N° C.17.0429.F
AG INSURANCE, société anonyme dont le siège social est établi à Bruxelles, boulevard Émile Jacqmain, 53,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 480, où il est fait élection de domicile,
contre
1. P. C.,
2. N. L.,
défendeurs en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 5 décembre 2016 par la cour d'appel de Liège.
Le conseiller Michel Lemal a fait rapport.
L'avocat général Philippe de Koster a conclu.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
En vertu de l'article 34, § 1er, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, applicable aux faits, le délai de prescription de toute action dérivant du contrat d'assurance est de trois ans et ce délai court à partir du jour de l'évènement qui donne ouverture à l'action.
L'article 35, § 3, de cette loi dispose que, si la déclaration de sinistre a été faite en temps utile, la prescription est interrompue jusqu'au moment où l'assureur a fait connaître sa décision par écrit à l'autre partie.
Cette disposition n'exclut pas que la prescription d'une telle action puisse être interrompue par une reconnaissance de dette au sens de l'article 2248 du Code civil.
Le moyen, qui, en cette branche, repose sur le soutènement contraire, manque en droit.
Quant à la deuxième branche :
L'interruption de la prescription peut se reproduire autant de fois qu'il y a d'actes interruptifs pour autant que chacun de ces actes intervienne avant l'expiration du délai de prescription en cours.
Le moyen, qui, en cette branche, repose entièrement sur le soutènement contraire, manque en droit.
Quant à la troisième branche :
Le moyen, qui, en cette branche, fait grief à l'arrêt de considérer que l'envoi par la demanderesse d'un duplicata de sa décision d'indemnisation constitue un acte interruptif de la prescription de l'action des défendeurs, sans indiquer comme violé l'article 2248 du Code civil, est irrecevable.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de mille septante-quatre euros quarante-six centimes envers la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Albert Fettweis, les conseillers Mireille Delange, Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du dix-neuf janvier deux mille dix-huit par le président de section Albert Fettweis, en présence de l'avocat général Philippe de Koster, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont A. Jacquemin M.-Cl. Ernotte
M. Lemal M. Delange A. Fettweis
Requête
POURVOI EN CASSATION
POUR : AG INSURANCE S.A., dont le siège social est établi à 1000 Bruxelles, Boulevard Emile Jacqmain 53, inscrite à la Banque Carrefour des Entreprises sous le numéro 0404.494.849,
Demanderesse en cassation,
Assistée et représentée par Me Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation, dont les bureaux sont établis Avenue Louise 480 - bte 3 à 1050 Bruxelles, chez qui il est fait élection de domicile,
CONTRE : 1. P. C.,
2. N. L.,
Défendeurs en cassation.
A Messieurs les Premier Président et Présidents, Mesdames et Messieurs les Conseillers composant la Cour de cassation,
Mesdames,
Messieurs,
La demanderesse a l'honneur de soumettre à Votre censure l'arrêt rendu le 5 décembre 2016 par la 3ème b chambre civile de la Cour d'appel de Liège (R.G. : 2015/R.G./365) dans les circonstances suivantes.
L'immeuble de M. C. et de Mme L. a été l'objet d'un incendie le 27 juillet 2003.
Il était assuré auprès de AG Insurance S.A., ci-après AG.
Le sinistre a été déclaré en temps utiles.
Après des discussions quant à la cause de l'incendie, AG a établi une quittance provisionnelle le 15 juin 2009.
AG a refusé de payer l'indemnité au motif que la quittance ne lui avait jamais été renvoyée et que la prescription était acquise.
Les assurés ont prétendu ne jamais l'avoir reçue.
Le 29 avril 2014, les assurés ont assigné AG en paiement de l'indemnité.
Le premier juge a considéré que l'action était prescrite et a débouté les assurés de leur demande.
Sur appel interjeté par ces derniers, la Cour a réformé cette décision.
Par un premier arrêt du 18 janvier 2016, la Cour a considéré que les assurés soutenaient à tort n'avoir pas reçu la quittance que AG avait établie le 15 juin 2009 estimant que celle-ci leur était parvenue au plus tard le 13 juillet 2009.
Elle a décidé que :
« Par l'envoi de cette quittance, l'intimée a pris clairement position sans équivoque et les appelants, ses assurés, devaient à la lecture de cette quittance conclure que l'intimée couvrait le sinistre et en sus pour quel montant.
L'émission d'une telle quittance constituait dans le chef de l'intimée une offre d'indemnisation ferme.
Un nouveau délai de prescription de 3 ans a donc commencé à courir à partir du 14 juillet 2009 ».
La Cour s'interroge cependant ensuite sur l'effet de l'envoi par AG d'un duplicata de la quittance le 16 mai 2011 et rouvre les débats afin que les parties s'expliquent sur la question de savoir si l'envoi du duplicata ne constituait pas une reconnaissance de dette de la part d'AG qui serait de nature à interrompre la prescription par application de l'article 2248 du Code civil.
Statuant en prosécution de cause, la Cour a considéré que l'envoi le 16 mai 2011 d'un duplicata de la quittance constituait une reconnaissance de dette au sens de l'article 2248 du Code civil et qu'un nouveau délai de prescription de trois ans avait en conséquence commencé à courir le 17 mai 2011.
Elle en déduit que la prescription de l'action n'était pas acquise au moment de l'introduction de l'action, le 29 avril 2014.
A l'encontre de cette décision la demanderesse a l'honneur de formuler le moyen suivant.
MOYEN UNIQUE DE CASSATION
Dispositions légales dont la violation est invoquée
- Articles 34, et en particulier 34§1 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre et pour autant que de besoin l'article 88 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances, et 35 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance d'assurance terrestre et pour autant que de besoin de l'article 89 §3 de la loi du 14 avril 2014 relative aux assurances ;
- Article 2248 du Code civil
Partie critiquée de la décision
La Cour accueille l'action des défendeurs, considérant que celle-ci n'était pas prescrite aux motifs que :
« L'interruption de la prescription libératoire civile peut se produire autant de fois qu'il y a d'actes interruptifs, la cause d'interruption devant intervenir avant l'expiration du nouveau délai de prescription.
Les causes d'interruption spécifiques à l'assurance ne portent pas préjudice à celles issues du droit commun des obligations en vertu des articles 2244 à 2248 du Code civil.
Conformément à l'article 2248 du Code civil, la prescription est interrompue par la reconnaissance que le débiteur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait.
En l'espèce, par son courrier du 16.05.2011, l'intimée a envoyé un duplicata de la quittance de règlement du sinistre qu'elle avait émise en 2009, sans réserve, d'un montant de 64.301,34 euros à titre de provision et qu'elle reconnaît comme étant une décision incontestable d'indemnisation de ses assurés.
Par cet envoi, elle a également expressément invité ses assurés à lui retourner la quittance dûment complétée et signée.
De la sorte, elle a reconnu à nouveau son obligation d'indemniser ses assurés de sorte qu'un nouveau délai de prescription de 3 ans a débuté le 17.05.2011.
Il s'ensuit que la citation introductive de première instance signifiée le 29.04.2014 à l'intimée par ses assurés, les appelants, a interrompu la prescription en sorte que l'action n'est pas prescrite ».
Grief
Première branche
En vertu de l'article 34, §1 de la loi sur le contrat d'assurance terrestre (actuellement article 88, § 3 de la loi relative aux assurances), les actions dérivant d'un contrat d'assurance se prescrivent par trois ans à partir de l'évènement donnant ouverture à l'action.
Selon l'article 35 (actuellement 89, §3 de la loi relative aux assurances), la prescription est interrompue par la déclaration de sinistre faite en temps utiles par l'assuré. Cette interruption fait courir un nouveau délai de trois ans. L'interruption perdure jusqu'au moment où l'assureur fait connaître sa décision à l'autre partie.
Autrement dit, dès la communication de cette décision à l'assuré, la prescription recommence à courir.
La Cour, par son premier arrêt, non entrepris, avait admis que l'envoi de la quittance de règlement de sinistre le 25 juin 2009, constituait une offre d'indemnisation et que les défendeurs l'avaient reçue.
Il en résulte que l'interruption de la prescription a cessé à la date de réception de cette quittance soit, selon la Cour, au plus tard le 13 juillet 2009, un nouveau délai de trois ans ayant commencé à courir à cette date.
Comme le soutenait la demanderesse en conclusions, pour que cesse l'interruption de la prescription, il suffit que l'assureur ait fait connaître sa décision.
Le fait qu'elle confirme ultérieurement celle-ci ou a fortiori envoie uniquement un duplicata de la quittance initiale d'indemnisation ne peut, dans la logique de la loi, modifier le fait que la prescription a cessé d'être interrompue dès le moment de l'envoi de la quittance initiale d'indemnisation.
Certes, l'arrêt entrepris ne se place pas sous l'angle de l'article 35 de la loi mais prétend appliquer l'article 2248 du Code civil, considérant que, par l'envoi du duplicata, la demanderesse avait « à nouveau » reconnu sa dette et que, partant, un nouveau délai de prescription avait commencé à courir à ce moment.
Certains auteurs paraissent admettre que les règles particulières prévues par la loi sur le contrat d'assurance terrestre ne font pas obstacle à l'application des dispositions de droit commun, notamment l'article 2248 (J. Dehaene, La prescription en droit des assurances, in La prescription, Anthémis, p. 253.- M. Fontaine, Droit des assurances, n° 501 et suiv.- G.jocqué, Verjaring en verzekering, in, Verjaring in het privaatrecht, Kluwer, 2005, p. 220, n° 49).
La demanderesse ne partage pas ce point de vue. La loi sur le contrat d'assurance terrestre organise un régime de prescription spécifique qui déroge au droit commun et rend celui-ci inapplicable.
En appliquant au litige l'article 2248 du Code civil pour considérer que l'action des défendeurs fondée sur leur contrat d'assurance n'était pas prescrite, la Cour méconnait tant cette disposition que les articles de la loi sur le contrat d'assurance terrestre du 25 juin 1992 visés au moyen, plus particulièrement son article 35 et pour autant que de besoin l'article 89, §3 de la loi du 14 avril 2014 relative aux assurances.
Deuxième branche
La Cour, se ralliant à une certaine doctrine, considère qu'il peut y avoir plusieurs reconnaissances de dettes successives produisant chacune un effet interruptif et faisant courir chacune un nouveau délai de prescription à partir de leurs dates successives (M. Marchandise, Bruylant, La Prescription, T. VI, n° 129).
L'auteur précité se fonde sur une interprétation a contrario de l'article 2244, §2 du Code civil qui prévoit que la mise en demeure par avocat n'interrompt la prescription qu'une seule fois « sans préjudice des autres modes d'interruption de la prescription ». Il en déduit de manière étonnamment générale que « tout autre évènement interruptif de la prescription survenu soit dans le délai initial, soit dans le délai d'un an ouvert par la mise en demeure ad hoc sortira ses pleins effets, à savoir le report de la prescription jusqu'à l'expiration d'un délai équivalent au délai initial». Il parait en conclure que les autres causes d'interruption de la prescription peuvent être réitérées, dans le délai légal, et faire courir un nouveau délai.
Ce raisonnement ne convainc pas et repose sur une interprétation a contrario d'une disposition tout à fait particulière qui ne s'applique qu'aux mises en demeure par avocats.
Surtout, la thèse ainsi présentée est source d'incertitude et d'insécurité juridique. Si le débiteur a reconnu sa dette cette reconnaissance a un effet interruptif immédiat. Le fait que le débiteur, dans des échanges de lettres subséquents, par exemple, confirme sa reconnaissance initiale, ne constitue pas un nouvel acte interruptif mais uniquement une confirmation de sa reconnaissance initiale.
En considérant que la prescription d'une action pouvait être ré- interrompue lorsque le débiteur confirme sa reconnaissance de dette initiale, l'arrêt méconnait l'article 2248 du Code civil.
Troisième branche
En tous cas, le raisonnement adopté par l'arrêt selon lequel l'envoi du duplicata constituerait une cause d'interruption de la prescription est contraire au mécanisme mis en place par la loi sur le contrat d'assurance terrestre.
L'effet interruptif de la prescription résultant de la déclaration de sinistre cesse au moment où l'assureur a fait connaître sa décision.
Autrement dit, la communication de cette décision n'a pas pour effet d'interrompre la prescription mais de permettre à celle-ci de reprendre son cours pour un délai de trois ans.
On n'aperçoit pas dès lors comment l'envoi d'un duplicata de la décision prise initialement pourrait avoir un effet interruptif alors que tel n'est pas le cas de la décision initiale.
Par conséquent, en considérant que l'envoi par la demanderesse d'un duplicata de sa décision d'indemnisation pourrait valoir comme acte interruptif de la prescription de l'action des défendeurs, l'arrêt méconnait les dispositions de la loi du 29 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre visées au moyen et pour autant que de besoin, les dispositions de la loi du 14 avril 2014 qui y sont également visées.
PAR CES CONSIDÉRATIONS,
L'avocat à la Cour de cassation soussigné prie qu'il Vous plaise, Mesdames, Messieurs, de casser l'arrêt entrepris, d'ordonner que mention de Votre arrêt soit faite en marge de la décision annulée, de renvoyer la cause devant une autre Cour d'appel et de statuer comme de droit sur les dépens.
Bruxelles, le 7 juillet 2017
Pour la demanderesse,
Son conseil,
Isabelle Heenen,
Avocat à la Cour de cassation