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08/02/2018 | BELGIQUE | N°C.15.0537.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 08 février 2018, C.15.0537.N


Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.15.0537.N
G. P., avocat,
Me Emmanuel Aspeele, avocat au barreau de Bruges,

contre

ORDE VAN VLAAMSE BALIES,
Me Paul Wouters, avocat à la Cour de cassation.

I. La procédure devant la Cour
L'action tend à l'annulation de la Section III.2.6bis du Code de déontologie des avocats, insérée par le règlement relatif aux modalités de succession d'avocats dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne et Salduz, "Chapitre III.2 - Relations à l'égard des avocats" dans la &q

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Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.15.0537.N
G. P., avocat,
Me Emmanuel Aspeele, avocat au barreau de Bruges,

contre

ORDE VAN VLAAMSE BALIES,
Me Paul Wouters, avocat à la Cour de cassation.

I. La procédure devant la Cour
L'action tend à l'annulation de la Section III.2.6bis du Code de déontologie des avocats, insérée par le règlement relatif aux modalités de succession d'avocats dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne et Salduz, "Chapitre III.2 - Relations à l'égard des avocats" dans la "Partie III - Exercice de la profession d'avocat", approuvé aux assemblées générales des 24 juin 2015 et 23 septembre 2015 (ci-après : le règlement attaqué).
Le 22 décembre 2017, l'avocat général André Van Ingelgem a déposé des conclusions.
Le président de section Alain Smetryns a fait rapport.
L'avocat général André Van Ingelgem a conclu.

II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente quatre moyens.

III. La décision de la Cour

Sur le premier moyen :

1. En vertu de l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement lorsqu'un tribunal décide des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil ou sur le bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.
En vertu de l'article 6.3.c de ladite convention, tout accusé a droit notamment à se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent.
Ni ces dispositions, ni le principe général du droit relatif au respect des droits de la défense n'impliquent un droit absolu à l'assistance d'un avocat de son choix.

Le droit au libre choix d'un avocat est, sans préjudice de l'importance que revêt la confiance dans la relation entre un avocat et son client, nécessairement soumis à certaines restrictions dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne. Le droit d'être défendu dans ce cadre par un avocat de son choix peut être soumis à des restrictions lorsque des motifs pertinents et suffisants rendent ces restrictions nécessaires dans l'intérêt de la justice.
2. En vertu de l'article III.2.6bis.1 du règlement attaqué, un avocat qui souhaite également intervenir dans ce cadre peut succéder à un avocat qui intervient dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne, pourvu que les conditions suivantes soient remplies :
"En cas de rupture de confiance ou d'autre motif grave dans le chef du client à l'égard de l'avocat désigné par le Bureau d'Aide Juridique (BAJ) ou le bâtonnier, le client, le candidat avocat successeur ou le bâtonnier le signale par écrit ou par voie électronique et de manière motivée à l'avocat désigné.
Il remet en même temps cette lettre au BAJ qui a désigné l'avocat, en lui demandant la désignation d'un successeur. Dans cette lettre, il prie également l'avocat désigné de bien vouloir indiquer au BAJ, dans les deux jours ouvrables (samedis, dimanches et jours fériés non compris), ou par retour de courrier en cas d'urgence, s'il y a des objections contre la succession, avec copie à l'avocat qui demande à succéder.
- Si aucune objection n'est formulée, la succession peut en principe être autorisée. L'avocat prédécesseur est déchargé et le BAJ en informe l'avocat successeur et le justiciable.
- En revanche, si une objection est formulée, la partie qui demande la succession est informée que celle-ci ne peut provisoirement pas être autorisée. Après une éventuelle explication et après avoir entendu l'avocat auquel un confrère est appelé à succéder, le président du BAJ peut procéder à sa décharge, si une rupture de confiance ou un autre motif grave justifiant la succession est démontré.
Si la succession est refusée, le justiciable en est informé par écrit ou par voie électronique."
En vertu de l'article III.2.6bis.2 du règlement attaqué, ce n'est qu'après que le BAJ, qui a également procédé initialement à la désignation, a approuvé la décharge de l'avocat désigné à l'origine, que ce même BAJ ou un autre, suivant le barreau dont fait partie l'avocat successeur, peut désigner l'avocat successeur en tant que conseil dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne. Tant que le premier avocat désigné n'a pas reçu de décharge, il reste désigné.
3. Le règlement attaqué n'exclut donc pas qu'un avocat choisi par le justiciable succède à l'avocat originairement désigné dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne, mais limite cette possibilité lorsque l'avocat prédécesseur n'y consent pas. Dans ce cas, la succession n'est possible que si une rupture de confiance ou un autre motif grave de succession est démontré.
4. La partie intervenante volontaire fait valoir que le règlement attaqué poursuit les objectifs suivants :
- offrir une solution aux problèmes de succession d'avocats, lorsqu'un avocat agissant dans le cadre d'une aide juridique de deuxième ligne est remplacé par un avocat qui souhaite également agir dans ce cadre ;
- éviter que le service d'aide juridique de deuxième ligne, qui doit s'efforcer de fonctionner avec des ressources publiques limitées et qui manque de moyens, ne fasse l'objet d'abus par le biais de désignations inutiles ou multiples pour la même intervention, de sorte que le coût de l'aide juridique de deuxième ligne augmente abusivement ;
- éviter qu'un justiciable n'abuse du système en faisant son"shopping" à son gré, et en faisant intervenir pro deo pour lui plusieurs avocats successifs, auxquels rien de substantiel ne peut être reproché ;
- remédier au problème du débauchage illicite.
5. Le règlement attaqué, qui élabore un système de résolution des problèmes de succession dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne, répond ainsi à des objectifs légitimes sans restreindre la liberté de choix de l'avocat au-delà de ce qui est nécessaire pour la bonne administration de la justice et le maintien du régime de l'aide juridique de deuxième ligne.
En tant qu'il soutient que le règlement attaqué viole les articles 6.1 et 6.3.c de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que le principe général du droit relatif au respect des droits de la défense, le moyen ne peut être accueilli.
6. En vertu de l'article 23 de la Constitution, chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. À cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice. Ces droits comprennent notamment, conformément à l'article 23, alinéa 3, 2°, de la Constitution, le droit à l'aide juridique.
L'article 23 de la Constitution comprend, dans les matières qui le concernent, une obligation de standstill. Cela signifie que cette disposition oblige l'autorité compétente à maintenir le bénéfice des normes en vigueur, en l'occurrence celles qui ont trait au droit à l'aide juridique, en lui interdisant d'aller à l'encontre des objectifs poursuivis. Cette obligation ne peut toutefois s'entendre comme imposant à l'autorité compétente, dans le cadre de ses compétences, de ne pas toucher aux modalités de l'aide sociale prévues par la loi. Elle interdit à l'autorité compétente d'adopter, sans qu'existent pour ce faire des motifs d'intérêt général, des mesures qui marqueraient un recul significatif du droit garanti par l'article 23, alinéa 1er et alinéa 3, 2°, de la Constitution, mais elle ne les prive pas du pouvoir d'apprécier de quelle manière ce droit sera le plus adéquatement assuré.
Les dispositions légales existant à l'époque du règlement attaqué ne prévoyaient pas un droit absolu au libre choix par le justiciable lors de la désignation initiale d'un avocat dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne et ne comprenaient par ailleurs aucune autre disposition en matière de succession de l'avocat initialement désigné.
Le règlement attaqué, qui instaure des règles visant à résoudre les problèmes de succession dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne, qui n'exclut pas le droit qu'un avocat choisi par le justiciable succède à l'avocat originairement désigné, mais, en l'absence du consentement de l'avocat auquel un confrère est appelé à succéder et afin de prévenir les abus et de garantir de manière aussi adéquate que possible le droit à l'aide judiciaire, limite ce droit aux cas où une rupture de confiance ou un autre motif grave de succession est démontré, n'affecte pas effectivement la liberté de choix de l'avocat prévue par la législation en vigueur sur l'aide juridique de deuxième ligne avant l'approbation dudit règlement.
Dans cette mesure, le moyen ne peut davantage être accueilli.

Sur le second moyen :

7. La règle de l'égalité des Belges devant la loi contenue dans l'article 10 de la Constitution et celle de la non-discrimination dans la jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges contenue dans l'article 11 de la Constitution impliquent que tous ceux qui se trouvent dans la même situation soient traités de la même manière mais n'excluent pas qu'une distinction soit faite entre différentes catégories de personnes pour autant que le critère de distinction soit susceptible de justification objective et raisonnable. L'existence d'une telle justification doit s'apprécier par rapport au but et aux effets de la mesure prise. Le principe de l'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
8. Le règlement attaqué n'exclut pas la succession dans le cas de l'aide juridique de deuxième ligne, mais la limite lorsque l'avocat auquel un confrère est appelé à succéder ne peut y consentir. La succession n'est dans ce cas possible que si une rupture de confiance ou un autre motif grave de succession est démontré.
Il naît ainsi une différence de traitement entre la succession d'avocats dans le contexte de l'aide juridique de deuxième ligne et la succession dans d'autres situations, où la succession est en principe toujours autorisée.

9. Il existe une distinction objective, à savoir le financement ou non de l'aide par les fonds publics, entre le justiciable qui bénéficie d'une aide dans le cadre de l'aide juridique gratuite de deuxième ligne et celui qui n'en bénéficie pas.
Ces mesures qui, ainsi qu'il est constaté dans la réponse au premier moyen, visent à prévenir les abus et à garantir le plus adéquatement possible le droit à une aide juridique de deuxième ligne, ont des objectifs légitimes et sont également à considérer comme pertinentes. Par ailleurs, les mesures prévues par le règlement attaqué sont proportionnelles aux objectifs mentionnés. Elles n'excluent pas la succession, mais la soumettent à un contrôle lorsque l'avocat auquel un confrère est appelé à succéder formule des objections contre cette succession. La succession est autorisée malgré cette objection s'il y a des raisons d'y procéder. Au cours de la procédure, le bénéficiaire n'est pas privé d'aide juridique.
Le règlement attaqué n'excède donc pas ce qui est nécessaire.
10. Dans la mesure où il invoque la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, le moyen ne peut être accueilli.
11. En tant qu'il invoque la violation de l'article 7 de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, le moyen est entièrement déduit de la violation, vainement alléguée, des articles 10 et 11 de la Constitution.

Sur le quatrième moyen :

11. Les décisions d'une association d'entreprises restreignant la liberté d'action sur le marché concerné ne tombent pas toutes sous le coup de l'interdiction prévue à l'article IV.1, § 1er, du Code de droit économique.
Un règlement de la partie intervenante volontaire par lequel, comme en l'espèce, elle poursuit un objectif d'ordre public susceptible d'avoir un effet défavorable sensible sur la concurrence sur le marché en cause ou une partie substantielle de celui-ci n'est interdit que lorsque les effets limitatifs de la concurrence qui en découlent ne sont pas inhérents aux objectifs légitimes du règlement qui, en l'espèce, est en rapport avec la nécessité de fixer des règles en matière d'organisation et de surveillance de la succession dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne afin de garantir à ses bénéficiaires des prestations de qualité servant les intérêts de la justice.
Ainsi qu'il résulte de la réponse aux premier et deuxième moyens, le règlement attaqué n'excède pas ce qui est nécessaire afin de prévenir les abus et de garantir le plus adéquatement possible le droit à une aide juridique de deuxième ligne.
Le moyen ne peut être accueilli.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette la requête en annulation ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Eric Dirix, président, le président de section Alain Smetryns, les conseillers Koen Mestdagh, Geert Jocqué et Koenraad Moens, et prononcé en audience publique du huit février deux mille dix-huit par le président de section Eric Dirix, en présence de l'avocat général André Van Ingelgem, avec l'assistance du greffier Kristel Vanden Bossche.

Traduction établie sous le contrôle du président de section Martine Regout et transcrite avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.15.0537.N
Date de la décision : 08/02/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-02-08;c.15.0537.n ?

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