N° P.17.0815.F
1. R. D.
2. L. N.
prévenus,
demandeurs en cassation,
ayant pour conseil Maître Andrea Cataldo, avocat au barreau de Namur,
contre
1. LE FONCTIONNAIRE DELEGUE de la direction générale opérationnelle de l'aménagement du territoire, du logement, du patrimoine et de l'énergie, service public de Wallonie, dont les bureaux sont établis à Namur, place Léopold, 3,
2. LE COLLEGE COMMUNAL DE LA VILLE DE PHILIPPEVILLE, dont les bureaux sont établis à Philippeville, place d'Armes, 12,
parties intervenues volontairement,
défendeurs en cassation.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 19 juin 2017 par la cour d'appel de Liège, chambre correctionnelle.
Les demandeurs invoquent cinq moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Tamara Konsek a fait rapport.
L'avocat général Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. En tant que les pourvois sont dirigés contre les décisions de condamnation rendues sur l'action publique exercée à charge des demandeurs :
Sur le premier moyen :
Le moyen est pris de la violation de l'article 195, alinéa 1er, du Code d'instruction criminelle. Il reproche aux juges d'appel d'avoir visé l'article D.IV.4, alinéa 1er, 8°, à la place de l'article D.IV.4, alinéa 1er, 9°, du Code du Développement territorial en requalifiant les faits des préventions A.1, A.2 et A.3.
Pour l'appréciation d'un moyen de cassation, la Cour a le pouvoir de rectifier une erreur matérielle de la décision attaquée qui apparaît à l'évidence du texte même de celle-ci.
L'arrêt énonce qu'à la suite de l'entrée en vigueur, le 1er juin 2017, du Code du Développement territorial, les préventions A doivent être libellées comme suit : en contravention aux articles D.IV.4, alinéa 1er, 8°, et D.VII.1, § 1er, du Code du Développement territorial, avoir, sans permis d'urbanisme ou non conformément au permis, modifié sensiblement le relief du sol, en l'espèce en commettant les faits tels que repris sous les préventions A.1, A.2 et A.3 de la citation et qui restent inchangés, et avoir, en contravention à l'article D.VII.1, § 1er, 3°, maintenu ces travaux exécutés après le 21 avril 1962 sans le permis qui était requis ou en méconnaissance de celui-ci.
Il résulte manifestement de ce libellé que les juges d'appel ont commis une erreur matérielle en visant l'article D.IV.4, alinéa 1er, 8°, du code précité.
Le moyen manque en fait.
Sur le deuxième moyen :
Le moyen invoque la violation des articles 66, § 2, du Code pénal, D.VII.2 du Code du Développement territorial, 1319 à 1322 du Code civil, 6.2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que la méconnaissance du principe général du droit relatif à la charge de la preuve.
Quant à la première branche :
Selon le moyen, en énonçant que le fait même de la contravention aux articles D.IV.4, alinéa 1er, 1° et 9°, et D.VII.1, § 1er, du Code du Développement territorial implique que l'auteur a sciemment enfreint la prescription légale, sauf s'il prouve qu'il a agi en raison d'un cas de force majeure ou d'une erreur invincible, l'arrêt renverse la charge de la preuve de l'élément moral des infractions mises à charge des demandeurs.
Outre la considération critiquée, l'arrêt énonce que, lorsque la loi ne requiert, expressément ou implicitement, ni la faute intentionnelle ni la faute antérieure, la commission consciente et libre de l'infraction dont l'agent ne peut concrètement se justifier constitue en soi une faute, qualifiée de faute infractionnelle, sans qu'il soit requis qu'il ait agi dans l'intention de contrevenir à la loi, avec la volonté de réaliser l'acte interdit ou l'abstention coupable et ses éventuelles conséquences illicites ou avec une intention spéciale. L'arrêt ajoute que le prévenu tombe sous le coup de la loi pénale par cela seul qu'il commet librement et consciemment, sans pouvoir s'en justifier, l'acte qu'elle défend ou qu'il s'abstient de réaliser l'acte qu'elle commande.
Dans la mesure où il repose sur une lecture incomplète de l'arrêt, le moyen manque en fait.
Le moyen soutient également que la cour d'appel n'a pas rencontré l'exigence de la commission consciente et libre des infractions par la demanderesse en considérant qu'elle n'a pas pu ignorer les travaux ou ignorer que ceux-ci n'étaient pas conformes au permis d'urbanisme alors qu'il n'a pas été démontré qu'elle avait eu connaissance du permis d'urbanisme et de son contenu.
L'existence des faits sur lesquels se fonde le juge est souverainement constatée par lui et les conséquences qu'il en déduit à titre de présomption sont abandonnées par la loi aux lumières et à la prudence de ce juge. La Cour contrôle néanmoins si celui-ci n'a pas méconnu ou dénaturé la notion juridique de présomption de l'homme et si, notamment, il n'a pas déduit des faits ainsi constatés des conséquences sans lien avec eux ou qui ne seraient susceptibles, sur leur fondement, d'aucune justification.
L'arrêt énonce d'abord qu'une abstention peut entraîner une participation punissable non seulement lorsque le coauteur a un devoir positif d'agir, mais aussi lorsque son abstention constitue un encouragement positif à la perpétration d'une infraction et que les infractions commises à l'occasion de l'utilisation d'un terrain par le placement d'installations fixes ou mobiles peuvent être imputées à celui qui les a placées comme aussi au propriétaire qui y a consenti ou qui a toléré cette situation. Il poursuit en relevant que la demanderesse est, avec le demandeur, propriétaire des parcelles sur lesquelles les travaux ont été réalisés et considère que, au vu de leur ampleur, elle n'a pas pu les ignorer ni davantage ignorer qu'ils n'étaient manifestement pas conformes au permis d'urbanisme, fût-ce parce que le dossier était très médiatisé localement, ainsi que l'a relevé le directeur du département de la nature et des forêts, sans être démenti. L'arrêt ajoute que la demanderesse ne prétend pas que son époux, le demandeur, lui a caché ses activités d'envergure sur les terrains communs, ses auditions par les enquêteurs, les courriers et mises en demeure qu'il recevait, les réunions avec les diverses autorités, ses contacts avec un avocat, les récriminations des riverains relatives aux nuisances dues à l'élevage de plusieurs centaines de canards et l'avis de cessation des travaux apposé sur les lieux lors de la construction de la dalle en béton pour le chalet. L'arrêt décide que, compte tenu des circonstances qui ont accompagné la tolérance et l'omission d'agir de la demanderesse, son inaction consciente et volontaire a constitué sans équivoque un encouragement à la perpétration des infractions suivant l'un des modes prévus à l'article 66 du Code pénal.
Par ces considérations, la cour d'appel a pu légalement déduire que la demanderesse est coupable des faits qui lui sont reprochés.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
Le moyen invoque la violation de la foi due aux actes. Il reproche aux juges d'appel d'avoir relevé la médiatisation du dossier par référence aux indications du directeur du département de la nature et des forêts alors qu'aucun courrier ou autre document produit, émanant de celui-ci, n'évoque une quelconque médiatisation.
Le moyen n'indique pas quelles sont les pièces dont l'arrêt, par l'énonciation critiquée, violerait la foi qui leur est due.
Imprécis, le moyen est irrecevable.
Sur le troisième moyen :
Quant à la première branche :
Pris de la violation de l'article D.IV.4, alinéa 1er, 9°, du Code du Développement territorial, le moyen fait grief aux juges d'appel de n'avoir pas motivé leur décision quant à l'élément matériel de l'infraction, à savoir le caractère sensible de la modification du relief du sol.
Par adoption des motifs du premier juge, l'arrêt considère que les demandeurs ont modifié sensiblement le relief initial du terrain en approfondissant un ancien fossé au nord des parcelles et en déposant des terres en provenance du creusement des étangs sur le pourtour de ceux-ci ainsi que sur les îles sous forme de digue d'environ cent cinquante centimètres de hauteur. Par motifs propres, l'arrêt ajoute qu'il a été constaté un rehaussement de cinquante centimètres du fossé nord, résultant d'un surcreusement.
Reposant sur une lecture incomplète de l'arrêt, le moyen manque en fait.
Quant à la deuxième branche :
Selon le moyen, l'arrêt ne répond pas aux conclusions contestant une modification du relief du sol à la suite d'un surcreusement de fossé au motif que les travaux reprochés aux demandeurs se limitent au curage normal d'un fossé préexistant.
L'arrêt relève que tant le directeur du département de la nature et des forêts que le service de contrôle du fonctionnaire délégué ont constaté respectivement le 25 janvier 2010 et le 14 janvier 2015 un rehaussement de cinquante centimètres du fossé nord qui a été surcreusé en infraction.
Par cette considération, les juges d'appel ont répondu, en les contredisant, aux conclusions des demandeurs et ont régulièrement motivé leur décision.
Le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la troisième branche :
Le moyen reproche à l'arrêt de violer la foi due au courrier du directeur du département de la nature et des forêts du 10 février 2010 dès lors que, contrairement à ce qu'énoncent les juges d'appel, cet écrit ne constate pas de surcreusement du fossé mais fait référence à un rehaussement de la parcelle de cinquante centimètres.
Au point 3, la pièce invoquée indique : « Rehaussement de 0,5 m du fossé nord qui a été surcreusé en infraction et qui, tout en drainant le site, constitue un piège à batraciens ».
Par l'énonciation critiquée, l'arrêt ne donne pas de cette pièce une interprétation inconciliable avec ses termes.
Le moyen manque en fait.
Sur le quatrième moyen :
Quant à la première branche :
Le moyen est pris de la violation de l'article D.IV.4, alinéa 1er, 1°, du Code du Développement territorial. Poursuivis notamment du chef d'avoir, sans permis d'urbanisme, construit un barrage en pierre sur un ruisseau (prévention B.6), les demandeurs font grief aux juges d'appel de n'avoir pas examiné si ledit barrage est une construction au sens de la disposition invoquée ou est, au contraire, d'origine naturelle.
L'arrêt énonce que la construction et le maintien d'un barrage en pierre pour capter l'eau du ruisseau sont établis par les constatations des services du fonctionnaire délégué, celles du département de la nature et des forêts, les photographies déposées devant le tribunal et des témoignages.
Par cette considération, l'arrêt constate l'élément matériel de l'infraction et justifie légalement sa décision de dire la prévention établie dans le chef des deux demandeurs.
Le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
Le moyen soutient qu'en se référant aux photographies déposées devant le premier juge pour déclarer la prévention B.6 établie, l'arrêt méconnaît la notion de présomption de l'homme dès lors que, selon le conseil technique consulté par les demandeurs, celles-ci démontrent que l'infraction ne leur est pas imputable.
En ce qu'il revient à critiquer, sous le couvert d'un grief de méconnaissance de la notion de présomption de l'homme, l'appréciation en fait des juges d'appel, le moyen est irrecevable.
Le moyen invoque également la violation de la foi due aux déclarations du témoin J.W. ainsi qu'à deux courriers, l'un du fonctionnaire délégué du 17 février 2015 et l'autre du directeur du département de la nature et des forêts du 1er février 2010, dès lors qu'aucun de ces éléments n'évoque, selon les demandeurs, l'existence d'un barrage.
Pour déclarer la prévention établie, l'arrêt relève les constatations des services du fonctionnaire délégué et celles du département de la nature et des forêts, sans se référer aux courriers invoqués. Ainsi, les juges d'appel n'ont pu violer la foi due à ces actes.
Dans cette mesure, le moyen manque en fait.
Par ailleurs, dans sa déclaration faite à la police le 19 décembre 2013, le témoin J.W. a affirmé que le demandeur a mis un barrage pour augmenter le niveau de l'eau, ce qui a entraîné une accumulation de vase en amont et détruit la biodiversité du site.
En se référant à ce témoignage pour fonder leur conviction, les juges d'appel n'ont pas donné du procès-verbal une interprétation inconciliable avec ses termes.
A cet égard, le moyen manque également en fait.
Le contrôle d'office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et les décisions sont conformes à la loi.
B. En tant que les pourvois sont dirigés contre les décisions qui statuent sur la demande de réparation introduite par
1. le fonctionnaire délégué :
Sur le cinquième moyen :
Quant à la première branche :
Pris de la violation des articles 149 de la Constitution et D.VII.13 du Code du Développement territorial, le moyen reproche aux juges d'appel de condamner les demandeurs à la remise en état des lieux plutôt qu'à l'exécution de travaux d'aménagement au motif qu'une activité de pisciculture n'est pas démontrée et que le respect de la condition posée à cet égard par la commune dans sa proposition d'aménagement est illusoire et théorique. Les juges d'appel auraient ainsi motivé le choix de la mesure de réparation sur la base de critères étrangers à l'aménagement du territoire et sans examen du caractère proportionné de la mesure à ordonner par rapport à la situation des demandeurs.
L'obligation de motiver les jugements et arrêts est une règle de forme. La circonstance qu'un motif serait inexact ou non pertinent ne peut constituer une violation de l'article 149 de la Constitution.
A cet égard, le moyen manque en droit.
Pour motiver le choix de la mesure de réparation, les juges d'appel ne se sont pas bornés à énoncer la considération critiquée mais ont, en outre, exposé en substance que :
- seule la remise en état des lieux était de nature à permettre la conservation de la zone humide de type magnocariçaie présentant un intérêt biologique à protéger et que l'aménagement préconisé par le collège communal ne permettait pas la conservation de cette zone humide, ni la disparition à tout le moins significative de l'impact urbanistique et environnemental des travaux litigieux ;
- la proposition du collège communal se fondait essentiellement voire exclusivement sur le rapport de l'ingénieur consulté par les demandeurs, lequel proposait des aménagements de nature à rétablir une biodiversité équivalente à celle présente avant l'infraction et à s'assurer de l'affectation piscicole des étangs alors que, d'une part, les éléments du dossier contredisaient cette prétendue affectation et que, d'autre part, l'avis de l'ingénieur précité quant à la biodiversité n'était pas partagé par les autorités administratives régionales, lesquelles exerçaient leur mission dans le but de la protection de l'intérêt général urbanistique et environnemental et jouaient dès lors un rôle essentiel dans la défense de l'intérêt de la collectivité en cette matière ;
- rien ne permettait de savoir en quoi la réalisation de hauts fonds dans les étangs avec des terres de remblai, suggérée par le collège communal, ne causerait aucun risque en zone inondable, alors que ce risque était relevé par le département de la nature et des forêts ;
- la solution proposée par le collège communal se révélait donc, au niveau de la protection de l'environnement, beaucoup moins satisfaisante proportionnellement que celle préconisée par le fonctionnaire délégué ;
- au regard des éléments du dossier, la remise en état n'était pas disproportionnée pour réparer le trouble urbanistique et environnemental et que les documents des autorités régionales démontraient que l'avantage retiré de cette remise en état était proportionné à la charge qu'elle imposait aux demandeurs.
Par ces énonciations, la cour d'appel a effectué le contrôle de proportionnalité que le moyen dit manquer dans l'arrêt, en prenant en compte la mesure dans laquelle chacun des modes de réparation proposés peut, d'une part, réparer le trouble environnemental et, d'autre part, présenter des conséquences dommageables pour les intérêts privés des demandeurs.
Ainsi, l'arrêt motive régulièrement et justifie légalement sa décision d'ordonner la remise en état des lieux.
Le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
Le moyen fait valoir qu'en cas de cassation, à tout le moins partielle, des décisions rendues sur l'action publique exercée à charge des demandeurs, certaines modalités de la mesure de réparation ordonnée par les juges d'appel devraient être réexaminées.
Les pourvois, en tant qu'ils sont dirigés contre les décisions rendues sur l'action publique, étant rejetés, le moyen est sans objet.
2. le collège communal de la ville de Philippeville :
L'arrêt ne contient aucune condamnation à charge des demandeurs au profit du défendeur.
Le pourvoi est irrecevable à défaut d'intérêt.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette les pourvois ;
Condamne chacun des demandeurs aux frais de son pourvoi.
Lesdits frais taxés à la somme de cent vingt-trois euros quatre-vingt-un centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où siégeaient Benoît Dejemeppe, conseiller faisant fonction de président, Françoise Roggen, Eric de Formanoir, Tamara Konsek et Frédéric Lugentz, conseillers, et prononcé en audience publique du dix janvier deux mille dix-huit par Benoît Dejemeppe, conseiller faisant fonction de président, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avec l'assistance de Tatiana Fenaux, greffier.
T. Fenaux F. Lugentz T. Konsek
E. de Formanoir F. Roggen B. Dejemeppe