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05/01/2018 | BELGIQUE | N°C.17.0381.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 05 janvier 2018, C.17.0381.F


N° C.17.0381.F
1. G. FUND, société privée à responsabilité limitée, anciennement dénommée D. I.,
2. M. D.,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,

contre

F. V., avocat, agissant en qualité de curateur à la faillite de la société anonyme O. N.,
défendeur en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le

23 janvier 2017 par la cour d'appel de Mons, statuant comme juridiction de renvoi ensuite de l'arr...

N° C.17.0381.F
1. G. FUND, société privée à responsabilité limitée, anciennement dénommée D. I.,
2. M. D.,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,

contre

F. V., avocat, agissant en qualité de curateur à la faillite de la société anonyme O. N.,
défendeur en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 23 janvier 2017 par la cour d'appel de Mons, statuant comme juridiction de renvoi ensuite de l'arrêt de la Cour du 2 octobre 2014.
Le conseiller Michel Lemal a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.

II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, les demandeurs présentent deux moyens.

III. La décision de la Cour

Sur le premier moyen :

Quant au premier rameau de la première branche :

En vertu de l'article 1110, alinéa 1er, du Code judiciaire, le juge qui connaît d'un litige en tant que juge de renvoi à la suite d'une cassation partielle ne peut exercer sa juridiction que dans les limites du renvoi, qui sont, en règle, déterminées par l'étendue de la cassation.
Si, en règle, la cassation est limitée à la portée du moyen qui en est le fondement, le juge de renvoi a le pouvoir de statuer sur une contestation, élevée devant lui, qui a été tranchée par un dispositif de la décision annulée autre que celui qu'attaquait le pourvoi mais auquel la cassation s'étend, soit parce qu'il constitue une suite du dispositif attaqué ou lui est uni par un lien nécessaire, soit parce qu'il n'est, du point de vue de l'étendue de la cassation, pas distinct de ce dispositif.
Par l'arrêt du 11 décembre 2012, la cour d'appel de Bruxelles, disant l'appel incident des demandeurs recevable et fondé, a dit non fondée la demande du défendeur contre ceux-ci.
Sur le moyen du pourvoi du défendeur critiquant la décision de dire cet appel fondé mais non celle de le dire recevable, la Cour a, par l'arrêt précité du 2 octobre 2014, cassé cet arrêt en tant qu'il statuait sur l'appel incident des demandeurs.
L'arrêt attaqué, qui, pour reconnaître à la cour d'appel de renvoi le pouvoir de statuer sur la recevabilité, contestée devant elle, de cet appel incident, considère, d'une part, que la décision de l'arrêt du 11 décembre 2012 n'était sur cette question pas définitive au sens de l'article 19 du Code judiciaire, d'autre part, que les dispositions qui gouvernent la recevabilité de l'appel sont d'ordre public, mais qui n'examine pas si la cassation de la décision de dire cet appel fondé s'est, en vertu des règles relatives à l'étendue de la cassation, étendue à la décision de le dire recevable, ne justifie pas légalement sa décision.
Le moyen, en ce rameau de cette branche, est fondé.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause devant la cour d'appel de Liège.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, le président de section Albert Fettweis, les conseillers Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du cinq janvier deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence du premier avocat général André Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont A. Jacquemin M.-Cl. Ernotte
M. Lemal A. Fettweis Chr. Storck


Requête

REQUÊTE EN CASSATION

POUR : 1) La société privée à responsabilité limitée G. FUND, précédemment dénommée société privée à responsabilité limitée D. I.,
Demanderesse en cassation,
2) M. D,
Demandeur en cassation,
Ci-après désignés ensemble « les demandeurs »,
Assistés et représentés par Me Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation soussignée, dont le cabinet est établi boulevard de l'Empereur, 3 à 1000 Bruxelles, chez qui il est élu domicile.
CONTRE :

Monsieur F. V., avocat, agissant en qualité de curateur à la faillite de la société anonyme O. N.
Défendeur en cassation.
*
A Messieurs les Premier Président et Président, à Mesdames et Messieurs les Conseillers composant la Cour de cassation.
Messieurs, Mesdames,
Les demandeurs ont l'honneur de soumettre à votre censure l'arrêt contradictoirement rendu entre les parties, le 23 janvier 2017, par la cour d'appel de Mons (1ère chambre - RG n° 2015/RG/77).
En tant qu'ils intéressent le présent pourvoi, les faits et antécédents de la cause, tels qu'ils ressortent des constatations de l'arrêt entrepris et des pièces de la procédure, peuvent être résumés comme suit.

1. Le 15 mars 2006, la demanderesse et la société anonyme de droit suisse S. ont constitué la société anonyme O. N.

Le capital social de cette dernière, fixé à 1.500.000 euro et représenté par 1.500 actions, est libéré par l'apport en nature du fonds de commerce de la société anonyme A. (déclarée en faillite par jugement du tribunal de commerce de Bruxelles du 31 janvier 2006), précédemment acquis par le demandeur.

2. Le 17 octobre 2006, la société anonyme O. N. a procédé au remboursement, en faveur de la société anonyme de droit suisse P&S, de la somme de 200.000 euro , compte tenu de l'avance consentie par cette dernière au mois de juin 2006.

3. Par jugement du 16 avril 2007, le tribunal de commerce de Bruxelles a déclaré la faillite sur aveu de la société anonyme O. N. et désigné le défendeur en qualité de curateur.

4. Par jugement du 18 juin 2007, le tribunal de commerce de Bruxelles a fixé la date de cessation des paiements au 16 octobre 2006.

5. Par citation du 15 avril 2008, le défendeur q.q. a postulé du tribunal de commerce de Bruxelles qu'il condamne solidairement la société anonyme P&S, la société anonyme S., Monsieur S. B. (en sa qualité d'administrateur de cette dernière), la demanderesse et le demandeur (en sa qualité d'administrateur de cette dernière) au remboursement de la somme précitée de 200.000 euro .

6. Par jugement du 22 mars 2010, le tribunal de commerce de Bruxelles a déclaré l'action du défendeur non fondée en ce qu'elle est dirigée contre la société anonyme P&S et, considérant que le paiement de la somme de 200.000 euro , effectué « à un moment où la répartition de l'actif social aurait dû être opérée dans le respect des règles légales du concours entre créanciers », constitue « une faute de gestion dans le chef des administrateurs », à l'origine d'un « préjudice pour la masse », a condamné in solidum la société anonyme S. et la demanderesse au paiement, en faveur du défendeur, de la somme de 200.000 euro majorée des intérêts à compter du 17 octobre 2006. Le jugement a en outre condamné Monsieur S. B. et le demandeur solidairement avec la société dont ils sont respectivement administrateur, sur la base de l'article 61, § 2, du Code des sociétés.

La société anonyme P&S, la société anonyme S. et Monsieur S. B. ont relevé appel de cette décision par requête du 1er juin 2010.

Le défendeur q.q. a relevé appel de cette décision par requête du 21 juin 2010 à l'encontre de la société anonyme P&S.

Le dispositif de la requête d'appel du défendeur q.q. était libellé comme suit :

« Le requérant vous prie ...
De dire le présent appel recevable et fondé et, en conséquence,
Réformant le jugement dont appel,
Dire la demande originaire à l'encontre de la SA P&S recevable et fondée ;
En conséquence, condamner la SA P&S solidairement avec la SA S., (la demanderesse), M. S. B. et (le demandeur) au paiement de la somme de 200.000 euro en principal, augmentée des intérêts compensatoires au taux légal depuis le 17 octobre 2006 ;
Condamner la SA P&S, solidairement avec la SA S., (la demanderesse), M. S. B. et (le demandeur) aux frais et dépens de l'instance ».

Par conclusions du 18 octobre 2010, les demandeurs ont formé un appel incident.

7. Après avoir joint les causes, la cour d'appel de Bruxelles a, par un arrêt du 11 décembre 2012, déclaré les différents appels recevables et, faisant droit aux appels introduits, d'une part, par la société anonyme P&S, la société anonyme S. et Monsieur S. B. et, d'autre part, par les demandeurs, a mis à néant le jugement entrepris et déclaré non fondée la demande originaire formulée par le défendeur q.q. et visant au remboursement de la somme de 200.000 euro .

8. Sur pourvoi introduit par le défendeur q.q., la Cour a, par un arrêt du 2 octobre 2014 (RG n° C.13.0288.F), cassé l'arrêt précité du 11 décembre 2012 « en tant qu'il statue sur l'appel incident [des demandeurs] et sur les dépens entre [le défendeur q.q.] et [les demandeurs] ». La Cour a renvoyé « la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Mons».

9. Par l'arrêt entrepris, la cour d'appel de Mons, statuant sur renvoi après cassation, décide que la question de la recevabilité de l'appel incident formé par les demandeurs à l'encontre du jugement précité du 22 mars 2010 « peut encore être soulevée et débattue » devant elle et, statuant effectivement sur cette question, décide que ledit appel incident « doit être déclaré irrecevable ».

A l'appui de leur pourvoi, les demandeurs invoquent les moyens de cassation suivants.

PREMIER MOYEN DE CASSATION
Dispositions légales dont la violation est invoquée
- Article 149 de la Constitution ;
- Articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil,
- Articles 19, 1082, alinéa 1er, 1095 et 1110 du Code judiciaire (l'article 19 tel qu'il a été modifié par la loi du 28 février 2014 et, pour autant que de besoin, tel qu'en vigueur avant cette modification),
- Principe général du droit dit principe dispositif, consacré notamment par l'article 1138, 2°, du Code judiciaire.

Décision et motifs critiqués
Après avoir constaté que « par son arrêt rendu le 2 octobre 2014 (...), la Cour de cassation (...) a cassé l'arrêt [de la cour d'appel de Bruxelles du 11 décembre 2012] uniquement en tant qu'il statue sur l'appel incident [des demandeurs] et sur les dépens entre eux et [le défendeur q.q.], a rejeté le pourvoi pour le surplus et a renvoyé la cause ainsi limitée devant la cour d'appel de Mons », l'arrêt entrepris décide que « la question de la recevabilité de l'appel étant d'ordre public, elle peut encore être soulevée et débattue devant la cour de renvoi » et, déclarant statuer « dans les limites de sa saisine », « dit irrecevable l'appel (des demandeurs) » et condamne solidairement les demandeurs aux dépens d'appel et de cassation du défendeur q.q.
Cette décision se fonde sur les motifs suivants :

« Le juge de renvoi prend connaissance du litige dans les limites tracées par l'arrêt de renvoi. Il ne peut exercer son pouvoir juridictionnel que dans ces limites. Le procès lui est dévolu, à l'exception des dispositifs non cassés ou non annulés qui ont acquis l'autorité de la chose jugée. Ces dispositifs ne peuvent être remis en cause par le juge de renvoi (...).
Si en règle, la cassation est limitée à la portée du moyen qui en est le fondement, la cassation qui atteint un chef du dispositif n'en laisse rien subsister, quel que soit le motif qui a déterminé cette annulation.
Il s'ensuit que le juge de renvoi ne peut se borner à réparer l'erreur commise par le juge dont la décision a été classée mais que, substitué à celui-ci, il doit prendre dans les limites de sa saisine une décision complète. Partant, lorsqu'une décision a été cassée au motif qu'il n'a pas été répondu aux conclusions du demandeur, les parties sont remises devant le juge de renvoi dans la situation où elles se trouvaient devant le juge dont la décision a été cassée ; la juridiction de renvoi ne saurait se borner à répondre aux conclusions auxquelles cette décision n'avait eu égard, et à infirmer ou confirmer celle-ci (...)
L'esprit et la généralité des termes de l'article 1110, alinéa 1er, du Code judiciaire, en vertu duquel le renvoi est ordonné, ne permettent pas de limiter l'effet légal du renvoi à l'examen du seul dispositif annulé mais exigent que le procès tout entier soit dévolu au juge de renvoi (...).
En l'espèce, la Cour de cassation a cassé l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur l'appel incident (...) de (la demanderesse) et (du demandeur) et sur les dépens entre eux et le curateur.
La cour a utilisé les termes ‘en tant qu'il statue sur l'appel incident', et non ‘en tant qu'il dit l'appel incident fondé' ou ‘en tant qu'il statue sur le fondement de l'appel incident' ou encore ‘en tant qu'il statue sur l'appel incident, sauf en ce qu'il reçoit cet appel'.

Il est dès lors permis de s'interroger sur la portée exacte de la cassation et sur l'étendue de la saisine de la cour au regard du libellé de l'arrêt qui lie la juridiction de renvoi.
Cette cour est-elle saisie de l'examen global des appels incidents de (la demanderesse) et (du demandeur), en ce compris quant à leur recevabilité, ou doit-elle se limiter à statuer sur le fondement de ces appels ?
(La demanderesse) et (le demandeur) soutiennent que la question de la recevabilité des appels incidents n'a fait l'objet d'aucun moyen de cassation et a été définitivement tranchée par l'arrêt rendu le 11 décembre 2012, signifié le 15 mars 2013, qui n'a été que partiellement cassé et est revêtu de l'autorité de la chose jugée pour le surplus.
L'article 19 du Code judiciaire dispose en effet que le jugement est définitif dans la mesure où il épuise la juridiction du juge sur une question litigieuse, sauf les recours prévus par la loi. Il ne peut être question, en règle, d'un jugement définitif au sens de l'article 19 du Code judiciaire, épuisant la juridiction du juge, que si celui-ci prend une décision sur une question litigieuse, à savoir une question faisant l'objet d'un litige entre les parties et sur laquelle elles ont débattu (...).
Il s'en déduit qu'en l'absence de contestation entre les parties, la question de la recevabilité n'est pas ‘litigieuse' au sens de l'article 19, alinéa 1er, du Code judiciaire, et que, par conséquent, la décision par laquelle le juge déclare l'action recevable ne peut pas être qualifiée de ‘définitive' (...).
En l'espèce, l'irrecevabilité des appels incidents formés par (la demanderesse) et (le demandeur) n'a pas été soulevée ni discutée lors des débats devant la cour d'appel de Bruxelles laquelle les a dit recevables sans aucune motivation sur ce point.
Il s'ensuit que la cour d'appel de Bruxelles n'a pas rendu une décision définitive au sens de l'article 19 du Code judiciaire quant à la recevabilité des appels incidents, cette question n'étant alors pas litigieuse.
Son arrêt ayant été cassé ‘en tant qu'il statue sur l'appel incident', la cassation ne laisse rien subsister de la décision relative à l'appel incident et la cour de renvoi est ainsi saisie de l'examen global de l'appel incident, en ce compris de sa recevabilité, en l'absence de décision définitive revêtue de l'autorité de la chose jugée sur ce point.
La question de la recevabilité de l'appel étant d'ordre public, elle peut encore être soulevée et débattue devant la cour de renvoi. » (arrêt entrepris, pp. 4 à 6).



Griefs

La cour d'appel de Bruxelles était saisie, à l'encontre du jugement précité du 22 mars 2010, (1) d'un appel principal introduit par la société anonyme P&S, la société anonyme S. et Monsieur S. B. (cause RG n° 2010/AR/1505) ; (2) d'un appel principal introduit par le défendeur q.q. (cause RG n° 2010/AR/1732) ; et (3) d'un appel incident introduit par les demandeurs. Aux termes du dispositif de l'arrêt du 11 décembre 2012, la cour d'appel :

« Joint les causes RG n° 2010/AR/1505 et RG n° 2010/AR/1732.
Dit les appels, principaux et incidents, recevables.
Dans la cause RG n° 2010/AR/1505, dit l'appel fondé.
Dans la cause RG n° 2010/AR/1732, dit l'appel non fondé.
Dit l'appel incident fondé.
En conséquence, émendant,
Met à néant la décision entreprise prononcée le 22 mars 2010 par le tribunal de commerce de Bruxelles.
Dit la demande originaire non fondée.
Condamne [le défendeur] aux dépens des deux instances (...) »

Le défendeur q.q., par le pourvoi en cassation qu'il a introduit à l'encontre de l'arrêt précité, entendait critiquer celui-ci « en ce qu'il dit l'appel du [défendeur q.q.] non fondé, dit les appels [de la société anonyme P&S, de la société anonyme S., de Monsieur S. B. et des demandeurs] fondés et en conséquence, met à néant la décision entreprise, dit la demande originaire du [défendeur q.q.] non fondée ».

Par la première branche de son moyen, le défendeur q.q. faisait grief à l'arrêt précité d'avoir rejeté sa demande originaire, fondée sur la « réparation d'un préjudice collectif étranger à tout préjudice et toute faute contractuelle » sur la base, notamment, des considérations que « pour que la mise en cause de la responsabilité aquilienne personnelle des administrateurs puisse être engagée, il faut que la faute mise à leur charge constitue un manquement non à une obligation contractuelle mais à l'obligation générale de prudence et que la faute commise cause un dommage autre que celui résultant de la mauvaise exécution du contrat » et que « [le défendeur q.q.] n'invoque, à aucun moment, un dommage différent, autre, que celui résultant de la mauvaise exécution du contrat puisqu'il se limite à considérer que c'est le payement en lui-même des 200.000 euros qui a été fautif alors que ce paiement a été effectué par un organe de la société dans le cadre contractuel de sa mission ».

Par la seconde branche de son moyen, le défendeur q.q. faisait grief à l'arrêt précité d'avoir décidé que « les conditions d'engagement de la responsabilité extracontractuelle d'un administrateur par un tiers contractuellement lié à la société ne sont pas remplies » alors qu'il « ne contient cependant aucune constatation quant à la qualité des créanciers de la masse pour compte desquels agissait [le défendeur q.q.] et plus précisément quant à leur qualité de créanciers contractuels ou de créanciers non contractuels de la société faillie », de sorte qu'il ne « contient pas les constatations permettant à la Cour d'exercer son contrôle de légalité » et n'est pas régulièrement motivé.

La Cour, par son arrêt du 2 octobre 2014 (RG n° C.13.0288.F), après avoir rappelé notamment que « le curateur, qui poursuit l'indemnisation du dommage causé par la faute de l'organe d'une société qui a eu pour effet d'aggraver le passif de la faillite ou d'en diminuer l'actif, n'exerce pas les droits individuels des créanciers ayant contracté avec cette société et ne poursuit pas l'indemnisation du dommage résultant pour ces créanciers de la mauvaise exécution du contrat », décide que le moyen du défendeur q.q. est fondé en ce qu'il fait grief à l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 11 décembre 2012 d'avoir considéré que « [le défendeur q.q.] n'invoque, à aucun moment, un dommage différent, autre, que celui résultant de la mauvaise exécution du contrat puisqu'il se limite à considérer que c'est le payement en lui-même des 200.000 euros qui a été fautif alors que ce paiement a été effectué par un organe de la société dans le cadre contractuel de sa mission ».

Partant, dès lors qu'elle a préalablement fait droit à la fin de non-recevoir soulevée par la société anonyme S. et par Monsieur S. B., la Cour a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 11 décembre 2012 « en tant qu'il statue sur l'appel incident [des demandeurs] et sur les dépens entre [le défendeur q.q.] et [les demandeurs] » puis renvoyé « la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Mons ».

Première branche

L'article 1082, alinéa 1er, du Code judiciaire impose au demandeur en cassation d'énoncer, dans sa requête, « l'indication précise » des chefs de la décision attaquée « contre lesquels le pourvoi est dirigé ». L'article 1095 du Code judiciaire dispose : « La Cour ne peut connaitre que des chefs de la décision indiqués dans la requête introductive ».

L'article 1110, alinéa 1er, du Code judiciaire, précise par ailleurs que « lorsque la cassation est prononcée avec renvoi, celui-ci a lieu devant une juridiction souveraine du même rang que celle qui a rendu la décision attaquée ».

De la lecture combinée de ces différentes dispositions et du principe général du droit visé en tête du moyen, il se déduit que la cassation, lorsqu'elle est admise, est nécessairement restreinte, indépendamment des termes employés par la Cour, à la portée des moyens en vertu desquels elle est prononcée.

Par voie de conséquence, les pouvoirs juridictionnels du juge de renvoi, qui ne peuvent s'exercer que dans la mesure où la cassation est prononcée et dans les limites de celle-ci, sont également restreints par la portée des moyens en vertu desquels la cassation est admise.

Ainsi, lorsque la cause est renvoyée au juge, après une cassation partielle, dans une mesure limitée, il est fait interdiction à celui-ci de remettre en cause le dispositif non attaqué ou non annulé de la décision attaquée, contre lequel un pourvoi en cassation n'est plus admissible.

(a) Premier rameau

Le dispositif de l'arrêt de la Cour du 2 octobre 2014 était libellé comme suit :

« Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur l'appel incident des troisième et quatrième défendeurs (ici demandeurs en cassation) et sur les dépens entre le demandeur (ici défendeur en cassation) et ces défendeurs. Rejette le pourvoi pour le surplus ... Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Mons ».

L'arrêt attaqué constate : « (Les demandeurs) soutiennent que la question de recevabilité des appels incidents n'a fait l'objet d'aucun moyen de cassation et a été définitivement tranchée par l'arrêt rendu le 11 décembre 2012, signifié le 15 mars 2013, qui n'a été que partiellement cassé et est revêtu de l'autorité de la chose jugée pour le surplus ».

L'arrêt attaqué ne contredit pas l'allégation des demandeurs selon laquelle la requête en cassation introduite par le défendeur q.q. contre l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 11 décembre 2012 ne contenait aucun moyen faisant grief à cet arrêt d'avoir déclaré recevables l'appel incident formé par les actuels demandeurs en cassation.

Les motifs sur lesquels l'arrêt attaqué se fonde pour décider que la cassation prononcée par l'arrêt de la Cour du 2 octobre 2014 s'étend à la recevabilité de l'appel incident ne sont pas de nature à justifier légalement cette décision. Ni le fait que la décision rendue par la cour d'appel de Bruxelles relativement à la recevabilité de l'appel incident n'aurait pas été une décision définitive, au sens de l'article 19 du Code judiciaire, en l'absence de contestation des parties sur ce point, ni le fait que la recevabilité de l'appel soit d'ordre public, n'avait de pertinence en ce qui concerne l'étendue de la cassation. Seule importait à cet égard la question de savoir si l'actuel défendeur q.q. (alors demandeur en cassation) avait formulé, dans son pourvoi, un grief relatif à la recevabilité de l'appel incident formé par les actuels demandeurs.

En décidant, pour les motifs précités, que la question de la recevabilité de l'appel incident pouvait encore « être soulevée et débattue devant la juridiction de renvoi », l'arrêt attaqué a dès lors excédé sa saisine en statuant sur une question qui avait été tranchée par la cour d'appel de Bruxelles, par un dispositif non atteint par la cassation (violation des articles 1082, alinéa 1er, 1095 et 1110 du Code judiciaire et du principe général du droit visé en tête du moyen).

(b) Deuxième rameau

Viole la foi due aux actes et les articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil le juge qui impute à un acte de procédure une énonciation que cet acte ne contient pas.

S'il doit se comprendre comme ayant décidé que la requête en cassation introduite par l'actuel défendeur q.q. contre l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 11 décembre 2012 comportait un ou plusieurs moyens faisant grief à l'arrêt précité de la cour d'appel d'avoir déclaré recevable l'appel incident des actuels demandeurs, l'arrêt attaqué a imputé à cette requête en cassation des énonciations qu'elle ne comportait pas, en violation de la foi due à cet acte de procédure (violation des articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil).

S'il doit se comprendre comme ayant décidé que l'arrêt de la Cour de cassation du 2 octobre 2014 étend la cassation à d'autres chefs de l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 11 décembre 2012 que ceux qui étaient critiqués par l'actuel défendeur, l'arrêt attaqué impute à l'arrêt précité de la Cour de cassation une énonciation que cet arrêt ne contient pas, en violation de la foi due à cet acte de procédure (violation des articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil).

Seconde branche

Aux termes de l'article 19 du Code judiciaire, « le jugement est définitif dans la mesure où il épuise la juridiction du juge sur une question litigieuse ».

Constitue une question litigieuse, susceptible de faire l'objet d'un jugement définitif au sens de la disposition précitée, toute question qui a été débattue par les parties ou, à tout le moins, qui a raisonnablement pu être débattue par elles dans le respect des droits de la défense.

En l'espèce, le défendeur q.q. demandait à la cour d'appel de Bruxelles, « statuant sur l'appel incident », de « dire l'appel non fondé et en débouter les [demandeurs] ; les condamner aux dépens ». Le défendeur q.q. a, ainsi, fait le choix de ne pas contester la recevabilité dudit appel incident, sans qu'il ressorte des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard qu'il ait été privé de la possibilité d'exercer valablement ses droits de la défense et, partant, de contester effectivement la recevabilité de l'appel incident introduit, par les demandeurs, à l'encontre du jugement précité du 22 mars 2010, par leurs conclusions du 18 octobre 2010.

Par son arrêt du 11 décembre 2012, la cour d'appel de Bruxelles a déclaré cet appel incident recevable, sans rien y réserver, avant de statuer sur son fondement et d'y faire droit. Elle a, ainsi, épuisé sa juridiction sur cette question litigieuse de la recevabilité et rendu, à cet égard, un jugement définitif au sens de l'article 19 du Code judiciaire.

Partant, l'arrêt entrepris qui décide que « la cour d'appel de Bruxelles n'a pas rendu une décision définitive au sens de l'article 19 du Code judiciaire quant à la recevabilité des appels incidents » au seul motif que l'irrecevabilité « n'a pas été soulevée ni discutée lors des débats devant la cour d'appel de Bruxelles », méconnait la notion légale de jugement définitif et n'est pas légalement justifié (violation de l'article 19 du Code judiciaire, tel qu'en vigueur tant avant qu'après sa modification par la loi du 28 février 2014).

A tout le moins, l'arrêt attaqué ne constate pas que le défendeur q.q. aurait été privé de la possibilité de contester la recevabilité de l'appel incident des demandeurs. En l'absence de cette constatation, la Cour est dans l'impossibilité de contrôler la légalité de l'arrêt attaqué en tant qu'il a conclu que la décision de l'arrêt du 11 décembre 2012 relative à la recevabilité de l'appel incident des demandeurs n'était pas une décision définitive. En conséquence, l'arrêt attaqué n'est pas régulièrement motivé et viole, dès lors, l'article 149 de la Constitution.

Au surplus, en ce qu'il détermine l'étendue de ses pouvoirs juridictionnels en tant que juge de renvoi statuant après cassation sur la base de l'article 19 du Code judiciaire et sans avoir égard à la portée des moyens en vertu desquels la cassation a été admise, l'arrêt entrepris méconnait les règles applicables à l'étendue de la saisine du juge de renvoi et n'est, partant, pas légalement justifié (violation de toutes les dispositions et du principe général du droit visés en tête du moyen, à l'exception des articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil).

DÉVELOPPEMENTS
Quant à la première branche
Le Code judiciaire ne contient pas de dispositions réglant de manière complète l'étendue de la cassation.

Les principes applicables ont été définis par la jurisprudence de la Cour.

Cette jurisprudence, constante et abondante, est éclairée par plusieurs notes de doctrine, en particulier par un article déjà ancien de M. le conseiller Albert Meeùs, qui fait toujours autorité (« L'étendue de la cassation en matière civile », R.C.J.B., 1986, p. 262 et suiv.).

Cette étude commence par rappeler que la jurisprudence de la Cour se fonde sur deux articles du Code judiciaire :

- article 1082, alinéa 1er : « si l'arrêt ou le jugement attaqué contient plusieurs chefs, la requête énonce l'indication précise de ceux contre lesquels le pourvoi est dirigé ».
- article 1095 : « la Cour ne peut connaître que des chefs de la décision indiqués dans la requête introductive ».

Ces deux articles sont une application du principe dispositif, combiné avec la règle selon laquelle, en matière civile, la Cour de cassation ne peut soulever un moyen d'office (même dans les matières relevant de l'ordre public). La Cour de cassation n'a pas le pouvoir de casser un chef de la décision que le demandeur en cassation n'avait pas estimé devoir critiquer.

L'étendue de la cassation limite, bien évidemment, les pouvoirs du juge de renvoi :

« Les pouvoirs (du juge de renvoi) dépendent de l'étendue de la cassation et il lui appartient, le cas échéant, de décider même d'office qu'il n'a pas à statuer sur un point que les parties lui soumettent mais qui n'est pas compris dans la cassation » (A. Meeus, étude précitée, n° 5, p. 264).
« Le juge qui connaît d'un litige en tant que juge de renvoi à la suite d'une cassation partielle ne peut exercer sa juridiction que dans les limites du renvoi, qui sont, en règle, déterminées par l'étendue de la cassation » (Christian Storck, « Le renvoi au juge du fond dans la procédure en cassation en matière civile », Imperat Lex, Liber Amicorum Pierre Marchal, Larcier, 2003, spéc. p. 217).

Il arrive que la Cour de cassation précise elle-même, dans son dispositif, l'étendue de la cassation qu'elle prononce. Dans une telle hypothèse, les parties et le juge de renvoi sont liés par les termes du dispositif de l'arrêt.

Il est toutefois fréquent que le dispositif ne comporte aucune précision quant à l'étendue de la cassation.

Il ne faut pas déduire de cette absence de précision du dispositif de l'arrêt que la cassation est nécessairement totale. Tout au contraire, ainsi que le souligne A. Meeùs :

« Une règle ... domine la matière : il est de jurisprudence constante que, quelle que soit la généralité des termes du dispositif de l'arrêt, la cassation est limitée à la portée du moyen qui en est le fondement. Même si l'arrêt ne limite pas la cassation, le juge de renvoi ne peut connaître des points qui avaient été résolus par la décision cassée et dont la Cour n'a pas été saisie par le pourvoi, cette décision ayant, en ce qui les concerne, force de chose jugée » (étude citée, n° 7, p. 265 et 266, et jurisprudence citée aux notes 8 et 9).


Les études ultérieures publiées sur la question ont confirmé la note fondatrice d'A. Meeùs.

« Le principe dispositif régit l'exercice de toute demande et de tout recours. S'agissant du pourvoi en cassation, le recours est limité aux chefs de la décision contre laquelle le pourvoi est dirigé et la Cour doit nécessairement statuer dans les limites de ce pourvoi. Les pouvoirs du juge de renvoi sont donc, eux-mêmes, limités. Celui-ci ne peut connaître des points résolus par la décision cassée et dont la Cour de cassation n'a pas été saisie par le pourvoi » (G. Closset-Marchal, « Y a-t-il une réformation par voie de conséquence ? », R.C.J.B., 2004, p. 392, spéc. n° 12, p. 397 et 398 ; Ph. Gérard et M. Grégoire, « Introduction à la méthode de la Cour de cassation », Rev. dr. ULB, vol. 20, 1999/2, p. 161).
Plus récemment, les conclusions de M. l'avocat général J. M. Genicot précédant un arrêt du 11 octobre 2012 (Pas., n° 524) contiennent une synthèse très claire de la question.
La jurisprudence de la Cour, sur laquelle se fondent les études citées, est ancienne et constante (voy. notamment Cass., 28 janvier 2011, Pas., 2011, n° 87 ; Cass., 13 janvier 2005, Pas., 2005, n° 22 ; Cass., 18 septembre 1997, Pas., 1997, p. 873 ; Cass., 21 juin 1982, Pas., 1982, p. 1226).
Les arrêts les plus récents confirment les mêmes principes :
- Cass. 31 mai 2013, Pas., n° 331. Selon le sommaire de cet arrêt, « en cas de cassation sans précision de son étendue, elle est en principe limitée aux chefs de la décision contre lesquels le pourvoi est dirigé ». L'arrêt décide que « les juges d'appel qui, en tant que juges de renvoi, ont statué à nouveau sur la responsabilité du défendeur, cette décision n'ayant pas été critiquée par le pourvoi en cassation antérieur, ont excédé leur pouvoir de prendre connaissance du litige dans les limites dans lesquelles il a été soumis à la juridiction de renvoi ». En conséquence, l'arrêt casse la décision des juges de renvoi.
- Cass. 6 mars 2014, Pas., n° 180. Selon le sommaire de cet arrêt, « lorsque la cassation est prononcée elle est, en principe, limitée aux chefs de la décision contre lesquels le pourvoi était dirigé, quels que soient les termes utilisés par la Cour ». Cet arrêt casse la décision des juges de renvoi, qui avaient statué à nouveau sur la question de savoir si la demanderesse en cassation avait droit, en tant que soumissionnaire de l'offre régulière la plus basse, à l'indemnité forfaitaire fixée par l'article 15, alinéa 1er, de la loi du 24 décembre 1993, alors que cette décision n'avait pas fait l'objet du pourvoi en cassation qui avait abouti au renvoi.
- Cass. 8 mai 2014, Pas., n° 329. Selon le sommaire de cet arrêt : « il appartient au juge devant lequel la contestation est renvoyée après une cassation partielle de statuer dans les limites du renvoi ; en principe, ce renvoi est limité à l'étendue de la cassation, y compris les décisions indissociables et les décisions découlant des décisions cassées ; en règle, l'étendue de la cassation est limitée à la portée du moyen qui en est le fondement ». Dans l'espèce qui a donné lieu à cet arrêt, la Cour avait cassé une précédente décision sur un moyen critiquant uniquement la décision des juges d'appel concernant l'opposabilité aux créanciers en concours d'une cession de créance à titre de garantie. La Cour a estimé que la juridiction de renvoi avait excédé sa compétence, en statuant à nouveau sur l'étendue de la cession de créance, la décision du premier arrêt d'appel sur ce point n'ayant pas fait l'objet du moyen de cassation.
En application de la règle précitée, la Cour décide, quant aux pouvoirs du juge de renvoi, notamment, que « le juge saisi d'un litige en tant que juridiction de renvoi ensuite d'une cassation partielle ne peut exercer sa juridiction que dans les limites de ce renvoi » (voy. Cass., 15 décembre 2003, Pas., 2003, n° 646) ou encore que « lorsque, en cas de cassation partielle, la Cour renvoie la cause dans une mesure limitée, elle entend par là que le dispositif non attaqué ou non annulé de la décision attaquée, contre lequel un pourvoi en cassation n'est plus admissible, ne peut plus être remis en discussion devant le juge de renvoi » (voy. Cass., 13 février 2006, Pas., 2006, n° 92).

Quant à la seconde branche
Par une jurisprudence constante, la Cour décide qu'« un jugement statuant sur la recevabilité d'une demande en justice est un jugement définitif », de sorte qu'il épuise la juridiction du juge sur une question litigieuse, au sens de l'article 19 du Code judiciaire (voy. ainsi Cass., 28 juin 1982, Pas., 1982, p. 1279 ; Cass., 18 juin 1993, Pas., 1993, p. 593 ; Cass., 7 novembre 1994, Pas., 1994, p. 912).
Dans ce contexte, et en lien avec la problématique du « débat » entre parties quant à la question litigieuse, la doctrine prône une conception pragmatique du contradictoire. En effet, il est admis que peut « être considérée comme un jugement définitif la décision par laquelle le juge déclarerait l'action recevable, quand bien même cette recevabilité n'aurait pas été contestée et n'aurait par conséquent pas fait l'objet d'un débat effectif, pour autant toutefois que ce débat ait été possible » (voy. A. Hoc, « L'appel différé des jugements avant dire droit », in J.-Fr. van Drooghenbroeck (sous la dir.), Le Code judiciaire en pot-pourri - Promesses, réalités et perspectives, Bruxelles, Larcier, 2016, pp. 179 et 280). Cette thèse s'appuie notamment sur la considération que « les principes émergents de célérité, d'efficience, de loyauté et de concentration influencent et calibrent aujourd'hui les exigences et les contours du principe contradictoire (...) » de sorte que « le respect du contradictoire et des droits de la défense s'accommode aujourd'hui de la possibilité raisonnable d'un débat entre parties, là où il requérait jadis la tenue effective de ce débat » (voy. J.-Fr. van Drooghenbroeck et F. Balot, « L'autorité de chose jugée happée par la concentration du litige », in G. de Leval et F. Georges (sous la dir.), L'effet de la décision de justice - Contentieux européen, constitutionnel, civil et pénal, Liège, Anthémis, 2008, p. 197).

SECOND MOYEN DE CASSATION
Dispositions légales dont la violation est invoquée
- Articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil ;
- Articles 19, 1054 et 1056, 4°, du Code judiciaire (l'article 19 tel qu'il a été modifié par la loi du 28 février 2014 et, pour autant que de besoin, tel qu'en vigueur avant cette modification).
Pour autant que de besoin :
- Article 17 du Code judiciaire.

Décision et motifs critiqués
L'arrêt attaqué « dit irrecevable l'appel (des demandeurs) » et condamne solidairement les demandeurs aux dépens d'appel et de cassation du défendeur q.q..
Cette décision se fonde sur les motifs suivants :
« [Les demandeurs] ont formé un appel incident par conclusions déposées devant la cour d'appel de Bruxelles le 18 octobre 2010.
En application de l'article 1054 du Code judiciaire, seule la partie intimée peut former incidemment appel.
Au sens de cette disposition, la partie intimée est celle contre laquelle a été dirigé un appel principal ; n'est pas une partie intimée celle qui a été appelée à la cause en déclaration d'arrêt commun (...).
Or, [les demandeurs] ne sont que parties appelées à la cause dans les deux appels principaux interjetés par [la société anonyme S.] et [Monsieur S.B.], codéfendeurs originaires, et par [le défendeur], qui avait obtenu gain de cause contre eux en première instance.
Ils n'ont donc pas la qualité d'intimés et ne pouvaient interjeter appel incident par conclusions » (arrêt entrepris, p. 7).

Griefs

Première branche

(a) Premier rameau

1. L'article 1054 du Code judiciaire dispose :
« la partie intimée peut former incidemment appel à tout moment, contre toutes parties en cause devant le juge d'appel, même si elle a signifié le jugement sans réserve ou si elle y a acquiescé avant sa signification.
Toutefois, l'appel incident ne pourra être admis si l'appel principal est déclaré nul ou tardif ».

Constitue, au sens de cette disposition, une partie intimée autorisée à introduire un appel incident, toute partie contre laquelle une partie appelante a formulé devant le juge d'appel une prétention, autre qu'une simple demande en déclaration d'arrêt commun, qui est de nature à porter atteinte à ses intérêts

Aux termes de l'article 17 du Code judiciaire, « l'action ne peut être admise si le demandeur n'a pas qualité et intérêt pour la former ».

L'irrecevabilité pour défaut d'intérêt de l'appel principal ne prive pas l'intimé de la possibilité de former appel incident. L'article 1054, alinéa 2, ne vise que la nullité ou la tardiveté de l'appel et ne peut être étendu à d'autres hypothèses.

Quant à l'article 1056, 4°, du Code judiciaire, il dispose que l'appel peut être formé par voie de conclusions à l'égard de toute partie présente ou représentée à la cause.

2. Le dispositif de la requête d'appel déposée devant la cour d'appel de Bruxelles par le défendeur q.q. portait ce qui suit :

« Le requérant vous prie ...
De dire le présent appel recevable et fondé et, en conséquence,
Réformant le jugement dont appel,
Dire la demande originaire à l'encontre de la SA P&S recevable et fondée ;
En conséquence, condamner la SA P&S solidairement avec la SA S., (la demanderesse), M. S. B. et (le demandeur) au paiement de la somme de 200.000 euro en principal, augmentée des intérêts compensatoires au taux légal depuis le 17 octobre 2006 ;
Condamner la SA P&S, solidairement avec la SA S., (la demanderesse), M. S. B. et (le demandeur) aux frais et dépens de l'instance ».

Dès lors que le défendeur q.q. postulait explicitement, dans le dispositif de sa requête d'appel, la condamnation des demandeurs, solidairement avec d'autres parties, au paiement d'une somme en principal, augmentée des intérêts compensatoires et des dépens, il « intimait » par là même les demandeurs, conférant nécessairement à ceux-ci la qualité de parties « intimées ».

La question de savoir si cet appel du défendeur q.q. était recevable et, notamment, s'il avait intérêt à exercer cette voie de recours à l'encontre des demandeurs (eu égard au fait que le jugement attaqué lui avait donné gain de cause contre ces parties) était sans pertinence en ce qui concerne la qualité procédurale des demandeurs devant la cour d'appel. Le défendeur q.q. ayant pris la décision de réclamer, à tort ou à raison, dans sa requête d'appel, la condamnation des demandeurs, ceux-ci avaient la qualité de parties intimées et pouvaient en conséquence former un appel incident contre le défendeur q.q.

L'arrêt attaqué n'a dès lors pu légalement dénier aux demandeurs la qualité d'intimés, ni déclarer non recevable leur appel incident, au motif que le défendeur q.q. « avait obtenu gain de cause contre eux en première instance » (violation des articles 1054 et 1056, 4°, du Code judiciaire et, pour autant que de besoin, violation de l'article 17 du même Code).

(b) Second rameau

Viole la foi due aux actes et les articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil le juge qui fait abstraction des énonciations d'un acte de procédure.

En décidant que les demandeurs « ne sont que parties appelées à la cause dans les deux appels principaux interjetés par S. et S. B., co-défendeurs originaires et par le curateur (ici défendeur q.q.) » (arrêt attaqué, p. 7, 3ème alinéa), l'arrêt fait abstraction des énonciations ci-dessus reproduites de la requête d'appel du défendeur q.q., par lesquels ce dernier réclamait explicitement la condamnation des demandeurs au paiement de sommes en principal, augmentées des intérêts compensatoires et des dépens.

Faisant abstraction de ces énonciations d'un acte de procédure, l'arrêt attaqué a violé la foi due aux actes (violation des articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil).

Seconde branche

Aux termes de l'article 19, alinéa 2, du Code judiciaire, « le juge qui a épuisé sa juridiction sur une question litigieuse ne peut plus en être saisi ». Ce texte, issu de la loi du 28 février 2014, confirme une solution consacrée antérieurement et de manière constante par la jurisprudence.

Commet ainsi un excès de pouvoir le juge qui statue à nouveau sur une question litigieuse, dont il n'est plus saisi parce qu'il a déjà définitivement jugé celle-ci dans la même cause entre les mêmes parties.

En l'espèce, il ressort des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que :
(1) Par conclusions déposées le 18 octobre 2010, les demandeurs ont introduit un appel incident à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Bruxelles du 22 mars 2010 ;
(2) Selon les constatations de l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 11 décembre 2012, le défendeur demandait à la cour, « statuant sur l'appel incident », de « dire l'appel non fondé et en débouter les [demandeurs] ; les condamner aux dépens », de sorte que le défendeur ne contestait pas la recevabilité dudit appel incident ;
(3) Par l'arrêt précité, la cour d'appel de Bruxelles « dit les appels, principaux et incident, recevables » et « dit l'appel incident fondé » ;
(4) Le défendeur, par le pourvoi en cassation qu'il a introduit à l'encontre de l'arrêt précité, faisait grief à celui-ci d'avoir remis en cause le fondement de sa demande originaire mais ne contestait nullement, ni expressément ni implicitement, sa décision de consacrer la recevabilité de l'appel incident introduit par les demandeurs.

Il se déduit de ces considérations que par son arrêt du 11 décembre 2012, la cour d'appel de Bruxelles a épuisé sa juridiction sur la question de la recevabilité de l'appel incident introduit par les demandeurs à l'encontre du jugement précité du 22 mars 2010 et rendu, à cet égard, une décision définitive au sens de l'article 19 du Code judiciaire.

Ainsi, l'arrêt entrepris qui se saisit de la question de la recevabilité de l'appel incident précité et décide qu'il « doit être déclaré irrecevable », statue à nouveau sur une question litigieuse sur laquelle le juge d'appel avait entièrement épuisé sa juridiction et commet, partant, un excès de pouvoir (violation de l'article 19 du Code judiciaire, tel qu'en vigueur tant avant qu'après sa modification par la loi du 28 février 2014).

DÉVELOPPEMENTS
Quant à la première branche

La Cour décide qu'une partie est intimée au sens de l'article 1054 du Code judiciaire lorsqu'une partie appelante a formulé, contre elle, devant le juge d'appel, « une prétention, autre qu'une demande en déclaration d'arrêt commun, qui est de nature à porter atteinte à ses intérêts » (voy. notamment Cass., 19 septembre 2003, Pas., 2003, n° 442 ; Cass., 6 novembre 2009, Pas., 2009, n° 643 ; Cass., 19 juin 2013, Pas., 2013, n° 381).

Analysant cette jurisprudence, la doctrine enseigne : « ce qui parait devoir être retenu de la jurisprudence de la Cour de cassation, c'est que, pour être une partie valablement intimée par une autre, les deux parties doivent avoir une "instance liée" en degré d'appel. Or, tout comme au premier degré, l'existence d'un lien d'instance en degré d'appel ne suppose pas nécessairement l'introduction en appel d'une demande entre les parties. La défense en conclusions d'intérêts opposés suffit. La recevabilité de l'appel incident est ainsi subordonnée, non pas nécessairement à l'existence d'une demande à l'égard de la partie formant incidemment appel, mais à l'existence d'une contestation formellement nouée en degré d'appel entre la partie appelante et la partie qu'elle met à la cause en degré d'appel » (voy. A. Decroës, « Les parties à l'appel incident », R.G.D.C., 2005, p. 323 ; de même, notamment, G. de Leval, « L'assouplissement des conditions de recevabilité de l'appel incident », obs. sous Cass., 19 septembre 2003, J.L.M.B., 2003, pp. 1574 et 1575).

Par son arrêt du 11 septembre 1989 (Pas., 190, p. 24), la Cour a décidé : « Attendu qu'à condition de ne pas être déclaré nul ou tardif, l'appel principal donne à l'intimé le droit, non seulement de former incidemment appel, mais aussi d'introduire une demande nouvelle au sens de l'article 807 du Code judiciaire, l'appel principal fût-il irrecevable à défaut d'intérêt ».

Elle a rappelé le principe par un arrêt du 25 janvier 1991 (Pas., 1991, p. 503) : « Attendu que l'article 1054, alinéa 2, du Code judiciaire ne prévoit qu'une exception à la règle que l'intimé peut former incidemment appel à tout moment contre les parties en cause devant le juge d'appel, à savoir lorsque l'appel principal est déclaré nul ou tardif. Qu'en déclarant irrecevable l'appel incident de la demanderesse contre I.T.M., partie en cause en degré d'appel, parce que l'appel de (D.K.) contre I.T.M. est irrecevable à défaut d'intérêt, l'arrêt viole l'article 1054 du Code judiciaire ».

La jurisprudence de la Cour relative à la portée de l'article 1054, alinéa 2, du Code judiciaire a été analysée par M. l'avocat général Dubrulle dans ses conclusions précédant l'arrêt de la Cour du 4 mai 2001 (Pas., n° 256. Adde sur la question : G. de Leval (sous la dir.), Droit judiciaire, tome 2, « Manuel de procédure civile », Bruxelles, Larcier, 2015, p. 801 et les références citées en notes 3376 et 3377).

Quant à la seconde branche

Sur la règle constante selon laquelle le juge qui statue à nouveau sur une question litigieuse, dont il n'est plus saisi parce qu'il a déjà définitivement jugé celle-ci dans la même cause entre les mêmes parties, commet un excès de pouvoir, voy. notamment Cass., 26 octobre 2015, RG n° C.15.0028.N, via Juridat ; Cass., 29 janvier 2010, Pas., 2010, n° 68 ; Cass., 19 avril 2001, Pas., 2001, p. 644 ; Cass., 26 juin 1992, Pas., 1992, p. 968.

Voy., pour le surplus, les développements relatifs à la seconde branche du premier moyen, considérés ici intégralement reproduits.


PAR CES MOYENS ET CES CONSIDÉRATIONS,
L'avocat à la Cour de cassation soussignée, pour les demandeurs, conclut qu'il vous plaise, Messieurs, Mesdames, casser l'arrêt entrepris ; renvoyer la cause et les parties devant une autre cour d'appel ; ordonner que mention de votre arrêt soit faite en marge de la décision annulée ; dépens comme de droit.

Pièces jointes, en copies certifiées conformes, par l'avocat à la Cour de cassation soussignée, aux pièces produites par les demandeurs devant la cour d'appel de Mons :
1. Pourvoi en cassation du 10 juin 2013 (pièce 4 du dossier d'appel des demandeurs)
2. Arrêt de la Cour de cassation du 2 octobre 2014 dans la cause C.13.0288.F (pièce 5 du dossier d'appel des demandeurs)
3. Requête d'appel du 21 juin 2010 déposée par le défendeur q.q. (pièce 14 du dossier d'appel des demandeurs).

Bruxelles, le 30 juin 2017

Simone Nudelholc


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.17.0381.F
Date de la décision : 05/01/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-01-05;c.17.0381.f ?

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