N° C.17.0607.F
1. B. B.,
2. Q. B.,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,
contre
B. B.,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 16 mai 2017 par le tribunal de première instance de Namur, statuant en degré d'appel.
Par ordonnance du 20 mars 2018, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième chambre.
Le président de section Christian Storck a fait rapport.
L'avocat général Jean Marie Genicot a conclu.
II. Le moyen de cassation
Les demandeurs présentent un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
Articles 7, 1°, 9, 10, alinéa 2, 12.6 et 37, § 1er, 2°, de la loi du 4 novembre 1969 modifiant la législation sur le bail à ferme et le droit de préemption en faveur des preneurs de biens ruraux
Décisions et motifs critiqués
Le jugement attaqué valide le congé donné par le défendeur aux demandeurs le 1er octobre 2013 et confirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit l'opposition du défendeur à la cession privilégiée entre les demandeurs fondée, par tous ses motifs réputés ici intégralement reproduits et, spécialement, aux motifs que
« Le bailleur peut mettre fin au bail à l'expiration de chaque période s'il justifie [de] l'existence d'un motif sérieux, telle l'intention d'exploiter pour lui-même le bien loué (article 7 de la loi sur le bail à ferme) ;
Cette exploitation doit être personnelle, effective et continue pendant neuf années au moins par la personne indiquée dans le congé comme devant assurer cette exploitation, sans que cette personne ait atteint, au moment de l'expiration du préavis, l'âge de 65 ans ou de [60] ans si elle n'a jamais été exploitant agricole pendant au moins trois ans. Elle doit également, soit être porteuse d'un certificat d'études ou d'un diplôme qui lui a été délivré après avoir suivi, avec fruit, des études d'agriculture ou d'horticulture, soit être exploitant agricole ou l'avoir été pendant au moins un an au cours des cinq dernières années, soit avoir participé effectivement, pendant au moins un an, à une exploitation agricole (article 9 de la loi sur le bail à ferme) ;
Le délai de préavis est de minimum deux ans lorsqu'il est fait application de l'article 7,1°, de la loi sur le bail à ferme (article 11 de la loi sur le bail à ferme) ;
La plantation de sapins de Noël au cours des neuf années qui suivent le départ du preneur ne constitue pas une exploitation personnelle, sauf si le bénéficiaire de la reprise exploite déjà une exploitation horticole et que le juge de paix accorde une dispense de cette interdiction après avis de l'ingénieur agronome de l'État de la région (article 10, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme) ;
Le congé doit, à peine de nullité, indiquer clairement le ou les motifs précis pour lesquels il est donné, contenir l'indication qu'à défaut d'acquiescement, le bailleur en poursuivra la validation et indiquer l'identité de la personne [désignée] comme devant assurer l'exploitation (article 12.1 de la loi sur le bail à ferme) ;
Lors de la demande de validation du congé, le juge apprécie si les motifs du congé sont sérieux et fondés et notamment s'il appert des circonstances de la cause que le bailleur mettra à exécution les intentions énoncées comme motifs de congé. En outre, lorsque le preneur exerce la profession agricole à titre principal, le juge ne pourra valider le congé pour exploitation personnelle que si l'exploitation constitue une partie prépondérante de l'activité professionnelle de la personne devant assurer l'exploitation (article 12.6 de la loi sur le bail à ferme) ;
[Le défendeur] a adressé son congé pour occupation personnelle [aux demandeurs] le 3 octobre 2013. Il justifie qu'il n'aura pas atteint, à l'expiration du délai de préavis, l'âge de 60 ans. Les terres, dont il revendique l'exploitation à titre personnel, lui appartiennent en propre depuis l'acte du 20 mars 2012. Il a également déposé des pièces justifiant sa formation dans le domaine agricole ou horticole [...] ;
[Le défendeur] souhaite exploiter personnellement les terres dans le cadre d'un projet de culture et de récolte de sapins de Noël. Cette activité spécifique ne peut être admise à titre d'exploitation personnelle que s'il exploite déjà une exploitation horticole et que le juge de paix lui accorde une dispense après avis de l'ingénieur agronome de l'État de la région (article 10, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme) ;
[Le défendeur] explique exercer son activité horticole par le biais de la sprl [...] dont il est gérant et détenteur d'une majorité du capital. Selon l'attestation de la Fiduciaire [...], il était toujours gérant-associé de la société en question le 12 mai 2014 et entendait transférer le solde de ses parts sociales à son fils lors du dernier trimestre 2016 pour exercer à titre exclusif et personnel l'activité de culture et de commercialisation de sapins de Noël [...]. L'objet social de la société [...] consiste, notamment, dans la production et la vente de sapins de Noël [...]. Le caractère professionnel de l'exploitation en question a été confirmé à la suite d'une enquête effectuée par l'ingénieur agronome directeur de la direction extérieure de Ciney [...]. Sur la base de ces éléments, le juge de paix lui a accordé la dispense légale [...] ;
[Le défendeur] justifie par conséquent qu'il exploitait, au moment de l'envoi de son congé, une activité horticole ;
Le tribunal relève, en réponse au premier moyen des [demandeurs], qu'il n'est pas requis, dans le cadre de l'application de l'article 10 de la loi sur le bail à ferme, que l'activité horticole déjà prestée le soit par le biais d'une société ou en personne physique, du moment que cette activité soit effective dans le chef du bailleur, ce qui n'est pas sérieusement contestable en l'espèce en raison des éléments qui précèdent ;
La circonstance que [le défendeur] ait bénéficié d'une donation à taux zéro relative à des parcelles d'une contenance de cinq hectares quatre-vingts ares actuellement exploitées par la société [...] n'implique pas forcément qu'il ne pourra pas exploiter personnellement lesdites parcelles, puisqu'il doit assurer, vis-à-vis des autorités administratives, une continuité d'exploitation pendant cinq ans. En outre, les débats ne sont pas relatifs à ces parcelles mais à des parcelles d'une contenance approximative de six hectares quarante ares qui sont actuellement louées par [les demandeurs], ce qui ne permet pas de douter de la sincérité du projet [du défendeur] ;
Enfin, le caractère prépondérant de l'activité professionnelle à assurer doit s'apprécier dans le chef [du défendeur], renseigné dans le congé du 3 octobre 2013, et non dans le chef de la société [...]. À ce propos, selon les explications fournies à la faveur de l'enquête des services de la Région wallonne, le projet est manifestement d'envergure puisqu'il couvrirait six à sept hectares de culture, sachant que l'on replante habituellement entre 8.500 et 10.000 pieds de sapin à l'hectare [...]. Sachant que [le défendeur] envisage de céder les parts de la société [...] à son fils, le projet d'exploitation constituera manifestement une partie prépondérante de son activité professionnelle ;
Le premier juge a, par conséquent, validé à bon droit le congé pour occupation personnelle adressé [aux demandeurs] le 3 octobre 2013, les motifs le soutenant étant sérieux et fondés ».
Griefs
Aux termes de l'article 7 de la loi du 4 novembre 1969 modifiant la législation sur le bail à ferme et le droit de préemption en faveur des preneurs de biens ruraux, « le bailleur peut mettre fin au bail à l'expiration de chaque période s'il justifie de l'existence d'un motif sérieux. Peuvent seuls être admis comme tels, indépendamment de ceux qui sont visés à l'article 6 : 1° l'intention manifestée par le bailleur d'exploiter lui-même tout ou partie du bien loué ou d'en céder en tout ou en partie l'exploitation à son conjoint, à ses descendants ou enfants adoptifs ou à ceux de son conjoint ou aux conjoints desdits descendants ou enfants adoptifs ».
L'article 9 de la même loi dispose que
« L'exploitation du bien repris au preneur sur la base du motif déterminé aux articles 7, 1°, et 8 doit consister en une exploitation personnelle, effective et continue pendant neuf années au moins par la personne ou les personnes indiquées dans le congé comme devant assurer cette exploitation ou, s'il s'agit de personnes morales, par leurs organes ou dirigeants responsables et pas seulement par leurs préposés.
Toutefois, le motif du congé consistant en l'exploitation personnelle ne peut être invoqué par des personnes et, s'il s'agit de personnes morales, leurs organes ou dirigeants responsables qui auraient atteint, au moment de l'expiration du préavis, l'âge de soixante-cinq ans, ou de soixante ans lorsqu'il s'agit d'une personne n'ayant jamais été exploitant agricole pendant au moins trois ans ; ne peut également invoquer ce motif celui qui, après la cessation de son exploitation agricole, l'a donnée à bail.
De même, le motif du congé en vue de l'exploitation personnelle ne peut pas être invoqué par le titulaire d'un usufruit constitué entre vifs par la volonté de l'homme.
La personne ou les personnes indiquées dans le congé comme devant assurer l'exploitation et, s'il s'agit de personnes morales, leurs organes ou dirigeants responsables doivent :
- soit être porteur d'un certificat d'étude ou d'un diplôme qui leur a été délivré après avoir suivi avec fruit un cours agricole ou des études dans une école d'agriculture ou d'horticulture ;
- soit être exploitant agricole ou l'avoir été pendant au moins un an au cours des cinq dernières années ;
- soit avoir participé effectivement, pendant au moins un an, à une exploitation agricole.
Les personnes morales dont il est question au présent article doivent être constituées conformément à la loi du 12 juillet 1979 créant la société agricole ou sous la forme d'une société de personnes ou d'une société d'une personne à responsabilité limitée. En outre, les personnes qui dirigent l'activité de la société en qualité d'administrateur ou de gérant doivent fournir un travail réel dans le cadre de l'entreprise agricole ».
Aux termes de l'article 10, alinéa 2, « la plantation de sapins de Noël au cours des neuf années qui suivent le départ du preneur ne constitue pas une exploitation personnelle, sauf si le bénéficiaire de la reprise exploite déjà une exploitation horticole et que le juge de paix accorde dispense de cette interdiction après avis de l'ingénieur agronome de l'État de la région ».
Enfin, l'article 12.6 de la loi dispose que, « lors de la demande en validation du congé, le juge apprécie si les motifs du congé sont sérieux et fondés et notamment s'il appert des circonstances de la cause que le bailleur mettra à exécution les intentions énoncées comme motifs de congé. En outre, quand le preneur exerce la profession agricole à titre principal, le juge ne pourra valider le congé en vue de l'exploitation personnelle que si l'exploitation de l'entreprise agricole dans laquelle les biens ruraux en question seront exploités constituera une partie prépondérante de l'activité professionnelle de la personne ou des personnes indiquées dans le congé [comme] devant assurer l'exploitation et, en outre, s'il s'agit de personnes morales, [de] la ou [d]es personnes qui dirigent l'activité en qualité d'administrateur ou de gérant ».
Il se déduit de ces dispositions que l'exploitation doit être personnelle dans le chef du bénéficiaire du congé.
En outre, en vertu de l'article 7, 1°, de la loi sur le bail à ferme, les bénéficiaires sont limitativement énumérés et ne peuvent être que des personnes physiques. Est donc illégal, au regard de cette disposition, un congé donné pour exploitation personnelle au bénéfice d'une personne morale et ce, même si l'une des personnes physiques énoncées à l'article 7, 1°, en est l'administrateur ou le gérant.
L'article 10, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme pose deux conditions supplémentaires à respecter dans le chef du bénéficiaire du congé si l'exploitation consiste en la plantation de sapins de Noël. Pareille plantation ne constitue en effet pas une exploitation personnelle, sauf si le bénéficiaire du congé exploite déjà une exploitation horticole et si le juge de paix accorde dispense de l'interdiction après avis de l'ingénieur agronome de l'État de la région.
Cette disposition a pour objectif d'éviter les abus de reprise visant à contourner la législation sur le bail à ferme.
Il s'en déduit que le bénéficiaire du congé, qui doit nécessairement être une personne physique en vertu de l'article 7, 1°, de la loi sur le bail à ferme, doit déjà exploiter, en vertu de l'article 10, alinéa 2, de la même loi, une exploitation horticole en cette même qualité.
Le bénéficiaire du congé ne peut recourir à l'intermédiaire d'une personne morale et ce, même si lui-même ou une autre personne énumérée à l'article 7, 1°, de la loi en est l'administrateur ou le gérant, ni pour contourner ledit article 7, 1°, ni pour éluder l'exigence d'exploitation personnelle énoncée, de manière complémentaire et spécifique à la plantation de sapins de Noël, par l'article 10, alinéa 2, de la même loi.
Or, le défendeur ne soutenait pas qu'il exploitait « déjà » une exploitation horticole en son nom personnel mais qu'il était effectivement l'exploitant d'une entreprise agricole au moment du congé dès lors, même si cette exploitation horticole était effectuée par la sprl [...], qu'il était le principal actionnaire et le gérant de ladite société.
Le jugement attaqué, qui considère « qu'il n'est pas requis, dans le cadre de l'application de l'article 10 de la loi sur le bail à ferme, que l'activité horticole déjà prestée le soit par le biais d'une société ou en personne physique, du moment que cette activité soit effective dans le chef du bailleur, ce qui n'est pas sérieusement contestable en l'espèce en raison des éléments qui précèdent », viole, partant, les articles 7, 1°, 9, 10, alinéa 2, et 12.6 de la loi du 4 novembre 1969 visée au moyen et, par voie de conséquence, l'article 37, § 1er, 2°, de la même loi en ce qu'il se fonde sur la validité du congé litigieux pour déclarer fondée l'opposition du défendeur à la cession privilégiée du bail survenue entre les demandeurs le 6 juin 2013.
III. La décision de la Cour
L'article 7, 1°, de la loi sur les baux à ferme autorise le bailleur à mettre fin au bail s'il a l'intention d'exploiter lui-même tout ou partie du bien loué ou d'en céder en tout ou en partie l'exploitation à son conjoint, ses descendants ou enfants adoptifs ou à ceux de son conjoint, ou aux conjoints desdits descendants ou enfants adoptifs.
L'article 9, alinéa 1er, de cette loi dispose que l'exploitation personnelle du bien repris au preneur sur la base du motif déterminé à l'article 7, 1°, doit consister en une exploitation personnelle, effective et continue pendant neuf années au moins par la personne ou les personnes indiquées dans le congé comme devant assurer cette exploitation ou, s'il s'agit de personnes morales, par leurs organes ou dirigeants responsables et pas seulement par leurs préposés.
Cet article précise en ses alinéas suivants les conditions auxquelles doivent satisfaire les personnes qui invoquent le motif du congé consistant en l'exploitation personnelle et celles qui sont indiquées dans le congé comme devant assurer cette exploitation.
D'autres conditions de la validation du congé, qui concernent l'importance que l'exploitation des biens repris revêtira dans l'activité professionnelle de ceux qui assureront cette exploitation, sont fixées à l'article 12.6 de la même loi.
Aux termes de l'article 10, alinéa 2, de celle-ci, la plantation de sapins de Noël au cours des neuf années qui suivent le départ du preneur ne constitue pas une exploitation personnelle, sauf si le bénéficiaire de la reprise exploite déjà une exploitation horticole et que le juge de paix accorde dispense de cette interdiction après avis de l'ingénieur agronome de l'État de la région.
Il ne suit ni de cette disposition ni de son rapprochement avec les autres dispositions précitées de ladite loi que le bénéficiaire de la reprise devrait avoir exploité son activité horticole antérieure en qualité de personne physique et non par le truchement d'une société.
Dans cette mesure, le moyen, qui soutient le contraire, manque en droit.
La violation prétendue de l'article 37, § 1er, 2°, de la loi sur les baux à ferme est pour le surplus tout entière déduite de celle, vainement alléguée, des autres dispositions de cette loi.
Dans cette mesure, le moyen est irrecevable.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de sept cent septante-six euros cinq centimes envers les parties demanderesses, y compris la somme de quarante euros à titre de contribution au Fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Didier Batselé, Mireille Delange, Michel Lemal et Sabine Geubel, et prononcé en audience publique du vingt-trois avril deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.
L. Body S. Geubel M. Lemal
M. Delange D. Batselé Chr. Storck