La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/02/2018 | BELGIQUE | N°C.17.0238.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 16 février 2018, C.17.0238.F


N° C.17.0328.F
GENERALI BELGIUM, société anonyme, dont le siège social est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,

contre

C. M.,
défenderesse en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 25 février 2016 par la cour d'appel de Mons.
Le conseiller Michel Lemal a

fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.

II. Le moyen de cassation
Dans la r...

N° C.17.0328.F
GENERALI BELGIUM, société anonyme, dont le siège social est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,

contre

C. M.,
défenderesse en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 25 février 2016 par la cour d'appel de Mons.
Le conseiller Michel Lemal a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.

II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente un moyen.

III. La décision de la Cour

Sur le moyen :

L'arrêt constate que :
- « le 21 janvier 2009, [la demanderesse] a cité [la défenderesse] devant le premier juge et [a] demandé sa condamnation à lui payer la somme de 13.309,70 euros, qu'elle dit lui avoir payés indûment », à la suite de l'incendie survenu le 28 décembre 2004, « au titre de frais de déblai et de démolition, dès lors que ces frais n'auraient pas été exposés » ;

- « par conclusions déposées le 4 décembre 2009, [la demanderesse] a en outre demandé au tribunal de dire pour droit que [la défenderesse] ne peut revendiquer que la moitié de l'indemnité due pour les postes ‘bâtiments et accessoires' parce que, au jour du sinistre, elle n'était propriétaire du bâtiment qu'à concurrence de 50 p.c., et lui donner acte qu'elle se réserve le droit de réclamer le remboursement à [la défenderesse] du trop-perçu à ce titre » ;
- « par jugement prononcé le 7 juin 2010, le premier juge a dit la demande recevable et, avant de statuer sur son fondement, ordonné la comparution personnelle de [la défenderesse] et des enquêtes » ;
- « la demande [nouvelle] formée en degré d'appel [tend] à la condamnation de [la défenderesse] à payer à [la demanderesse] la somme de 81.138,39 euros versée indûment pour le bâtiment et les accessoires ».

Quant à la première branche :

Il suit de ces énonciations que la demande nouvelle que l'arrêt déclare « irrecevable car prescrite » ne s'identifie pas à la demande introduite par les conclusions déposées devant le premier juge le 4 décembre 2009 et déclarée recevable par le jugement du 7 juin 2010.
Partant, en déclarant la demande nouvelle formée en degré d'appel « irrecevable car prescrite », l'arrêt ne statue pas à nouveau sur une question litigieuse sur laquelle le premier juge avait épuisé sa juridiction.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.

Quant à la deuxième branche :

Au sens de l'article 2244 du Code civil, une citation en justice a pour effet d'interrompre la prescription pour la demande qu'elle introduit et pour les demandes qui y sont virtuellement comprises.
Pour apprécier si une demande est virtuellement comprise dans la demande initiale, il convient d'avoir égard à leur objet.
Il ressort des énonciations ci-dessus reproduites que, d'une part, la demande introduite par la citation du 21 janvier 2009 avait pour objet la condamnation de la défenderesse à rembourser la somme de 13.309,70 euros payée au titre de frais de déblai et de démolition au motif que ces frais n'auraient pas été exposés, d'autre part, la demande nouvelle introduite en degré d'appel avait pour objet la condamnation de la défenderesse à rembourser la somme de 81.138,39 euros versée pour le bâtiment et les accessoires au motif qu'au jour du sinistre, la défenderesse n'était propriétaire du bâtiment que jusqu'à concurrence de 50 p.c.
L'arrêt, qui considère que « la demande nouvelle n'a pas le même objet que la demande initiale, qu'elle ne porte pas sur les mêmes paiements et n'est pas fondée sur les mêmes faits », décide légalement qu'« elle n'était pas virtuellement comprise dans la citation introductive, de sorte que celle-ci n'a pas d'effet interruptif à l'égard de cette demande », partant, que cette demande est prescrite.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.

Quant à la troisième branche :

Si, s'agissant de l'exception d'irrecevabilité déduite de l'article 807 du Code judiciaire opposée par la défenderesse à la demande nouvelle formée en degré d'appel par la demanderesse, l'arrêt considère que la citation du 21 janvier 2009 « vise le contrat d'assurance liant les parties, l'incendie survenu le 28 décembre 2004 et l'estimation contradictoire des dommages intervenue le 14 février 2005 » et que ladite demande nouvelle « est notamment fondée sur ces faits », il suit de la réponse à la deuxième branche du moyen qu'en considérant que la demande nouvelle n'était pas virtuellement comprise dans la citation introductive car elle « n'est pas fondée sur les mêmes faits », l'arrêt a égard à la circonstance que la seconde était fondée sur le fait invoqué par la demanderesse que les frais de déblai et de démolition n'auraient pas été exposés tandis que la première était fondée sur le fait invoqué par la demanderesse qu'au jour du sinistre, la défenderesse n'était propriétaire du bâtiment que jusqu'à concurrence de 50 p.c.
L'arrêt n'est dès lors pas entaché de la contradiction dénoncée par le moyen, en cette branche.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de mille deux cent dix euros vingt centimes envers la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, le conseiller Didier Batselé, le président de section Martine Regout, les conseillers Michel Lemal et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du seize février deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont A. Jacquemin M. Lemal
M. Regout D. Batselé Chr. Storck


Requête
REQUÊTE EN CASSATION

POUR : La société anonyme GENERALI BELGIUM, dont le siège social est établi à 1050 Bruxelles, avenue Louise, 149 et inscrite à la Banque Carrefour des Entreprises sous le n° 0403.262.553.
Demanderesse en cassation
Assistée et représentée par Me Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation soussignée, dont le cabinet est établi boulevard de l'Empereur, 3 à 1000 Bruxelles, chez qui il est élu domicile.

CONTRE :

C. M.,
Défenderesse en cassation

*

A Messieurs les Premier Président et Président, à Mesdames et Messieurs les Conseillers composant la Cour de cassation.
Messieurs, Mesdames,
La demanderesse a l'honneur de soumettre à votre censure l'arrêt contradictoirement rendu entre les parties, le 25 février 2016, par la cour d'appel de Mons (16e chambre - RG n° 2015/RG/182).
En tant qu'ils intéressent le présent pourvoi, les faits et antécédents de la cause, tels qu'ils ressortent des constatations de l'arrêt entrepris et des pièces de la procédure, peuvent être résumés comme suit.

1. La demanderesse était l'assureur incendie d'un immeuble sis à ... sur la base d'un contrat conclu avec la défenderesse.

2. Cet immeuble a été partiellement détruit à la suite d'un incendie survenu le 28 décembre 2004.
3. Un procès-verbal d'expertise contradictoire a été dressé le 14 février 2005 afin d'évaluer les dommages.
La demanderesse a effectué, sur cette base, le paiement de diverses indemnités « bâtiment et accessoires » pour un montant total de 162.276,71 euro . Elle a, en outre, versé à la défenderesse, le 7 avril 2005, la somme de 15.125 euro correspondant au remboursement d'une facture pour des travaux de déblais et de démolition.
4. Après avoir constaté que les travaux de déblais et de démolition n'avaient été que très partiellement effectués, la demanderesse a postulé le remboursement de la somme de 13.309,70 euro . Par courrier du 14 septembre 2006, la défenderesse a refusé de faire droit à cette demande.
5. L'immeuble litigieux a été vendu à un tiers par un compromis de vente signé le 21 novembre 2008.
6. Par citation du 21 janvier 2009, la demanderesse a sollicité du tribunal de première instance de Charleroi qu'il condamne la défenderesse au remboursement de la somme de 13.309,70 euro , augmentée des intérêts à compter du 7 avril 2005.
Eu égard au fait que la défenderesse n'était propriétaire de l'immeuble litigieux qu'à concurrence de 50%, jusqu'à la vente précitée, la demanderesse a sollicité, par conclusions du 4 décembre 2009, qu'il soit dit pour droit que la défenderesse ne pouvait revendiquer que la moitié du montant versé à titre d'indemnités « bâtiment et accessoires ».
7. Par jugement du 7 juin 2010, le tribunal de première instance de Charleroi a déclaré recevables les deux demandes précitées de la demanderesse et ordonné la tenue de diverses enquêtes de même que la comparution personnelle de la défenderesse.
Par jugement du 1er septembre 2014, le tribunal de première instance du Hainaut, division Charleroi, a déclaré les demandes de la demanderesse non fondées.
La demanderesse a relevé appel de cette décision. En termes de conclusions, elle postulait la condamnation de la défenderesse au remboursement des sommes de 13.309,70 euro (montant indûment perçu à titre de frais de déblais et de démolition) et de 81.138,36 euro (montant indûment perçu à titre d'indemnités « bâtiment et accessoires »).
8. Par l'arrêt entrepris, la cour d'appel de Mons confirme la décision du premier juge en toutes ses dispositions et déclare irrecevable pour prescription la demande visant la condamnation de la défenderesse au remboursement de la somme, indûment perçue, de 81.138,36 euro .

A l'appui de son pourvoi, la demanderesse invoque le moyen de cassation suivant.

MOYEN UNIQUE DE CASSATION
Dispositions légales dont la violation est invoquée
- Article 149 de la Constitution ;
- Articles 19 et 1068 du Code judiciaire (l'article 19, tel qu'il a été modifié par la loi du 28 février 2014 et, pour autant que de besoin, tel qu'il était en vigueur avant cette modification) ;
- Article 2242 du Code civil ;
- Article 2244 du Code civil, dans ses dispositions, issues de la loi du 25 juillet 2008, qui étaient en vigueur au jour de la citation du 29 janvier 2009 et article 2244, § 1er, du Code civil, incorporant les mêmes dispositions en vertu de la loi du 23 mai 2013.
Décision et motifs critiqués
L'arrêt entrepris déclare « irrecevable » la demande de la demanderesse de condamner la défenderesse au remboursement de la somme de 81.138,36 euro versée indûment pour le poste « bâtiment et accessoires » compte tenu de ce que celle-ci n'était propriétaire de l'immeuble litigieux qu'à hauteur de 50%.
Cette décision se fonde sur les motifs suivants :
« Le 21 janvier 2009, [la demanderesse] a cité [la défenderesse] devant le premier juge et demandé sa condamnation à lui payer la somme de 13.309,70 euro , qu'elle dit lui avoir payés indûment, augmentée des intérêts depuis le 7 avril 2005.
Par conclusions déposées le 4 décembre 2009, [la demanderesse] a en outre demandé au tribunal de dire pour droit que [la défenderesse] ne peut revendiquer que la moitié de l'indemnité due pour les postes "bâtiments et accessoires" parce qu'au jour du sinistre, elle n'était propriétaire du bâtiment qu'à concurrence de 50% et lui donner acte qu'elle se réserve le droit de réclamer le remboursement à [la défenderesse] du trop-perçu à ce titre.
Par jugement prononcé le 7 juin 2010, le premier juge a dit la demande recevable et avant de statuer sur son fondement, ordonné la comparution personnelle de [la défenderesse] et des enquêtes.
Le jugement entrepris a dit la demande non fondée.
(...)
La nouvelle demande vise en l'espèce le remboursement de la moitié de l'indemnité versée par [la demanderesse] à [la défenderesse] suite à l'incendie, pour le poste "bâtiment et accessoires", qui aurait été payée indûment.
La citation du 29 janvier 2009 vise le contrat d'assurance liant les parties, l'incendie survenu le 28 décembre 2004 et l'estimation contradictoire des dommages intervenue le 14 février 2005. La nouvelle demande est notamment fondée sur ces faits.
Cette demande formée par conclusions déposées le 14 août 2015 et fondée sur les articles 1235 et 1376 du Code civil, est soumise au délai de prescription de dix ans en application de l'article 2262bis, §1er, alinéa 1er, du Code civil.
Au sens de l'article 2244 du Code civil, une citation en justice a pour effet d'interrompre la prescription pour la demande qu'elle introduit et pour les demandes qui y sont virtuellement comprises. Pour apprécier si une demande est virtuellement comprise dans la demande initiale, il convient d'avoir égard à leur objet (...).
En l'espèce, la demande nouvelle n'a pas le même objet que la demande initiale, elle ne porte pas sur les mêmes paiements et n'est pas fondée sur les mêmes faits. Elle n'était pas virtuellement comprise dans la citation introductive, de sorte que celle-ci n'a pas d'effet interruptif à l'égard de cette demande.
Les paiements litigieux ont été effectués respectivement les 30 décembre 2004, 14 janvier 2005 et 4 mars 2005 selon la pièce 20 de [la demanderesse], dates à laquelle la prescription a commencé à courir pour chaque paiement, de sorte que c'est à raison que [la défenderesse] soutient que cette demande est prescrite et, partant, irrecevable » (arrêt entrepris, pp. 6 et 7).

Griefs

Première branche

Aux termes de l'article 19, alinéa 2, du Code judiciaire, « le juge qui a épuisé sa juridiction sur une question litigieuse ne peut plus en être saisi ».

Ce texte est issu de la loi du 28 février 2014, laquelle n'a fait que confirmer une solution déjà consacrée antérieurement par la jurisprudence.

Commet ainsi un excès de pouvoir le juge qui statue à nouveau sur une question litigieuse, dont il n'est plus saisi parce qu'il a déjà définitivement jugé celle-ci dans la même cause entre les mêmes parties.

Conjuguée avec l'effet dévolutif de l'appel, la règle précitée doit être comprise comme faisant interdiction au juge d'appel de statuer à nouveau sur une question litigieuse au sujet de laquelle le premier juge a rendu une décision définitive dans un jugement antérieur non frappé d'appel. L'article 1068, alinéa 1er, du Code judiciaire ne permet pas de considérer, en effet, que l'appel d'un jugement rendu par le premier juge à la suite d'un jugement antérieur aurait pour effet de déférer au juge d'appel les décisions définitives prises par ce dernier jugement si celui-ci n'est pas frappé d'appel.

En l'espèce, il ressort des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que :
(1) Par ses « conclusions en réplique et de synthèse » du 4 décembre 2009, la demanderesse formulait une demande nouvelle et sollicitait, à ce titre, du tribunal de première instance de Charleroi qu'il « di[s]e pour droit que [la défenderesse] ne peut revendiquer que la moitié de l'indemnité due pour les postes "bâtiment et accessoires" parce qu'au jour du sinistre elle n'était propriétaire du bâtiment qu'à concurrence de 50% » et qu'il « donn[e] acte à [la demanderesse] qu'elle se réserve le droit de réclamer le remboursement à [la défenderesse] du trop-perçu à ce titre » ;
(2) Le montant total versé à la défenderesse à titre d'indemnités « bâtiment et accessoires » est de 162.276,71 euro ;
(3) Par ses « conclusions après ordonnance sur pied de l'article 748, §2, du Code judiciaire » du 14 janvier 2010, la défenderesse a contesté tant la recevabilité d'une telle demande nouvelle (au motif qu'elle ne répond pas au prescrit de l'article 807 du Code judiciaire) que son fondement et sollicité du tribunal de première instance de Charleroi qu'il « di[s]e la demande nouvelle irrecevable ou à tout le moins non fondée » ;
(4) Par jugement du 7 juin 2010, le tribunal de première instance de Charleroi a déclaré les demandes de la demanderesse recevables et, avant de statuer plus avant, ordonné diverses mesures d'instruction ;
(5) Ce jugement n'a pas été frappé d'appel ;
(6) Par jugement du 1er septembre 2014, le tribunal de première instance de Charleroi a déclaré les demandes de la demanderesse non fondées, après avoir rappelé que la recevabilité de la demande visant à la condamnation de la défenderesse au paiement de la somme de 81.138,39 euro versée indûment pour le poste « bâtiment et accessoires » « ne peut plus être mise, à ce stade, en cause, dès lors que par jugement du 7 juin 2010, le tribunal de céans autrement composé a dit la demande [de la demanderesse] recevable, rien n'étant réservé ni excepté » ;
(7) Ce dernier jugement a été frappé d'appel par la demanderesse.

Il se déduit de ces considérations que par le jugement précité du 7 juin 2010, le premier juge a rendu, quant à la question litigieuse de la recevabilité des demandes de la demanderesse, une décision définitive qui n'a pas fait l'objet d'un appel.

Après avoir rappelé que « par jugement prononcé le 7 juin 2010, le premier juge a dit la demande recevable » et que « le jugement entrepris a dit la demande non fondée », l'arrêt entrepris décide toutefois que la demande visant à obtenir la condamnation de la défenderesse au remboursement des sommes perçues indûment à titre d'indemnités « bâtiment et accessoires » est « irrecevable ».

Ce faisant, l'arrêt entrepris statue à nouveau sur une question litigieuse sur laquelle le premier juge avait entièrement épuisé sa juridiction et qui n'a pas fait l'objet de l'appel et commet, partant, un excès de pouvoir (violation des articles 19 et 1068 du Code judiciaire, l'article 19 dans les deux versions visées en tête du moyen).

Seconde branche (subsidiaire)

Aux termes de l'article 2242 du Code civil, « la prescription peut être interrompue ou naturellement ou civilement ».

Selon l'article 2244 du Code civil, l'interruption civile est notamment constituée par « une citation en justice », étant entendu que celle-ci « interrompt la prescription jusqu'au prononcé d'une décision définitive ». Cette disposition était comprise dans le texte de l'article 2244 en vigueur au jour de la citation du 29 janvier 2009, à la suite de la loi du 25 juillet 2008 et a été inscrite au § 1er du même article à la suite de la loi du 23 mai 2013.

L'effet interruptif de prescription attaché à la citation en justice, tel qu'envisagé par les dispositions précitées, concerne non seulement les demandes explicitement exprimées dans ladite citation mais s'étend également aux demandes qui y sont virtuellement comprises.

Doivent, dans ce contexte, être considérées comme des demandes « virtuellement comprises » dans la citation, toutes les demandes qui reposent sur le complexe de faits invoqué par le demandeur à l'appui de ses prétentions originaires.

Il appartient au juge, qui constate qu'une demande dite « nouvelle » trouve son fondement dans des faits identiques à ceux qui justifient la demande dont il a déjà été saisi par citation, d'étendre l'effet interruptif de prescription de celle-ci vers celle-là.

En l'espèce, la procédure a été introduite par une citation du 21 janvier 2009 dont il ressort que « la demande de [la demanderesse] se fonde non seulement sur l'article 1382 du Code civil puisqu'elle a pour objet la réparation d'un dommage causé par un fait délictueux, mais également sur les articles 1376 et 1377 du Code civil, s'agissant de la réclamation d'un paiement indu, ainsi que sur les articles 39 et 51 de la loi du 25 juin 1992 consacrant le principe indemnitaire en vertu duquel la prestation due par l'assureur est limitée au préjudice subi par l'assuré ».

Il ressort des constatations de l'arrêt entrepris, d'une part, que cette citation « vise le contrat d'assurance liant les parties, l'incendie survenu le 28 décembre 2004 et l'estimation contradictoire des dommages intervenue le 14 février 2005 » et, d'autre part, que la demande de la demanderesse visant le remboursement de la somme de 81.138,39 euro versée indûment à la défenderesse « est notamment fondée sur [les faits précités] » et est « fondée sur les articles 1235 et 1376 du Code civil » relatif au paiement indu.

Il ressort, en d'autres termes, des constatations de l'arrêt entrepris que les demandes litigieuses reposent sur le même complexe de faits, la même cause.

L'arrêt entrepris était, compte tenu de ce qui précède, tenu d'étendre l'effet interruptif de prescription de la demande originaire visée par la citation du 21 janvier 2009 à la demande visant le remboursement de la somme de 81.138,39 euro versée indûment à la défenderesse, formulée ultérieurement mais virtuellement comprise dans ladite citation. Sa décision de refuser une telle extension et de déclarer cette seconde demande prescrite méconnait la notion légale de demande virtuellement comprise dans une citation et n'est, partant, pas légalement justifiée (violation de l'article 2242 du Code civil et des dispositions de l'article 2244 du même Code, telles que précisées en tête du moyen).

Troisième branche (subsidiaire)

Viole l'article 149 de la Constitution la décision de justice dont les motifs sont entachés de contradiction.

Après avoir rappelé que la citation du 21 janvier 2009 « vise le contrat d'assurance liant les parties, l'incendie survenu le 28 décembre 2004 et l'estimation contradictoire des dommages intervenue le 14 février 2005 », l'arrêt entrepris constate que la demande de la demanderesse quant au remboursement de la moitié des sommes versées au titre d'indemnités « bâtiment et accessoires », « est notamment fondée sur ces faits » et, dans le même temps, décide que cette même demande « n'est pas fondée sur les mêmes faits » que la demande initiale. Ce faisant, la décision de l'arrêt entrepris repose sur des motifs contradictoires et n'est pas régulièrement motivée (violation de l'article 149 de la Constitution).


DÉVELOPPEMENTS
Quant à la première branche
Selon la jurisprudence constante de la Cour, il ressort des articles 19 et 1068 du Code judiciaire que « l'appel dirigé contre un jugement qui a été rendu après un jugement antérieur ne saisit le juge d'appel des décisions définitives de ce jugement antérieur que dans la mesure où un appel est aussi dirigé contre ce dernier jugement » de sorte que « le juge d'appel qui statue à nouveau sur une question litigieuse sur laquelle le premier juge avait entièrement épuisé sa juridiction et qui n'a pas fait l'objet d'un appel commet un excès de pouvoir » (voy. notamment Cass., 28 janvier 2016, RG. n° C.15.0321.N, via Juridat et Cass., 18 juin 2015, Pas., 2015, n° 415).
Quant à la seconde branche
Selon la jurisprudence constante de la Cour, « une citation interrompt la prescription pour la demande qu'elle introduit ainsi que pour la demande dont l'objet est virtuellement compris dans la citation » (voy. notamment Cass., 11 avril 2014, Pas., 2014, n° 285 ; Cass., 23 octobre 2006, Pas., 2006, n° 501 ; Cass., 3 juin 1991, Pas., 1991, I, p. 866).
La question de savoir quelles sont les demandes « virtuellement comprises » dans la citation est liée à l'évolution de la notion légale de cause et sa conception factuelle désormais consacrée (voy. à cet égard notamment Cass., 14 avril 2005, Pas., 2005, n° 225 ; Cass., 28 septembre 2009, Pas., 2009, n° 529 ; Cass., 13 mars 2013, Pas., 2013, n° 177) : « depuis que la cause est le complexe de faits invoqué par les parties, indépendamment de son habillage juridique, alors elle ne pose plus guère de difficultés (...) car à son strict égard, toute demande fondée sur ce même complexe sera de nature à être virtuellement comprise dans la demande initiale » (voy. M. Marchandise, Traité de droit civil belge, t. VI, « La prescription », Bruxelles, Larcier, 2014, pp. 206 et 207).
Pour déterminer si une demande formulée en conclusions est « virtuellement comprise » dans la citation, le juge doit se poser la question de savoir quels sont les droits que le demandeur a entendu faire reconnaitre en justice : « Nous croyons qu'il faut principalement avoir égard à la manifestation de volonté du demandeur initial, mais sans écarter pour autant l'examen de la situation du défendeur. Car qu'est ce qui justifie cette extension de l'effet interruptif ? Encore et toujours le fait que l'acte interruptif est d'abord le produit de la manifestation de l'intention de celui qui le pose de voir reconnaitre sa prétention en justice. Cette manifestation peut déborder le cadre de ce qui est, dans un premier temps, demandé. Mais si le demandeur n'a pas veillé à parfaire sa demande immédiatement, ce débordement ne pourra s'opérer qu'à condition que le défendeur n'ait pu se méprendre sur la portée du débat qui s'est noué, ne fût-ce qu'en puissance. En d'autres termes, il faut que la demande initiale manifeste la volonté de celui qui la forme d'une façon telle que celui contre qui elle est formée ne puisse aucunement se trouver surpris de son extension à un autre objet » (voy. M. Marchandise, Traité de droit civil belge, t. VI, « La prescription », Bruxelles, Larcier, 2014, pp. 207 et 208 ; dans le même sens, notamment, M. Dupont, « L'interruption de la prescription et les demandes virtuellement comprises dans la citation », obs. sous Cass., 12 janvier 2010, R.G.D.C., 2010, p. 404 ainsi que les conclusions de M. l'avocat général Leclercq précédant Cass., 3 juin 1991, Pas., 1991, I, p. 867).


PAR CE MOYEN ET CES CONSIDÉRATIONS,
L'avocat à la Cour de cassation soussignée, pour la demanderesse, conclut qu'il vous plaise, Messieurs, Mesdames, casser l'arrêt entrepris ; renvoyer la cause et les parties devant une autre cour d'appel ; ordonner que mention de votre arrêt soit faite en marge de la décision annulée ; dépens comme de droit.

Bruxelles, le 8 juin 2017

Simone Nudelholc


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.17.0238.F
Date de la décision : 16/02/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-02-16;c.17.0238.f ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award