La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/02/2018 | BELGIQUE | N°C.15.0538.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 08 février 2018, C.15.0538.N


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.15.0538.N
1. S. M., avocat,
2. E. J., avocat,
Me Chris Persyn et Me Neil Braeckevelt, avocats au barreau de Bruges,

en présence de

ORDE VAN VLAAMSE BALIES,
Me Paul Wouters, avocat à la Cour de cassation.

I. La procédure devant la Cour
L'action tend à l'annulation de la Section III.2.6bis du Code de déontologie des avocats, insérée par le règlement relatif aux modalités de succession d'avocats dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne et Salduz, "Chapitre III.2 -

Relations à l'égard des avocats" dans la "Partie III - Exercice de la profession d&...

Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.15.0538.N
1. S. M., avocat,
2. E. J., avocat,
Me Chris Persyn et Me Neil Braeckevelt, avocats au barreau de Bruges,

en présence de

ORDE VAN VLAAMSE BALIES,
Me Paul Wouters, avocat à la Cour de cassation.

I. La procédure devant la Cour
L'action tend à l'annulation de la Section III.2.6bis du Code de déontologie des avocats, insérée par le règlement relatif aux modalités de succession d'avocats dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne et Salduz, "Chapitre III.2 - Relations à l'égard des avocats" dans la "Partie III - Exercice de la profession d'avocat", approuvé aux assemblées générales des 24 juin 2015 et 23 septembre 2015 (ci-après : le règlement attaqué).
Le 22 décembre 2017, l'avocat général André Van Ingelgem a déposé des conclusions.
Le président de section Alain Smetryns a fait rapport.
L'avocat général André Van Ingelgem a conclu.

II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, les demanderesses présentent quatre moyens.

III. La décision de la Cour

Sur le premier moyen :

1. En vertu de l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement lorsqu'un tribunal décide des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil ou sur le bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.
En vertu de l'article 6.3.c de ladite convention, tout accusé a droit notamment à se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent.
Ni ces dispositions, ni le principe général du droit relatif au respect des droits de la défense n'impliquent un droit absolu à l'assistance d'un avocat de son choix.

Le droit au libre choix d'un avocat est, sans préjudice de l'importance que revêt la confiance dans la relation entre un avocat et son client, nécessairement soumis à certaines restrictions dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne. Le droit d'être défendu dans ce cadre par un avocat de son choix peut être soumis à des restrictions lorsque des motifs pertinents et suffisants rendent ces restrictions nécessaires dans l'intérêt de la justice.
2. En vertu de l'article III.2.6bis.1 du règlement attaqué, un avocat qui souhaite également intervenir dans ce cadre peut succéder à un avocat qui intervient dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne, pourvu que les conditions suivantes soient remplies :
"En cas de rupture de confiance ou d'autre motif grave dans le chef du client à l'égard de l'avocat désigné par le Bureau d'Aide Juridique (BAJ) ou le bâtonnier, le client, le candidat avocat successeur ou le bâtonnier le signale par écrit ou par voie électronique et de manière motivée à l'avocat désigné.
Il remet en même temps cette lettre au BAJ qui a désigné l'avocat, en lui demandant la désignation d'un successeur. Dans cette lettre, il prie également l'avocat désigné de bien vouloir indiquer au BAJ, dans les deux jours ouvrables (samedis, dimanches et jours fériés non compris), ou par retour de courrier en cas d'urgence, s'il y a des objections contre la succession, avec copie à l'avocat qui demande à succéder.
- Si aucune objection n'est formulée, la succession peut en principe être autorisée. L'avocat prédécesseur est déchargé et le BAJ en informe l'avocat successeur et le justiciable.
- En revanche, si une objection est formulée, la partie qui demande la succession est informée que celle-ci ne peut provisoirement pas être autorisée. Après une éventuelle explication et après avoir entendu l'avocat auquel un confrère est appelé à succéder, le président du BAJ peut procéder à sa décharge, si une rupture de confiance ou un autre motif grave justifiant la succession est démontré.
Si la succession est refusée, le justiciable en est informé par écrit ou par voie électronique."
En vertu de l'article III.2.6bis.2 du règlement attaqué, ce n'est qu'après que le BAJ, qui a également procédé initialement à la désignation, a approuvé la décharge de l'avocat désigné à l'origine, que ce même BAJ ou un autre, suivant le barreau dont fait partie l'avocat successeur, peut désigner l'avocat successeur en tant que conseil dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne. Tant que le premier avocat désigné n'a pas reçu de décharge, il reste désigné.
3. Le règlement attaqué n'exclut donc pas qu'un avocat choisi par le justiciable succède à l'avocat originairement désigné dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne, mais limite cette possibilité lorsque l'avocat prédécesseur n'y consent pas. Dans ce cas, la succession n'est possible que si une rupture de confiance ou un autre motif grave de succession est démontré.
4. La partie intervenante volontaire fait valoir que le règlement attaqué poursuit les objectifs suivants :
- offrir une solution aux problèmes de succession d'avocats, lorsqu'un avocat agissant dans le cadre d'une aide juridique de deuxième ligne est remplacé par un avocat qui souhaite également agir dans ce cadre ;
- éviter que le service d'aide juridique de deuxième ligne, qui doit s'efforcer de fonctionner avec des ressources publiques limitées et qui manque de moyens, ne fasse l'objet d'abus par le biais de désignations inutiles ou multiples pour la même intervention, de sorte que le coût de l'aide juridique de deuxième ligne augmente abusivement ;
- éviter qu'un justiciable n'abuse du système en faisant son"shopping" à son gré, et en faisant intervenir pro deo pour lui plusieurs avocats successifs, auxquels rien de substantiel ne peut être reproché ;
- remédier au problème du débauchage illicite.
5. Le règlement attaqué, qui élabore un système de résolution des problèmes de succession dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne, répond ainsi à des objectifs légitimes sans restreindre la liberté de choix de l'avocat au-delà de ce qui est nécessaire pour la bonne administration de la justice et le maintien du régime de l'aide juridique de deuxième ligne.
En tant qu'il soutient que le règlement attaqué viole les articles 6.1 et 6.3.c de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que le principe général du droit relatif au respect des droits de la défense, le moyen ne peut être accueilli.
6. La règle de l'égalité des Belges devant la loi contenue dans l'article 10 de la Constitution et celle de la non-discrimination dans la jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges contenue dans l'article 11 de la Constitution impliquent que tous ceux qui se trouvent dans la même situation soient traités de la même manière mais n'excluent pas qu'une distinction soit faite entre différentes catégories de personnes pour autant que le critère de distinction soit susceptible de justification objective et raisonnable. L'existence d'une telle justification doit s'apprécier par rapport au but et aux effets de la mesure prise. Le principe de l'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
7. Le règlement attaqué n'exclut pas la succession dans le cas de l'aide juridique de deuxième ligne, mais la limite lorsque l'avocat auquel un confrère est appelé à succéder ne peut y consentir. La succession n'est dans ce cas possible que si une rupture de confiance ou un autre motif grave de succession est démontré.
Il naît ainsi une différence de traitement, tant à l'égard des avocats que des justiciables, lors de la succession d'avocats dans le contexte de l'aide juridique de deuxième ligne et lors de cette succession dans d'autres situations, où la succession est en principe toujours autorisée.
Il existe une différence objective à cette différence de traitement, à savoir le financement ou non de l'aide par des fonds publics
Ces mesures qui, comme établi précédemment, visent à prévenir les abus et à garantir le plus adéquatement possible le droit à une aide juridique de deuxième ligne, poursuivent des objectifs légitimes et sont également pertinentes. Par ailleurs, les mesures prévues par le règlement attaqué sont proportionnelles aux objectifs mentionnés. Elles n'excluent pas la succession, mais la soumettent à un contrôle lorsque l'avocat auquel un confrère est appelé à succéder formule des objections contre cette succession. La succession est autorisée malgré ces objections s'il y a des raisons d'y procéder. Au cours de la procédure, le bénéficiaire n'est pas privé d'aide juridique.
Le règlement attaqué n'excède donc pas ce qui est nécessaire.
Dans la mesure où il invoque la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, le moyen ne peut être accueilli.
8. En prenant le règlement attaqué, qui, instaurant des règles visant à résoudre les problèmes de succession dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne, n'exclut pas la succession d'un avocat choisi par le justiciable à l'avocat originairement désigné, mais, en l'absence du consentement de l'avocat auquel un confrère est appelé à succéder, afin de prévenir les abus et de garantir de manière aussi adéquate que possible le droit à l'aide judiciaire, limite ce droit aux cas où une rupture de confiance ou un autre motif grave de succession est démontré, la partie intervenante volontaire n'a pas réellement affecté la liberté de choix de l'avocat prévue par la législation en vigueur sur l'aide juridique de deuxième ligne avant l'approbation dudit règlement, et n'a donc pas excédé ses compétences légales.
Dans cette mesure, le moyen ne peut davantage être accueilli.
(...)

Sur le troisième moyen :

12. En vertu de l'article 508/7 du Code judiciaire, au sein de chaque barreau, le conseil de l'Ordre des avocats établit un bureau d'aide juridique selon les modalités et les conditions qu'il détermine.
Cette disposition habilite le conseil à fixer des règles en matière de composition et de représentation du bureau d'assistance juridique.
En tant qu'il soutient que le règlement attaqué confère au président du BAJ, dont la fonction en tant que telle n'est pas définie dans le Code judiciaire, un pouvoir sans base légale, le moyen manque en droit.
13. La seule circonstance que le président du BAJ est impliqué dans la désignation initiale de l'avocat auquel un confrère est appelé à succéder ne signifie pas qu'il ne pourrait pas prendre de décision avec l'impartialité requise sur la "rupture de confiance" ou l'"autre motif grave de succession" invoqués par le justiciable, afin de procéder à la décharge.
En tant qu'il se fonde sur le soutènement contraire, le moyen manque en droit.
14. Les notions de "rupture de confiance" et de "motif grave" peuvent être définies de façon suffisamment claire et objective pour permettre un contrôle judiciaire desdites notions.
En tant qu'il se fonde sur le soutènement contraire, le moyen manque en droit.
15. En vertu de l'article 580, alinéa 1er, 18°, du Code judiciaire, le tribunal du travail connaît des recours contre les décisions du bureau d'aide juridique.
En tant qu'il suppose qu'il n'existe pas de voie de recours contre les décisions prises par la BJB dans le cadre du règlement attaqué, à l'intervention de son président, en ce qui concerne le refus d'accorder la décharge pour rupture de confiance ou tout autre motif grave, le moyen manque en droit.

Sur le quatrième moyen :

16. Le moyen invoque en matière de droit à l'aide juridique, une violation de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales mais ne précise en aucune façon de quelle manière le règlement attaqué violerait cet article.
Dans cette mesure, le moyen est, à défaut de précision, irrecevable.

17. En vertu de l'article I.8, 20°, du Code de droit économique, est une clause abusive toute clause ou toute condition dans un contrat entre une personne exerçant une profession libérale et un consommateur qui, à elle seule ou combinée avec une ou plusieurs autres clauses ou conditions, crée un déséquilibre manifeste entre les droits et les obligations des parties au détriment du consommateur.
En vertu de l'article XIV.51, § 1er, alinéa 1er, de ce code, toute clause abusive est interdite et nulle.
L'article XIV.50 du même code comporte une liste de clauses abusives dans les contrats conclus entre un titulaire d'une profession libérale et un consommateur.
Le règlement attaqué n'est pas un contrat conclu entre le titulaire d'une profession libérale et un consommateur au sens de ces dispositions.
Dans la mesure où il en invoque la violation, le moyen ne peut être accueilli.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette la requête en annulation ;
Condamne les demanderesses aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Eric Dirix, président, le président de section Alain Smetryns, les conseillers Koen Mestdagh, Geert Jocqué et Koenraad Moens, et prononcé en audience publique du huit février deux mille dix-huit par le président de section Eric Dirix, en présence de l'avocat général André Van Ingelgem, avec l'assistance du greffier Kristel Vanden Bossche.

Traduction établie sous le contrôle du président de section Martine Regout et transcrite avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.15.0538.N
Date de la décision : 08/02/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-02-08;c.15.0538.n ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award