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09/03/2018 | BELGIQUE | N°C.17.0224.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 09 mars 2018, C.17.0224.F


N° C.17.0224.F
1. R. F.,
2. T. A.,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, où il est fait élection de domicile,

contre

P. T.,
défendeur en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 30 novembre 2016 par la cour d'appel de Mons.
Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin conclu.

II. Le moyen

de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, les demandeu...

N° C.17.0224.F
1. R. F.,
2. T. A.,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, où il est fait élection de domicile,

contre

P. T.,
défendeur en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 30 novembre 2016 par la cour d'appel de Mons.
Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin conclu.

II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, les demandeurs présentent un moyen.

III. La décision de la Cour

Sur le moyen :

Quant à la première branche :

Après avoir relevé que « [les demandeurs], qui qualifiaient la convention du 11 juillet 2007 de promesse de vente dans leurs conclusions [...], ont précisé à l'audience des plaidoiries qu'ils s'accordaient à considérer qu'il s'agissait d'une vente [...] tandis que [le défendeur], qui évoquait dans ses conclusions une promesse de vente conditionnelle [...], a précisé à l'audience des plaidoiries qu'il s'agissait, pour lui, d'une vente accessoire à une transaction », l'arrêt du 17 décembre 2015 considère que cette convention « ne répond pas à la définition de la transaction au sens de l'article 2044 du Code civil » et qu' il « reste donc à examiner la convention du 11 juillet 2007 sous l'angle de la qualification de vente que les parties sont convenues de lui donner ».
Il énonce que « la vente peut être définie comme ‘le contrat par lequel une personne (le vendeur) transfère la propriété ou, à tout le moins, s'engage à transférer la propriété d'une chose à une autre personne (l'acheteur) en contrepartie d'un prix payable en argent' », qu'« en principe, la contrepartie de l'aliénation de la chose consiste nécessairement en une somme d'argent ou, à tout le moins, demeure déterminable en argent » et qu'en l'espèce, la contrepartie est « non seulement [le] prix d'un euro - que les parties qualifient elles-mêmes de ‘symbolique' - mais aussi l'engagement complémentaire [du défendeur] de ne pas se porter acquéreur de l'ensemble immobilier que [les demandeurs] convoitaient ».
Il considère que, si les parties « tirent argument » d'une telle contrepartie, « [le défendeur] pour contester le caractère lésionnaire du prix de vente, [les demandeurs] pour y voir une manœuvre frauduleuse », elles « ne se sont pas expliquées sur les conséquences du fait que la vente ait été conclue en contrepartie à la fois d'un prix dérisoire et d'un engagement particulier », en sorte qu'il ordonne la réouverture des débats.
Il suit de ces énonciations que, contrairement à ce que soutient le moyen, en cette branche, l'arrêt du 17 décembre 2015 ne décide pas que la convention du 11 juillet 2007 s'analyse en une vente mais, après avoir rappelé les éléments essentiels d'un tel contrat, dont un prix en argent, et identifié en l'espèce la contrepartie, il invite les parties à en déterminer les conséquences sur le plan de la qualification de la convention.
Le moyen, qui, en cette branche, procède d'une lecture inexacte de l'arrêt du 17 décembre 2015, manque en fait.

Quant à la deuxième branche :

Aux termes de l'article 1582, alinéa 1er, du Code civil, la vente est une convention par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose et l'autre à la payer.
En vertu de l'article 1583 de ce code, elle est parfaite entre les parties dès qu'on est convenu de la chose et du prix quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé.
La contrepartie du transfert de propriété de la chose est un prix en argent.
Après avoir relevé que « [les demandeurs] se sont engagés à vendre le bien litigieux [au défendeur] en contrepartie, non seulement du prix d'un euro [...], mais aussi de l'engagement complémentaire [du défendeur] de ne pas se porter acquéreur de l'ensemble immobilier que [les demandeurs] convoitaient », l'arrêt du 17 décembre 2015 énonce qu'« en principe, la contrepartie de l'aliénation de la chose consiste nécessairement en une somme d'argent ou, à tout le moins, demeure déterminable en argent ».
L'arrêt attaqué, qui considère ensuite, d'une part, que « les parties ont qualifié elles-mêmes le prix d'un euro de symbolique, ce qui implique l'absence de valeur de la contrepartie exprimée en argent », d'autre part, que « le prix de la contrepartie de ne pas se porter acquéreur d'un bien immobilier n'est pas en soi déterminable par les éléments objectifs de la convention et qu'aucune des parties ne valorise du reste cette contrepartie », justifie légalement sa décision que « les stipulations de la convention litigieuse permettent ainsi d'exclure la qualification [de vente] » et que « la convention litigieuse consiste donc en un contrat innommé ».
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.

Quant à la troisième branche :

Les considérations vainement critiquées par la deuxième branche du moyen suffisent à fonder la décision de l'arrêt attaqué que « l'article 1674 du Code civil ne trouve pas à s'appliquer » et que « la demande [du défendeur] est fondée ».
Dirigé contre des motifs surabondants, le moyen, qui, en cette branche, ne saurait entraîner la cassation, est dénué d'intérêt, partant, irrecevable.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de mille trois cent cinquante-sept euros nonante et un centimes envers les parties demanderesses.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte, Sabine Geubel et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du neuf mars deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont A. Jacquemin S. Geubel
M.-Cl. Ernotte M. Lemal Chr. Storck


Requête
POURVOI EN CASSATION

POUR : 1. R. F.,

2. T. A.,

Demandeurs en cassation, assistés et représentés par Me Hu¬guette Geinger, avocat à la Cour de Cassation soussignée, ayant son cabinet à 1000 Bruxelles, rue des Quatre-Bras, 6, chez qui il est fait élection de domicile,

CONTRE : P. T.,

Défendeur en cassation,

* * *

A Messieurs les Premier Président et Président, Mesdames et Mes¬sieurs les Conseillers, composant la Cour de Cassation,

Messieurs,
Mesdames,

Les demandeurs ont l'honneur de déférer à la censure de Votre Cour l'arrêt, rendu le 28 novembre 2016 par la vingt et unième chambre de la Cour d'appel de Mons (2014/RG/948 et 2015/RG/333).

FAITS ET RETROACTES

Le 11 juillet 2007 le demandeur, agissant en son nom et se portant fort pour la demanderesse, ainsi que le défendeur ont signé un document, aux termes duquel les premiers promettaient de céder au dernier pour un euro sym¬bolique une parcelle de terrain, faisant partie d'un ensemble, appartenant aux époux B.-M., situé à ..., chemin ..., qu'ils envisageaient d'acquérir.

Ladite parcelle jouxtait la propriété du défendeur.

Le document, rédigé en l'étude du notaire H., précisait :
« Le bien sous liséré vert sera cédé pour 1 EUR symbolique par Monsieur R. F., né à ... le ... et sa compagne Madame T. A., née le ..., pour laquelle il se porte fort et promet ratification à Monsieur P. T., né à ... le ..., qui accepte le dit bien en nature de jardin ; les frais de géomètre seront suppor¬tés par moitié par chacune des parties. Les frais d'acte seront à charge de Mon¬sieur T. Les parties clôtureront leur fonds à la limite commune de ma¬nière mitoyenne et commun (limite A-B). »

Le 22 novembre 2007, par devant notaire D. L., l'acte authentique de vente de l'immeuble fut passé entre les époux B.-M. et les demandeurs. Ceux-ci ont ensuite refusé de passer l'acte authen-tique de vente de la parcelle litigieuse au défendeur.

Le 19 mars 2009 le défendeur a fait procéder à la citation en justice des demandeurs afin de les faire condamner à comparaître devant le notaire K. pour passer l'acte authentique de vente.

Les demandeurs ont formé une demande reconventionnelle ten¬dant à faire constater que le prix de vente était lésionnaire au sens de l'article 1674 du Code civil et, en conséquence, à annuler la promesse de vente, subsi¬diairement ordonner la réalisation d'un complément d'expertise aux fins de pré¬ciser le prix du terrain litigieux au moment de la vente.

Par jugement du 10 octobre 2011 le Tribunal de première instance de Mons disait les demandes principale et reconventionnelle recevables, avant dire droit au fond, désignait un collège d'experts et ordonnait la réouverture des débats.

Les demandeurs ont interjeté appel de ces deux décisions par actes distincts.

Par un premier arrêt, rendu le 17 décembre 2015, la Cour d'appel de Mons a joint les causes connexes, a constaté que l'appel interjeté contre le jugement du Tribunal de première instance de Mons du 30 octobre 2013 était devenu sans objet, a reçu l'appel interjeté contre le jugement du 10 octobre 2011, l'a dit non fondé dans la mesure suivante, a confirmé le jugement dont appel en ce qu'il dit les vices de consentement affectant la convention avenue entre les parties le 11 juillet 2007 du chef de violence ou de dol non établis, a ordonné, avant dire droit sur le surplus, la réouverture des débats aux fins d'in¬viter les parties à s'expliquer sur les conséquences du fait que la vente ait été conclue en contrepartie à la fois d'un prix dérisoire et d'un engagement particu¬lier consistant pour le défendeur à ne pas se porter acquéreur du bien immobilier que convoitaient les demandeurs.

Le 16 juin 2016 est intervenu un second arrêt, faisant droit sur base de l'article 19, alinéa 2, du Code judiciaire, déclarant la demande des deman¬deurs d'ordonner au notaire D. L. de produire l'offre d'achat si¬gné par le défendeur non fondée.

Par l'arrêt du 28 novembre 2016 la Cour d'appel de Mons a con¬firmé pour autant que de besoin le jugement du 10 octobre 2011 en ce qu'il a dit que les vices de consentement affectant la convention avenue entre les par¬ties le 11 juillet 2007 du chef de violence ou de dol non établis, le réformant pour le surplus, a dit n'y avoir lieu à désignation d'un collège d'expert, condamné les demandeurs à comparaître devant le notaire B. aux fins de passer l'acte au¬thentique aux conditions de la convention avenue entre les parties au prix d'un euro relatif au transfert de leurs droits, et a réservé à statuer sur le surplus et sur les dépens.

Les demandeurs estiment pouvoir présenter le moyen développé ci-après contre cet arrêt.

MOYEN UNIQUE DE CASSATION

Dispositions légales violées

- articles 19, alinéa 1er, 779 et 1042 du Code judiciaire,
- articles 1102, 1104, 1106, 1168, 1181, 1183, 1582, 1583, 1591, 1674 et 1964 du Code civil

Décision attaquée

Par l'arrêt entrepris du 28 novembre 2016 la Cour d'appel de Mons a confirmé pour autant que de besoin le jugement, rendu par le Tribunal de Première Instance de Mons le 10 octobre 2011, en ce qu'il a dit que les vices de consentement affectant la convention avenue entre les parties le 11 juillet 2007 du chef de violence ou de dol non établis, le réformant pour le surplus, a dit n'y avoir lieu à désignation d'un collège d'expert, et a condamné les deman¬deurs à comparaître devant le notaire B. aux fins de passer l'acte authentique aux conditions de la convention avenue entre les parties au prix d'un euro relatif au transfert de leurs droits, a dit qu'en cas de carence attestée par le notaire l'arrêt tiendra lieu d'acte mutation selon les conditions de la convention avenue entre les parties et au prix convenu d'un euro, et a réservé à statuer sur le sur¬plus et sur les dépens, aux motifs que :

« La cause a été reprise ab initio à l'audience du 2 septembre 2016 compte tenu de l'impossibilité de reconstituer le siège ayant connu précédemment de la cause.

Le litige concerne la validité de la convention sous seing privé intervenue entre les parties le 11 juillet 2007 aux termes de laquelle (les demandeurs) promettent de céder (au défendeur) pour un euro symbolique une parcelle de terrain faisant partie d'un ensemble dont ils se sont portés acquéreurs le même jour situé à ..., chemin ...

(...)

La cour, après avoir rappelé que les (demandeurs) avaient précisé à l'audience des plaidoiries du 12 novembre 2015 que la convention du 11 juillet 2007 devait être considérée comme une vente tandis que (le défendeur) a précisé qu'il s'agissait d'une vente accessoire à une transaction, a décidé que ladite conven¬tion ne correspondait pas à la définition de la transaction.

Elle a alors examiné la convention du 11 juillet 2007 sous l'angle de la qualifi¬cation de vente que les parties sont convenues de lui donner.

La cour a dit notamment que « il n'est pas douteux que (les demandeurs) se sont engagés à vendre le bien litigieux en contrepartie, non seulement du prix de 1,00 euro - que les parties qualifient elles-mêmes de « symbolique »-, mais aussi de l'engagement complémentaire (du défendeur) de ne pas se porter ac-quéreur de l'ensemble immobilier qu'ils convoitaient ».

Elle a ordonné la réouverture des débats afin que les parties s'expliquent sur les conséquences du fait que la convention qualifiée de vente avait été conclue en contrepartie à la fois d'un prix dérisoire et d'un engagement particulier con¬sistant à ne pas se porter acquéreur du bien immobilier que convoitaient (les demandeurs).

(...)

Suite à la réouverture des débats, les parties sont contraires quant à la qualifi¬cation qu'il convient de donner à la convention litigieuse.

Les (demandeurs) considèrent que les conditions de validité de la vente sont respectées puisqu'il y a eu un accord sur la chose et le prix et soulignent qu'ils n'ont pas renoncé à leur faculté d'invoquer la rescision pour lésion de plus des 7/12.

Ils considèrent que la cour ne pourrait contester la qualification donnée par les parties et y substituer une autre sous peine d'entraîner comme conséquence leur renonciation à invoquer les suites que la loi attache à la définition de vente et plus particulièrement la faculté d'invoquer la lésion.

(...)

(Le défendeur) estime que la convention liant les parties ne pourrait être quali¬fiée de vente car le prix n'est pas déterminé ou déterminable en argent de sorte qu'il s'agit d'un contrat sui generis privant les (demandeurs) de la possibilité de solliciter la rescision pour lésion.

Le juge n'est pas lié par la qualification adoptée par les parties même en cas de commun accord (Cass., 2 octobre 1982, Pas., 1983, I, 256).

« Lorsque les éléments soumis à son appréciation ne permettent pas d'exclure la qualification donnée par les parties à la convention qu'elles ont conclue, le juge ne peut y substituer une qualification différente. » (Cass., 17 décembre 2007, J.L.M.B., 2008, p.1174). Mais tel n'est pas le cas en l'espèce.

En effet, la cour a déjà rappelé le prescrit des articles 1582 et 1583 du Code civil aux termes desquels la vente est définie comme « le contrat par lequel une personne (le vendeur) transfère la propriété ou, à tout le moins, s'engage à transférer la propriété d'une chose à une autre personne (l'acheteur) en contre¬partie d'un prix payable en argent » (Cruquenaire, A, Durant, I., Wéry, P., Del¬forge, C., Précis des contrats spéciaux. Vente-Bail-Mandat-Entreprise-Dépôt, Kluwer, Waterloo, 2015, p. 85).

Elle a dit qu'en principe la contrepartie de l'aliénation de la chose consiste né¬cessairement en une somme d'argent ou à tout le moins déterminable en ar¬gent.

Les parties ont qualifié eux-mêmes le prix d'un euro de symbolique ce qui im¬plique l'absence de valeur de la contrepartie exprimée en argent.

Par ailleurs, le prix de la contrepartie de ne pas se porter acquéreur d'un bien immobilier n'est pas en soi déterminable par les éléments objectifs de la con¬vention et aucune des parties ne valorise du reste cette contrepartie.

Les stipulations de la convention litigieuse permettent ainsi d'exclure la qualifi¬cation qui en est donnée par les (demandeurs) et de considérer que les parties ont entendu utiliser dans l'acte du 11 juillet 2007 le mot « vente » avec une si¬gnification autre que le sens usuel.

La convention litigieuse consiste donc en un contrat innommé de sorte qu'à dé¬faut de vente, l'article 1674 du Code civil ne trouve pas à s'appliquer et qu'il n'y a pas lieu de désigner un collège d'expert.

(...)

Surabondamment, à supposer qu'il y a eu vente comme le soutiennent les (de¬mandeurs), on se trouverait alors en présence d'un contrat mixte portant à la fois sur une vente et sur un contrat aléatoire dès lors que l'étendue ou l'exis¬tence d'au moins une prestation dépend d'un événement futur et incertain à savoir l'issue d'enchères éventuelles.

Or, les contrats aléatoires ne connaissent pas la lésion de même que les con¬trats mixtes (P. Harmel, Rép., Not., t.VII, La vente, n°s 599 et 602).

Il s'ensuit que la demande originaire est fondée. »,

et ce après avoir déjà décidé en l'arrêt du 17 décembre 2015 :

« En l'espèce, les parties n'étaient ni en litige ni sur le point de l'être, mais sim¬plement en concurrence pour l'acquisition d'un bien.

Reste donc à examiner la convention du 11 juillet 2007 sous l'angle de la quali¬fication de vente que les parties sont convenues de lui donner.

Sur la base des articles 1582 et 1583 du Code civil, la vente peut être définie comme « le contrat par lequel une personne (le vendeur) transfère la propriété ou, à tout le moins, s'engage à transférer la propriété d'une chose à une autre personne (l'acheteur) en contrepartie d'un prix payable en argent » (CRUQUE¬NAIRE, A, DURANT, I., WERY, P., DELFORGE, C., Précis des contrats spé¬ciaux. Vente - Bail - Mandat - Entreprise - Dépôt, Kluwer, Waterloo, 2015, p. 85).

Il s'agit d'un contrat à titre onéreux au sens de l'article 1106 du Code civil, qui assujettit chacune des parties à donner ou à faire quelque chose. En principe, la contrepartie de l'aliénation de la chose consiste nécessairement en une somme d'argent ou, à tout le moins, demeure déterminable en argent (DE PAGE, H, « Les principaux contrats (Première partie) », Traité élémentaire de droit civil belge, t. IV, vol. I, 4ème éd. par MEINERTZHAGEN-LIMPENS, A., Bruylant, Bruxelles, 1997, p. 86).

En l'espèce, il n'est pas douteux que (les demandeurs) se sont engagés à vendre le bien litigieux (au défendeur) en contrepartie, non seulement du prix de 1,00 euro - que les parties qualifient elles-mêmes de « symbolique » - , mais aussi de l'engagement complémentaire(du défendeur) de ne pas se porter ac¬quéreur de l'ensemble immobilier qu'ils convoitaient.

Tant (le défendeur) que (les demandeurs) le reconnaissent et en tirent argu¬ment : le premier pour contester le caractère lésionnaire du prix de vente, les seconds pour y voir une manœuvre frauduleuse de la part (du défendeur) dès lors qu'il n'aurait eu, selon eux, ni les facultés financières, ni de véritable inten¬tion d'acquérir la propriété qu'ils convoitaient.

Les parties ne se sont pas expliquées sur les conséquences du fait que la vente ait été conclue en contrepartie à la fois d'un prix dérisoire et d'un engagement particulier consistant à ne pas se porter acquéreur du bien immobilier que con¬voitaient (les demandeurs).

Il convient d'ordonner la réouverture des débats à cet effet ».

Sur ce la Cour d'appel de Mons ordonnait la réouverture des dé¬bats aux fins d'inviter les parties à s'expliquer sur les conséquences du fait que la vente ait été conclue en contrepartie à la fois d'un prix dérisoire et d'un enga¬gement particulier consistant pour le défendeur à ne pas se porter acquéreur du bien immobilier que convoitaient les demandeurs.

Griefs

Première branche

L'article 779 du Code judiciaire dispose que le jugement ne peut être rendu que par le nombre prescrit de juges et que ceux-ci doivent avoir as¬sisté à toutes les audiences, le tout à peine de nullité.

Il suit de cette disposition qu'après une décision ordonnant la réou¬verture des débats sur l'objet qu'elle détermine, de sorte que, sur ce point, les débats antérieurs se poursuivent, la décision sur le fond doit être rendue par les juges qui ont assisté aux audiences antérieures ou, à défaut, par des juges de¬vant lesquels les débats ont été entièrement repris.

Le siège autrement composé, devant lequel les débats sont repris ab initio, ne peut toutefois plus rejuger des questions litigieuses, sur lesquelles le siège initial, qui a ordonné la réouverture des débats, a déjà épuisé sa juri¬diction, ce sous peine de violation de l'article 19, alinéa 1er, du Code judiciaire.

En l'occurrence, il apparaît de l'arrêt du 17 décembre 2015 que la Cour d'appel de Mons y ordonnait, avant dire droit sur le surplus, la réouverture des débats aux fins d'inviter les parties à s'expliquer sur les conséquences du fait que la vente ait été conclue en contrepartie à la fois d'un prix dérisoire et d'un engagement particulier consistant pour le défendeur à ne pas se porter acquéreur du bien immobilier que convoitaient les demandeurs, ce après avoir constaté que les parties s'étaient accordées à l'audience des plaidoiries pour exclure tout débat notamment sur le terrain de la promesse de vente, « leur différend s'articulant autour de la notion de transaction et/ou de vente », et avoir décidé qu' « en l'espèce, il n'est pas douteux que (les demandeurs) se sont engagés à vendre le bien litigieux (au défendeur) en contrepartie, non seule¬ment du prix de 1,00 euro - que les parties qualifient elles-mêmes de « symbo¬lique » - , mais aussi de l'engagement complémentaire (du défendeur) ne pas se porter acquéreur de l'ensemble immobilier qu'ils convoitaient », que « tant (le défendeur) que (les demandeurs) le reconnaissent et en tirent argument : le premier pour contester le caractère lésionnaire du prix de vente, les seconds pour y voir une manœuvre frauduleuse de la part (du défendeur) ».

Il ressort de ces considérations que la cour d'appel avait déjà dé¬cidé de manière définitive que la convention, avenue entre les parties, s'analy¬sait en une vente.

Cette qualification ne pouvait dès lors plus être remise en question par le siège autrement composé.

Par contre, la cour d'appel ne s'y prononçait pas encore sur les conséquences du fait que la vente ait été conclue en contrepartie à la fois d'un prix dérisoire et d'un engagement particulier, consistant à ne pas se porter ac¬quéreur du bien immobilier que convoitaient les demandeurs, mais ordonnait quant à ce la réouverture des débats.

En effet, au vu de la définition de la vente comme « le contrat par lequel une personne (le vendeur) transfère la propriété ou, à tout le moins, s'en¬gage à transférer la propriété d'une chose à une autre personne (l'acheteur) en contrepartie d'un prix payable en argent », « la contrepartie de l'aliénation de la chose », à savoir le prix consistant « nécessairement en une somme d'argent ou, à tout le moins, demeur(ant) déterminable en argent », la question pouvait se poser, à savoir si la vente était valable, puisqu'un prix déterminable est une condition de la validité du contrat de vente.

Partant, en décidant en l'arrêt entrepris que le contrat avenu entre les parties n'était nullement une vente, mais un contrat innomé, auquel l'article 1674 du Code civil ne s'appliquait pas, revenant ainsi sur la qualification qu'elle avait retenu en son arrêt du 17 décembre 2015, la cour d'appel a fait droit sur une question sur laquelle elle avait déjà épuisé sa juridiction et n'a dès lors pas légalement motivé sa décision (violation des articles 19, alinéa 1er, 779 et 1042 du Code judiciaire).

Deuxième branche

Aux termes de l'article 1582 du Code civil la vente est une conven¬tion par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose, et l'autre à la payer. Elle peut être faite par acte authentique, ou sous seing privé.

La vente est dès lors un contrat synallagmatique ou bilatéral au sens de l'article 1102 du Code civil, les contractants s'obligeant réciproquement les uns envers les autres.

Aux termes de l'article 1583 du Code civil la vente est parfaite entre les parties et la propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé.

L'article 1591 du Code civil dispose que le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties.

La vente est dès lors un contrat à titre onéreux, assujettissant cha¬cune des parties à donner ou à faire quelque chose (article 1106 du Code civil).

Elle existe dès que les parties ont convenu, l'une qu'elle transférera la propriété d'un bien déterminé, l'autre qu'elle paiera le prix convenu.

Le cas échéant, la vente sera annulable, notamment lorsque le prix n'est pas déterminable, dès lors qu'une des conditions essentielles, dont dé¬pend la validité du contrat de vente, n'est pas présente, ou rescindable en ap¬plication de l'article 1674 du Code civil, lorsque le prix est dérisoire.

En l'occurrence, il ressort des constatations de l'arrêt entrepris que les demandeurs se sont engagés à vendre une parcelle de terrain au défendeur, lequel s'est engagé à payer un euro symbolique pour ledit bien et s'est engagé à ne pas surenchérir, ces deux engagements constituant dès lors le prix con¬venu en raison du transfert de la propriété de la parcelle litigieuse.

Il s'ensuit que les conditions des articles 1582 et 1583 du Code civil étaient remplies, à savoir un accord sur le transfert de la propriété d'un bien immeuble et sur un prix, pour que le contrat puisse être qualifié de vente.

Partant, la cour d'appel n'a pas pu décider légalement que le con¬trat, avenu entre les parties le 11 juillet 2007, n'était pas un contrat de vente, auquel s'appliquait l'article 1674 du Code civil (violation des articles 1102, 1106, 1582, 1583, 1591 et 1674 du Code civil).

Troisième branche

Aux termes de l'article 1104 du Code civil le contrat est commutatif lorsque chacune des parties s'engage à donner ou à faire une chose qui est regardée comme l'équivalent de ce qu'on lui donne, ou de ce qu'on fait pour elle. Lorsque l'équivalent consiste dans la chance de gain ou de perte pour cha¬cune des parties, d'après un événement incertain, le contrat est aléatoire.

L'article 1964 du Code civil dispose que le contrat aléatoire est une convention réciproque dont les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l'une ou plusieurs d'entre elles, dépendent d'un événement incertain.

En l'occurrence, la cour d'appel rappelle qu'il avait été décidé dans l'arrêt interlocutoire du 17 décembre 2015 que « il n'est pas douteux que (les demandeurs) se sont engagés à vendre le bien litigieux en contrepartie, non seulement du prix de 1,00 euro - que les parties qualifient elles-mêmes de « symbolique »-, mais aussi de l'engagement complémentaire (du défendeur) de ne pas se porter acquéreur de l'ensemble immobilier qu'ils convoitaient ».

Il s'ensuit que les parties connaissaient dès la conclusion du contrat l'importance de leurs prestations réciproques.

Le fait que l'obligation de s'exécuter dépendait d'un événement fu¬tur et incertain, à savoir l'issue d'enchères éventuelles, ne suffit pas à en faire un contrat aléatoire, que ce soit en partie.

En effet, l'obligation conditionnelle est celle qui dépend d'un événe¬ment futur et incertain, soit en la suspendant jusqu'à ce que l'événement arrive, soit en la résiliant, selon que l'événement arrivera ou n'arrivera pas, ainsi qu'il ressort de l'article 1168 du Code civil.

Aux termes de l'article 1181 du Code civil l'obligation contractée sous une condition suspensive est celle qui dépend ou d'un événement futur et incertain, ou d'un événement actuellement arrivé, mais encore inconnu des par¬ties. Dans le premier cas, l'obligation ne peut être exécutée qu'après l'événe¬ment. Dans le second cas, l'obligation a son effet du jour où elle a été contrac¬tée.

Aux termes de l'article 1183 du Code civil la condition résolutoire est celle qui, lorsqu'elle s'accomplit, opère la révocation de l'obligation, et qui remet les choses au même état que si l'obligation n'avait pas existé. Elle ne suspend point l'exécution de l'obligation; elle oblige seulement le créancier à restituer ce qu'il a reçu, dans le cas où l'évènement prévu par la condition arrive.

Dans l'une et l'autre hypothèse l'importance des prestations réci¬proques est connue. Seule la survenance de l'événement, rendant exécutoire ladite obligation ou entraînant sa révocation, est inconnu.

Cela ne suffit toutefois point à rendre la convention aléatoire.

En l'occurrence, les demandeurs soutenaient en leurs conclusions de synthèse d'appel après réouverture des débats à la page 9 que l'engagement du défendeur de ne pas se porter acquéreur de l'ensemble immobilier que les demandeurs convoitaient, était à analyser comme une condition suspensive de la réalisation de la vente. Autrement dit, si le défendeur surenchérissait ou se portait acquéreur, il n'avait aucune obligation à exécuter à son encontre. Il n'avait pas davantage à payer le prix convenu. S'il s'abstenait de surenchérir et de se porter acquéreur, ils devaient lui transférer la propriété de leur bien moyennant paiement du prix convenu.

Les prestations réciproques étaient dès lors fixées de manière dé¬finitive dès la signature du contrat, aucun aléa n'existant quant aux avantages et aux pertes pour les parties.

Partant, au vu des constatations de l'arrêt entrepris, la cour d'appel n'a pas pu décider légalement, à titre surabondant, « qu'à supposer qu'il y a eu vente comme le soutiennent les (demandeurs), on se trouverait alors en pré¬sence d'un contrat mixte portant à la fois sur une vente et sur un contrat aléa¬toire dès lors que l'étendue ou l'existence d'au moins une prestation dépend d'un événement futur et incertain à savoir l'issue d'enchères éventuelles », les obligations des parties étant connues des parties à la date de la conclusion du contrat du 11 juillet 2007, seule l'issue des enchères éventuelles et la (non-)participation du défendeur étant à l'époque une inconnue (violation des articles 1104, 1168, 1181, 1183 et 1964). La cour d'appel n'a dès lors pas pu décider légalement, en ordre subsidiaire, que le contrat s'analysait en un contrat aléa¬toire (violation des articles 1168, 1181 et 1964 du Code civil) et partant, n'a pas pu exclure légalement l'existence d'un contrat de vente (violation des articles 1582 et 1583 du Code civil), ni l'application de l'article 1674 du Code civil (vio¬lation de l'article 1674 du Code civil).

DEVELOPPEMENTS

1. S'il suit de l'article 779 du Code judiciaire qu'après une décision ordonnant la réouverture des débats sur l'objet qu'elle détermine, de sorte que, sur ce point, les débats antérieurs se poursuivent, la décision sur le fond doit être rendue par les juges qui ont assisté aux audiences antérieures ou, à défaut, par des juges devant lesquels les débats ont été entièrement repris, le siège autrement composé, devant lequel les débats sont repris ab initio, ne peut point rejuger des questions litigieuses, sur lesquelles le siège initial, qui a ordonné la réouverture des débats, a déjà épuisé sa juridiction, et ce sous peine de viola¬tion de l'article 19, alinéa 1er, du Code judiciaire (cf. Cass. 25 juin 2009, Pas. 2009, 1071, concl. Av. gén. Th. Werquin ; G. de Leval e.a., Droit judiciaire, tome 2, Manuel de procédure civile, Bruxelles, Larcier, 2015, 630).

Or, en l'occurrence, dans l'arrêt du 17 décembre 2015, ordonnant la réouverture des débats aux fins d'inviter les parties à s'expliquer sur les con¬séquences du fait que la vente ait été conclue en contrepartie à la fois d'un prix dérisoire et d'un engagement particulier consistant pour le défendeur à ne pas se porter acquéreur du bien immobilier que convoitaient les demandeurs, il fut déjà décidé que le contrat du 11 juillet 2007 était un contrat de vente, la cour d'appel excluant la qualification de promesse de vente, eu égard à l'accord des parties quant à ce, ou la transaction.

Partant, elle ne pouvait plus revenir sur cette qualification.

Par contre, la cour d'appel ne s'y prononçait pas encore sur les conséquences du fait que la vente ait été conclue en contrepartie à la fois d'un prix dérisoire et d'un engagement particulier, consistant à ne pas se porter ac¬quéreur du bien immobilier que convoitaient les demandeurs. En effet, la ques¬tion pouvait se poser, à savoir si la vente était valable, au vu d'un prix consistant pour partie en un prix symbolique et pour part en une obligation de faire.

2. Il ressort des constatations de l'arrêt entrepris que les deman¬deurs s'étaient engagés à vendre une parcelle de terrain au défendeur, lequel s'est engagé en contrepartie à payer un euro symbolique et à ne pas surenché¬rir, ces deux engagements constituant dès lors le prix convenu en raison du transfert de la propriété de la parcelle litigieuse.

Il s'ensuit que les conditions des articles 1582 et 1583 du Code civil étaient remplies, à savoir un accord sur le transfert de la propriété d'un bien immeuble et sur un prix, pour que le contrat puisse être qualifié de vente.

Partant, la cour d'appel n'a pas pu décider légalement que le con¬trat avenu entre les parties le 11 juillet 2007 n'était pas un contrat de vente.

3. Enfin, la décision est critiquable en ce qu'elle retient l'existence, pour partie, d'un contrat aléatoire.

En effet, un contrat aléatoire est une convention réciproque dont les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l'une ou plusieurs d'entre elles, dépendent d'un événement incertain. Un tel contrat s'oppose au contrat commutatif. Il n'y a pas de contrat aléatoire lors¬que les parties connaissent dès la conclusion du contrat l'importance de leurs prestations réciproques (P. Van Ommeslaghe, Les obligations, vol. 1, Introduc¬tion. Sources des obligations (première partie), in De Page Traité de droit civil belge, II, Bruxelles, Bruylant, 2013, 143, n° 65).

Or, en l'occurrence, les parties connaissaient lors de la signature de la convention du 11 juillet 2007 l'importance de leurs obligations. Ce qui était inconnu était l'issue des enchères éventuelles et la (non-)participation du défen¬deur étant à l'époque une inconnue, dont dépendait l'exécution de l'obligation des demandeurs. Ceux-ci suggéraient d'ailleurs en leurs conclusions de syn¬thèse d'appel après réouverture des débats à la page 9 qu'il s'agissait d'une condition suspensive.

L'arrêt entrepris n'est dès lors pas légalement motivé en ce qu'il retient à titre surabondant l'existence d'un contrat aléatoire.

PAR CES CONSIDERATIONS

Conclut pour les demandeurs l'avocat à la Cour de Cassation sous¬signée, qu'il Vous plaise, Messieurs, Mesdames, casser l'arrêt entrepris, ren¬voyer la cause et les parties à une autre cour d'appel ; dépens comme de droit.

Bruxelles, le 31 mars 2017.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C.17.0224.F
Date de la décision : 09/03/2018

Analyses

VENTE


Parties
Demandeurs : 1. R. F., 2. T. A.,
Défendeurs : P. T.

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-03-09;c.17.0224.f ?

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