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03/05/2018 | BELGIQUE | N°C.17.0387.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 03 mai 2018, C.17.0387.N


N° C.17.0387.N
ROHRHANDEL BRUNZEL GmbH, société de droit allemand,
Me Martin Lebbe, avocat à la Cour de cassation,

contre

1. WP STEEL BE, s.p.r.l.,
2. FRANKI CONSTRUCT, s.a.,
Me Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation,
3. HERREGODS-FRANSSEN, s.a.


I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 29 novembre 2016 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le 19 mars 2018, l'avocat général Ria Mortier a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Eric Dirix a fait rapp

ort.
L'avocat général Ria Mortier a conclu.

II. Les faits
Il ressort des pièces auxquelles la Cour...

N° C.17.0387.N
ROHRHANDEL BRUNZEL GmbH, société de droit allemand,
Me Martin Lebbe, avocat à la Cour de cassation,

contre

1. WP STEEL BE, s.p.r.l.,
2. FRANKI CONSTRUCT, s.a.,
Me Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation,
3. HERREGODS-FRANSSEN, s.a.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 29 novembre 2016 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le 19 mars 2018, l'avocat général Ria Mortier a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Eric Dirix a fait rapport.
L'avocat général Ria Mortier a conclu.

II. Les faits
Il ressort des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que :
- les première et deuxième défenderesses ont conclu, sous la forme d'une société momentanée (ci-après : les sous-traitants), un contrat d'entreprise avec la s.a. Besix (ci-après : l'entrepreneur principal) en vue de la construction d'une structure métallique pour un parking et un complexe de bureaux à Ostende ;
- en 2014, les sous-traitants ont acheté à la troisième défenderesse des tubes d'acier que celle-ci avait acquis auprès de la demanderesse ;
- les tubes d'acier ont été utilisés dans la construction métallique après façonnage et peinture ou galvanisation ;
- l'entrepreneur principal a constaté l'existence de problèmes après la galvanisation ou la peinture des tubes ;
- l'entrepreneur principal a sollicité la désignation d'un expert auprès du juge des référés à Bruxelles ;
- l'expert a été désigné le 18 mai 2015 ;
- à une date ultérieure, l'entrepreneur principal a formé contre la demanderesse et la troisième défenderesse une demande en intervention forcée à la procédure en référé ;
- la demanderesse conteste la juridiction du juge belge des référés.
III. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente trois moyens.

IV. La décision de la Cour

Sur le premier moyen :

1. L'article 35 du Règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après : règlement Bruxelles Ibis) dispose que les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d'un État membre peuvent être demandées aux juridictions de cet État, même si les juridictions d'un autre État membre sont compétentes pour connaître du fond.
2. Cette disposition apporte au régime de compétences du règlement Bruxelles Ibis une exception destinée à éviter que les parties subissent un préjudice du fait des délais importants qui sont nécessairement inhérents à toute procédure internationale. Cette exception doit faire l'objet d'une interprétation restrictive. De plus, l'octroi de telles mesures requiert de la part du juge, outre une circonspection particulière, une connaissance approfondie des circonstances concrètes dans lesquelles la mesure est appelée à produire ses effets (voir entre autres : C.J.C.E. 28 avril 2005, Saint Paul Dairy Industries, C-104/03, point 14).
3. Le considérant 25 du règlement Bruxelles Ibis précise que :
« La notion de mesures provisoires et conservatoires devrait englober, par exemple, les mesures conservatoires visant à obtenir des informations ou à conserver des éléments de preuve (...). Elle ne devrait pas inclure de mesures ne revêtant pas un caractère conservatoire, telles que des mesures ordonnant l'audition d'un témoin ».

4. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, il y a lieu d'entendre par « mesures provisoires ou conservatoires » au sens de l'article 35 du règlement Bruxelles Ibis les mesures destinées à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder des droits dont la reconnaissance est ou doit être demandée devant la juridiction compétente au fond (C.J.C.E. 26 mars 1992, Reichert et Kockler, C-261/90, n° 34 ; C.J.C.E. 17 novembre 1998, Van Uden, C-391/95, n° 37 ; C.J.C.E. 28 avril 2005, Saint Paul Dairy Industries, C-104/03, n° 13).
Selon l'arrêt C-104/03 précité, une mesure ayant pour seul objectif de permettre au demandeur d'apprécier les chances ou les risques d'un éventuel procès ne peut être qualifiée de mesure provisoire ou conservatoire au sens de l'article 35 précité.
5. Il résulte manifestement de cette jurisprudence et du considérant 25 précité qu'une mesure destinée à obtenir des informations ou à conserver des éléments de preuve, dont l'objectif principal n'est pas de permettre au demandeur d'évaluer ses chances au procès mais de maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder ses droits, constitue une mesure provisoire ou conservatoire au sens de l'article 35 du règlement Bruxelles Ibis.
6. Les juges d'appel ont constaté que :
- a été observée sur le chantier la survenance de problèmes d'adhérence de la « galvanisation » sur les éléments en acier (effritement) et de dommages à la structure en acier (dommages mécaniques et boursouflure ou cloquage) ;
- les causes suivantes ont été avancées : le choix du matériau, le concept d'entretien, la teneur en silicium ou l'exécution (galvanisation, peintures) ;
- la demande en intervention a été formée peu après le redémarrage du chantier.
7. Les juges d'appel ont considéré que :
- l'objet de l'expertise, à savoir la construction métallique en question, se trouve en Belgique ;
- huit acteurs de la construction, auxquels le problème technique en question pourrait être imputable, participent déjà à l'expertise et sont tous établis en Belgique ;
- l'assureur Allianz, établi en Allemagne, est intervenu volontairement à l'expertise ;
- la désignation d'un expert en matière civile constitue une mesure conservatoire dans le cadre de l'administration de la preuve, ordonnée dans l'attente et pour les besoins de la décision, définitive ou au fond, sur les droits des parties ;
- dans ces circonstances, il serait déraisonnable, tant sur le plan économique que pratique, d'exiger que, le cas échéant, une expertise satellitaire soit pratiquée en Allemagne ;
- l'arrêt de l'activité de construction sur un chantier en raison d'un phénomène technique peut entraîner des dommages progressifs très importants et, par conséquent, requiert une solution technique urgente dans l'intérêt de tous les professionnels potentiellement concernés et des futurs utilisateurs du projet ;
- il est préférable, certainement dans une situation d'urgence, qu'une expertise technique, axée sur la recherche de la vérité, non juridique, mais technique, s'effectue en présence de tous les intéressés potentiels, afin que l'expert puisse disposer de toutes les informations utiles et effectuer son travail dans les meilleures conditions possibles ;
- l'absence de participation constructive à la recherche de la cause d'un problème technique peut, dans certaines circonstances, constituer un fait dommageable autonome entraînant un dommage propre ;
- la demande d'intervention à l'expertise formée par la demanderesse était urgente afin de permettre une contradiction utile ;
- peu après la réunion d'expertise du 22 octobre 2015, au cours de laquelle l'expert a détaillé pour la première fois les constatations techniques auxquelles il avait pu procéder sur la base des premiers échantillons prélevés, les première et deuxième défenderesses ont demandé à la demanderesse et à la troisième défenderesse d'intervenir volontairement à l'expertise en vue d'entamer la deuxième phase de celle-ci ;
- ces parties ont refusé d'intervenir et la demanderesse a refusé de faire élection de domicile en Belgique, entraînant ainsi la perte d'un temps précieux ;
- la demande en intervention conserve un caractère urgent parce qu'en l'absence des fournisseurs à la deuxième phase de l'expertise, il y a sérieusement lieu de craindre l'apparition de graves inconvénients procéduraux.
8. Les juges d'appel, qui ont admis que la demande d'intervention à l'expertise vise l'obtention et la mise en sécurité des éléments de preuve et a donc pour objet le maintien d'une situation de fait et de droit dans le but de sauvegarder les droits des défendeurs, ont, sur cette base, légalement justifié leur décision qu'il s'agit d'une mesure provisoire ou conservatoire au sens l'article 35 du Règlement Bruxelles Ibis pour laquelle le juge belge des référés est compétent.
Le moyen ne peut être accueilli.

Sur le troisième moyen :

11. Il y a urgence, au sens de l'article 584, alinéa 1er, du Code judiciaire, lorsqu'une décision immédiate est souhaitable afin de prévenir un dommage d'une certaine importance, voire des inconvénients sérieux. Il peut, dès lors, être recouru au référé lorsque la procédure ordinaire ne permet pas de résoudre le litige en temps utile. Ce faisant, le juge des référés dispose d'un large pouvoir d'appréciation et, dans une juste mesure, de la plus grande liberté.
12. Les juges d'appel ont considéré que :
- c'est précisément pour permettre une contradiction utile que la demande d'intervention à l'expertise était urgente ;
- peu après la réunion d'expertise du 22 octobre 2015, au cours de laquelle l'expert a détaillé pour la première fois les constatations techniques auxquelles il avait pu procéder sur la base des premiers échantillons prélevés, les première et deuxième défenderesses ont demandé à la demanderesse et à la troisième défenderesse d'intervenir volontairement à l'expertise en vue d'entamer la deuxième phase de celle-ci ;
- ces parties ont refusé d'intervenir et la demanderesse a refusé de faire élection de domicile en Belgique, entraînant ainsi la perte d'un temps précieux ;
- la demande en intervention était et demeure urgente parce qu'en l'absence des fournisseurs dans la deuxième phase de l'expertise, il y a sérieusement lieu de craindre l'apparition de graves inconvénients procéduraux.
13. Par ces motifs, les juges d'appel n'ont pas méconnu la notion d' « urgence » au sens de l'article 584, alinéa 1er, du Code judiciaire.
Le moyen ne peut être accueilli.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Eric Dirix, président, le président de section Beatrijs Deconinck, les conseillers Koen Mestdagh, Geert Jocqué et Koenraad Moens, et prononcé en audience publique du trois mai deux mille dix-huit par le président de section Eric Dirix, en présence de l'avocat général Ria Mortier, avec l'assistance du greffier Vanessa Van de Sijpe.

Traduction établie sous le contrôle du président de section Christian Storck et transcrite avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

Le greffier, Le président de section,


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.17.0387.N
Date de la décision : 03/05/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-05-03;c.17.0387.n ?

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