanderesse en cassation se prévalait de ces défauts de réponse du tribunal arbitral pour en conclure que la sentence devait être annulée pour défaut de motivation.

L'arrêt attaqué rejette ces conclusions en considérant (p. 10, al. 1) « que la sentence arbitrale répond à chacun de ces deux moyens en pages 24 à 29 et développe plus particulièrement ses réponses au premier moyen en pages 24 )à 27 et au second en pages 27 à 29. Le fait que la sentence ne répond pas à chaque détail de l'argumentation des appelantes ne permet pas de l'annuler dès lors qu'il est constaté que celle-ci répond aux moyens invoqués ».

3. S'il est exact que le juge de l'annulation n'a pas à vérifier l'exactitude des motifs énoncés par le tribunal arbitral, il est tenu de vérifier si ces motifs répondent aux défenses régulièrement invoquées par le demandeur en annulation.

Or, les pages 27 à 29 de la sentence dans lesquelles l'arrêt attaqué prétend (p. 10) trouver une réponse aux deux défenses précitées que la demanderesse en cassation avait invoquées de manière circonstanciée devant les arbitres, relèvent sans doute (sub n° 10) que la garantie de location trouve son fondement dans l'article 6.2.1 de la convention de cession d'actions et affirment (sub n° 11), que cette garantie constitue l'annexe 11 à cette convention mais, ce faisant, ne donne aucune réponse aux défenses circonstanciées précitées de la demanderesse en cassation déduites de ce que :

1°) l'annexe 11 de la convention de cession était le projet de garantie locative à émettre, cette garantie locative elle-même constituant une convention distincte de la convention de cession et de ce que

2°) cette garantie ne comportant pas de clause d'arbitrage, toutes les parties ont ainsi marqué clairement leur volonté de ne pas soustraire aux juridictions étatiques les litiges éventuels relatifs à ladite garantie.

Il suit de là que l'arrêt attaqué :

1°) en prêtant aux pages 27 à 29 de la sentence une réponse aux deux défenses susdites que ces pages ne contiennent, donne de la sentence une interprétation inconciliable avec ses termes et viole, partant, la foi qui lui est due (violation des articles 1317, 1319, 1320 et 1322 du Code civil),

2°) en considérant comme motivée une sentence qui ne l'est pas, viole les articles 1701.6 et 1704.2.i du Code judiciaire ainsi que l'article 149 de la Constitution, ces trois articles imposant aux arbitres de motiver leur sentence,

3°) en refusant d'annuler la sentence pour défaut de motivation, viole l'article 1704.1 et 1704.2.i qui dispose que la sentence peut être annulée si, comme en l'espèce, elle n'est pas motivée.

Développements

1°) voy. RPDB, compl. XI, v° Pourvoi en cassation en matière civile, n° 537 et les références citées ;

2°) Le juge ou l'arbitre ne peut se borner à contredire une défense. Il doit rencontrer les motifs par lesquels la partie l'a justifiée (v° Pourvoi en cassation en matière civile, précité, n° 562 in fine et les références citées).

TROISIÈME MOYEN DE CASSATION

Dispositions légales violées

- articles 1317, 1319, 1320 et 1322 du Code civil ;
- articles 1138, 2° et 1704.2.d du Code judiciaire dans sa version applicable immédiatement avant l'entrée en vigueur de la loi du 24 juin 2013) ;
- principe général du droit, dit principe dispositif, selon lequel les parties déterminent librement l'objet, la cause et les limites du litige, ce pouvoir des parties interdisant au juge comme à l'arbitre de modifier l'objet et la cause de la demande ;
- pour autant que de besoin, article 1717, § 3, vi) du Code judiciaire tel qu'inséré par la loi du 24 juin 2013.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt attaqué décide que les arbitres n'ont pas excédé leurs pouvoirs en statuant « ultra petita » en allouant à l'auteur de la défenderesse en cassation sub 1 une somme de 131.544 euros.

Il fonde cette décision sur les motifs suivants :

« C/ L'excès de pouvoir du tribunal arbitral qui a statué ‘ultra petita'

« En application de l'article 1704.2°, d du Code judiciaire, la sentence arbitrale peut être annulée lorsque le tribunal arbitral a excédé ses pouvoirs, notamment en statuant sur des demandes qui n'ont pas été portées devant lui.

« Les appelantes exposent à cet égard que la sentence arbitrale les a condamnées au paiement d'une somme de 131.544 euros dont elles prétendent qu'elle n'était pas réclamée.

« Il ressort du mémoire des actuelles intimées (page 38) qu'elles sollicitaient, à titre de ‘réduction de loyer accordé de la Commission Européenne', la somme de 789.264 euro . La sentence arbitrale n'a pas alloué ce montant aux intimées mais, sur la base d'une disposition conventionnelle, en a accordé un autre, soit 131.544 euro , considérant que ‘à compter du 1er novembre 2006, une réduction de loyer mensuel de 263.088 euro : 12 = 21.924 euro était accordée à la Commission Européenne. Entre le 1er novembre 2006 et le 30 avril 2007, cette réduction atteignait donc un montant de 131.544 euro . Il ya donc lieu de réduire la demande de Ringcenter sur ce point et de condamner (...)'.

« Il résulte de ce qui précède que par les arbitres n'ont pas excédé leurs pouvoirs en statuant ‘ultra petita' » (p. 14).

Griefs

1. En vertu du principe général du droit visé au moyen, dit principe dispositif, consacré par l'article 1138, 2° du Code judiciaire, le juge ne peut modifier l'objet d'une demande, soit en l'amplifiant, soit en substituant une prétention à une autre.

Il importe peu à cet égard que le montant total qui avait été demandé soit plus élevé que celui qui a été adjugé.

2. L'article 1704.2.d du Code judiciaire visé au moyen dispose par ailleurs que « la sentence arbitrale peut être annulée ... d) si le tribunal arbitral a excédé sa compétence ou ses pouvoirs ». Ce principe est repris par l'article 1717, § 3, vi), du Code judiciaire tel qu'inséré par la loi du 24 juin 2013.

3. Dans leur mémoire en réponse et de synthèse, devant les arbitres, les demanderesses réclamaient sub IV et sub dd (n° 98 et 102, p. 38) un montant de 789.264 euros, étant le montant de la réduction de loyers accordée à la Commission européenne pour la mise à disposition de l'hôtel de maître.

La sentence arbitrale décide à cet égard (sub nos 18 et 19, p. 49) que :

« 18.- Les demanderesses réclament la somme de 789.264,00 euros qui correspondrait à la réduction de loyer accordée à la Commission européenne pour la mise à disposition de l'hôtel de maître.

« Les défenderesses contestent à raison cette somme qui ne fait l'objet d'aucune justification. Cette réduction de loyer ne se trouve aucunement mentionnée dans le contrat d'usufruit conclu entre les demanderesses et la Commission européenne.

« 19.- Par contre, l'article 16.1, dernier alinéa de la convention d'usufruit prévoit que : ‘un montant forfaitaire de 263.088,80 euros par an, ajusté conformément aux principes de l'article 16.4 ci-après, sera déduit des trois premières Redevances annuelles'.

« En d'autres termes, à compter du 1er novembre 2006, une réduction de loyer mensuel de 263.088,00 euros : 12 = 21.924,00 euros était accordée à la Commission européenne.

« Entre le 1er novembre 2006 et le 30 avril 2007, cette réduction atteignait donc un montant de 131.544,00 euros.

« Il y a donc lieu de réduire la demande de RINGCENTER sur ce point et de condamner IRET et ROYAL PROPERTIES, chacun, au payement de la somme de 65.772,00 euros tandis que ROBELCO doit être condamnée, à titre solidaire, conformément à ce qui est indiqué dans le dispositif ci-après ».

Par ces considérations, la sentence arbitrale substitue à la demande de 789.264 euros qu'elle déclare non fondée, une autre prétention déduite de l'article 16.1 de la Convention d'usufruit, que les demanderesses à l'arbitrage n'avaient pas invoquée devant les arbitres.


4. Par cette substitution de prétention, la sentence arbitrale modifie l'objet de la demande et commet ainsi, comme la demanderesse en cassation le soutenait dans ses conclusions d'appel de synthèse (sub nos 79 à 82), un excès de pouvoir prohibé par le principe général du droit visé au moyen et par l'article 1138, 2° du Code judiciaire, et sanctionné par l'article 1704.2.d du Code judiciaire visé au moyen.

En considérant que les arbitres n'ont pas excédé leurs pouvoirs alors qu'ils ont modifié l'objet de la demande au substituant à la prétention des demanderesses à l'arbitrage, qu'ils rejettent, une autre prétention que lesdites demanderesses n'avaient pas formulées, l'arrêt attaqué viole le principe dispositif et l'article 1138.2° du Code judiciaire visé au moyen.

En refusant dès lors d'annuler sur ce point la sentence arbitrale, ce nonobstant l'excès de pouvoirs qui l'affectait, l'arrêt attaqué viole l'article 1704.2.d du Code judiciaire visé au moyen (et pour autant que de besoin l'article 1717, § 3, vi), du Code judiciaire tel qu'inséré par la loi du 24 juillet 2013).

En décidant (p. 14 sub d) que les arbitres n'ont pas excédé leurs pouvoirs en statuant « ultra petita », l'arrêt attaqué décide dès lors que la sentence arbitrale ne contient pas l'excès de pouvoirs qu'elle comporte, donne ainsi à cette sentence une portée inconciliable avec ses termes et viole, partant, la foi qui lui est due (violation des articles 1317, 1319, 1320 et 1322 du Code civil).

Développements

L'arrêt attaqué considère que les arbitres n'ont pas excédé leurs pouvoirs en allouant aux demandeurs devant les arbitres, sur pied de l'article 16.1 de la convention d'usufruit que ces demandeurs n'ont pas invoqué, une somme de 132.544 euros après avoir déclaré non fondée la demande de 789.264 euros formée par ces demandeurs.

Les arbitres avaient cependant commis un excès de pouvoir en substituant ainsi à la prétention qu'il rejetait une autre prétention que les demandeurs à l'arbitrage n'avaient pas formulée.

Le juge ou l'arbitre ne peut en effet, sans méconnaître le principe dispositif et commettre un excès de pouvoirs, après avoir rejeté l'objet d'une demande, y substituer d'office une condamnation qui n'a pas été demandée (Cass., 20 février 2002, Pas., 2002, n° 122 ; P. MARCHAL, Principes généraux du droit, 2ème éd., coll. RPDB, Bruxelles, Bruylant, 2014, n° 189, pp. 212 et 213).

La Cour a encore rappelé, par deux arrêts des 1er décembre 2014 (n° C.13.0087.F) et 11 décembre 2014 (n° C.14.0072.F) que « en vertu du principe général du droit dit principe dispositif consacré par l'article 1138, 2°, du Code judiciaire, le juge ne peut modifier l'objet d'une demande soit en l'amplifiant, soit en substituant une prétention à une autre ».

Il importe peu à cet égard que le montant qui avait été demandé soit plus élevé que celui qui a été adjugé (Cass., 16 juin 1997, Pas., 1997, I, n° 274).

Eu égard à ces principes, la sentence arbitrale avait commis un excès de pouvoirs.

En refusant d'admettre cet excès de pouvoirs, l'arrêt attaqué viole le principe dispositif et l'article 1138, 2° du Code judiciaire qui le consacre.

En refusant d'annuler la sentence arbitrale sur la base de cet excès de pouvoirs, l'arrêt attaqué viole l'article 1704.2.d du Code judiciaire qui prévoir que la sentence peut être annulée si le tribunal arbitral a excédé sa compétence ou ses pouvoirs.

Par ailleurs, en décidant que les arbitres n'ont pas excédé leurs pouvoirs, l'arrêt attaqué décide que la sentence arbitrale n'est pas affectée par l'excès de pouvoirs qu'elle comporte et viole, partant, la foi due à cette sentence en refusant d'y lire l'excès de pouvoir qu'elle comporte.

PAR CES CONSIDÉRATIONS,

l'avocat à la Cour de cassation soussigné, pour la demanderesse en cassation, conclut, Messieurs, Mesdames, qu'il vous plaise, recevant le pourvoi, casser l'arrêt attaqué dans la mesure du moyen, ordonner que mention de votre arrêt soit faite en marge de l'arrêt partiellement cassé, renvoyer la cause devant une autre cour d'appel et statuer sur les dépens comme de droit.

Bruxelles, le 11 avril 2016

Pour la demanderesse en cassation,
son conseil,

Paul Alain Foriers

Pièces jointes :

1. La sentence arbitrale litigieuse du 12 juillet 2010 en copie certifiée conforme par les trois arbitres ;
2. Traduction jurée des passages en anglais figurant aux pages 27 à 29 de la sentence ;
3. Mémoire en réponse et de synthèse déposé le 1er février 2010 devant les arbitres par les demanderesses devant les arbitres dont la n.v. RINGCENTER, actuelle défenderesse en cassation sub 1°, en copie certifiée conforme par Me B. D., avocat des demanderesses devant les arbitres et pour autant que de besoin par le soussigné ;
4. Second mémoire en réponse du 15 mars 2010 déposé devant les arbitres par la demanderesse en cassation et les défenderesses en cassation sub 2 et 3 en copie certifiée conforme par Me L. C., avocat de la demanderesse en cassation devant les arbitres et pour autant que de besoin par le soussigné ;
5. Déclaration pro fisco établie conformément à l'annexe à l'arrêté royal du 12 mai 2015 établissant le modèle de déclaration pro fisco visé à l'article 269 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe et fixant la date d'entrée en vigueur de la loi du 28 avril 2015 modifiant le Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe en vue de réformer les droits de greffe ;
6. Il sera joint, en outre, à la présente requête en cassation, lors de son dépôt au greffe de la Cour, l'original de l'exploit constatant sa signification aux défenderesses en cassation.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C.16.0145.F
Date de la décision : 04/05/2018
Type d'affaire : arrêt

Analyses

Ordre public


Parties
Demandeurs : INTER REAL ESTATE TRUSTY
Défendeurs : SAVILLS FUND MANAGEMENT GmbH ; BALNI ; BEFIMMO et alii

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-05-04;c.16.0145.f ?

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