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23/02/2018 | BELGIQUE | N°F.16.0102.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 23 février 2018, F.16.0102.F


N° F.16.0102.F
COMMUNE DE SCHAERBEEK, représentée par son collège des bourgmestre et échevins, dont les bureaux sont établis à Schaerbeek, place Colignon,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,
contre

RADIO-TÉLÉVISION BELGE DE LA COMMUNAUTÉ FRANÇAISE, dont les bureaux sont établis à Schaerbeek, boulevard Auguste Reyers, 52,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Michèle Grégo

ire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, ...

N° F.16.0102.F
COMMUNE DE SCHAERBEEK, représentée par son collège des bourgmestre et échevins, dont les bureaux sont établis à Schaerbeek, place Colignon,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,
contre

RADIO-TÉLÉVISION BELGE DE LA COMMUNAUTÉ FRANÇAISE, dont les bureaux sont établis à Schaerbeek, boulevard Auguste Reyers, 52,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile, et ayant pour conseil Maître Olivier Bertin, avocat au barreau de Bruxelles, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 81.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 7 avril 2016 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le 22 novembre 2017, le premier avocat général André Henkes a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Didier Batselé a fait rapport et le premier avocat général André Henkes a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- article 30 de la loi du 18 mai 1960 organique des instituts de la radiodiffusion-télévision belge ;
- article 282, spécialement § 1er, 2°, du Code bruxellois de l'aménagement du territoire du 9 avril 2004 ;
- articles 1er et 2 des règlements-taxe des 20 octobre 2004 et 25 novembre 2009 ;
- articles 10, 11, 159, 170, § 4, et 172 de la Constitution ;
- principe général du droit interdisant au juge d'appliquer une norme contraire à une disposition supérieure ;
- principe général du droit dit principe de légalité, consacré notamment par l'article 159 de la Constitution.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt réforme le jugement entrepris en déclarant l'appel de la défenderesse fondé.
En conséquence, il « annule les cotisations à la taxe communale sur les terrains non bâtis situés en bordure d'une voie publique suffisamment équipée, articles 000021 et 000024 (exercice d'imposition 2009), 00006 et 000012 (exercice d'imposition 2010), 000006 et 000013 (exercice d'imposition 2011), et en ordonne le dégrèvement », condamnant également la demanderesse « à restituer à [la défenderesse] toute somme perçue du chef des cotisations ainsi annulées, majorée des intérêts moratoires ».
L'arrêt fonde sa décision sur les considérations qu'il énonce aux pages 4 à 9, tenues ici pour intégralement reproduites, et notamment sur les considérations suivantes :
« [La défenderesse] se prévaut de l'article 30 de la loi du 18 mai 1960 organique des instituts de la radiodiffusion-télévision belge, qui dispose que ‘les instituts (RTBF et BRTN) sont assimilés à l'État en ce qui concerne l'application des lois et règlements relatifs aux impôts directs de l'État et aux taxes ou impôts des provinces et des communes' et ‘sont exonérés des taxes sur les installations radiophoniques et réceptrices' ;
En conséquence, en application de l'article 30 susdit, quand l'État doit l'impôt, [la défenderesse] le doit également ;
L'exemption des biens du domaine public constitue un ‘principe juridique' : ‘que ce principe juridique domine toute la matière des impôts ; qu'il est donc commun à tous et applicable sans distinction, aux impôts levés par la commune aussi bien qu'aux impôts levés par la province ou par l'État' (Cass., 1er juillet 1890, Pas., 1890, I, 252) ;
Ce principe juridique ‘se fonde sur ce que l'impôt, destiné à subvenir aux besoins des services publics ne doit pas atteindre les biens de l'État qui, par leur affectation, contribuent eux-mêmes aux services publics' (Cass., 11 avril 1894, Pas., 1894, I, 167) ;
[La demanderesse] oppose le principe constitutionnel de la légalité de l'impôt en faisant valoir que si l'on peut admettre qu'un principe général du droit ait valeur de loi, un tel principe général du droit ne saurait être considéré comme une ‘loi' au sens de l'article 172 de la Constitution, la loi visée par cet article s'entendant dans un sens formel mais aussi dans un sens matériel ;
[La demanderesse] veut bien admettre que le principe selon lequel les biens du domaine public de l'État, des communes et des provinces étaient exonérés d'impôts, de même que les biens de leur domaine privé affectés à un service d'utilité publique tant que dure cette affectation, apparaissait bien, au vu de la jurisprudence de la Cour de cassation, constitué à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, comme un principe général du droit, en citant elle-même deux autres arrêts (Cass., 16 janvier 1905, Pas., 1905, I, 84, et 9 décembre 1946, Pas., 1946, I, 466) ;
Ce principe général du droit n'a, selon [la demanderesse], toutefois plus cours compte tenu de l'évolution de la législation fiscale. [La demanderesse] estime que l'État doit en principe l'impôt, sauf si la loi l'en exonère ;
L'arrêt de la Cour de cassation du 12 octobre 1954 en cause de la Société nationale des chemins de fer, assimilée à l'État pour l'application des lois sur les impôts par la loi du 23 juillet 1926, auquel [la demanderesse] se réfère, énonce que ‘l'article 4 des lois coordonnées relatives aux impôts sur les revenus, après avoir formulé la règle générale que la contribution foncière est assise sur le revenu cadastral de « toutes » les propriétés foncières, dispose, en son paragraphe 2, qu'en sont « seules » exceptées celles qui, ayant le caractère de domaines nationaux, sont à la fois improductives par elles-mêmes et affectées à un service public ou d'utilité générale ; que les propriétés foncières de l'État qui ne réunissent pas ces deux conditions - et donc celles qui ne sont pas improductives par elles-mêmes - sont comme toutes les autres soumises à la contribution foncière ; que le système de la loi révèle que la cotisation de l'État lui-même à la contribution foncière pour une parcelle non improductive de son domaine, loin d'être une opération incompatible avec la notion de l'impôt, est conforme à celle qu'en trace la loi' (Cass., 12 octobre 1954, Pas., 1954,1, 106) ;
L'arrêt du 12 octobre 1954 ne fait en fait que confirmer ce qui a déjà été décidé dans l'arrêt précité du 11 avril 1894 : ‘que le domaine privé de l'État, s'il est affecté à un service d'utilité publique, participe sous ce rapport, tant que dure cette affectation, de la nature du domaine public ; que, dans ce cas, pas plus que le domaine public, il n'est imposable' (Cass., 11 avril 1894, Pas., 1894,1, 167) ;
Par ailleurs, la Cour constitutionnelle a considéré dans son arrêt n° 113/2005 du 30 juin 2005, à propos de la loi du 6 juillet 1971 portant création de la Régie des postes, en vertu de laquelle celle-ci est assimilée à l'État pour l'application des lois relatives aux taxes, droits, redevances et impôts au profit de l'État, des provinces et des communes, que ‘l'exonération des impositions se justifiait par les missions de service public imposées à l'entreprise (Doc. parl., Chambre, 1989-1990, n° 1287, pp. 104 et 197) ; qu'il a ainsi fait usage du pouvoir que lui donne l'article 170, § 2, alinéa 2, de la Constitution pour éviter que le statut favorable qu'il avait accordé à la Régie ne soit compromis par des impôts dus à d'autres pouvoirs taxateurs ; qu'il a pu considérer, en 1991, que, comme en 1971, la nécessité de maintenir cette exemption était démontrée, dès lors que la poste constitue un service public dont les biens sont affectés à un service rendu à la population et que son statut distinct justifie qu'elle soit soumise à des règles particulières' (point B.8.3) et qu'il ‘y a par ailleurs lieu de relever que la poste bénéficiait de l'exonération en cause lorsque la taxe était perçue par les provinces et les communes ; que la circonstance qu'elle est aujourd'hui perçue par la Région wallonne n'altère pas la nécessité à laquelle cette exonération répond' (point B.8.A) ;

L'article 170, § 2, de la Constitution dispose qu'‘aucun impôt au profit de la communauté ou de la région ne peut être établi que par un décret ou une règle visée à l'article 134' et que ‘la loi détermine, relativement aux impositions visées à l'alinéa 1er, les exceptions dont la nécessité est démontrée' ;
Si la Cour constitutionnelle a estimé que l'assimilation par la loi de la Régie des postes à l'État vis-à-vis notamment des taxes communales revenait à l'exonérer desdites taxes, c'est donc qu'elle était d'avis que l'État est exonéré de taxes communales ;
Le caractère de principe juridique a encore été confirmé par le décret flamand du 27 mars 2009 relatif à la politique foncière, dont l'article 3.2.12 dispose : ‘Outre les exemptions accordées par ou en vertu de la présente section, la non-imposabilité généralisée de l'État, des communautés, des régions et des communes s'applique pour ce qui concerne les biens du domaine public et les biens du domaine privé qui sont affectés à un service d'utilité publique'. Cet article a été inséré dans le chapitre relatif à la redevance d'activation que les communes peuvent lever sur des terrains non bâtis ;
Les parcelles en cause répondent bien aux conditions de domanialité, d'improductivité et d'affectation au service public [...] ;
Sur la base des constatations et considérations qui précèdent, l'appel est déclaré fondé ».

Griefs

1. Par ses délibérations des 20 octobre 2004 et 25 novembre 2009, le conseil communal de la commune de Schaerbeek, usant des pouvoirs que lui confèrent les articles 170, § 4, de la Constitution et 282, § 1er, spécialement 2°, du Code bruxellois de l'aménagement du territoire, a approuvé deux règlements-taxe établissant, respectivement pour les exercices 2005 à 2009 et 2010 à 2014, une taxe annuelle sur les terrains non bâtis situés en bordure d'une voie publique suffisamment équipée (article 1er de ces règlements-taxe).
Cette taxe est calculée sur la base du nombre de mètres courants de longueur du terrain à front de voirie conformément aux taux fixés par les articles 2 de ces règlements-taxe.
2. Aux termes de l'article 172 de la Constitution :
« Il ne peut être établi de privilège en matière d'impôt.
Nulle exemption ou modération d'impôt ne peut être établie que par une loi ».
Ce texte, qui consacre le principe de l'égalité devant l'impôt et constitue une application des articles 10 et 11 de la Constitution, s'applique à l'État pour l'ensemble de ses activités et de ses biens, ceux-ci relevassent-ils du domaine public ou fussent-ils affectés au service public.
Ceux-ci ne peuvent ainsi être exemptés de l'impôt que dans la mesure où un texte légal particulier le prévoit, aucun principe général du droit ne pouvant déroger à cette règle constitutionnelle (principe général du droit dit principe de légalité et article 172, alinéa 2, de la Constitution).
3. Si, en vertu de l'article 30 de la loi du 18 mai 1960 organique des instituts de la radiodiffusion-télévision belge, la défenderesse est assimilée à l'État en ce qui concerne l'application des lois et règlements relatifs aux impôts directs de l'État et aux taxes et impôts des provinces et des communes, elle ne saurait être exemptée de la taxe due en vertu des règlements-taxe de la commune de Schaerbeek des 20 octobre 2004 et 25 novembre 2009 que dans les mêmes conditions que l'État, donc en vertu d'un texte légal particulier (article 172, spécialement alinéa 2, de la Constitution).
4. Il s'ensuit qu'en considérant que la défenderesse était exemptée des impôts litigieux en vertu d'un principe général selon lequel les biens du domaine public de l'État ou les biens de celui-ci affectés au service public et non productifs de revenus seraient exonérés de l'impôt alors qu'aucun texte légal ne prévoit cette exemption, l'arrêt
1° viole l'article 172 de la Constitution ;
2° viole l'article 30 de la loi du 18 mai 1960 organique des instituts de la radiodiffusion-télévision belge en lui conférant une portée qu'il ne peut avoir en vertu de l'article 172 de la Constitution ;
3° viole les articles 1er et 2 des règlements-taxe des 20 octobre 2004 et 25 novembre 2009, en refusant de les appliquer à la défenderesse, ainsi que l'article 159 de la Constitution et le principe général du droit interdisant au juge d'appliquer une décision, notamment une norme, contraire à une norme supérieure, en refusant d'appliquer ces dispositions réglementaires alors qu'elles étaient légalement applicables, et
4° dès lors, ne justifie pas légalement sa décision (violation de toutes les dispositions légales visées au moyen).

III. La décision de la Cour

Les biens du domaine public de l'État et ceux de son domaine privé qui sont affectés à un service public ou d'intérêt général ne sont, de leur nature, pas susceptibles d'être soumis à l'impôt.
Il s'ensuit que, d'une part, ces biens ne sont soumis à l'impôt que si une disposition légale le prévoit expressément, d'autre part, la disposition de l'article 172, alinéa 2, de la Constitution, aux termes de laquelle nulle exemption ou modération d'impôt ne peut être établie que par une loi, ne leur est pas applicable.
Le moyen, qui repose sur le soutènement contraire, manque en droit.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de quatre cents euros cinquante-sept centimes envers la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Didier Batselé, Mireille Delange, Michel Lemal et Sabine Geubel, et prononcé en audience publique du vingt-trois février deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence du premier avocat général André Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont S. Geubel M. Lemal
M. Delange D. Batselé Chr. Storck


Synthèse
Numéro d'arrêt : F.16.0102.F
Date de la décision : 23/02/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-02-23;f.16.0102.f ?

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