Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° P.17.0150.F
G. R., E., H.,
prévenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Mariana Boutuil, avocat au barreau deBruxelles, et Anne Werding, avocat au barreau de Liège,
contre
1. ZONE DE POLICE BRUXELLES-CAPITALE IXELLES, représentée par son collègede police, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, rue Marché auCharbon, 30,
2. L. M.,
3. VILLE DE BRUXELLES, représentée par son collège des bourgmestre etéchevins, dont les bureaux sont établis à Bruxelles, Hôtel de Ville,Grand-Place,
parties civiles,
défendeurs en cassation.
I. la procédure devant la cour
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 20 janvier 2017 par la courd'appel de Bruxelles, chambre correctionnelle.
Le demandeur invoque trois moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt,en copie certifiée conforme.
Le conseiller Tamara Konsek a fait rapport.
L'avocat général Damien Vandermeersch a conclu.
II. la décision de la cour
A. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision rendue surl'action publique :
Sur le premier moyen :
Quant aux deux branches réunies :
Le moyen est pris de la violation des articles 149 de la Constitution, 195du Code d'instruction criminelle, 6 de la Convention de sauvegarde desdroits de l'homme et des libertés fondamentales et 14 du Pacteinternational relatif aux droits civils et politiques ainsi que de laméconnaissance des principes généraux du droit relatifs au droit à unprocès équitable et au respect des droits de la défense.
Le demandeur est poursuivi du chef de coups ou blessures volontairesenvers des agents dépositaires de la force publique et de rébellion.
Le moyen fait grief aux juges d'appel de n'avoir pas fait droit à lademande d'audition séparée des policiers à l'audience et de n'avoir pasrépondu aux conclusions du demandeur à cet égard alors que le résumé desfaits, tel qu'acté par l'un des policiers dans un procès-verbal, a étédéterminant pour apprécier la culpabilité du demandeur. Il reproche enoutre aux juges d'appel de n'avoir pas répondu à la demande en vue del'audition de deux autres témoins, également contenue dans ses conclusionsd'appel.
En vertu de l'article 6.3.d, de la Convention, toute personne poursuiviedu chef d'une infraction a le droit d'interroger ou de faire interrogerles témoins à charge et d'obtenir la convocation et l'interrogatoire destémoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge.
D'une part, ce droit n'est pas absolu, le juge pouvant accepter ou refuserune telle demande selon qu'elle apparaisse ou non utile à la manifestationde la vérité et dans le respect de l'équité du procès.
Lorsqu'une audition de témoin est demandée par voie de conclusions, lejuge, s'il n'y fait pas droit, doit y répondre et préciser la raison del'inutilité de la mesure d'instruction sollicitée pour forger saconviction.
Par ailleurs, les articles 6.1 et 6.3.d, de la Convention exigent que,pour que puissent être prises en considération à titre de preuve desdéclarations à charge recueillies durant l'enquête en l'absence del'inculpé ou de son conseil, et alors que le prévenu, qui en a fait lademande au juge du fond, ne s'est pas davantage vu offrir la possibilitéd'interroger leur auteur en qualité de témoin durant le procès, il y alieu de rechercher :
* s'il existe un motif sérieux justifiant la non-comparution du témoinet, en conséquence, l'admission à titre de preuve de sa déposition ;
* si la déposition du témoin absent constitue le fondement unique oudéterminant de la condamnation ; et
* s'il existe des éléments compensateurs, notamment des garantiesprocédurales solides, suffisants pour contrebalancer les difficultéscausées à la défense en conséquence de l'admission d'une telle preuveet pour assurer l'équité de la procédure dans son ensemble.
Se référant aux déclarations et aux constatations des policiers visés parla demande d'audition pour conclure à la culpabilité du demandeur, l'arrêtse borne à considérer que le rapport de ces policiers est précis, clair etcohérent, de telle sorte que leur audition séparée n'est pas nécessaire àla manifestation de la vérité. Il ajoute qu'il serait illusoire que lespoliciers, coutumiers ou non de ce type d'intervention, aient gardé unsouvenir précis des faits dès lors que plus de deux ans se sont écoulésdepuis leur commission.
Si, par ces énonciations, les juges d'appel ont indiqué la raison pourlaquelle ils estimaient la mesure d'instruction inutile à la manifestationde la vérité et celle pour laquelle ils considéraient qu'il existe unmotif sérieux justifiant de ne pas convoquer les policiers, ils n'onttoutefois relevé aucun élément compensateur ayant pu leur permettred'apprécier équitablement la fiabilité des accusations portées par lespoliciers, tandis qu'ils ont eu égard, pour reconnaître le demandeurcoupable, à ces accusations.
D'autre part, l'arrêt ne répond pas à la demande d'audition devant la courd'appel de deux témoins à décharge, également identifiés et visés auxconclusions du demandeur.
Ainsi, les juges d'appel n'ont ni régulièrement motivé ni légalementjustifié leur décision.
Le moyen est fondé.
Il n'y a pas lieu de répondre aux autres moyens qui ne sauraient entraînerune cassation sans renvoi.
B. En tant que le pourvoi est dirigé contre les décisions rendues sur lesactions civiles :
La cassation, sur le pourvoi non limité du demandeur, de la décisionrendue sur l'action publique exercée à sa charge entraîne l'annulation desdécisions définitives rendues sur les actions civiles exercées contre luipar les défendeurs, qui sont la conséquence de la première.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l'arrêt attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêtcassé ;
Réserve les frais pour qu'il soit statué sur ceux-ci par la juridiction derenvoi ;
Renvoie la cause à la cour d'appel de Mons.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient Benoît Dejemeppe, conseiller faisant fonction de président,Françoise Roggen, Eric de Formanoir, Tamara Konsek et Frédéric Lugentz,conseillers, et prononcé en audience publique du quinze novembre deuxmille dix-sept par Benoît Dejemeppe, conseiller faisant fonction deprésident, en présence de Michel Nolet de Brauwere, avocat général, avecl'assistance de Fabienne Gobert, greffier.
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| F. Gobert | F. Lugentz | T. Konsek |
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| E. de Formanoir | F. Roggen | B. Dejemeppe |
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15 NOVEMBRE 2017 P.17.0150.F/5