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05/01/2018 | BELGIQUE | N°C.17.0307.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 05 janvier 2018, C.17.0307.F


N° C.17.0307.F
L. M.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 480, où il est fait élection de domicile,

contre

ÉTAT BELGE, représenté par le secrétaire d'État à l'Asile et à la Migration, chargé de la simplification administrative, adjoint au ministre de la Sécurité et de l'Intérieur, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue Lambermont, 2,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Huguette Geinger, avocat à

la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, où il est fait...

N° C.17.0307.F
L. M.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Isabelle Heenen, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 480, où il est fait élection de domicile,

contre

ÉTAT BELGE, représenté par le secrétaire d'État à l'Asile et à la Migration, chargé de la simplification administrative, adjoint au ministre de la Sécurité et de l'Intérieur, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue Lambermont, 2,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'ordonnance rendue le 19 mai 2017 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le président de section Christian Storck a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.

II. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- articles 144 et 159 de la Constitution ;
- articles 39/1, 39/2, 39/82, 39/84 et 63 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers ;
- article 584 du Code judiciaire.

Décisions et motifs critiqués

L'ordonnance attaquée confirme l'ordonnance du premier juge qui avait déclaré être sans compétence ratione materiae pour connaître de la demande formée par le demandeur sur requête unilatérale tendant à suspendre provisoirement l'exécution de l'ordre de quitter le territoire émis à son encontre le 10 février 2017 et de suspendre en conséquence provisoirement son expulsion prévue pour le 21 mai 2017 « dans l'attente de l'issue des procédures qu'il a entamées devant la Cour de cassation et le Conseil du contentieux des étrangers, le tout sous peine d'une astreinte de dix mille euros ».
L'ordonnance attaquée motive sa décision de la manière suivante :
« Une demande tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution d'un ordre de quitter le territoire - telle la demande d'interdiction de procéder à son exécution formée devant la cour [d'appel] - relève de la compétence exclusive du Conseil du contentieux des étrangers conformément aux articles 39/1, 39/2 et 39/56 à 39/86 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, tandis que les juridictions d'instruction sont exclusivement compétentes pour connaître des mesures privatives de liberté (articles 71 à 74 de la même loi) (voir en ce sens les arrêts de la cour [d'appel] cités par le premier juge des 27 août 2015, 19 novembre 2015 et 14 janvier 2016).
À l'occasion du recours en suspension en extrême urgence qu'un étranger peut former devant le Conseil du contentieux des étrangers contre l'exécution d'un ordre de quitter le territoire, il peut faire valoir le risque de violation de ses droits fondamentaux pour le cas où cette exécution aurait lieu ; il peut également invoquer l'illégalité de l'ordre de quitter le territoire lui-même pour le cas où il manquerait de base légale ».

Griefs

Les articles 39/1, 39/2, 39/82, 39/84 et 63 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, qui confèrent au Conseil du contentieux des étrangers le pouvoir d'ordonner, dans le cadre d'un référé administratif et dans les conditions prévues à l'article 39/82, alinéa 1er, la suspension des décisions individuelles qu'il a le pouvoir d'annuler et, au provisoire, toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde des intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l'affaire, ne dérogent pas au pouvoir de juridiction des cours et tribunaux de l'ordre judiciaire de statuer sur les contestations relatives aux droits civils qui sont confiées à ces cours et tribunaux par les articles 144 et 159 de la Constitution (Cass., 15 avril 2016, C.13.0343.F, rendu sur les conclusions conformes de monsieur l'avocat général Werquin), notamment sur les contestations tendant à l'obtention de mesures provisoires sur la base de l'article 584 du Code judiciaire.
Au contraire, l'article 39/84 de la même loi écarte expressément la compétence exclusive du Conseil du contentieux des étrangers quant aux mesures provisoires tendant à la suspension d'un acte qui concerne des droits civils des parties concernées.
Dans sa requête d'appel, le demandeur faisait valoir à l'appui de sa demande « la violation de son droit à un procès équitable et de ses droits de défense, consacrés par l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales », ainsi que « la violation de son droit à la protection de la vie familiale, consacré par l'article 8 de la même convention et par l'article 22 de la Constitution », et la violation « de son droit à un recours effectif prévu par ladite convention ».
Le demandeur invoquait ainsi, à l'appui de son action, la nécessité de suspendre provisoirement les mesures prises à son encontre et le fait qu'il entendait, par cette voie, protéger les droits civils qui lui sont reconnus par les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par l'article 22 de la Constitution.
En décidant, par confirmation de l'ordonnance du premier juge, être sans compétence ratione materiae pour connaître de la demande de mesures provisoires formée par le demandeur, au motif que cette demande relèverait de la compétence exclusive du Conseil du contentieux des étrangers, l'ordonnance attaquée viole l'ensemble des dispositions légales visées au moyen.

III. La décision de la Cour

Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen par le défendeur et déduite du défaut d'intérêt :

Il ne ressort d'aucune de ses énonciations que l'ordonnance attaquée s'approprie les motifs de l'ordonnance du premier juge relatifs à l'absence d'extrême urgence et d'absolue nécessité justifiant que celui-ci eût pu être saisi par une requête unilatérale.
La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.

Sur le fondement du moyen :

En vertu de l'article 144, alinéa 1er, de la Constitution, les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux de l'ordre judiciaire.
Suivant l'article 39/1, § 1er, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, le Conseil du contentieux des étrangers est une juridiction administrative, seule compétente pour connaître des recours introduits contre les décisions individuelles prises en application des lois sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers.

L'article 39/82, § 1er, alinéa 1er, dispose que, lorsqu'un acte d'une autorité administrative est susceptible d'annulation en vertu de l'article 39/2, le conseil est seul compétent pour ordonner la suspension de son exécution ; le paragraphe 2, alinéa 1er, de cet article précise que la suspension de l'exécution ne peut être ordonnée que si des moyens sérieux susceptibles de justifier l'annulation de l'acte contesté sont invoqués et à la condition que l'exécution immédiate de l'acte risque de causer un préjudice grave difficilement réparable.
Aux termes de l'article 39/84, alinéa 1er, lorsque le conseil est saisi d'une demande de suspension d'un acte conformément à l'article 39/82, il est seul compétent, au provisoire et dans les conditions prévues à l'article 39/82, § 2, alinéa 1er, pour ordonner toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde des intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l'affaire, à l'exception des mesures qui ont trait à des droits civils.
L'article 63, alinéa 2, de la même loi prévoit que les décisions administratives prises en application des articles 3, 7, 11 et 19 du titre II, chapitre II, et des articles 74/11 et 74/14 du titre IIIquater ne sont pas susceptibles d'une demande en référé sur la base de l'article 584 du Code judiciaire.
Ces dispositions, qui confèrent au Conseil du contentieux des étrangers le pouvoir d'ordonner, dans le cadre d'un référé administratif et dans les conditions prévues à l'article 39/82, § 2, alinéa 1er, la suspension de l'exécution des décisions individuelles qu'il a le pouvoir d'annuler et, au provisoire, toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde des intérêts des parties et des personnes qui ont intérêt à la solution de la cause, ne dérogent pas au pouvoir de juridiction des cours et tribunaux de l'ordre judiciaire sur les contestations relatives aux droits civils.
L'ordonnance attaquée constate que le demandeur, qui fait l'objet d'un ordre de quitter le territoire notifié le 10 février 2017 contre lequel il a formé devant le Conseil du contentieux des étrangers un recours en suspension et en annulation toujours pendant, mais non un recours en suspension d'extrême urgence, a demandé au président du tribunal de première instance statuant en référé d'ordonner la suspension de l'exécution de cet ordre de quitter le territoire prévue le 21 mai 2017.
Il ressort de la requête d'appel que le demandeur s'est prévalu à l'appui de sa demande de l'atteinte que cette exécution porterait à son droit à un procès équitable, consacré par l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et à son droit au respect de la vie familiale, consacré par les articles 8 de cette convention et 22 de la Constitution.
En considérant, pour confirmer l'ordonnance du premier juge déclarant le président du tribunal de première instance sans compétence pour connaître de la demande, que celle-ci « relève de la compétence exclusive du Conseil du contentieux des étrangers » devant qui, « à l'occasion du recours en suspension d'extrême urgence qu'un étranger peut former devant [ce] conseil [...], il peut faire valoir le risque de violation de ses droits fondamentaux pour le cas où cette exécution aurait lieu », l'ordonnance attaquée viole les dispositions légales précitées.
Le moyen est fondé.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'ordonnance attaquée ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'ordonnance cassée ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause devant la cour d'appel de Mons.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, le président de section Albert Fettweis, les conseillers Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du cinq janvier deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence du premier avocat général André Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont A. Jacquemin M.-Cl. Ernotte
M. Lemal A. Fettweis Chr. Storck


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.17.0307.F
Date de la décision : 05/01/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-01-05;c.17.0307.f ?

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