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02/02/2018 | BELGIQUE | N°C.16.0167.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 02 février 2018, C.16.0167.F


N° C.16.0167.F
TEOXANE, société de droit suisse, dont le siège est établi à Genève (Suisse), rue de Lyon, 105, Les Charmilles,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Montagne, 11, où il est fait élection de domicile,

contre

1. FILORGA BENELUX, société anonyme dont le siège social est établi à Anderlecht, boulevard Paepsem, 18 A,
2. FILORGA MANUFACTURING, société anonyme dont le siège social est établi à Anderlecht, boulevard Paepsem, 18 A,


défenderesses en cassation,
représentées par Maître Martin Lebbe, avocat à la Cour de cassation...

N° C.16.0167.F
TEOXANE, société de droit suisse, dont le siège est établi à Genève (Suisse), rue de Lyon, 105, Les Charmilles,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Montagne, 11, où il est fait élection de domicile,

contre

1. FILORGA BENELUX, société anonyme dont le siège social est établi à Anderlecht, boulevard Paepsem, 18 A,
2. FILORGA MANUFACTURING, société anonyme dont le siège social est établi à Anderlecht, boulevard Paepsem, 18 A,
défenderesses en cassation,
représentées par Maître Martin Lebbe, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 106, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 27 janvier 2016 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le 16 janvier 2018, l'avocat général Philippe de Koster a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Martine Regout a fait rapport et l'avocat général Philippe de Koster a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- article 149 de la Constitution ;
- articles 1032 et, pour autant que de besoin, 1068 et 1369bis/1, § 7, du Code judiciaire.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt attaqué décide que c'est « à juste titre que le président du tribunal de commerce francophone de Bruxelles a débouté [la demanderesse] de sa seconde requête en saisie-description du 7 juillet 2015 au motif qu'elle aurait dû être portée devant la cour d'appel de Bruxelles » et, partant, déclare non fondé l'appel de la demanderesse, sur la base des motifs suivants :
« 8. [Les défenderesses] opposent les articles 1032, 1068 et 1369bis/1, § 7, du Code judiciaire à la requête en saisie-description de [la demanderesse] du 7 juillet 2015. La réitération par [la demanderesse] de sa demande de saisie-description constitue, selon elles, une hypothèse d'action en rétractation ou en modification qui devait être introduite devant la cour d'appel ayant rendu l'arrêt du 30 avril 2015. Elles en concluent que c'est à juste titre que le président du tribunal de commerce francophone de Bruxelles a décidé que la seconde requête en saisie-description de [la demanderesse] est irrecevable.
Selon [la demanderesse], rien ne s'oppose à l'introduction d'une nouvelle demande de saisie-description sur requête unilatérale devant le président du tribunal de commerce francophone de Bruxelles pour autant qu'il soit fait état d'éléments nouveaux qui ne lui ont pas été soumis lors de la première demande. Elle soutient que sa requête du 7 juillet 2015 n'est pas une demande en modification ou rétractation de la décision rendue sur la première requête et que l'article 1032 du Code judiciaire n'est pas applicable.
9. L'examen de la requête du 7 juillet 2015 de [la demanderesse] révèle que celle-ci concerne les mêmes faits litigieux que ceux visés dans sa requête du 12 février 2015 - à savoir, une atteinte par Filorga à ses brevets français FR 2 945 293 et FR 2 968 305. Dans sa seconde requête, [la demanderesse] prétend au bénéfice de la même norme juridique que celle visée dans sa première requête, soit l'article 1369bis/1 du Code judiciaire, et ce à l'encontre des deux mêmes sociétés, [les défenderesses].
La requête du 7 juillet 2015 de [la demanderesse] constitue la réitération de la demande formulée le 12 février 2015.

[La demanderesse] ne le conteste du reste pas sérieusement dès lors que, dans sa requête du 7 juillet 2015, elle met en exergue que ‘depuis l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 30 avril 2015, un fait nouveau et pertinent est apparu' et qu'en termes de conclusions d'appel, elle souligne que sa demande du 7 juillet 2015 se fonde sur des éléments nouveaux.
L'usage qu'elle affirme vouloir faire des preuves obtenues dans le cadre de la seconde requête en saisie-description - à savoir soutenir une action en contrefaçon - n'infirme pas ce constat. La requête du 7 juillet 2015 est une réitération de la requête du 12 février précédent.
10. En matière de saisie-description, la volonté du législateur de 2007 a été de lui maintenir sa nature de procédure unilatérale régie par les articles 1025 à 1034 du Code judiciaire.
L'article 1369bis/1, § 7, du Code judiciaire (inséré par l'article 22 de la loi du 10 mai 2007 relative aux aspects de droit judiciaire de la protection des droits de propriété intellectuelle) prévoit que ‘l'ordonnance accordant ou refusant les mesures de description ou de saisie et l'ordonnance accordant ou refusant la rétractation de ces mesures sont soumises aux recours prévus aux articles 1031 à 1034'.
L'article 1031 du Code judiciaire vise l'hypothèse de l'appel interjeté par le requérant ou par toute partie intervenante contre l'ordonnance.
L'article 1033 du même Code ouvre la voie de la tierce opposition à toute personne qui n'est pas intervenue à la cause en la même qualité.
L'article 1034 du Code judiciaire prévoit l'application de l'article 1125 du même Code à l'opposition formée en vertu de l'article 1033 du Code judiciaire.
Enfin, l'article 1032 du Code judiciaire - disposition discutée en l'espèce - énonce que ‘le requérant ou l'intervenant peut lorsque les circonstances ont changé et sous réserve des droits acquis par des tiers, demander par requête la modification ou la rétraction de l'ordonnance au juge qui l'a rendue'.

11. Les parties s'opposent sur la portée de ce dernier article.
Selon [la demanderesse], l'article 1032 du Code judiciaire n'est pas applicable in casu car il suppose une ordonnance ayant ordonné des mesures dont la modification ou la rétractation est demandée. Tel n'est pas le cas puisqu'elle a été déboutée de sa première requête. Selon [les défenderesses], l'article 1032 du Code judiciaire englobe l'hypothèse de l'ordonnance de débouté du requérant.
[La demanderesse] s'appuie sur une consultation du professeur Englebert tandis que [les défenderesses] invoquent les écrits du professeur Boularbah .
Pour autant que de besoin, il convient de rappeler qu'en vertu de l'article 780 du Code judiciaire, le jugement contient une réponse aux moyens des parties exposés dans leurs conclusions. Les consultations juridiques versées à leur dossier par chacune des parties ne constituent pas des conclusions. Partant, dans le respect du principe de l'office du juge, la cour [d'appel] n'est tenue de répondre aux développements juridiques contenus dans ces consultations que dans la mesure où ils sont reproduits dans les conclusions des parties.
12. Les parties s'accordent sur le fait que la décision de la cour [d'appel] du 30 avril 2015 a une autorité de chose décidée.
L'autorité de chose décidée attachée à cette décision s'impose au requérant, soit [la demanderesse]. En son principe, l'autorité de chose décidée est identique qu'il ait été fait droit ou non, partiellement ou totalement, aux mesures sollicitées par le requérant.
La réitération par [la demanderesse] de sa demande du 12 février 2015 se heurte dès lors à l'autorité de la chose décidée attachée à l'arrêt de la cour [d'appel] du 30 avril 2015.
En ce sens, la seconde requête du 7 juillet 2015, réitération de la requête du 12 février 2015, constitue une demande en modification ou rétractation de la décision rendue sur la première requête, comme l'a décidé à juste titre le premier juge.

13. Ensuite, rien dans le texte même de l'article 1032 du Code judiciaire n'appuie l'affirmation de [la demanderesse] selon laquelle cette disposition vise uniquement l'hypothèse d'une ordonnance ayant ordonné des mesures dont la modification ou la rétractation est demandée.
L'article 1032 du Code judiciaire vise la modification ou la rétractation de ‘l'ordonnance' - et non de mesures auxquelles ladite ordonnance aurait dû, selon l'hypothèse suivie par [la demanderesse], faire droit - et ne restreint pas cette possibilité à la seule ordonnance qui aurait accordé des mesures sollicitées sur requête unilatérale. Les termes ‘modification' et ‘rétractation' n'impliquent pas davantage en soi que le requérant ait obtenu gain de cause, fût-ce partiellement. La réitération d'une demande peut parfaitement constituer une forme de demande de rétractation de l'ordonnance déboutant le requérant.
Rien ne justifie que soit exclue du champ d'application de l'article 1032 du Code judiciaire l'hypothèse de l'ordonnance déboutant le requérant.
14. Le rapport Van Reephinghen - dont le législateur a fait siens les travaux - conforte du reste l'analyse qui précède.
Commentant l'article 1032 du Code Judiciaire, M. Van Reephinghen expose, en effet, que ‘le requérant ne peut réitérer une demande qui a été rejetée ou solliciter une modification ou une rétractation de la décision que si les conditions qui ont justifié celle-ci sont modifiées (article 1032)' (Rapport sur la réforme judiciaire, 1964, p. 372).
15. Il découle de l'ensemble de ces considérations que l'article 1032 du Code judiciaire est applicable en l'espèce.
16. Conformément à celui-ci, la demande en modification ou en rétractation de l'ordonnance doit être portée devant le ‘juge qui l'a rendue'.
Le président du tribunal de commerce francophone de Bruxelles étant dessaisi de la première demande du 12 février 2015 puisque [la demanderesse] a interjeté appel devant la cour d'appel de Bruxelles et que cet appel a été déclaré recevable, il appartenait à ce requérant de déposer sa seconde requête, réitération de la première, devant la cour d'appel étant la juridiction qui l'a débouté et dont il entend voir les effets de la décision modifiés ou supprimés.
C'est dès lors à juste titre que le président du tribunal de commerce francophone de Bruxelles a débouté [la demanderesse] de sa seconde requête en saisie-description du 7 juillet 2015 au motif qu'elle aurait dû être portée devant la cour d'appel de Bruxelles.
L'appel de [la demanderesse] n'est dès lors pas fondé.
L'examen des autres moyens et/ou arguments développés de part et d'autre est surabondant et ne saurait amener la cour [d'appel] à un dispositif autre que celui qui résulte des moyens précédents ».

Griefs

Première branche

1. L'article 1369bis/1, § 7, du Code judiciaire dispose comme suit :
« L'ordonnance accordant ou refusant les mesures de description ou de saisie et l'ordonnance accordant ou refusant la rétractation de ces mesures sont soumises aux recours prévus aux articles 1031 à 1034.
Le saisi peut, en cas de changement de circonstances, requérir la modification ou la rétractation de l'ordonnance en citant à cette fin toutes les parties devant le juge qui a rendu l'ordonnance.
L'ordonnance de rétractation vaut mainlevée ».
L'article 1032 du même code dispose que « le requérant ou l'intervenant peut lorsque les circonstances ont changé et sous réserve des droits acquis par des tiers, demander par requête la modification ou la rétractation de l'ordonnance au juge qui l'a rendue ».
2. Dans ses conclusions d'appel, la demanderesse avait demandé que l'ordonnance du premier juge du 22 septembre 2015 soit réformée, au motif que la nouvelle requête du 7 juillet 2015 n'est pas « une demande en modification ou rétractation » de la décision rendue sur la première requête du 12 février 2015 et n'est pas, partant, visée par l'article 1032 du Code judiciaire :
« 37. L'article 1032 du Code judiciaire dispose que ‘le requérant ou l'intervenant peut lorsque les circonstances ont changé et sous réserve des droits acquis par des tiers, demander par requête la modification ou la rétractation de l'ordonnance au juge qui l'a rendue'.
38. Il y a lieu de distinguer deux cas de figure :
- d'une part, celui d'une requête [qui] a été initialement rejetée et [où] une nouvelle requête unilatérale est introduite, en raison d'éléments nouveaux par rapport à ceux qui ont été soumis à l'appui de la demande initiale,
- d'autre part, une demande en modification ou rétractation d'une ordonnance qui a, par hypothèse, ordonné des mesures provisoires, fondée sur un changement de circonstances.
Seul ce second cas de figure tombe sous l'article 1032 du Code judiciaire.
39. [La défenderesse] fait ainsi valoir à tort que l'hypothèse d'une demande en ‘rétractation' couverte par l'article 1032 du Code judiciaire engloberait nécessairement l'hypothèse de la réitération d'une demande précédemment rejetée.
En effet, comme le relève à juste titre le professeur Englebert dans son avis du 26 novembre 2015 :
‘L'article 1032 du Code judiciaire est rédigé de façon claire et ne nécessite donc pas d'interprétation. Il n'évoque expressément que la modification ou la rétractation de l'ordonnance. Il n'est en aucun cas fait référence à la réitération de la demande.
La modification ou la rétractation de l'ordonnance suppose que le requérant ait obtenu gain de cause à la suite de sa demande mais qu'il souhaite ensuite, soit obtenir une modification de la mesure accordée sur base de sa requête (par exemple pour l'étendre ou pour obtenir sa prolongation dans le temps), soit obtenir la rétractation de l'ordonnance dès lors que la ou les mesures qu'elle a prononcées sont devenues sans objet ou ne se justifient plus'.
Il en résulte donc que l'article 1032 du Code judiciaire ne vise pas l'hypothèse de la réitération d'une demande précédemment rejetée fondée sur des éléments nouveaux, mais uniquement celle d'une demande visant à obtenir la modification ou rétractation d'une ordonnance ayant ordonné des mesures qui, par l'effet de l'écoulement du temps, pourraient ne plus être adaptées ou qui ne seraient plus justifiées.
L'interprétation extra legem que fait [la défenderesse] de cet article à l'hypothèse de l'introduction d'une nouvelle requête en saisie-description, fondée sur des éléments nouveaux, est donc erronée.
En l'espèce, comme cela résulte de l'arrêt de la cour [d'appel] du 30 avril 2015 rendu dans le cadre de la première procédure, [la demanderesse] n'a obtenu aucune mesure au terme de sa requête d'appel du 5 mars 2015. Il en résulte que l'article 1032 du Code judiciaire n'est pas applicable à l'hypothèse d'une nouvelle demande - à l'instar de la seconde requête en saisie-description introduite le 7 juillet 2015 - fondée sur des éléments nouveaux et qui ne vise pas, par hypothèse, à défaut de mesures ordonnées au terme de la première procédure, à obtenir la modification ou la rétractation de l'arrêt de la cour du 30 avril 2015.
40. Conclusion : l'ordonnance a quo doit, en conséquence, en ce qu'elle interprète extra legem l'article 1032 du Code judiciaire, être réformée ».
3. L'arrêt attaqué considère que « les parties s'accordent sur le fait que la décision de la cour [d'appel] du 30 avril 2015 a une autorité de chose décidée », que « l'autorité de chose décidée à cette décision s'impose au requérant, soit [la demanderesse] », qu'« en son principe, l'autorité de chose décidée est identique qu'il ait été fait droit ou non, partiellement ou totalement, aux mesures sollicitées par le requérant », que « la réitération par [la demanderesse] de sa demande du 12 février 2015 se heurte dès lors à l'autorité de la chose décidée attachée à l'arrêt de la cour [d'appel] du 30 avril 2015 » et qu' « en ce sens, la seconde requête du 7 juillet 2015, réitération de la requête du 12 février 2015, constitue une demande en modification ou rétractation de la décision rendue sur la première requête, comme l'a décidé à juste titre le premier juge ».
L'arrêt attaqué déduit ainsi de la constatation que « la réitération par [la demanderesse] de sa demande du 12 février 2015 se heurte dès lors à l'autorité de la chose décidée attachée à l'arrêt de la cour [d'appel] du 30 avril 2015 » la conséquence que « la seconde requête du 7 juillet 2015, réitération de la requête du 12 février 2015, constitue une demande en modification ou rétractation de la décision rendue sur la première requête, comme l'a décidé à juste titre le premier juge » (voy. l'expression utilisée par l'arrêt attaqué « en ce sens »).
Or, il ne résulte pas de la seule constatation qu'une demande, qui constitue une réitération d'une demande, se heurte à l'autorité de chose décidée, que cette demande doive être qualifiée de demande en modification ou en rétractation de la décision rendue sur la première demande. En effet, il se déduit uniquement de cette constatation, non pas que la seconde demande - qui constitue une réitération de la première demande - doive être qualifiée de demande en modification ou rétractation de la décision rendue, mais bien que le requérant débouté devra apporter des éléments nouveaux à l'appui de sa nouvelle demande pour éviter de se voir opposer l'autorité de chose décidée quant à la première demande.
L'arrêt attaqué n'a pas pu, en conséquence, après avoir constaté que la seconde requête du 7 juillet 2015 est une réitération de la demande du 12 février 2015, déduire, sans violer la notion légale de demande en modification ou rétractation et, partant, l'article 1032 et, pour autant que de besoin, l'article 1369bis/1, § 7, du Code judiciaire, pareille conséquence quant à la qualification de la seconde requête du 7 juillet 2015, de la seule constatation que celle-ci se heurte à l'autorité de chose décidée par l'arrêt de la cour d'appel du 30 avril 2015.
4. L'arrêt attaqué considère que « rien dans le texte même de l'article 1032 du Code judiciaire n'appuie l'affirmation de [la demanderesse] selon laquelle cette disposition vise uniquement l'hypothèse d'une ordonnance ayant ordonné des mesures dont la modification ou la rétractation est demandée », que « la réitération d'une demande peut parfaitement constituer une forme de demande de rétractation de l'ordonnance déboutant le requérant », que « rien ne justifie que soit exclue du champ d'application de l'article 1032 du Code judiciaire l'hypothèse de l'ordonnance déboutant le requérant », que « le rapport Van Reepinghen - dont le législateur a fait siens les travaux - conforte du reste l'analyse qui précède » et que « l'article 1032 du Code judiciaire est applicable en l'espèce » .
Or, la réitération d'une demande précédemment rejetée est une hypothèse distincte de la demande en modification ou rétractation d'une ordonnance. En effet, la demande de modification ou rétractation d'une ordonnance vise uniquement l'ordonnance ayant ordonné des mesures et non une ordonnance de débouté, de sorte que la notion légale de demande en modification ou rétractation d'une ordonnance se limite au cas où le requérant a obtenu gain de cause.
En décidant, d'une part, que « les termes ‘modification' et ‘rétractation' n'impliquent pas davantage en soi que le requérant ait obtenu gain de cause, fût-ce partiellement » et que « la réitération d'une demande peut parfaitement constituer une forme de demande de rétractation de l'ordonnance déboutant le requérant » , et en décidant, en conséquence, que les termes « modification » ou « rétractation » de « l'ordonnance » visent également le cas d'une ordonnance de débouté et non pas uniquement celui d'une ordonnance ayant ordonné des mesures, et, d'autre part, en se fondant sur les travaux préparatoires pour interpréter l'article 1032 comme visant également la réitération d'une demande alors que le texte légal ne vise que la demande en « modification » ou « rétractation » de l'ordonnance et non, partant, la réitération d'une demande, l'arrêt attaqué viole la notion légale de demande en modification ou rétractation d'une ordonnance et, partant, les articles 1032 et, pour autant que de besoin, 1369bis/1, § 7, du Code judiciaire.

Deuxième branche

1. En vertu de l'article 149 de la Constitution, tout jugement (ou arrêt) est motivé.
Par ailleurs, en vertu de l'article 1068, alinéa 1er, du Code judiciaire, « tout appel d'un jugement définitif ou avant dire droit saisit du fond du litige le juge d'appel ». Cette disposition consacre la règle de l'effet dévolutif de l'appel. En vertu de cette règle, le juge du second degré se trouve saisi, dans les limites de l'appel principal ou incident, de l'ensemble du litige avec toutes les questions de fait ou de droit qu'il comporte, y compris les faits nouveaux survenus au cours de l'instance d'appel. L'effet dévolutif d'un appel ne peut toutefois perdurer qu'à la condition que le litige, dévolu au juge d'appel et dont le premier juge est dessaisi, est encore pendant devant ledit juge d'appel à défaut d'avoir vidé sa saisine.
2. La demanderesse avait invoqué dans ses conclusions d'appel que la règle de l'effet dévolutif de l'appel n'est pas pertinente en l'espèce à défaut de litige encore pendant en degré d'appel dans le cadre de la première procédure :
« 41. [La défenderesse] prétend que la seconde requête en saisie-description formulée par [la demanderesse] aurait dû être portée devant [la cour d'appel] et non devant le président du tribunal de commerce francophone de Bruxelles, en se fondant pour ce faire sur l'avis du 17 novembre 2015 du professeur H. Boularbah qu'elle produit comme pièce II.6 en même temps que ses conclusions d'appel du 17 novembre 2015 et sur le renvoi fait par celui-ci à l'article 1068 du Code judiciaire à propos de l'effet dévolutif de l'appel.
Dans cet avis, le professeur H. Boularbah cite ainsi les écrits du professeur G. Closset-Marchal, qui affirmait, à propos du juge de paix autrefois compétent en matière de mesures urgentes et provisoires sur pied de l'article 223 du Code civil, que :
- ‘ une action tendant à modifier ou à rétracter, pour survenance de faits nouveaux, des mesures provisoires ordonnées antérieurement, doit être déclarée irrecevable par le juge de paix lorsque la première ordonnance est frappée d'appel' et que,
- ‘en effet, en raison de l'effet dévolutif, la voie de recours vide de son objet la nouvelle demande' en ajoutant que ‘l'irrecevabilité est d'ordre public et doit être déclarée d'office'.
Or, la doctrine sollicitée par [la défenderesse] vise en réalité une situation où l'action en modification ou en rétractation est introduite devant le premier juge, tandis que celui-ci est dessaisi du litige en raison de l'effet dévolutif de l'appel dirigé contre la décision rendue antérieurement par ce juge. Cet effet dévolutif de l'appel ne perdure que pour autant que le litige soit encore pendant devant le juge d'appel.
Autrement dit, comme le rappelle le Professeur Englebert dans son avis du 26 novembre 2015, ‘l'effet dévolutif d'un appel ne peut jouer que tant qu'une procédure d'appel est pendante devant le juge d'appel'. Tel n'était plus le cas dans le cadre de la première procédure puisque [la cour d'appel] avait rendu son arrêt du 30 avril 2015 par lequel elle avait vidé sa saisine. Autrement dit, on ne pouvait plus parler de ‘ procédure pendante' ni, partant, ‘d'effet dévolutif' au moment de l'introduction de la seconde requête en saisie-description de Teoxane le 7 juillet 2015.
La cour [d'appel] ayant déclaré non fondé l'appel de [la demanderesse] contre l'ordonnance rendue sur la première requête en saisie-description le 30 avril 2015, ladite procédure n'était plus pendante devant [la cour d'appel] au moment de l'introduction, le 7 juillet 2015, de la seconde requête en saisie-description devant le président du tribunal de commerce francophone de Bruxelles.
42. En conséquence, il ne peut pas être question d'effet dévolutif en l'espèce à défaut de litige encore pendant en degré d'appel dans le cadre de la première procédure, en manière telle que la seconde requête en saisie-description pouvait être introduite de manière recevable devant le président du tribunal de commerce francophone de Bruxelles.
43. Cet argument de [la défenderesse] doit donc également être rejeté.
Conclusion : à défaut de tout litige pendant encore devant [la cour d'appel] dans le cas de la présente procédure, et, partant, en l'absence de tout effet dévolutif susceptible d'être encore applicable en l'espèce, c'était bien auprès du président du tribunal de commerce de Bruxelles que [la défenderesse] [lire : la demanderesse] devait déposer sa nouvelle requête en saisie-description du 7 juillet 2015, et non devant [la cour d'appel], contrairement à ce qu'invoque [la défenderesse] et ce qu'avait décidé à tort le premier juge ».
3. Pour autant que l'arrêt attaqué doive être interprété en ce sens que la décision de rejeter l'appel de la demanderesse, au motif qu'elle aurait dû porter sa seconde requête du 7 juillet 2015 devant la cour d'appel de Bruxelles, se fonde également sur l'effet dévolutif de l'appel, l'arrêt attaqué ne répond pas aux conclusions circonstanciées de la demanderesse par lesquelles elle invoquait que la règle de l'effet dévolutif de l'appel n'est pas pertinente en l'espèce à défaut de litige encore pendant en degré d'appel dans le cadre de la première procédure initié par la requête du 12 février 2015.
Ce faisant, l'arrêt attaqué n'est pas régulièrement motivé et viole, partant, l'article 149 de la Constitution.
4. À tout le moins, en ayant constaté que la cour d'appel de Bruxelles avait rendu un arrêt le 30 avril 2015 dans le cadre du litige à la suite de la première requête du 12 février 2015, l'arrêt attaqué n'a pu, sans constater que ce litige serait toujours pendant au motif que ladite cour d'appel n'aurait pas vidé sa saisine quant à cette première requête, légalement décider que la requête du 7 juillet 2015 aurait dû être portée devant ladite cour d'appel en raison de la règle de l'effet dévolutif de l'appel et du dessaisissement du président du tribunal de commerce de Bruxelles quant à cette première demande du 12 février 2015.
L'arrêt attaqué viole, partant, l'article 1068 du Code judiciaire.

III. La décision de la Cour

Sur le premier moyen :

Quant à la première branche :

Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen, en cette branche, par les défenderesses et déduite du défaut d'intérêt :

Les défenderesses soutiennent que le moyen, en cette branche, est dénué d'intérêt parce que, en application des articles 1032, 1042 et 1068 du Code judiciaire, seule la cour d'appel de Bruxelles pouvait connaître de la réitération de la demande qui faisait l'objet de la requête du 12 février 2015.
Les défenderesses supposent ainsi que l'article 1032 précité est applicable au litige.
La fin de non-recevoir, qui est liée à l'examen du fondement du moyen, ne peut être accueillie.

Sur le fondement du moyen, en cette branche :

Aux termes de l'article 1369bis/1, § 7, alinéa 1er, du Code judiciaire, l'ordonnance accordant ou refusant les mesures de description ou de saisie et l'ordonnance accordant ou refusant la rétractation de ces mesures sont soumises aux recours prévus aux articles 1031 à 1034.
En vertu de l'article 1031 du même code, l'appel de l'ordonnance rendue sur requête unilatérale par le requérant ou par toute partie intervenante est formé par une requête déposée au greffe de la juridiction d'appel.
Aux termes de l'article 1032, le requérant ou l'intervenant peut, lorsque les circonstances ont changé et sous réserve des droits acquis par des tiers, demander par requête la modification ou la rétractation de l'ordonnance au juge qui l'a rendue.
Il suit de ces dispositions que, lorsque le juge a refusé les mesures de description demandées, le requérant a le choix soit d'interjeter appel de cette décision soit, si les circonstances ont changé, de réitérer sa demande.
La réitération pour circonstances nouvelles d'une demande de mesures de description précédemment rejetée n'est pas une demande de modification ou de rétractation de l'ordonnance au sens de l'article 1032 du Code judiciaire.
L'arrêt considère que la demande introduite par la demanderesse le 7 juillet 2015 « concerne les mêmes faits litigieux que ceux visés dans sa requête du 12 février 2015 », qu'elle « prétend au bénéfice de la même norme juridique que celle visée dans sa première requête, soit l'article 1369bis/1 du Code judiciaire, et ce à l'encontre des deux mêmes sociétés » de sorte que cette demande « constitue la réitération de la demande formulée le 12 février 2015 », et constate que la demanderesse « met en exergue que ‘depuis l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 30 avril 2015 [rejetant cette dernière], un fait nouveau et pertinent est apparu' ».
L'arrêt, qui, sur la base de ces considérations, décide que « l'article 1032 du Code judiciaire est applicable en l'espèce » et que « sa seconde requête en saisie-description [...] aurait dû être portée devant la cour d'appel de Bruxelles », viole cette disposition légale.
Le moyen, en cette branche, est fondé.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause devant la cour d'appel de Mons.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Martine Regout, les conseillers Mireille Delange, Michel Lemal, Sabine Geubel et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du deux février deux mille dix-huit par le président de section Martine Regout, en présence de l'avocat général Philippe de Koster, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont A. Jacquemin S. Geubel
M. Lemal M. Delange M. Regout


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.16.0167.F
Date de la décision : 02/02/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-02-02;c.16.0167.f ?

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