Cour de cassation de Belgique
Arrêt
* N° P.15.0109.N
CASINO KURSAAL OOSTENDE, société anonyme,
* prévenue,
* demanderesse en cassation,
* Mes Philippe Vlaemminck, Robbe Verbeke et Tom Bauwens, avocats aubarreau de Bruxelles.
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I. la procédure devant la cour
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* Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 17 décembre 2014par la cour d'appel de Gand, chambre correctionnelle.
* La demanderesse invoque deux moyens dans un mémoire annexé auprésent arrêt, en copie certifiée conforme.
* Le conseiller Erwin Francis a fait rapport.
* L'avocat général délégué Alain Winants a conclu.
II. la décision de la cour
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* Sur le premier moyen :
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* Quant à la première branche :
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1. Le moyen, en cette branche, est pris de la violationdes articles 7 de la Convention de sauvegarde desdroits de l'homme et des libertés fondamentales, 15du Pacte international relatif aux droits civils etpolitiques, 12 et 14 de la Constitution, et 2, 3 et 6de la loi du 22 décembre 2009 instaurant uneréglementation générale relative à l'interdiction defumer dans les lieux fermés accessibles au public età la protection des travailleurs contre la fumée dutabac : l'arrêt condamne la demanderesse pourviolation de l'interdiction de fumer parce qu'elle ainstallé des jeux automatiques dans le fumoir,faisant ainsi de celui-ci une véritable salle de jeuxvisée par l'interdiction légale prévue à l'article 3de la loi du 22 décembre 2009, dès lors que desservices y sont proposés ; la loi ne précise pasqu'il est interdit d'installer des jeux automatiquesdans un fumoir ; le fumoir de la demanderesse répondà toutes les conditions fixées à l'article 6 de cetteloi et dans ses arrêtés d'exécution ; le fait que desservices soient proposés dans le fumoir ne s'oppose àpas à ce que cette pièce demeure un fumoir ; la règleimposant que seules des boissons peuvent êtreconsommées dans le fumoir ne se rapporte qu'àl'interdiction de servir des boissons dans cettepièce ; cette règle ne portant que sur la protectiondes travailleurs, elle ne peut fonder uneinterprétation téléologique selon laquelle desservices ne peuvent être offerts dans le fumoir, mêmes'ils ne requièrent aucune intervention humainedurant les heures d'ouverture ; une interprétationretenant l'interdiction d'installer des jeuxautomatiques dans le fumoir d'un casino est contraireà l'objectif de la législation relative aux jeux dehasard, qui vise à créer un cadre permettant decanaliser le besoin du jeu chez les personnes versune offre de jeux légale limitée ; même si lelégislateur avait l'intention d'interdire les jeuxautomatiques dans le fumoir, cette disposition pénalen'est, en tout cas, pas suffisamment claire.
Si la Cour devait être d'un avis différent, il conviendraitde poser les questions préjudicielles suivantes : « Est-ilcontraire au principe de légalité »
* en ce qui concerne la Courconstitutionnelle : « tel queconsacré aux articles 12 et 14 de laConstitution »,
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* en ce qui concerne la Cour dejustice de l'Union européenne :« tel que consacré dans laConvention européenne des droits del'homme (article 7), dans le Pacteinternational relatif aux droitscivils et politiques (article 15)et dans la Charte des droitsfondamentaux de l'Union européenne(article 49),
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de condamner une personne (morale) exploitant unétablissement de jeux de hasard de classe I (casino) pourviolation de l'article 3 (§ 1 et § 3) de la [loi du 22décembre 2009 instaurant une réglementation généralerelative à l'interdiction de fumer dans les lieux fermésaccessibles au public et à la protection des travailleurscontre la fumée du tabac], pour avoir installé des jeuxautomatiques (dont la manœuvre ne nécessite aucuneintervention humaine de la part du personnel) dans un fumoirrépondant à toutes les prescriptions légales conformément à(l'article 6 de) cette loi et à ses arrêtés d'exécution,alors que cette loi n'impose aucune interdiction clairequant à l'installation de jeux automatiques dans un fumoir,compte tenu, entre autres, de la circonstance que lesautorités communiquent différentes interprétationsofficielles de la loi en question ? »
1. L'arrêt ne condamne pas la demanderesse pour avoirinstallé des jeux automatiques dans le fumoir, maisbien pour avoir enfreint l'interdiction de fumer quis'applique dans les lieux dans lesquels des servicessont fournis au public à titre gratuit ou contrepaiement, du fait que des personnes fumaient dansune salle de jeux de l'établissement de jeux dehasard.
Dans la mesure où il s'appuie sur une lecture erronée del'arrêt, le moyen, en cette branche, manque en fait.
2. L'article 2, 3°, b), v, de la loi du 22 décembre2009 dispose : « Pour l'application de la présenteloi et de ses arrêtés d'exécution, il faut entendrepar : […]
3° lieu accessible au public : […]
b) notamment les établissements ou bâtiments suivants :[…]
v. lieux dans lesquels des services sont fournis au public àtitre gratuit ou moyennant paiement, y compris les lieuxdans lesquels des aliments et/ou des boissons sont offerts àla consommation ;[…] »
L'article 3, § 1^er, alinéa 1^er, de la loi du 22 décembre2009 précise : « Il est interdit de fumer dans les lieuxfermés accessibles au public. Ces lieux doivent être exemptsde fumée. »
La loi du 22 décembre 2009 prévoit à l'article 6, alinéa 1 :« Sans préjudice des dispositions de l'article 3,l'exploitant d'un lieu fermé accessible au public peutinstaller un fumoir. » et à l'alinéa 3, dernière phrase :« Seules des boissons peuvent être emportées dans lefumoir. »
Il résulte de la genèse de la loi, de la nature et del'objectif de ces dispositions que l'interdiction de fournirdes services dans un fumoir a une portée générale et ne selimite pas au service de boissons.
Dans la mesure où il est déduit d'une autre prémissejuridique, le moyen, en cette branche, manque en droit.
3. L'article 5 de la loi du 22 décembre 2009 prévoyait,avant son annulation par l'arrêt de la Courconstitutionnelle du 15 mars 2011 (n° 37/2011), uneexception pour les établissements de jeux de hasardde classe I. Cette exception était cependant limitéedans le temps. Il en ressort que le législateurestimait qu'une interdiction générale de fumer dansles établissements de jeux de hasard de classe In'était pas inconciliable avec les objectifs de lalégislation sur les jeux de hasard.
Dans la mesure où il est déduit d'une autre prémissejuridique, le moyen, en cette branche, manque également endroit.
4. En vertu de l'article 26, § 1^er, 3°, de la loi du 6janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, cettecour statue à titre préjudiciel, entre autres sur laviolation par une loi des articles du titre II « DesBelges et de leurs droits ».
2. La question préjudicielle ne demande pas à la Courconstitutionnelle d'indiquer si l'article 3, § 1 et§ 3, de la loi du 22 décembre 2009 instaurant uneréglementation générale relative à l'interdiction defumer dans les lieux fermés accessibles au public età la protection des travailleurs contre la fumée dutabac viole les articles 12 et 14 de laConstitution, mais bien si l'arrêt, parl'interprétation qu'il fait de l'article 3, § 1 et§ 3, de cette loi, viole les articles concernés dela Constitution.
La Cour constitutionnelle n'est pas compétente pourcontrôler à titre préjudiciel la conformité d'une décisionjudiciaire aux articles précités de la Constitution.
Il n'y a pas lieu de poser la question préjudicielle.
5. Aux termes de l'article 267, alinéa 1^er, du Traitésur le fonctionnement de l'Union européenne, la Courde justice de l'Union européenne est compétente pourstatuer, à titre préjudiciel, sur l'interprétationdes traités et sur la validité et l'interprétationdes actes pris par les institutions, organes ouorganismes de l'Union.
En vertu de l'article 51 de la Charte des droitsfondamentaux de l'Union européenne, les dispositions decette Charte s'adressent aux institutions et organes del'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsiqu'aux États membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvrele droit de l'Union. Tel n'est pas le cas en l'espèce.
* Il en résulte qu'il n'y a pas lieu de poser la questionpréjudicielle à la Cour de justice de l'Unioneuropéenne.
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* Quant à la deuxième branche :
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6. Le moyen, en cette branche, est pris de laviolation des articles 10 et 11 de laConstitution : l'arrêt condamne la demanderessepour avoir violé l'interdiction de fumer eninstallant des jeux automatiques dans lefumoir ; de la sorte, l'arrêt définit la notionde fumoir d'une manière particulièrementrestrictive, à savoir comme un espace danslequel le fumeur ne peut pénétrer que pour fumerson tabac et qu'il doit ensuite quitter le plusrapidement possible ; cette définition est bienplus restrictive que celle appliquée auxétablissements horeca ; le fumoir aménagé dansun café est essentiellement un prolongement ducafé même, la seule différence étant que leclient n'est pas servi dans le fumoir ; cefaisant, l'arrêt viole le principe d'égalitépuisqu'il place la demanderesse, en tantqu'exploitante d'un casino, dans une positionplus défavorable que celle des exploitants decafés ou de débits de boissons, dès lors qu'ellene peut déployer ses activités commerciales dansle fumoir à la façon des débits de boissons, àsavoir en tant que prolongement del'établissement même, mais dans le respect detoutes les conditions légales qui s'appliquentau fumoir et à l'exclusion du service.
Si la Cour devait être d'un avis différent, ilconviendrait de poser les questions préjudiciellessuivantes à la Cour constitutionnelle : « Est-ilcontraire au principe d'égalité, tel que consacré auxarticles 10 et 11 de la Constitution, de condamner unepersonne (morale) exploitant un établissement de jeuxde hasard de classe I (casino) pour violation del'article 3 (§ 1 et § 3) de la [loi du 22 décembre 2009instaurant une réglementation générale relative àl'interdiction de fumer dans les lieux fermésaccessibles au public et à la protection destravailleurs contre la fumée du tabac], sur la based'une interprétation du concept de « fumoir » selonlaquelle cet espace ne peut servir que de manièremomentanée aux clients fumeurs, alors que les personnes(morales) exploitant un débit de boissons bénéficientd'une interprétation moins stricte du fumoir, qui leurpermet de l'aménager comme une partie du débit deboissons que les clients peuvent occuper de manièreininterrompue ? »
3. L'arrêt ne condamne pas la demanderesse pouravoir installé des jeux automatiques dans lefumoir, mais pour avoir enfreint l'interdictionde fumer qui s'applique dans les lieux danslesquels des services sont fournis au public àtitre gratuit ou contre paiement, du fait quedes personnes fumaient dans une salle de jeuxde l'établissement de jeux de hasard.
Par les motifs reproduits en cette branche du moyen,l'arrêt ne considère pas non plus qu'un fumoir aménagédans un casino doit s'entendre comme un espace nu danslequel les clients ne peuvent pénétrer que pourconsommer leur tabac dans un bref laps de temps.
* Dans la mesure où il s'appuie sur une lectureerronée de l'arrêt, le moyen, en cette branche,manque en fait.
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7. En vertu de l'article 26, § 1^er, 3°, de laloi du 6 janvier 1989 sur la Courconstitutionnelle, cette cour statue àtitre préjudiciel, entre autres sur laviolation par une loi des articles dutitre II « Des Belges et de leurs droits ».
8. La question préjudicielle ne demande pas àla Cour constitutionnelle d'indiquer sil'article 3, § 1 et § 3, de la loi du 22décembre 2009 instaurant uneréglementation générale relative àl'interdiction de fumer dans les lieuxfermés accessibles au public et à laprotection des travailleurs contre lafumée du tabac viole les articles 10 et 11de la Constitution, mais bien si l'arrêt,par l'interprétation qu'il fait del'article 3, § 1 et § 3, de cette loi,viole les articles concernés de laConstitution.
La Cour constitutionnelle n'est pas compétentepour contrôler à titre préjudiciel la conformitéd'une décision judiciaire aux articles précités dela Constitution.
Il n'y a pas lieu de poser la questionpréjudicielle.
* Quant à la troisième branche :
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9. Le moyen, en cette branche, est prisde la violation de l'article 56 duTraité sur le fonctionnement del'Union européenne : l'arrêt condamnela demanderesse pour avoir enfreintl'interdiction de fumer dès lorsqu'elle a installé des jeuxautomatiques dans le fumoir ;l'interdiction d'installer des jeuxautomatiques dans un fumoir et, parextension, l'interdiction complète defumer dans les casinos, implique unelimitation de la libre prestation desservices quant aux possibilitésd'exploitation du casino et à lamanière dont les jeux de hasardpeuvent trouver acquéreur ; de telleslimitations doivent être inspirées parun motif impérieux d'intérêt général,doivent être propres à garantirl'objectif poursuivi et ne peuventdépasser ce qui est strictementnécessaire à sa réalisation ;l'interdiction d'installer des jeuxautomatiques dans les fumoirs descasinos est une limitationdisproportionnée et injustifiable ;l'objectif de la protection dutravailleur et du non-fumeur dans leslieux accessibles au public n'est paspoursuivi par l'interdiction de jeuxautomatiques dans des fumoirsfréquentés uniquement par des fumeurset dépasse donc ce qui est strictementnécessaire à sa réalisation.
Si la Cour devait être d'avis différent, ilconviendrait de poser la questionpréjudicielle suivante à la Cour de justicede l'Union européenne : « L'interdiction,dans le cadre de la législation sur le tabac,de l'installation d'automates (de jeux) et/oude télévisions et/ou d'autres appareils nonmanœuvrés par du personnel dans des espacesfumeurs délimités constitue-t-elle unelimitation disproportionnée de la libreprestation des services, telle que consacréeà l'article 56 du Traité sur lefonctionnement de l'Union européenne, sachantque cette limitation ne contribue pas àl'objectif de cette législation (à savoir laprotection du personnel et des clients nonfumeurs) ? »
4. L'arrêt ne condamne pas lademanderesse pour avoir installé desjeux automatiques dans le fumoir,mais pour avoir enfreintl'interdiction de fumer quis'applique dans les lieux danslesquels des services sont fournis aupublic à titre gratuit ou contrepaiement, du fait que des personnesfumaient dans une salle de jeux del'établissement de jeux de hasard.
Dans la mesure où il s'appuie sur une lectureerronée de l'arrêt, le moyen, en cettebranche, manque en fait.
10. L'article 56, alinéa 1^er, du Traitésur le fonctionnement de l'Unioneuropéenne dispose : « Dans le cadredes dispositions ci-après, lesrestrictions à la libre prestationdes services à l'intérieur de l'Unionsont interdites à l'égard desressortissants des États membresétablis dans un État membre autre quecelui du destinataire de laprestation. »
Pour être applicable, cette dispositionrequiert la présence d'un élémentd'extranéité dans les faits de la cause.
5. Il ne ressort pas des piècesauxquelles la Cour peut avoir égardque la demanderesse invoque deséléments faisant apparaître un telélément d'extranéité.
Dans la mesure où il est déduit del'applicabilité de l'article 56 du Traité surle fonctionnement de l'Union européenne, lemoyen, en cette branche, ne peut êtreaccueilli.
Il n'y a pas lieu de poser la questionpréjudicielle.
(…)
* Le contrôle d'office
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6. Les formalités substantielles ouprescrites à peine de nullité ontété observées et la décision estconforme à la loi.
* PAR CES MOTIFS,
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* LA COUR
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* Rejette le pourvoi.
* Condamne la demanderesse aux frais.
* Ainsi jugé par la Cour decassation, deuxième chambre, àBruxelles, où siégeaient PaulMaffei, président, Alain Bloch,Peter Hoet, Antoine Lievens etErwin Francis, conseillers, etprononcé en audience publique duvingt et un novembre deux milledix-sept par le président PaulMaffei, en présence de l'avocatgénéral délégué Alain Winants, avecl'assistance du greffier FrankAdriaensen.
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* Traduction établie sous le contrôledu conseiller Eric de Formanoir ettranscrite avec l'assistance dugreffier Tatiana Fenaux.
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* Le greffier, Le conseiller,
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21 NOVEMBRE 2017 P.15.0109.N/1
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