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22/03/2018 | BELGIQUE | N°C.16.0090.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 22 mars 2018, C.16.0090.N


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.16.0090.N
1. OTIS, s.a.,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,

contre

UNION EUROPÉENNE, représentée par :
a) LA COMMISSION EUROPÉENNE,
b) LE PARLEMENT EUROPÉEN,
c) LE CONSEIL DE L'UNION EUROPÉENNE,
Me Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 28 octobre 2015 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le président de section Alain Smetryns a fait rapport.
L'avocat gé

néral Ria Mortier a conclu.

II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt e...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.16.0090.N
1. OTIS, s.a.,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,

contre

UNION EUROPÉENNE, représentée par :
a) LA COMMISSION EUROPÉENNE,
b) LE PARLEMENT EUROPÉEN,
c) LE CONSEIL DE L'UNION EUROPÉENNE,
Me Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 28 octobre 2015 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le président de section Alain Smetryns a fait rapport.
L'avocat général Ria Mortier a conclu.

II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, les demanderesses présentent deux moyens.

III. La décision de la Cour

Sur le premier moyen :

Quant à la troisième branche :

8. Les juges d'appel ont considéré que :
- « s'agissant de l'effet d'entrave du programme de clémence de l'Union et de la garantie de confidentialité des éléments du dossier, la communication de la Commission sur l'immunité d'amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (2006 C 298/11) indique bien que le système est basé sur la protection des déclarations faites par les entreprises contre la divulgation (point IV), mais [la défenderesse] ne demande pas que l'accès à ces déclarations lui soit accordé »;
- « à supposer même que la demande de la défenderesse vise directement ou indirectement certains éléments de ces déclarations, il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne qu'aucun problème insurmontable ne se poserait »;
- « la Cour a en effet jugé que ‘les dispositions du droit de l'Union en matière d'ententes, et en particulier le règlement (CE) n° 1/2003, doivent être interprétées en ce sens qu'elles ne s'opposent pas à ce qu'une personne, lésée par une infraction au droit de la concurrence de l'Union et cherchant à obtenir des dommages et intérêts, obtienne l'accès aux documents relatifs à une procédure de clémence concernant l'auteur de cette infraction'»;
- « selon la Cour, il appartient aux juridictions des États membres de déterminer, sur la base de leur droit national et en mettant en balance les intérêts protégés par le droit de l'Union, les conditions dans lesquelles l'accès peut être autorisé ou refusé (CJUE, 14 juin 2011, C-360/09, Pfeiderer, dispositif et point 32) ».
9. Contrairement à ce que le moyen soutient, les juges d'appel n'ont pas considéré que seules les déclarations faites par les entreprises, à l'exclusion des autres documents relatifs à une procédure de clémence, sont couvertes par le secret professionnel garanti par les articles 339 TFUE, 28 du règlement (CE) n° 1/2003 et 4, §§ 2 et 3, du règlement (CE) n° 1049/2001 du 30 mai 2001 relatif à l'accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, procède d'une lecture erronée de l'arrêt et manque, dès lors, en fait.
10. Il ressort d'une jurisprudence constante de la Cour de justice que les dispositions du droit de l'Union en matière d'ententes, et en particulier le règlement (CE) n° 1/2003, ne s'opposent pas à ce qu'une personne, lésée par une infraction au droit de la concurrence de l'Union et cherchant à obtenir des dommages et intérêts, obtienne l'accès aux documents relatifs à une procédure de clémence concernant l'auteur de cette infraction. Il appartient aux juridictions des États membres, sur la base de leur droit national, de déterminer les conditions dans lesquelles un tel accès doit être autorisé ou refusé en mettant en balance les intérêts protégés par le droit de l'Union. Une telle mise en balance ne peut être opérée par les juridictions nationales qu'au cas par cas et en prenant en compte tous les éléments pertinents de l'affaire (CJUE, 14 juin 2011, C-360/09, Pfeiderer AG/Bundeskartellamt, points 30-32 ; 6 juin 2013, C-536/11,
Bundeswettbewerbsbehörde/Donau Chemie AG e.a., points 34 et 43 ; TUE, 7 juillet 2015, T-677/13, Axa Versicherung AG/Commission européenne, points 119 et 123).
Dans le cadre de cette appréciation, il appartient aux juridictions nationales d'évaluer, d'une part, l'intérêt du demandeur à obtenir l'accès à ces documents aux fins de préparer son recours en indemnisation, compte tenu en particulier des autres possibilités éventuellement à sa disposition. D'autre part, ces juridictions doivent prendre en considération les conséquences préjudiciables concrètes qu'un accès est susceptible d'avoir au regard d'intérêts publics ou d'intérêts légitimes d'autres personnes (CJUE, 6 juin 2013, C-536/11, Bundeswettbewerbsbehörde/Donau Chemie AG e.a., points 44-45).
La Cour de justice a considéré que, s'agissant de l'intérêt public tenant à l'efficacité d'un programme de clémence, compte tenu de l'importance des actions en dommages et intérêts engagées devant les juridictions nationales pour le maintien d'une concurrence effective dans l'Union, la simple invocation d'un risque de voir l'accès aux éléments de preuve, figurant dans le dossier d'une procédure en matière de concurrence et nécessaires pour fonder ces actions, affecter l'efficacité d'un programme de clémence, dans le cadre duquel des documents ont été communiqués à l'autorité de concurrence compétente, ne saurait suffire à justifier un refus d'accès à ces éléments (CJUE, 6 juin 2013, C-536/11, Bundeswettbewerbsbehörde/Donau Chemie AG e.a., point 46 ; TUE, 7 juillet 2015, T-677/13, Axa Versicherung AG/Commission européenne, point 120).
Ce refus doit être fondé sur de sérieux motifs tenant à la protection de l'intérêt invoqué et applicables à chaque document dont l'accès est refusé. Seule l'existence d'un risque de voir un document donné porter concrètement atteinte à l'intérêt public tenant à l'efficacité du programme de clémence est susceptible de justifier que ce document ne soit pas divulgué (CJUE, 6 juin 2013, C-536/11, Bundeswettbewerbsbehörde/Donau Chemie AG e.a., points 47-48 ; TUE, 7 juillet 2015, T-677/13, Axa Versicherung AG/Commission européenne, points 121-122).
11. Dans la mesure où il est fondé sur la prémisse que la seule confiance légitime des demanderesses dans le fait que les informations qu'elles ont communiquées dans le cadre d'un programme de clémence resteraient confidentielles et que la Commission ne les utiliserait qu'aux fins de l'application de l'article 101 TFUE suffirait à justifier un refus d'accès à ces éléments, qui sont nécessaires pour fonder une action en dommages et intérêts pour violation de l'article 101 TFUE, le moyen, en cette branche, manque en droit.
12. Les juges d'appel ont également considéré qu'« en résumé, il se déduit de la jurisprudence de la Cour de justice qu'il n'existe, en droit de l'Union, aucun motif de principe pour refuser que des documents relatifs à une procédure de clémence soient produits dans le cadre d'une action en dommages et intérêts portée devant le juge civil, mais que la juridiction nationale doit apprécier la demande d'accès à ces documents en mettant en balance l'ensemble des intérêts protégés » et que « garantir la réalisation de l'objectif du programme de clémence constitue un intérêt protégé par le droit de l'Union et nécessite donc de faire preuve de circonspection lors de la divulgation du contenu des déclarations faites par les entreprises dans le cadre du programme de clémence ».
13. Contrairement à ce que le moyen, en cette branche, soutient, les juges d'appel ont bien tenu compte de la mesure dans laquelle le fait d'ordonner la production de pièces obtenues par la Commission dans le cadre d'un programme de clémence porte atteinte à l'intérêt public.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, procède d'une lecture erronée de l'arrêt et manque, dès lors, en fait.
14. Les juges d'appel ont considéré que :
- l'appréciation de la mesure demandée doit tenir compte de la spécificité de la procédure suivie, qui est intrinsèque à l'objet de la demande, à savoir la réparation d'un préjudice qui aurait été subi du fait d'ententes mises en œuvre par les demanderesses sur le marché belge au cours de la période comprise entre le 9 mai 1996 et le 29 janvier 2004 ;
- cette spécificité est déterminante dans la mesure où il était impossible de réunir des preuves au moment où l'acte illicite allégué a été commis, dès lors que son existence n'était, par hypothèse, même pas connue, et où les éléments de preuve pertinents des faits illicites, qui sont nécessaires pour fonder une demande de dommages et intérêts, entrent inévitablement en possession des parties concernées de façon asymétrique ;
- l'administration de la preuve de tels actes requiert généralement une analyse factuelle et économique, qui est nettement plus complexe que ce qu'une partie demanderesse peut habituellement fournir par ses propres moyens et en s'appuyant sur ses propres connaissances ;
- la pertinence des documents dont la production est demandée doit s'apprécier à l'aune de l'utilité pour la solution du litige que l'on peut raisonnablement en attendre, compte tenu de la description du document et de la portée du litige ;
- il y a lieu de considérer qu'en demandant la production des documents visés, la défenderesse ne recherche pas à l'aveuglette des éléments de preuve incertains, mais qu'elle peut raisonnablement s'attendre à ce que ces documents contribuent effectivement à l'administration de la preuve ;
- en effet, la version de la décision qui figure au dossier indique, à la section 9.1.2 (paragraphes 177-203), que l'entente concernait également le « Service Equipment Business » (SEB) et expose la manière dont l'accord s'est concrétisé. Le paragraphe 184 précise en quoi consistaient les accords SEB et les paragraphes 193 et 194 exposent comment les demanderesses se sont également entendues sur les prix à proposer dans le cadre de marchés publics ou sur les niveaux de prix. En résumé, l'accord portait sur la falsification des offres soumises dans le cadre de marchés publics ;
- dans une section relative à l'impact réel des infractions, il est indiqué au paragraphe 660 que la Commission n'a pas déterminé les effets précis des infractions dès lors qu'il était impossible, en l'absence d'infraction, de constater les paramètres de la concurrence pertinents avec suffisamment de certitude ;
- la décision ajoute qu'il est clair que les infractions, qui ont au demeurant été qualifiées de très graves, ont eu un impact réel ;
- à cet égard, elle indique que même si l'impact réel est difficilement mesurable, le simple fait que les divers accords anticoncurrentiels ont été mis en œuvre par les demanderesses permet de penser qu'un impact s'est fait sentir sur le marché ;
- à première vue, il y a donc lieu de considérer que la décision non seulement confirme l'existence d'une pratique contraire aux règles de concurrence, mais considère en outre que le comportement a eu un impact réel sur le marché et ce, en Belgique également ;
- cet impact ne peut être compris que comme étant préjudiciable ;
- cet avis de la Commission européenne semble apporter au moins un commencement de preuve de ce que les opérateurs sur le marché ont effectivement subi un préjudice ;
- par ailleurs, le fait que la Commission n'ait pas tenté de démontrer l'ampleur du préjudice subi est sans incidence ;
- en effet, si le dommage ne peut être estimé avec précision faute de méthode satisfaisante, il peut, en vertu du droit belge de la responsabilité civile, être indemnisé sur la base d'une évaluation en équité ;
- il est au demeurant indiqué, au pargraphe 588 de la décision, qu'il est quasiment impossible de déterminer comment une entreprise ayant participé à une entente se serait comportée en l'absence d'un tel accord.
15. Contrairement à ce que le moyen, en cette branche, soutient, les juges d'appel ont bien constaté in concreto pourquoi la défenderesse, qui demande la production des documents, a besoin de ces documents spécifiques pour fonder sa demande de dommages et intérêts.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, procède d'une lecture erronée de l'arrêt et manque, dès lors, en fait.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;
Condamne les demanderesses aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Beatrijs Deconinck, président, le président de section Alain Smetryns, et les conseillers Geert Jocqué, Bart Wylleman et Koenraad Moens, et prononcé en audience publique du vingt-deux mars deux mille dix-huit par le président de section Beatrijs Deconinck, en présence de l'avocat général Ria Mortier, avec l'assistance du greffier Vanessa Van de Sijpe.

Traduction établie sous le contrôle du président de section Martine Regout et transcrite avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.16.0090.N
Date de la décision : 22/03/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-03-22;c.16.0090.n ?

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