Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° P.17.1074.N
J. V.,
prévenu,
demandeur en cassation,
Me Nicolaas Vinckier, avocat au barreau de Courtrai.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 4 octobre 2017 par la cour d'appel de Gand, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le 12 février 2018, l'avocat général Luc Decreus a déposé des conclusions au greffe de la Cour.
À l'audience du 27 février 2018, le conseiller Filip Van Volsem a fait rapport et l'avocat général précité a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le moyen :
1. Le moyen invoque la violation des articles 6, §§ 1er et 3, c, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 2 du Premier protocole additionnel n° 11 à ladite Convention, 187, § 6, 1°, et 208 du Code d'instruction criminelle : l'arrêt déclare, à tort, non avenue l'opposition formée par le demandeur ; il rejette, à tort, l'allégation du demandeur selon laquelle il s'est peut-être montré négligent en ne contactant pas son conseil ou le greffe, mais a néanmoins toujours eu l'intention de participer contradictoirement au procès, il s'est légitimement fié au fait que son conseil l'informerait de l'audience à laquelle la cause serait examinée et n'a pas tenu compte du fait que ce dernier puisse oublier la cause, de sorte qu'il a manifestement joué de malchance alors qu'il était de bonne foi ; la force majeure et l'excuse légitime ne sont pas des notions identiques ; une négligence personnelle n'exclut pas nécessairement une excuse légitime ; il est question d'excuse légitime dans tous les cas où un prévenu était défaillant à l'audience tenue par défaut alors qu'il n'a pas été démontré qu'il a voulu renoncer à son droit à comparaître ou qu'il a voulu se soustraire à la justice ; l'arrêt ne répond pas à l'allégation du demandeur sur ce point ; l'arrêt se borne à constater l'inexistence d'une force majeure et il en conclut directement et sans autre considération à l'absence d'une excuse légitime ; l'arrêt peut certes décider qu'il n'y a pas de force majeure, mais pas qu'il n'y a pas d'excuse légitime s'il n'exclut pas que le demandeur avait l'intention de participer aux débats et que son absence pouvait être due à la malchance alors qu'il était de bonne foi.
2. Il résulte de l'article 6 de la Convention, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, qu'une partie condamnée par défaut doit avoir la possibilité que sa cause soit jugée à nouveau et cette fois en sa présence, à moins qu'il soit établi qu'elle a renoncé à son droit à comparaître et à se défendre ou qu'elle a eu l'intention de se soustraire à la justice.
3. L'article 187, § 6, 1°, du Code d'instruction criminelle dispose que l'opposition sera déclarée non avenue si l'opposant, lorsqu'il comparaît en personne ou par avocat et qu'il est établi qu'il a eu connaissance de la citation, ne fait pas état d'un cas de force majeure ou d'une excuse légitime justifiant son défaut lors de la décision attaquée, la reconnaissance de la force majeure ou de l'excuse invoquées restant soumise à l'appréciation souveraine du juge.
4. Il ressort des travaux préparatoires de cette disposition que le législateur a voulu prévenir les abus de la procédure en opposition en limitant la possibilité de former opposition contre une décision rendue par défaut, sans déroger au droit des parties à être entendues qui constitue un élément du droit à un procès équitable, et aux conditions posées en l'espèce par la Cour européenne des droits de l'homme.
5. Il résulte de ces mêmes travaux préparatoires et de l'interprétation faite de l'article 6 de la Convention par la Cour européenne des droits de l'homme, telle que précitée, que la notion d' « excuse légitime » figurant à l'article 187, § 6, 1°, du Code d'instruction criminelle implique les cas qui ne représentent pas une force majeure et dans lesquels la partie ayant formé opposition a eu connaissance de la citation, mais a invoqué un motif révélant que son absence n'était pas dictée par la volonté de renoncer à son droit à comparaître et à se défendre, ni de se soustraire à la justice. Ce renoncement ou cette volonté de se soustraire peut se déduire non seulement d'une décision explicite de la partie ayant formé opposition mais également du fait que cette partie n'a pas comparu, sans justification raisonnable, à l'audience à laquelle elle avait été dûment convoquée, tout en mesurant les conséquences de la décision de faire défaut.
6. La seule circonstance que le défaut de la partie ayant formé opposition soit imputable à sa propre négligence n'exclut pas l'existence d'une excuse légitime au sens de l'article 187, § 6, 1°, du Code d'instruction criminelle.
7. La partie ayant formé opposition n'est pas tenue de démontrer le motif d'excuse légitime avancé mais bien de le rendre admissible et il appartient au juge d'apprécier souverainement si le motif avancé correspond à la notion d' « excuse légitime », telle que décrite précédemment. La Cour vérifie uniquement si le juge ne tire pas de ses constatations des conséquences qu'elles ne peuvent justifier.
8. L'arrêt qui rejette le motif d'excuse légitime avancé par le demandeur en constatant uniquement que celui-ci s'est montré négligent, ne justifie pas légalement cette décision et le fait que l'opposition a été déclarée non avenue.
Dans cette mesure, le moyen est fondé.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l'arrêt attaqué, en tant qu'il concerne la décision rendue sur l'action publique ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;
Réserve la décision sur les frais afin qu'il soit statué sur ceux-ci par la juridiction de renvoi ;
Renvoie la cause à la cour d'appel de Bruxelles.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Paul Maffei, président, Filip Van Volsem, Alain Bloch, Antoine Lievens et Erwin Francis, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-sept février deux mille dix-huit par le président Paul Maffei, en présence de l'avocat général Luc Decreus, avec l'assistance du greffier délégué Véronique Kosynsky.
Traduction établie sous le contrôle du président de section Benoît Dejemeppe et transcrite avec l'assistance du greffier Fabienne Gobert.