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16/02/2018 | BELGIQUE | N°C.16.0344.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 16 février 2018, C.16.0344.F


N° C.16.0344.F
UNION EUROPÉENNE, représentée par la Commission européenne, dont le siège est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 200,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 480, où il est fait élection de domicile,
contre

KBC ASSURANCES, société anonyme, dont le siège social est établi à Louvain, Professor Van Overstraetenplein, 2,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, do

nt le cabinet est établi à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, où il est fait élection de domicile...

N° C.16.0344.F
UNION EUROPÉENNE, représentée par la Commission européenne, dont le siège est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 200,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 480, où il est fait élection de domicile,
contre

KBC ASSURANCES, société anonyme, dont le siège social est établi à Louvain, Professor Van Overstraetenplein, 2,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 16 juin 2015 par le tribunal de première instance du Luxembourg, statuant en degré d'appel.
Le président de section Christian Storck a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.

II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente un moyen.

III. La décision de la Cour

Sur le moyen :

En vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil, celui qui, par sa faute, cause à autrui un dommage est tenu de le réparer intégralement, ce qui implique le rétablissement du préjudicié dans l'état où il serait demeuré si l'acte dont il se plaint n'avait pas été commis.

L'employeur public, qui, ensuite de la faute d'un tiers, doit continuer à payer à l'un de ses agents la rémunération et les charges grevant la rémunération en vertu d'obligations légales ou réglementaires qui lui incombent, sans bénéficier de prestations de travail en contrepartie, a droit à une indemnité réparant le dommage ainsi subi, pour autant qu'il résulte des dispositions légales et réglementaires applicables que les décaissements précités auxquels il est tenu ne doivent pas rester définitivement à sa charge.
L'article 78 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes, applicable au litige, dispose, en son alinéa 1er, que, dans les conditions prévues aux articles 13 à 16 de l'annexe VIII, le fonctionnaire a droit à une allocation d'invalidité lorsqu'il est atteint d'une invalidité permanente considérée comme totale et le mettant dans l'impossibilité d'exercer les fonctions correspondant à un emploi de son groupe de fonction et, en son alinéa 3, que le taux de l'allocation d'invalidité est fixé à 70 p.c. du dernier traitement de base du fonctionnaire.
Aux termes de l'article 53 de ce statut, le fonctionnaire reconnu par la commission d'invalidité comme remplissant les conditions prévues à l'article 78 est mis d'office à la retraite le dernier jour du mois au cours duquel est prise la décision de l'autorité investie du pouvoir de nomination constatant l'incapacité définitive pour le fonctionnaire d'exercer ses fonctions.
Il résulte de ces dispositions que l'indemnité d'invalidité visée à l'article 78 précité ne constitue pas la contrepartie des prestations de travail dont la demanderesse aurait bénéficié en l'absence de l'accident et n'est, partant, pas un dommage réparable au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil.
De la circonstance que l'article 14 de l'annexe VIII au statut prévoit que, lorsque l'ancien fonctionnaire cesse de remplir les conditions requises pour bénéficier de l'allocation d'invalidité visée à l'article 78, il est obligatoirement réintégré, à la première vacance, dans un emploi de sa catégorie ou de son cadre correspondant à sa carrière, à condition qu'il possède les aptitudes requises pour cet emploi, ne modifie pas cette analyse.
Le moyen, qui repose sur le soutènement contraire, manque en droit.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de mille cent soixante-trois euros vingt-sept centimes envers la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, le conseiller Didier Batselé, le président de section Martine Regout, les conseillers Michel Lemal et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du seize février deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont A. Jacquemin M. Lemal
M. Regout D. Batselé Chr. Storck


Requête

Requête en cassation

Pour : L' Union Européenne, représentée par la Commission européenne, organisme public international, BCE N° 0949.383.342, dont les bureaux sont établis à 1040, Rue de la Loi, n° 200
demanderesse en cassation,
assistée et représentée par Me Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à 1050 Bruxelles, avenue Louise 480 bte 3, chez qui il est fait élection de domicile.

Contre : La société anonyme KBC Verzekeringen-KBC Assurances-KBC Versicherungen-KBC Insurance, inscrite au registre de la TVA sous le n° BE-0403.552.563, répertoriée à la BCE sous le n° 0403.552.563, dont le siège social est établi à 3000 Leuven, Professor Van Overstraetenplein, 2.

A Messieurs les Premier Président et Présidents, Mesdames et Messieurs les Conseillers à la Cour de cassation,

Mesdames,
Messieurs,

La demanderesse a l'honneur de soumettre à votre censure le jugement rendu contradictoirement entre les parties le 16 juin 2015, par la 9 ème chambre civile à trois juges du Tribunal de Première instance du Luxembourg, Division Arlon, siégeant en degré d'appel (RG 14/529/A).

1.- Les faits de la cause et les antécédents de la procédure tels qu'ils résultent des pièces auxquelles votre Cour peut avoir égard peuvent se résumer comme suit :

Mme P. B., fonctionnaire de la demanderesse, a été victime d'un grave accident de la circulation survenu le 3 avril 1998 sur la route de Luxembourg à Arlon.

L'entière responsabilité de cet accident incombe à l'assuré de la défenderesse, ce qui n'est pas contesté.

2.- A la suite de cet accident, Mme B. a été en incapacité de travail.
Les débours entraînés par les conséquences de l'accident pour Mme B. ont donné lieu à deux procédures distinctes.

D'une part, le Parlement européen a agi en récupération des prestations effectuées en sa qualité d'employeur de la victime. Il s'agissait d'obtenir par cette procédure le remboursement des rémunérations que le Parlement européen avait continué à servir à Mme B. ainsi que les montants dus en vertu de l'article 73 du statut, pour incapacité permanente partielle pour la période s'étant écoulée entre la date de l'accident et le 31 janvier 2006.

D'autre part, la présente procédure, qui concerne les montants versés par la demanderesse à Mme B., à partir du 1er février 2006 à la suite de sa mise en invalidité par décision du directeur de la gestion administrative du personnel lui reconnaissant une situation d'invalidité au sens de l'article 78 du statut des fonctionnaires européens.
Le jugement attaqué est celui rendu dans le cadre de cette deuxième procédure.

3.- Durant la période d'invalidité de Mme B., qui a perduré jusqu'au 31 décembre 2014, la demanderesse a versé à celle-ci une allocation d'invalidité, représentant une somme totale de 384.321, 25 euros (au 31 décembre 2014).
L'objet de la demande dans le cadre de la présente procédure portait donc plus spécialement sur le remboursement des allocations d'invalidité versées à la victime en vertu de l'article 78 du Statut des fonctionnaires de l'Union européenne (ci-après le Statut) qui dispose que :

"Dans les conditions prévues aux articles 13 à 16 de l'annexe VIII, le fonctionnaire a droit à une allocation d'invalidité lorsqu'il est atteint d'une invalidité permanente considérée comme totale et le mettant dans l'impossibilité d'exercer des fonctions correspondant à un emploi de son groupe de fonctions."

L'article 13 de l'annexe VIII du Statut auquel il fait référence prévoit que :
"1. Sous réserve des dispositions de l'article 1er paragraphe 1, le fonctionnaire âgé de moins de 65 ans qui, au cours de la période durant laquelle il acquérait des droits à pension, est reconnu par la commission d'invalidité comme atteint d'une invalidité permanente considérée comme totale et le mettant dans l'impossibilité d'exercer des fonctions correspondant à un emploi de sa carrière et qui, pour ce motif, est tenu de suspendre son service aux Communautés, a droit, tant que dure cette incapacité, à l'allocation d'invalidité visée à l'article 78 du statut. (...)". (Mise en évidence par la soussignée).

4.- La demanderesse agissait en se prévalant de l'action directe prévue à l'article 85 bis, § 4 du Statut qui dispose que les dispositions des § 1, 2 et 3 de l'article 85 bis relatives à la subrogation ne peuvent faire obstacle à l'exercice d'une action directe de la part des Communautés.
Elle réclamait en outre les mêmes montants sur la base de la subrogation organisée par cette disposition.

5.- Par jugement du 2 juillet 2014, le Tribunal de police d'Arlon a fait droit à la demande de la demanderesse en condamnant la défenderesse à lui verser, à titre provisionnel, une somme en principal de 401.260,29 euros, au titre d'indemnisation pour les allocations d'invalidité versées à P. B. jusque lors.
La défenderesse a interjeté appel de cette décision et en a demandé la réformation.

6.- Par la décision attaquée, le juge d'appel a déclaré la demande de la demanderesse recevable mais a décidé de manière définitive que cette demande n'était pas fondée dans le cadre d'un recours direct (voir p. 10 du jugement attaqué).
Pour le surplus, le juge d'appel a ordonné la réouverture des débats en ce qui concerne le fondement de la demande déduit de la subrogation prévue à l'article 85 bis, §1 du statut des fonctionnaires européens.

7.- A l'encontre de la décision attaquée, la demanderesse a l'honneur de présenter le moyen unique de cassation qui suit.

MOYEN UNIQUE DE CASSATION

Dispositions légales dont la violation est invoquée

- Articles 1382 et 1383 du Code civil,

- Article 78 (et articles 13 à 16 de l'annexe VIII auxquels cette disposition renvoie, ainsi que l'article 45, 2ème alinéa de ladite annexe) et article 85 bis, spécialement § 4 du Statut des fonctionnaires de l'Union européenne, résultant du Règlement n° 31 (CEE) 11(CEEA) fixant le statut des fonctionnaires et le régime applicable aux autres agents de la Communauté économique européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique, du 14 juin 1962, dans sa version telle qu'elle était applicable à partir du 1er février 2006, date du début des versements litigieux.

Partie critiquée de la décision attaquée

Le jugement attaqué dit non fondée l'action directe exercée par la demanderesse contre la défenderesse sur la base de l'article 85 bis, § 4 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes et de l'article 1382 du Code civil tendant au remboursement des montants versés par la demanderesse à Mme B. au titre d'allocations d'invalidité versées à celle-ci, à la suite de son admission au statut d'invalidité défini à l'article 78 dudit statut par les motifs suivants :

«(...)

1- Existence et portée du recours fondé sur le droit propre de l'UE

L'article 85 bis du statut des fonctionnaires européens dispose:

« 1. Lorsque la cause du décès, d'un accident ou d'une maladie dont est victime une personne visée au présent statut est imputable à un tiers, les Communautés sont dans la limite des obligations statutaires leur incombant consécutivement à l'événement dommageable, subrogées de plein droit à la victime ou à ses ayants droit dans leurs droits et actions contre le tiers responsable.

2. Entrent notamment dans le domaine couvert par la subrogation visée au paragraphe 1 :

- les rémunérations maintenues, conformément à l'article 59, au fonctionnaire durant la période de son incapacité temporaire de travail ;
- les versements effectués conformément à l'article 70 à la suite du décès d'un fonctionnaire; ou ancien fonctionnaire titulaire d'une pension, 
-les prestations servies au titre des articles 72 et 73 et des réglementations prises pour leur application, concernant la couverture des risques de maladie et d'accident,
- le paiement des frais de transport du corps, visé à l'article 75,
- les versements de suppléments d'allocations familiales intervenant, conformément à l'article 67 paragraphe 3 et à l'article 2 paragraphes 3 et 5 de l'annexe VII, en raison de la maladie grave, de l'infirmité ou du handicap atteignant un enfant à charge,
- les versements d'allocations d'invalidité intervenant à la suite d'un accident ou d'une maladie entraînant pour le fonctionnaire une incapacité définitive d'exercer ses fonctions,
- les versements de pensions de survie intervenant à la suite du décès du fonctionnaire ou de l'ancien fonctionnaire ou du décès du conjoint ni fonctionnaire ni agent temporaire d'un fonctionnaire ou d'un ancien fonctionnaire titulaire d'une pension,
- les versements de pensions d'orphelin intervenant sans limitation d'âge ou profit d'un enfant de fonctionnaire ou ancien fonctionnaire lorsque cet enfant est atteint d'une maladie grave, d'une infirmité ou d'un handicap l'empêchant de subvenir à ses besoins après le décès de son auteur.

3. Toutefois, la subrogation des Communautés ne s'étend pas aux droits à indemnisation portant sur des chefs de préjudice de caractère purement personnel, tels que, notamment, le préjudice moral, le pretium doloris, ainsi que la part des préjudices esthétique et d'agrément dépassant le montant de l'indemnité qui aurait été allouée de ces chefs par application de l'article 73.

4. Les dispositions des paragraphes 1, 2 et 3 ne peuvent faire obstacle à l'exercice d'une action directe de la part des Communautés ».

Contrairement à ce qui se présente en droit belge, il n'est pas contestable que (la demanderesse) dispose, aux termes de l'article 85 bis du statut des fonctionnaires européens, à la fois d'une action subrogatoire et d'une action directe. La possibilité d'exercer une action subrogatoire ne peut être opposée à (la demanderesse) pour l'empêcher d'exercer son action directe en recouvrement de son préjudice propre.

En articulant sa demande sur l'action directe, (la demanderesse) entend s'affranchir des limites inhérentes au recours subrogatoire en ne se limitant pas à ce que la victime aurait pu réclamer (selon le droit commun de la responsabilité).

Toutefois, l'article 85 bis du statut des fonctionnaires n'a pas pour objet de modifier les règles nationales applicables pour déterminer si et dans quelle mesure la responsabilité du tiers auteur du dommage doit être engagée. La responsabilité (du tiers auteur du dommage) demeure soumise aux règles de fond que doit appliquer la juridiction nationale saisie par la victime, c'est-à-dire, en principe, la législation de l'Etat membre sur lequel le dommage est survenu.

En d'autres termes, l'article 85 bis, § 4 n'énonce pas que le juge national serait tenu, indépendamment de ce que prévoit son droit national de la responsabilité, de condamner le tiers responsable à rembourser l'intégralité des prestations visées au paragraphe 2 du même article. Il appartient donc au juge national d'apprécier, par application de son droit de la responsabilité, si la dépense constitue, dans le chef de (la demanderesse), un dommage propre.

2. Détermination du préjudice réparable dans le cadre du recours fondé sur le droit propre de (la demanderesse).

L'interposition d'une obligation légale ou conventionnelle a une incidence, non plus sur le lien causal mais plutôt sur le caractère réparable du dommage (MARCHETTI R., L'absence de dommage réparable en raison d'une cause juridique propre; petit tour d'horizon, R.R.D., 2009, liv. 130-131,57).

(La demanderesse) poursuit la récupération d'allocations dites « d'invalidité » versées sur pied de l'article 78 du statut qui prévoit que le fonctionnaire a droit à une allocation lorsqu'il est atteint d'une invalidité permanente considérée comme totale et le mettant dans l'impossibilité d'exercer des fonctions correspondant à un emploi de son groupe de fonction.

L'employeur public qui, en vertu de ses obligations légales, réglementaires ou contractuelles, est tenu de verser une rémunération à son agent sans recevoir de prestations de travail en contrepartie a droit à une indemnité sur la base des articles 1382 et 1383 C. civ. lorsqu'il subit ainsi un dommage ; à condition qu'il n'apparaisse pas de la loi, du règlement ou de la convention que les dépenses exposées doivent rester définitivement à charge de l'autorité. On peut déduire de la disposition légale qui prévoit un recours fondé sur la subrogation contre le tiers responsable que la dépense ne doit pas rester définitivement à charge de l'autorité (Cons., Cass. 24 janvier 2013, J.LM.B:, 2013/20, 1064; Liège, 18 mai 2004, R.G.D.C, 2005, liv. 4, 198 ; Liège 23 janvier 2009, R.R.D., 2009, liv. 130-131, 50).

En l'espèce, il n'apparaît pas du statut des fonctionnaires européens que les dépenses exposées par l'UE devrait demeurer à sa charge puisque ledit statut a expressément prévu un recours propre et un recours subrogatoire à l'encontre du tiers responsable.

En outre, il n'est pas contesté que depuis le jour de l'accident, (la demanderesse) a été privée des prestations de P. B. qui n'a plus jamais repris le travail. 

Cependant, seule la rémunération sensu stricto constitue la contrepartie des prestations de travail (dont l'employeur aurait bénéficié si l'accident ne s'était pas produit) et partant le dommage récupérable dans le cadre d'un recours direct (Cons. M.
SIMAR, obs. sous Cass. 24 janvier 2013, J.LM.B, 2013/20, p. 1066),

Partant, les sommes réclamées par (la demanderesse) au titre de récupération de l'allocation d'invalidité qu'elle a versée sur pied de l'article 78 du statut des fonctionnaires européens ne peuvent être qualifiées de contrepartie des prestations de travail et, par conséquent, ne constituent pas un dommage réparable dans le cadre d'un recours direct.

En effet, lorsque les pouvoirs publics-employeur sont tenus, légalement ou règlementairement, de payer à son membre du personnel outre une rémunération, une rente en raison de son incapacité de travail permanente, le paiement de cette rente ou du capital établi à cet effet, qui ne constitue pas la contrepartie des prestations de travail que l'employeur aurait reçues si l'accident ne s'était pas produit, ne constitue pas un dommage au sens de l'article 1382 du Code civil (Cons. Cass. 24 mai 2013, Pas. 2013, liv. 5,1156).

Pour le surplus et toujours dans la perspective d'un recours direct, il est vain de trancher la discussion des parties quant à la question de savoir si l'allocation versée sur pied de l'article 78 du statut poursuit l'indemnisation d'une incapacité économique ou au contraire d'une invalidité physique car, en tout état de cause, cette allocation ne constitue pas la contrepartie des prestations de travail que l'employeur aurait reçues si l'accident ne s'était pas produit et, partant, ne constitue pas un dommage propre réparable (Cons., Cass., 24 janvier 2013, juridat).

La demande de (la demanderesse) ne peut donc être fondée dans le cadre d'un recours direct.

(...)». (décision attaquée, p. 7 à 10 )

Griefs


En vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil, celui qui cause à autrui un dommage par sa faute est tenu d'indemniser intégralement ce dommage, ce qui implique le rétablissement du préjudicié dans l'état où il serait demeuré si l'acte dont il se plaint n'avait pas été commis.

Une personne de droit public qui, à la suite de la faute d'un tiers, doit, en vertu d'obligations légales, réglementaires ou conventionnelles, effectuer des dépenses ou octroyer des prestations en faveur de la victime ou de ses ayants droit, a droit à une indemnité dans la mesure où elle subit ainsi un dommage.

L'existence d'une telle obligation n'exclut pas qu'il y ait un dommage au sens de l'article 1382 du Code civil, sauf s'il résulte de la loi, du règlement ou de la convention que le paiement doit définitivement rester à la charge de celui qui y est obligé sur cette base.

L'article 85 bis, § 4 du Statut prévoit expressément que la subrogation dont la demanderesse bénéficie en vertu des paragraphes 1, 2, 3 de la même disposition ne peut faire obstacle à l'exercice d'une action directe de la part de l'Union.

Il résulte de cette disposition que la demanderesse dispose du droit d'intenter contre le tiers responsable ou son assureur, une action directe en recouvrement de son préjudice propre en raison des débours qu'elle a effectués ou devra effectuer en faveur d'un de ses fonctionnaires ou de ses ayants droit.

En vertu de l'article 78 dudit Statut, la demanderesse est tenue au versement d'une allocation d'invalidité au profit du fonctionnaire lorsqu'il est atteint d'une invalidité permanente considérée comme totale et le mettant dans
l'impossibilité d'exercer des fonctions correspondant à un emploi de son groupe de fonctions. Selon cet article 78, 3ème alinéa, le taux de l'allocation d'invalidité est fixé à 70% du dernier traitement de base du fonctionnaire.

Certes, la nature de la pension d'invalidité prévue par cette disposition relève du régime statutaire qui lie l'Union et ses fonctionnaires. Cette spécificité n'exige toutefois pas que les prestations effectuées au titre de pension d'invalidité doivent définitivement rester à charge de la demanderesse.

Par ailleurs, l'article 78 renvoie plus spécialement aux articles 13 à 16 de l'Annexe VIII au Statut qui prévoit ce qui suit

« Article 13

1. Sous réserve des dispositions de l'article 1er paragraphe 1, le fonctionnaire âgé de moins de 65 ans qui, au cours de la période durant laquelle il acquérait des droits à pension, est reconnu par la commission d'invalidité comme atteint d'une invalidité permanente considérée comme totale et le mettant dans l'impossibilité d'exercer des fonctions correspondant à un emploi de sa carrière et qui, pour ce motif, est tenu de suspendre son service aux Communautés, a droit, tant que dure cette incapacité, à l'allocation d'invalidité visée à l'article 78 du statut.

2. (...)

Article 14

Le droit à l'allocation d'invalidité naît à compter du premier jour du mois civil suivant la mise à la retraite en application de l'article 53 du statut.

Lorsque l'ancien fonctionnaire cesse de remplir les conditions requises pour bénéficier de cette allocation, il est obligatoirement réintégré, à la première vacance, dans un emploi de sa catégorie ou de son cadre correspondant à sa carrière, à condition qu'il possède les aptitudes requises pour cet emploi. S'il refuse l'emploi qui lui est offert, il conserve ses droits à réintégration, à la même condition, lors de la deuxième vacance dans un emploi de sa catégorie ou de son cadre correspondant à sa carrière; en cas de second refus, il peut être démis d'office.

(...)

Article 15

Tant que l'ancien fonctionnaire bénéficiant d'une allocation d'invalidité n'a pas atteint l'âge de 63 ans, l'institution peut le faire examiner périodiquement en vue de s'assurer qu'il réunit toujours les conditions requises pour bénéficier de cette allocation

(...) » ( mise en évidence par la soussignée).

Il résulte de ces dispositions :

- que la mise à la retraite dont il est question dans le régime concerné n'est pas nécessairement définitive puisqu'elle intervient en raison d'une invalidité mettant le fonctionnaire dans l'impossibilité d'exercer des fonctions correspondant à un emploi de sa carrière et qui, pour ce motif, est tenu de suspendre son service aux Communautés, « tant que dure cette incapacité ».

- que la réintégration du fonctionnaire concerné est prévue et organisée de manière obligatoire lorsqu'il cesse de remplir les conditions requises pour bénéficier de l'allocation d'invalidité.

Enfin, selon l'article 45, 2ème alinéa de l'annexe VIII du Statut, l'allocation d'invalidité est versée chaque mois au fonctionnaire.

Durant la période au cours de laquelle le fonctionnaire victime d'une invalidité bénéficie d'une allocation versée en application de l'article 78 du Statut visé au moyen, le fonctionnaire en question est bien un fonctionnaire frappé d'incapacité dont le travail aurait bénéficié à la demanderesse durant cette période, s'il n'avait été contraint par la faute d'un tiers de suspendre son service aux Communautés.

Le juge d'appel admet qu'il n'apparaît pas du statut des fonctionnaires européens que les dépenses exposées par la demanderesse devraient demeurer à sa charge de manière définitive puisque le Statut a expressément prévu un recours propre et un recours subrogatoire à l'encontre du tiers responsable.

Le juge d'appel admet en outre qu'il n'est pas contesté que depuis le jour de l'accident, la demanderesse a été privée des prestations de P. B. qui n'a plus jamais repris le travail.

Il ressort par ailleurs des motifs du jugement attaqué qu'à la suite de l'accident dont Mme B. fut victime :

- le Parlement européen a continué à lui verser les rémunérations qui lui étaient dues durant les périodes d'incapacité de travail, et ce jusqu'au 31 janvier 2006, tel que prévu aux articles 59, 1er paragraphe, 1er alinéa et 62 du Statut;

- par la suite, à partir du 1er février 2006, la demanderesse lui a versé les allocations d'invalidité résultant de la reconnaissance du statut d'invalidité prévu à l'article 78 du Statut décrit ci-avant.

Les montants versés tant par le Parlement européen que par la demanderesse dans le cadre du régime d'invalidité de l'article 78 du Statut constituent la contrepartie des prestations que l'employeur aurait reçues si l'accident ne s'était pas produit.

La demanderesse a par conséquent subi un dommage au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil dès lors, d'une part, que les montants versés en application de l'article 78 du Statut ne doivent pas rester définitivement à sa charge et, d'autre part, que ces montants ont été versés par la demanderesse privée des prestations de Mme B. qui, en raison de son invalidité ayant pour conséquence une impossibilité d'exercer des fonctions correspondant à un emploi de sa carrière, fut tenue de « suspendre son service aux Communautés », « tant que dure cette incapacité ».

Le juge d'appel n'a pu dès lors légalement décider que la demanderesse n'était pas fondée à exercer un recours direct contre la défenderesse en raison du dommage subi correspondant aux montants versés à Mme B. en exécution de l'article 78 du Statut.

En refusant à la demanderesse le remboursement des débours effectués en faveur de Mme B. au motif que ces débours ne constitueraient pas une rémunération sensu stricto, contrepartie de prestations de travail de la victime, sans constater que, du fait de ces paiements, la demanderesse n'aurait pas personnellement subi un dommage et tout en admettant, par ailleurs, qu'il ne résulte pas du contenu ou de l'économie de la loi, du règlement ou de la convention que ces débours devaient rester définitivement à charge de la demanderesse, l'arrêt attaqué viole les dispositions du Statut et de son annexe visés au moyen. De la même manière, en considérant, sur la base de ce seul motif, que le dommage dont la demanderesse poursuivait la réparation ne serait pas réparable ou ne serait pas en relation causale avec la faute du responsable de l'accident, l'arrêt attaqué viole en outre la notion légale de dommage réparable et la notion légale de relation causale au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil.

DEVELOPPEMENTS

8.- A la suite d'un accident de la circulation dont Mme B., fonctionnaire de la demanderesse, fut victime en avril 1998, celle-ci s'est trouvée en incapacité de travail jusqu'au 31 janvier 2006.
A partir du 1er février 2006, elle fut mise en invalidité par décision du directeur de la gestion administrative du personnel lui reconnaissant une situation d'invalidité au sens de l'article 78 du statut des fonctionnaires européens, de sorte qu'à partir de cette date, la demanderesse fut amenée à lui verser des allocations d'invalidité.

Par la présente procédure, la demanderesse entendait récupérer ces montants à l'encontre de la défenderesse, assureur du tiers responsable de l'accident.
La demanderesse se prévalait de l'action directe prévue par l'article 85 bis, § 4 du Statut des fonctionnaires européens.

9.- L'objet de la demande dans le cadre de la présente procédure portait donc plus spécialement sur le remboursement des allocations d'invalidité versées à la victime en vertu de l'article 78 du Statut qui dispose que :

« Dans les conditions prévues aux articles 13 à 16 de l'annexe VIII, le fonctionnaire a droit à une allocation d'invalidité lorsqu'il est atteint d'une invalidité permanente considérée comme totale et le mettant dans l'impossibilité d'exercer des fonctions correspondant à un emploi de son groupe de fonctions. »

L'article 13 de l'annexe VIII du Statut auquel il est fait référence prévoit que :
« 1. Sous réserve des dispositions de l'article 1er, paragraphe 1, le fonctionnaire âgé de moins de 65 ans qui, au cours de la période durant laquelle il acquérait des droits à pension, est reconnu par la commission d'invalidité comme atteint d'une invalidité permanente considérée comme totale et le mettant dans l'impossibilité d'exercer des fonctions correspondant à un emploi de sa carrière et qui, pour ce motif, est tenu de suspendre son service aux Communautés, a droit, tant que dure cette incapacité, à l'allocation d'invalidité visée à l'article 78 du statut. (...) » (Mise en évidence par la soussignée).
Il s'agissait de déterminer si pour la récupération des montants versés en application de ces dispositions, la demanderesse pouvait se prévaloir de l'action directe stipulée à l'article 85 bis, § 4 du Statut des fonctionnaires européens.

10.- La question de l'étendue de l'action directe dont dispose l'employeur public à l'encontre du responsable et de son assureur a fait l'objet de précisions au fil de la jurisprudence de Votre Cour.
Pour un excellent exposé complet de cette évolution, on peut se référer aux conclusions de Monsieur l'avocat général Th. Werquin précédant l'arrêt rendu par Votre Cour le 24 janvier 2013 (RG C.12.0113.F et les nombreuses références citées).

11.- Il en résulte que le dommage dont l'employeur public peut réclamer la réparation directement au responsable d'un dommage causé à son fonctionnaire suppose qu'il soit établi :
- d'une part, que les montants versés au fonctionnaire en question en vertu de la convention, de la loi ou du règlement ne doivent pas rester définitivement à charge de celui qui y est obligé.
- d'autre part, que les montants versés constituent la contrepartie de prestations de travail dont il aurait bénéficié en l'absence d'accident. A cet égard, selon M. l'avocat général Th. Werquin, dans les conclusions précitées, le critère décisif est l'absence de prestations de l'agent, dont a été privé l'employeur public en raison de la faute commise par le tiers qui a rendu l'agent incapable de travailler ; dans cette hypothèse, si l'employeur public est obligé de verser une rémunération, il subit un préjudice réparable (Simar, Les balises nécessaires pour un chemin tortueux, J.L.M.B, 2011, p. 218).

12.- En ce qui concerne la première condition précitée, il n'était pas contesté en l'espèce que les montants versés en vertu de l'article 78 du Statut des fonctionnaires européens ne devaient pas définitivement rester à charge de la demanderesse.
Le jugement énonce en effet « qu'il n'apparaît pas du statut des fonctionnaires européens que les dépenses exposées par (la demanderesse) devrait demeurer à sa charge puisque ledit statut a expressément prévu un recours propre et un recours subrogatoire à l'encontre du tiers responsable » (jugement attaqué p. 9, avant dernier paragraphe).
Cette décision est conforme à la position définie par la Cour de justice de l'UE dans un arrêt rendu le 15 octobre 2015 (C-494/14 -Disponible sur le site de la Cour de justice).
Il s'agissait dans le cas dont était saisie la Cour de justice d'une espèce dans laquelle l'UE entendait obtenir le remboursement des montants versés à titre de frais médicaux, rémunération maintenue, et pension d'invalidité à la suite d'un accident de circulation ayant impliqué l'un de ses fonctionnaires et un assuré d'AXA.
La juridiction de renvoi indiquait être d'avis que :
« le remboursement de la pension d'invalidité versée par l'Union à Mme Corrazzini pourrait, en principe, être exigé sur le fondement d'un recours direct conformément à l'article 85 bis, paragraphe 4, du statut. À cet égard, elle estime que rien ne s'oppose à ce que l'Union, en tant qu'employeur de la victime, soit qualifiée d'«ayant droit», au sens de l'article 29 bis de la loi du 21 novembre 1989. »
Elle s'interrogeait sur la question de savoir si :
« la condition prévue à cet article, selon laquelle l'Union doit avoir personnellement subi un dommage, est remplie. À cet égard, elle relève que, si, selon la jurisprudence nationale, toute personne tenue d'effectuer un paiement, en vertu d'une obligation contractuelle, légale ou réglementaire, peut exercer un recours contre le tiers responsable, cette faculté est exclue concernant les dépenses ou les prestations devant, selon la teneur ou la portée de la convention, de la loi ou du règlement, rester définitivement à la charge de celui qui s'est obligé ou qui doit l'exécuter en vertu de la loi ou du règlement. »
La Cour de justice a répondu à cette question en précisant que « Le statut des fonctionnaires des Communautés européennes établi par le règlement n° 259/68, tel que modifié par le règlement n° 781/98, ne peut pas être interprété en ce sens que, dans le cadre d'une action directe en vertu de l'article 85 bis, paragraphe 4, de ce statut, les prestations que l'Union est tenue d'honorer au titre, d'une part, de l'article 73 dudit statut, visant à couvrir les risques de maladie et d'accident, et d'autre part, de l'article 78 de ce même statut pour le versement d'une pension d'invalidité doivent définitivement rester à sa charge ».

13.- En ce qui concerne la deuxième condition précitée, le juge d'appel a décidé dans le présent cas d'espèce que la demanderesse ne disposait pas d'un recours direct contre la défenderesse pour récupérer les allocations dites « d'invalidité » versées sur pied de l'article 78 du Statut dès lors que « seule la rémunération sensu stricto constitue la contrepartie des prestations de travail (dont l'employeur aurait bénéficié si l'accident ne s'était pas produit) ».
Il estime que les indemnités prévues par l'article 78 du Statut en cas d'invalidité ne constitue pas un dommage au sens de l'article 1382 du Code civil dès lors qu'elles ne constituent pas la contrepartie des prestations de travail que l'employeur aurait reçues si l'accident ne s'était pas produit.
Le juge d'appel s'est référé à l'appui de sa décision aux arrêts de Votre Cour des 24 janvier 2013 (RG C.12.0113.F et C.12.0308.F) et du 24 mai 2013 (RGC.12.0430.N) .

14.- La référence aux arrêts du 24 janvier 2013 ne paraît pas pertinente.
Il s'agissait en effet, dans ces deux cas d'espèce, d'une rente versée à la suite du décès de la victime au conjoint de celui-ci ou d'une pension d'orphelins et de survie aux enfants et à la veuve de l'agent décédé. Cette rente, ces pensions, n'étaient effectivement pas destinées à remplacer dans le chef de leur bénéficiaire une rémunération pour des prestations effectuées dans le cadre d'une relation de travail, puisqu'elles n'étaient pas payées à l'employé lui-même, et qu'en raison de son décès il ne pouvait s'agir de la contrepartie des prestations de travail que l'employeur aurait reçues si l'accident ne s'était pas produit.
Dans les conclusions écrites du ministère public précédant l'arrêt du 24 janvier (C.12/0113.F), ce dernier énonce d'ailleurs que « le critère décisif est l'absence de prestations de l'agent dont a été privé l'employeur public en raison de la faute commise par le tiers qui a rendu l'agent incapable de travailler. Dans cette hypothèse, si l'employeur public est obligé de verser une rémunération, il subit un préjudice réparable ».
Or, dans le cas d'espèce, la défenderesse a été privée des prestations de son fonctionnaire du fait que, par la faute commise par le tiers, ce fonctionnaire est devenu incapable de travailler et que la défenderesse a été obligée de lui verser une rémunération sous forme de pension d'invalidité.
Quant à l'arrêt de Votre Cour du 24 mai 2013, il met en évidence de la même manière la distinction à opérer entre les versements effectués par l'employeur public à titre de rémunérations et charges y afférentes qui sont constitutifs d'un dommage dans la mesure où ces montants sont la contrepartie des prestations de travail que l'employeur aurait reçues si l'accident ne s'était pas produit, et les montants qui sont versés au-delà de cette rémunération (notamment en raison d'une incapacité de travail permanente partielle), qui ne constituent pas la contrepartie des prestations de travail.
Or, dans le cas d'espèce, la défenderesse a versé à son fonctionnaire seulement une rémunération sous forme de pension d'invalidité.

15.- Pour constituer un préjudice réparable, il faut selon cette jurisprudence que les montants réclamés correspondent aux montants qui auraient été payés pour les prestations de travail dont l'employeur a été privé.
Selon S. Simar, il en résulte que : « La communauté européenne devra donc, à l'avenir, subir les contraintes inhérentes à la subrogation pour la récupération des décaissements qu'elle exécute en vertu de son statut à l'exception toutefois de ceux qui représentent strictement la perte de la prestation de travail.
Pour apprécier la portée de cette notion, il conviendra de se référer à ce que la Cour suprême a énoncé en matière de recours direct de l'employeur public. » (Simar, N., « Dans la continuité... », J.M.L.B, 2013/20, p. 1066-1068).

16.- A cet égard on peut se référer à un arrêt récent rendu le 5 mars 2015 par Votre Cour (C.14.0197.F).
Il s'agissait d'un pourvoi dirigé contre une décision qui avait refusé d'indemniser la Communauté française qui avait dû payer le traitement d'une enseignante du réseau libre subventionné pendant ses périodes d'incapacité temporaire dès lors que ce n'était pas la Communauté française qui subissait les inconvénients liés à l'absence de prestations mais bien son employeur.
Votre Cour a approuvé cette décision qui confirme sa position. Il n'y a préjudice justifiant une action directe contre le responsable que dans la mesure où les versements effectués correspondent à ce qui aurait été payé en contrepartie des prestations de travail de la victime. Dans cette mesure, seul l'employeur aurait une action directe à faire valoir.
Cet arrêt confirme par conséquent que la défenderesse en tant qu'employeur de son fonctionnaire, victime de l'accident, est bien fondée de faire valoir son recours direct.

17.- Dans un autre arrêt du 19 juin 2015 (C.12.0577.N), rendu sur avis conforme du Ministère public, Votre Cour a décidé que la pension d'invalidité versée à un membre du personnel admis à la pension d'office ensuite d'une incapacité permanente de travail en raison de lésions encourues par la faute d'un tiers, qui ne constitue pas une contrepartie pour les prestations de service que l'Union européenne aurait perçues si l'accident n'était pas survenu ne constitue pas un dommage indemnisable au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil.

18.- La solution retenue par les arrêts précités ne peut toutefois être transposée au cas d'espèce.
Il s'agissait ici de récupérer les allocations dites « d'invalidité » versées sur pied de l'article 78 du Statut qui prévoit que le fonctionnaire a droit à une allocation lorsqu'il est atteint d'une invalidité permanente considérée comme totale et le mettant dans l'impossibilité d'exercer des fonctions correspondant à un emploi de son groupe de fonction « et qui, pour ce motif, est tenu de suspendre son service aux Communautés ».

19.- L'article 78 renvoie en effet plus spécialement aux articles 13 à 16 de l'Annexe VIII, qui prévoit ce qui suit :
« Article 13
1. Sous réserve des dispositions de l'article 1er, paragraphe 1, le fonctionnaire âgé de moins de 65 ans qui, au cours de la période durant laquelle il acquérait des droits à pension, est reconnu par la commission d'invalidité comme atteint d'une invalidité permanente considérée comme totale et le mettant dans l'impossibilité d'exercer des fonctions correspondant à un emploi de sa carrière et qui, pour ce motif, est tenu de suspendre son service aux Communautés, a droit, tant que dure cette incapacité, à l'allocation d'invalidité visée à l'article 78 du statut.
2. Le bénéficiaire d'une allocation d'invalidité ne peut exercer une activité professionnelle rémunérée qu'à la condition d'y avoir été préalablement autorisé par l'autorité investie du pouvoir de nomination. Dans ce cas, la partie de tout revenu tiré de cette activité professionnelle rémunérée qui, cumulée avec l'allocation d'invalidité, dépasse la dernière rémunération globale perçue en activité établie sur la base du tableau des traitements en vigueur le premier jour du mois pour lequel l'allocation est à liquider, est déduite de cette allocation.
L'intéressé est tenu de fournir les preuves écrites qui peuvent être exigées et de notifier à l'institution tout élément susceptible de modifier son droit à l'allocation.
Article 14
Le droit à l'allocation d'invalidité naît à compter du premier jour du mois civil suivant la mise à la retraite en application de l'article 53 du statut.
Lorsque l'ancien fonctionnaire cesse de remplir les conditions requises pour bénéficier de cette allocation, il est obligatoirement réintégré, à la première vacance, dans un emploi de sa catégorie ou de son cadre correspondant à sa carrière, à condition qu'il possède les aptitudes requises pour cet emploi. S'il refuse l'emploi qui lui est offert, il conserve ses droits à réintégration, à la même condition, lors de la deuxième vacance dans un emploi de sa catégorie ou de son cadre correspondant à sa carrière; en cas de second refus, il peut être démis d'office.
En cas de décès de l'ancien fonctionnaire bénéficiaire de l'allocation d'invalidité, le droit à cette allocation s'éteint à la fin du mois civil au cours duquel l'ancien fonctionnaire est décédé.

Article 15
Tant que l'ancien fonctionnaire bénéficiant d'une allocation d'invalidité n'a pas atteint l'âge de 63 ans, l'institution peut le faire examiner périodiquement en vue de s'assurer qu'il réunit toujours les conditions requises pour bénéficier de cette allocation
(...)».

20.- Il résulte de cette disposition que la mise à la retraite dont il est question dans le régime en question ne peut pour la période concernée être assimilée à une mise à la pension d'office (comme c'était le cas dans l'affaire ayant donné lieu à Votre arrêt du 19 juin 2015 (C.12.0577.N). Le régime applicable en vertu de l'article 78 est temporaire, destiné à couvrir la période au cours de laquelle le fonctionnaire est dans l'impossibilité d'exercer des fonctions correspondant à un emploi de sa carrière et qui, pour ce motif, est tenu de suspendre son service aux Communautés tant que dure son incapacité.
Il s'agit donc bien d'un fonctionnaire dont le travail aurait bénéficié à l'UE durant cette période s'il n'avait été contraint par la faute d'un tiers de suspendre son service aux Communautés.
En tout état de cause, du fait de l'accident, la demanderesse a dû verser, sous forme de pension d'invalidité en vertu de l'article 78 du Statut, un montant mensuel à son fonctionnaire à hauteur de 70% de son traitement de base. Ce montant de l'allocation d'invalidité est donc en étroite relation avec la rémunération que le fonctionnaire recevait avant l'accident. Dans le système statutaire de l'Union européenne, la pension d'invalidité n'est pas une rente en complément à la rémunération, mais, selon la jurisprudence de l'Union, « équivaut (...) au besoin d'un revenu de remplacement (...)» (Arrêt du Tribunal de première instance du 27 juin 2000, Plug/Commission, T-47/97, point 73).
Par ailleurs, l'article 78 du Statut se trouve au chapitre 3 , "Pensions et allocations d'invalidité", alors que le chapitre 2, "Sécurité sociale", couvre les questions relatives aux frais médicaux (article 72) et au capital versé en cas d'invalidité permanente totale ou partielle (article 73). Ces deux chapitres se trouvent sous le titre V "Du régime pécuniaire et des avantages sociaux du fonctionnaire" du Statut.
Enfin, le financement de l'allocation d'invalidité ne suit pas les mêmes règles que les prestations au titre de la sécurité sociale : en effet, les frais médicaux sont financés via une contribution d'un tiers par le fonctionnaire et deux tiers par l'institution, tel que prévu à l'article 72, 1er paragraphe, 4ème alinéa du Statut ; le capital pour l'invalidité permanente totale ou partielle est couverte par une assurance que la Commission a contractée auprès d'un tiers. Or, l'allocation d'invalidité est payée sur le budget administratif de l'institution, à l'instar des rémunérations.
Pour toutes ces raisons, le paiement de l'allocation d'invalidité s'apparente à une rémunération de remplacement, tel que constaté par le juge de l'Union, et présente un lien étroit avec la rémunération que le fonctionnaire recevait avant l'accident.
Les montants versés constituent dès lors un préjudice réparable dans le chef de la demanderesse, susceptible d'être récupéré dans le cadre de l'action directe.
Le juge d'appel ne pouvait en conséquence priver la demanderesse de cette action directe qui lui est reconnue par l'article 85 bis, § 4 du Statut des fonctionnaires européens et n'a pas justifié légalement sa décision. Il a violé également ce faisant les articles 1382 et 1383 du Code civil, en refusant la réparation intégrale du dommage dont la demanderesse poursuivait la réparation.

PAR CES CONSIDERATIONS,

L'avocat à la Cour de cassation soussigné conclut qu'il vous plaise, Mesdames, Messieurs, de casser le jugement attaqué, ordonner que mention en soit faite en marge du jugement attaqué et renvoyer l'affaire devant un autre tribunal de première instance siégeant en degré d'appel.

Bruxelles, le 29 juillet 2016

Pour la demanderesse,

Isabelle Heenen


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.16.0344.F
Date de la décision : 16/02/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-02-16;c.16.0344.f ?

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