Cour de cassation de Belgique
Arrêt
* N° F.16.0075.N
LSIE STRUCTUUR ARCHITECTUUR, s.p.r.l.,
Me Luk Cassimon, avocat au barreau de Bruxelles,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances,
Me Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 14 octobre 2014par la cour d'appel d'Anvers.
Le 2 octobre 2017, l'avocat général délégué Johan Van der Fraenen a déposédes conclusions au greffe.
Le conseiller Bart Wylleman a fait rapport.
L'avocat général délégué Johan Van der Fraenen a conclu.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiéeconforme, la demanderesse présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
1. Dans la mesure où il invoque la violation de l'article 170 de laConstitution, le moyen ne précise pas comment et en quoi l'arrêt violeraitcette disposition et est, dès lors, à défaut de précision, irrecevable.
2. Aux termes de l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droitsde l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce quesa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délairaisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi,qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations decaractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénaledirigée contre elle.
3. En vertu de l'article 57, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992,tel qu'il était applicable pour les exercices d'imposition 2001 et 2002,les commissions, courtages, ristournes commerciales ou autres, vacationsou honoraires occasionnels ou non, gratifications, rétributions ouavantages de toute nature qui constituent pour les bénéficiaires desrevenus professionnels imposables ou non en Belgique, à l'exclusion desrémunérations visées à l'article 30, 3°, de ce code, ne sont considéréscomme des frais professionnels que s'ils sont justifiés par la productionde fiches individuelles et d'un relevé récapitulatif établis dans lesformes et délais déterminés par le Roi.
L'article 219, alinéa 1^er, du même code, tel qu'il était applicable pourles exercices d'imposition 2001 et 2002, dispose qu'une cotisationdistincte est établie à raison des dépenses visées à l'article 57, qui nesont pas justifiées par la production de fiches individuelles et d'unrelevé récapitulatif ainsi qu'à raison des bénéfices dissimulés qui ne seretrouvent pas parmi les éléments du patrimoine de la société.
Suivant le deuxième alinéa de cette disposition légale, cette cotisationest égale à 300 p.c. de ces dépenses.
4. La cotisation distincte à l'impôt des sociétés tend à contraindre lescontribuables à respecter leur obligation de fournir à l'administrationfiscale, dans la forme légale et dans le délai légal, les informations quilui permettent de procéder à l'imposition dans le chef des bénéficiaires.
Il ressort des travaux préparatoires que la cotisation distincte a étéportée de 200 à 300 p.c. par le législateur pour lui conférer un effetdissuasif et qu'en raison du taux élevé, cette cotisation ne saurait êtreconsidérée comme purement compensatoire et poursuit dès lors également unbut préventif et répressif.
5. La circonstance qu'une sanction fiscale ou que l'imposition d'un impôtspécial ne peut être qualifiée de sanction pénale en droit internen'exclut pas que cette mesure puisse être de nature pénale au sens del'article 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et deslibertés fondamentales. Tel est le cas lorsque la disposition violées'adresse à tous les citoyens en leur qualité de contribuables, que lasanction infligée ou l'impôt spécial n'a pas seulement une fonctioncompensatoire mais poursuit essentiellement un but préventif et répressif,et que l'importance de la sanction ou de l'impôt est considérable.
Il appartient au juge d'apprécier si la cotisation sur les commissionssecrètes, prise dans son ensemble, répond à ces critères, auquel cas elleconstitue, au sens de l'article 6.1 de la Convention de sauvegarde desdroits de l'homme et des libertés fondamentales, une sanction pénalesoumise au contrôle de proportionnalité.
Lors de cette appréciation, le juge ne peut scinder la cotisation en unepartie compensatoire et une partie répressive.
Lorsque le juge admet que la cotisation spéciale, considérée dans sonensemble, constitue une sanction au sens de l'article 6.1 de la Conventionde sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doitvérifier concrètement s'il existe des circonstances justifiant que lacotisation soit réduite à un taux inférieur à celui prévu par la loi.Lorsqu'il contrôle le respect du principe de proportionnalité, le jugepeut notamment tenir compte du fait que les commissions secrètes ont puêtre imposées dans le chef du bénéficiaire et que le recouvrement a puêtre effectué auprès de celui-ci, de sorte que l'État n'a subi aucuneperte de recettes fiscales.
6. Les juges d'appel ont considéré que :
- lorsque la cotisation spéciale présente un caractère répressif, le jugedoit pouvoir exercer sur celle-ci un contrôle de pleine juridiction, cequi implique qu'il doit pouvoir vérifier si l'application de la cotisationspéciale est justifiée en fait et en droit et si la décision del'appliquer respecte l'ensemble des dispositions légales et des principesgénéraux qui s'imposent à l'administration, dont le principe deproportionnalité ;
- il se déduit logiquement de la constatation que le juge doit égalementpouvoir veiller au respect du principe de proportionnalité qu'il doitaussi pouvoir modérer la cotisation lorsque celle-ci est disproportionnéeau regard de la nature et de la gravité de l'infraction commise ;
- eu égard à la nature et à la gravité des faits, la sanction estdisproportionnée ;
- un taux de 100 p.c. peut être considéré comme proportionné àl'infraction commise, eu égard à la nature et à la gravité des faits, àl'importance de la perte de recettes subie par le défendeur et au fait queles bénéficiaires des avantages de toute nature, qui ont également étésoumis par l'administration à une cotisation à l'impôt des personnesphysique, sont connus.
7. Contrairement à ce que le moyen soutient, les juges d'appel ont ainsiconsidéré qu'en l'espèce, la cotisation spéciale, prise dans son ensemble,est une sanction au sens de l'article 6.1 de la Convention de sauvegardedes droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Dans cette mesure, le moyen manque en fait.
8. En tenant notamment compte ensuite, dans le cadre du contrôle deproportionnalité, du fait que les commissions secrètes ont pu êtreimposées dans le chef des bénéficiaires, les juges d'appel n'ont violéaucune des dispositions légales dont la violation est invoquée.
Dans cette mesure, le moyen ne peut être accueilli.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient le président de section Alain Smetryns, les conseillers GeertJocqué, Filip Van Volsem, Bart Wylleman et Koenraad Moens, et prononcé enaudience publique du seize novembre deux mille dix-sept par le présidentde section Alain Smetryns, en présence de l'avocat général délégué JohanVan der Fraenen, avec l'assistance du greffier Kristel Vanden Bossche.
Traduction établie sous le contrôle du conseiller Marie-Claire Ernotte ettranscrite avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
Le greffier, Le conseiller,
Requête
16 NOVEMBRE 2017 F.16.0075.N/1
Requête/1