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08/01/2018 | BELGIQUE | N°C.17.0075.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 08 janvier 2018, C.17.0075.F


N° C.17.0075.F
H. M.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,

contre

BALOISE BELGIUM, société anonyme dont le siège social est établi à Anvers (Berchem), Posthofbrug, 16,
défenderesse en cassation.



I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 15 juin 2016 par le tribunal de première instance de Liège, statuant en degré d&

apos;appel.
Par ordonnance du 13 décembre 2017, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième...

N° C.17.0075.F
H. M.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,

contre

BALOISE BELGIUM, société anonyme dont le siège social est établi à Anvers (Berchem), Posthofbrug, 16,
défenderesse en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 15 juin 2016 par le tribunal de première instance de Liège, statuant en degré d'appel.
Par ordonnance du 13 décembre 2017, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième chambre.
Le conseiller Ariane Jacquemin a fait rapport.
L'avocat général Jean Marie Genicot a conclu.

II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente un moyen.

III. La décision de la Cour

Sur le moyen :

De la circonstance qu'un conducteur a commis une faute en relation causale avec un accident, il ne se déduit pas qu'il n'y aurait aucune relation causale entre la faute commise par un autre conducteur et ce même accident.
Après avoir retenu que l'assuré de la défenderesse « circulait à vitesse excessive » et « a effectué un dépassement de plusieurs véhicules sans mettre son clignotant », le jugement attaqué considère, par ses motifs propres, que le demandeur « ne s'était pas déporté sur la gauche de la chaussée avant d'entamer sa manœuvre de tourner à gauche », que « s'[il] avait regardé dans son rétroviseur avant d'entamer sa manœuvre [...], il aurait vu [l'assuré de la défenderesse] occupé à dépasser les véhicules qui le suivaient » et qu'un témoin « souligne, en outre, que ce dernier a fait un écart pour tenter d'éviter le choc » et, par les motifs du premier juge qu'il s'approprie, que la vitesse excessive de l'assuré de la défenderesse n'a « pu constituer pour le demandeur un élément de surprise puisqu' [un autre témoin] a parfaitement perçu le dépassement avant que l'accident ne se produise [et que] le demandeur pouvait donc faire de même ».
Par ces considérations, qui n'impliquent pas que sans les fautes commises par l'assuré de la défenderesse, les dommages subis par le demandeur se seraient néanmoins produits tels qu'ils se sont réalisés, le jugement attaqué ne justifie pas légalement sa décision que ces fautes sont sans relation causale avec l'accident.
Le moyen est fondé.

Par ces motifs,

La Cour

Casse le jugement attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause devant le tribunal de première instance du Luxembourg, siégeant en degré d'appel.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Martine Regout, les conseillers Mireille Delange, Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du huit janvier deux mille dix-huit par le président de section Martine Regout, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.
L. Body A. Jacquemin M.-Cl. Ernotte
M. Lemal M. Delange M. Regout



Requête
1er feuillet

REQUETE EN CASSATION
________________________

Pour : M. H. M.,

demandeur,

assisté et représenté par Me Jacqueline Oosterbosch, avocate à la Cour de
cassation, dont le cabinet est établi à 4020 Liège, rue de Chaudfontaine, 11,
où il est fait élection de domicile,

Contre : la S.A. BALOISE BELGIUM, inscrite à la BCE sous le n° 0400.048.883,
dont le siège social est établi à 2600 Berchem (Antwerpen) Posthofbrug, 16,

défenderesse,

A Messieurs les Premier Président et Présidents, Mesdames et Messieurs les Conseillers composant la Cour de cassation,

Messieurs, Mesdames,

Le demandeur a l'honneur de déférer à votre censure le jugement rendu contradictoirement le 15 juin 2016 par la deuxième chambre civile du tribunal de première instance de liège, division Verviers (R.G. n° 15/1111/A).

2ème feuillet

Les faits et antécédents de la cause, tels qu'ils ressortent des pièces auxquelles votre Cour peut avoir égard, peuvent être ainsi brièvement résumés.

Le litige est relatif aux conséquences dommageables d'un accident de la circulation survenu à [...] le 27 janvier 2013. Le demandeur, au volant d'une camionnette Renault, virait vers la gauche pour pénétrer dans la cour de son domicile lorsqu'il a été heurté par un véhicule Nissan Micra qui le dépassait et était piloté par M. S. H.

Le dossier répressif a été classé sans suite.

Le demandeur, évaluant son dommage à la somme de 3.290,92 euro , a assigné la défenderesse, assureur de la responsabilité civile de M. H., devant le tribunal de police de Liège, division Verviers, qui a dit sa demande non fondée par jugement du 25 juin 2015.

Statuant sur l'appel interjeté par le demandeur le 24 août 2015, le tribunal confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions et condamne le demandeur aux dépens.

Contre ce jugement, le demandeur invoque le moyen de cassation suivant.

MOYEN UNIQUE DE CASSATION

Dispositions légales violées

- les articles 1382 et 1383 du Code civil,
- l'article 71 du Code pénal.

3ème feuillet

Décision critiquée

Le jugement attaqué confirme en toutes ses dispositions la décision entreprise par laquelle le tribunal de police de Liège, division Verviers, avait rejeté la demande dirigée par le demandeur contre la défenderesse, et condamne le demandeur aux dépens, aux motifs que :
"Le Tribunal rappelle (au demandeur) qu'en application des articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire, il lui appartient, en l'espèce, de rapporter la preuve que monsieur H. a commis une faute en lien causal avec l'accident tel qu'il s'est produit, sachant que l'incertitude ou le doute subsistant à la suite de la production d'une preuve doivent être retenus au détriment de celui qui a la charge de la preuve (...).
(Le demandeur) soutient que le dossier répressif démontre que monsieur H. est seul responsable de l'accident pour avoir conduit à vitesse excessive et avoir effectué un dépassement «hasardeux».
Il en veut pour preuve les dégâts aux différents véhicules percutés par la Nissan Micra, conduite par monsieur H. et insiste sur les témoignages recueillis, singulièrement les déclarations de monsieur M. et de madame B. lesquelles, selon lui, stigmatisent la conduite dangereuse de monsieur H.
Certes, les témoignages recueillis font état de ce que monsieur H. «a démarré en trombe, a dépassé sans mettre son clignotant, roulait dangereusement et très vite et semblait extrêmement pressé».
Par ailleurs, il n'est pas contestable que d'importants dégâts ont été occasionnés non seulement aux véhicules en cause mais encore à deux véhicules en stationnement percutés par la Nissan Micra après le choc avec la camionnette Renault.
Ceci étant, ces éléments sont, à eux seuls, insuffisants à établir un comportement fautif dans le chef de monsieur H. en relation causale avec l'accident tel qu'il s'est produit.
En effet, après analyse du dossier répressif, le Tribunal conclut que (le demandeur) reste en défaut de rapporter la preuve de ses affirmations.
Certes, il appert que monsieur H. circulait à vitesse excessive et qu'il est acquis qu'il a effectué un dépassement de plusieurs véhicules sans mettre son clignotant.
Ce faisant, il n'a manifestement pas eu le comportement d'un conducteur normalement prudent et respectueux des règles qui gouvernent la circulation routière.
Toutefois, à l'estime du Tribunal, ce comportement n'est pas en relation causale avec l'accident tel qu'il s'est produit.
En effet, le croquis établi par les verbalisateurs quant à la position des véhicules en cause et la localisation du point de choc indiquent que (le demandeur) ne s'était pas déporté sur la gauche de la chaussée avant d'entamer sa manœuvre de tourne à gauche.
Par ailleurs, il ressort des témoignages de monsieur M. et de madame B. que, si (le demandeur) avait regardé dans son rétroviseur avant d'entamer sa manœuvre de tourne à gauche, il aurait vu monsieur H. occupé à dépasser les véhicules qui le suivaient.
En effet, madame B. précise avoir vu, dans son rétroviseur, le véhicule Nissan doubler la file de voitures au moment où (le demandeur) actionne son clignotant gauche et qu'il ralentit.
4ème feuillet

Monsieur M., quant à lui, situe la camionnette (du demandeur) deux ou trois cents mètres plus loin que le dépassement effectué par monsieur H. et souligne, en outre, que ce dernier a fait un écart pour tenter d'éviter le choc.
Il en résulte, dès lors, que (le demandeur) n'a pas respecté les obligations qui s'imposent à celui qui vire à gauche, soit les obligations cumulatives visées aux articles 19.1 et 19.3 du Code de la route.
Ainsi, (le demandeur) a commis la seule faute en relation causale avec l'accident tel qu'il s'est produit.
Le jugement a quo sera dès lors confirmé".

Le tribunal statue "par ces motifs et ceux non contraires du premier Juge". Le tribunal de police avait considéré qu'il n'était pas établi que M. H. aurait circulé à une vitesse excessive. Dans cette mesure, il n'y a pas d'appropriation de cette motivation dès lors qu'elle est contraire à celle que donnent les juges d'appel à leur décision. Cependant, le tribunal de police avait ajouté que :
"Même à considérer cette vitesse excessive, force est de constater qu'elle n'aurait pu constituer pour le demandeur un élément de surprise puisque Madame B. a parfaitement perçu le dépassement avant que l'accident ne se produise. (Le demandeur) pouvait donc faire de même.
Il s'ensuit que si sans la faute d'attention (du demandeur) l'accident ne se serait pas produit, il n'est par contre pas établi que, si (M. H.) avait circulé à une vitesse moindre, l'accident ne se serait pas produit tel qu'il est survenu.
Il s'ensuit que la relation causale entre la vitesse de (M. H.), à la supposer fautive, et l'accident n'est pas établie.
Le seul fait d'avoir entrepris une manœuvre de dépassement par la gauche ne peut lui être imputé à faute, d'autant que, (le demandeur) ne s'étant pas déporté vers la gauche, H. peut légitimement n'avoir perçu que tardivement les intentions de l'intéressé".

Grief

Par le jugement attaqué, le tribunal décide que :
"monsieur H. circulait à vitesse excessive et (...) il est acquis qu'il a effectué un dépassement de plusieurs véhicules sans mettre son clignotant.
Ce faisant, il n'a manifestement pas eu le comportement d'un conducteur normalement prudent et respectueux des règles qui gouvernent la circulation routière".

5ème feuillet

Le tribunal décide ainsi que M. H. a eu un comportement fautif. Il ajoute cependant que "ce comportement n'est pas en relation causale avec l'accident tel qu'il s'est produit" aux motifs que :
- le demandeur ne s'est pas déporté vers la gauche avant d'entamer sa manœuvre de virage;
- s'il avait regardé dans son rétroviseur il aurait vu arriver le véhicule de M. H.;
- M. M. situe la camionnette du demandeur deux ou trois cents mètres plus loin que le dépassement effectué par M. H. "et souligne, en outre, que ce dernier a fait un écart pour tenter d'éviter le choc".

Le tribunal en conclut que le demandeur a également eu un comportement fautif et qu'"ainsi, (le demandeur) a commis la seule faute en relation causale avec l'accident tel qu'il s'est produit".

Par appropriation des motifs du premier juge, le tribunal décide par ailleurs que la vitesse excessive de M. H. n'a pu constituer pour le demandeur "un élément de surprise" puisque le témoin B. a aperçu ce dépassement.

En vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil, il ne se déduit pas de la circonstance qu'un conducteur a commis une faute en relation causale avec un accident qu'il n'y aurait aucune relation causale entre la faute commise par un autre conducteur et ce même accident.

En l'espèce, par sa motivation propre, le tribunal de première instance viole les articles 1382 et 1383 du Code civil en décidant qu'il n'existe pas de lien causal entre la faute commise par M. H. et les dommages par des considérations qui ne justifient pas cette décision dès lors qu'elles ne portent que sur les fautes commises par le demandeur et par la circonstance que M. H. "a fait un écart pour tenter d'éviter le choc". Ce dernier motif doit être rapproché de celui du premier juge, que s'approprie le tribunal, aux termes duquel la vitesse excessive de M. H. n'a pu constituer "un élément de surprise" pour le demandeur. Un conducteur peut être exonéré de sa responsabilité en raison d'un cas de force majeure. Cependant, par la seule considération que M. H. "a fait un écart", le tribunal de première instance ne constate pas que M. H. peut invoquer une cause de justification visée par l'article 71 du Code pénal et le tribunal ne justifie pas davantage légalement sa décision en décidant, avec le premier juge, que la vitesse excessive de M. H. n'a pu constituer "un élément de surprise" pour le demandeur dès lors qu'en vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil, pour déclarer responsable un conducteur prioritaire qui a commis une faute lors d'un accident de la circulation, il n'est pas requis que les prévisions normales de l'autre conducteur aient été déjouées et qu'il se soit, dès lors, trouvé dans un cas de force majeure. Il suffit de constater que, sans la faute de ce conducteur,

6ème feuillet

la collision ne se serait pas produite ou que les conséquences en auraient été différentes. La circonstance que la vitesse n'a pu constituer "un élément de surprise" ne concerne que l'appréciation de la responsabilité du demandeur. Elle n'est pas un élément nécessaire pour déclarer établie celle de M. H.

Il s'ensuit que le jugement attaqué viole les articles 1382 et 1383 du Code civil - et pour autant que de besoin l'article 71 du Code pénal - en excluant illégalement - pour les motifs énoncés ci-dessus - l'existence d'un lien causal entre la faute constatée dans le chef de M. H. et les conséquences dommageables de l'accident.

Développements du moyen unique de cassation

Si le juge constate souverainement les faits d'où il déduit légalement l'existence ou l'inexistence d'un lien de causalité entre la faute et le dommage, la Cour de cassation contrôle cependant si, de ces constatations, le juge a pu légalement déduire cette décision. L'arrêt qui exclut la responsabilité du défendeur sur la base d'énonciations dont il se déduit que le demandeur a commis une faute en relation causale avec son dommage mais qui n'impliquent pas que, sans les fautes qu'il reproche au défendeur, ce dommage se serait néanmoins produit tel qu'il s'est réalisé, n'est pas légalement justifié (Cass., 18 juin 2010, Pas., n° 440; 30 avril 2003, Pas., n° 271). En d'autres termes, de la circonstance qu'un conducteur a commis une faute en relation causale avec un accident, il ne se déduit pas qu'il n'y aurait aucune relation causale entre la faute commise par un autre conducteur et ce même accident (Cass., 10 mai 2007, Pas., n° 241).

Le demandeur pense par ailleurs pouvoir invoquer l'arrêt rendu par votre Cour le 29 octobre 2008 (Pas., n° 591).

7ème et dernier feuillet

PAR CES CONSIDERATIONS,

l'avocate à la Cour de cassation soussignée, pour le demandeur, conclut qu'il vous plaise, Messieurs, Mesdames, casser le jugement attaqué; ordonner que mention de votre arrêt soit faite en marge de la décision annulée; renvoyer la cause et les parties devant un autre tribunal de première instance siégeant en degré d'appel; statuer comme de droit quant aux dépens.

Jacqueline Oosterbosch

Le 6 février 2017


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.17.0075.F
Date de la décision : 08/01/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-01-08;c.17.0075.f ?

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