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23/03/2018 | BELGIQUE | N°F.17.0112.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 23 mars 2018, F.17.0112.F


N° F.17.0112.F
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12, poursuites et diligences du directeur du centre particulier de Namur, dont les bureaux sont établis à Namur, rue des Bourgeois, 7,
demandeur en cassation,

contre

1. P. D. et
2. É. L.,
défendeurs en cassation,
représentés par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour
L

e pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 21 mars 2017 par la cour d'appel d...

N° F.17.0112.F
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12, poursuites et diligences du directeur du centre particulier de Namur, dont les bureaux sont établis à Namur, rue des Bourgeois, 7,
demandeur en cassation,

contre

1. P. D. et
2. É. L.,
défendeurs en cassation,
représentés par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 21 mars 2017 par la cour d'appel de Liège.
Le président de section Christian Storck a fait rapport.
Le premier avocat général André Henkes a conclu.

II. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- article 1050 du Code judiciaire, avant sa modification par l'article 31 de la loi du 19 octobre 2015 modifiant le droit de la procédure civile et portant des dispositions diverses en matière de justice ;
- article 356 du Code des impôts sur les revenus 1992.

Décisions et motifs critiqués

Après avoir constaté que « le litige porte sur les cotisations à l'impôt des personnes physiques et taxes additionnelles enrôlées à charge [des défendeurs] pour les exercices d'imposition 2008, 2009 et 2010 sous les articles 709.086.448, 712.001.347 et 713.624.883 du rôle de la commune de Gembloux ; [...] que, par jugement du 10 octobre 2013, le premier juge a annulé les cotisations relatives aux exercices d'imposition 2009 et 2010 pour violation de l'article 346 du Code des impôts sur les revenus 1992 (absence de notification des avis de rectification à [la défenderesse]) et a dégrevé partiellement la cotisation relative à l'exercice d'imposition 2008 ; qu'il a placé la cause au rôle pour six mois, soit jusqu'au 10 avril 2014 ; que [le demandeur] a interjeté appel par une requête déposée au greffe de la cour [d'appel] le 3 janvier 2014 aux termes de laquelle il sollicite la mise à néant du jugement entrepris ; que, par un arrêt du 6 septembre 2016, la cour [d'appel] a ordonné la réouverture des débats aux fins de permettre aux parties [de conclure] sur la recevabilité de l'appel au regard des dispositions de l'article 356 du Code des impôts sur les revenus 1992 »,
l'arrêt attaqué considère que
« L'article 1050 du Code judiciaire dispose qu'en toutes matières, l'appel peut être formé dès la prononciation du jugement, même si celui-ci est une décision avant dire droit ou s'il a été rendu par défaut ;
L'article 356 du Code des impôts sur les revenus 1992, modifié par la loi du 22 décembre 2009 portant des dispositions fiscales, qui s'applique immédiatement quel que soit l'exercice d'imposition, précise cependant que, lorsqu'une décision du directeur des contributions ou du fonctionnaire délégué par lui fait l'objet d'un recours en justice et que le juge prononce la nullité totale ou partielle de l'imposition pour une cause autre que la prescription, la cause reste inscrite au rôle pendant six mois à dater de la décision judiciaire et que, pendant ce délai de six mois, qui suspend les délais d'opposition, d'appel et de cassation, l'administration peut soumettre à l'appréciation du juge, par voie de conclusions, une cotisation subsidiaire à charge du même redevable en raison de tout ou partie des mêmes éléments d'imposition que la cotisation primitive ;
Il ressort de la lecture de cette disposition que le délai ordinaire d'appel d'un mois est suspendu, sans autre condition, pendant un délai de six mois, dès l'instant où ‘le juge prononce la nullité totale ou partielle de l'imposition pour une cause autre que la prescription' ;
Le texte de l'article 356 du Code des impôts sur les revenus 1992 n'exige d'aucune manière que l'administration ait effectivement proposé une cotisation subsidiaire (cfr le libellé de l'article 356 : ‘l'administration peut soumettre') ;
Selon les travaux préparatoires de la loi du 22 décembre 2009, cette suspension vise à ‘éviter des recours intempestifs et [...] des débats sur la question [du] juge compétent pour statuer sur la cotisation subsidiaire en cas d'appel' ; ‘ainsi, même si le jugement qui annule la cotisation contestée est signifié pendant le délai de six mois, le délai d'opposition ou d'appel ne commencera à courir qu'à l'expiration du délai de six mois. Si l'administration ne soumet pas de cotisation subsidiaire pendant ce délai, il va de soi qu'elle perd le droit de soumettre une cotisation sur pied de l'article 356' (Doc. parl., Chambre, 2009-2010, n° 52-2311/002, p. 3) ;
Les travaux préparatoires ajoutent que, si l'administration ne soumet pas de cotisation subsidiaire pendant ce délai de six mois, elle perd le droit de soumettre une cotisation sur pied de l'article 356 ; par contre, si elle soumet une cotisation pendant ce délai, il faut attendre que le juge se prononce sur cette cotisation subsidiaire pour pouvoir, après signification, introduire un recours contre les deux jugements (Doc. parl., Chambre, 2009-2010, ibidem) ;
Il en résulte que ce délai de six mois constitue un délai d'attente dérogatoire à l'article 1050 du Code judiciaire précité, qui signifie qu'aucune des parties ne peut introduire un appel ou un pourvoi en cassation tant que ce délai court (cfr. dans le même sens : Mons, 21 février 2014, R.G.C.F., 2014, 365) ;
L'appel a été interjeté le 3 janvier 2014, pendant le délai de six mois prévu par l'article 356 du Code des impôts sur les revenus 1992 et alors que [le demandeur] n'avait pas encore soumis à l'appréciation du premier juge, par voie de conclusions, une éventuelle cotisation subsidiaire ; l'appel doit dès lors être déclaré irrecevable en raison de son caractère prématuré ;
La circonstance que le jugement entrepris ait été signifié le 5 décembre 2013 est sans incidence, le délai d'appel étant pareillement suspendu jusqu'au 10 avril 2014 ;
Enfin, l'effet dévolutif de l'appel prévu par l'article 1068 du Code judiciaire, dont l'application à la procédure fiscale n'est pas douteuse depuis la réforme de la procédure en 1999, s'oppose à ce que la cour [d'appel] puisse envisager de renvoyer la cause au premier juge (cfr dans le même sens, Liège, 14 mars 2012, 2008/RG/1012, et J.-P. Magremanne, ‘La requête en validation d'une cotisation subsidiaire', R.G.C.F., 2012, 177) ;
‘Par l'effet dévolutif de l'appel, le juge se trouve saisi, dans les limites de l'appel principal et incident [...], de l'ensemble du litige avec toutes les questions de fait ou de droit qu'il comporte, y compris les faits nouveaux survenus au cours de l'instance d'appel. Cette règle est d'ordre public [...]. Dans la mesure où l'acte d'appel [d'un jugement définitif ou d'avant dire droit] saisit du litige en sa totalité le juge du second degré, lequel a l'obligation de le trancher, y compris les points non encore jugés, il en résulte une dérogation au principe du double degré de juridiction, l'appel n'étant pas seulement une voie de réformation ou d'annulation mais aussi une voie d'achèvement [...] rendant irrecevable toute demande soumise, à propos du même litige, au premier juge' (G. de Leval, Éléments de procédure civile, Larcier, 2003, n° 246, pp. 327-328) ;
En l'espèce, [le demandeur] a bien contesté devant la cour [d'appel] le dégrèvement relatif à la cotisation enrôlée pour l'exercice d'imposition 2008 ainsi que l'annulation des cotisations en cause enrôlées pour les exercices d'imposition 2009 et 2010 décidés par le premier juge et les [défendeurs] ont du reste maintenu ces demandes d'annulation ou de dégrèvement en demandant la confirmation du jugement ;
La cour [d'appel] était ainsi clairement saisie de la question du bien-fondé des trois cotisations en cause (exercices d'imposition 2008, 2009 et 2010) ;
Aussi est-ce à tort que [le demandeur] soutient que la cour [d'appel] n'était saisie que de la demande de dégrèvement ou d'annulation de la cotisation enrôlée pour l'exercice d'imposition 2008 ».
Par ces motifs, l'arrêt attaqué « dit l'appel irrecevable ».
Griefs

Suivant l'article 356, alinéas 1er et 2, du Code des impôts sur les revenus 1992,
« Lorsqu'une décision du directeur des contributions ou du fonctionnaire délégué par lui fait l'objet d'un recours en justice et que le juge prononce la nullité totale ou partielle de l'imposition pour une cause autre que la prescription, la cause reste inscrite au rôle pendant six mois à dater de la décision judiciaire. Pendant ce délai de six mois qui suspend les délais d'opposition, d'appel ou de cassation, l'administration peut soumettre à l'appréciation du juge, par voie de conclusions, une cotisation subsidiaire à charge du même redevable, et en raison de tout ou partie des mêmes éléments d'imposition que la cotisation primitive.
Si l'administration soumet au juge une cotisation subsidiaire dans le délai de six mois précité, par dérogation à l'alinéa 1er, les délais d'opposition, d'appel et de cassation commencent à courir à partir de la signification de la décision judiciaire relative à la cotisation subsidiaire ».
L'article 19, alinéa 1er, du Code judiciaire, prévoit quant à lui que « le jugement est définitif dans la mesure où il épuise la juridiction du juge sur une question litigieuse, sauf les recours prévus par la loi ».
Il s'ensuit que, dans la mesure où il prononce la nullité de l'imposition, comme l'envisage l'article 356, alinéa 1er, précité, le juge rend une décision définitive au sens de l'article 19, alinéa 1er, du Code judiciaire.
Or, l'article 1050 de ce code dispose que :
« En toutes matières, l'appel peut être formé dès la prononciation du jugement, même si celui-ci a été rendu par défaut.
Contre une décision rendue sur la compétence, un appel ne peut être formé qu'avec l'appel contre le jugement définitif ».
L'article 356 du Code des impôts sur les revenus 1992 instaure certes une suspension du délai d'appel à l'égard d'un jugement qui annule l'imposition litigieuse, étant entendu qu'un délai est suspendu lorsqu'il n'en est pas tenu compte pendant un certain temps ; il instaure ainsi une dérogation à l'article 1051 du Code judiciaire, dont il ressort que le délai court à partir de la signification du jugement : une signification faite dans le délai de six mois ne fera courir le délai d'appel qu'une fois le délai de six mois expiré.
Cette dérogation à l'article 1051 du Code judiciaire n'est cependant pas de nature à induire une dérogation à l'article 1050 du même code ; en effet, un appel peut être interjeté valablement à l'encontre d'un jugement définitif avant que ce jugement ne fasse l'objet d'une signification.
Or, l'article 356 du Code des impôts sur les revenus 1992 ne dit nullement que l'appel comme tel est exclu avant l'expiration d'un délai de six mois à dater de la décision judiciaire qui annule l'imposition ; il n'apporte aucune modification à l'article 1050 du Code judiciaire, qui dispose explicitement que l'appel est possible dès la prononciation. Le maintien de l'affaire au rôle - et dès lors du lien d'instance avec le tribunal qui a prononcé l'annulation de la cotisation litigieuse - pendant une durée de six mois afin de permettre le dépôt d'une demande en validation d'une cotisation subsidiaire ne fait pas obstacle à ce qu'un recours soit introduit avant l'écoulement de ce délai ou le dépôt d'une telle demande.
En d'autres termes, il ne résulte en aucune façon du texte de l'article 356, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 que cette disposition comporte une dérogation à l'article 1050 du Code judiciaire et interdise aux parties d'interjeter appel de la décision judiciaire dès sa prononciation.
Le texte de l'article 356 du Code des impôts sur les revenus 1992 est clair et il n'y a dès lors pas lieu de lui donner une interprétation différente sur la base des travaux préparatoires.
Il est constant que, par décision du 10 octobre 2013, le tribunal de première instance a annulé les impositions litigieuses relatives aux exercices d'imposition 2009 et 2010 et dégrevé l'imposition relative à l'exercice d'imposition 2008, que, dans la mesure où il a annulé deux des trois cotisations litigieuses, ce tribunal a renvoyé la cause au rôle pour une durée de six mois, soit jusqu'au 10 avril 2014, sur la base de l'article 356 du Code des impôts sur les revenus 1992, et qu'appel dudit jugement a été interjeté le 3 janvier 2014.

Le tribunal de première instance s'est dès lors définitivement prononcé sur les contestations dont il a été saisi ; son jugement est partant de nature à pouvoir faire l'objet d'un appel dès sa prononciation, conformément à l'article 1050 du Code judiciaire.
Il s'ensuit que, par les motifs qu'il énonce, l'arrêt attaqué n'a pu, sans violer les dispositions légales visées au moyen, considérer comme prématuré et partant irrecevable l'appel relevé de cette décision du 10 octobre 2013, quand bien même celui-ci a été introduit avant de solliciter l'enrôlement d'une cotisation subsidiaire ou sans attendre l'expiration de la période de six mois fixée par l'article 356 du Code des impôts sur les revenus 1992.

III. La décision de la Cour

Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen par les défendeurs et déduite du défaut d'intérêt :

Après que la cour d'appel eut, par l'arrêt non attaqué du 6 septembre 2014, ordonné la réouverture des débats pour permettre aux parties de s'expliquer sur la recevabilité de l'appel du demandeur « en tant qu'il vise les exercices d'imposition 2009 et 2010 » au regard de la suspension du délai d'appel prévue à l'article 356, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus 1992, le demandeur a, dans ses conclusions de synthèse précédant l'arrêt attaqué, soutenu, à titre principal, que son appel ne concernait que l'exercice d'imposition 2008 et, à titre subsidiaire, que s'il devait être tenu pour concerner aussi les exercices d'imposition 2009 et 2010, il était, dans cette mesure, par application dudit article 356, alinéa 2, irrecevable comme prématuré et a demandé à la cour d'appel de « déclarer la requête d'appel irrecevable pour [ces] exercices d'imposition ».
Le demandeur est, dès lors, s'agissant des exercices d'imposition 2009 et 2010, sans intérêt à critiquer la disposition de l'arrêt attaqué, qui ne lui inflige pas grief, disant irrecevable l'appel qu'il tient pour concerner les trois exercices d'imposition.
Pour le surplus, le moyen, qui ne critique que les motifs sur lesquels l'arrêt attaqué fonde cette disposition, mais ne dénonce pas l'illégalité de la décision disant son appel également irrecevable pour le surplus, ne saurait entraîner la cassation de cette décision.
La fin de non-recevoir est fondée.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de quatre cent soixante-neuf euros trente-six centimes envers la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte, Sabine Geubel et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du vingt-trois mars deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont A. Jacquemin S. Geubel
M.-Cl. Ernotte M. Lemal Chr. Storck


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : F.17.0112.F
Date de la décision : 23/03/2018
Type d'affaire : Arrêt

Analyses

Moyen de cassation ; matière civile : intérêt


Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-03-23;f.17.0112.f ?

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