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09/10/2017 | BELGIQUE | N°S.12.0062.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 09 octobre 2017, S.12.0062.N


Cour de cassation de Belgique

Arrêt (Projet)

N° S.12.0062.N

 1. S.A.,

 2. CENTRE POUR L'ÉGALITE DES CHANCES ET LA LUTTE CONTRE LE RACISME,établissement public,

Me Caroline De Baets, avocat à la Cour de cassation,

contre

G4S SECURE SOLUTIONS, s.a.,

Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation.

I. Les faits 

Il ressort de l'arrêt attaqué que :

- la défenderesse est une entreprise qui fournit notamment des services deréception et d'accueil à l'attention d'une clientèle différenciée, sesclients p

rovenant tant du secteur public que du secteur privé ;

- le 12 février 2003, la demanderesse est entrée au service de ladéfenderesse c...

Cour de cassation de Belgique

Arrêt (Projet)

N° S.12.0062.N

 1. S.A.,

 2. CENTRE POUR L'ÉGALITE DES CHANCES ET LA LUTTE CONTRE LE RACISME,établissement public,

Me Caroline De Baets, avocat à la Cour de cassation,

contre

G4S SECURE SOLUTIONS, s.a.,

Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation.

I. Les faits 

Il ressort de l'arrêt attaqué que :

- la défenderesse est une entreprise qui fournit notamment des services deréception et d'accueil à l'attention d'une clientèle différenciée, sesclients provenant tant du secteur public que du secteur privé ;

- le 12 février 2003, la demanderesse est entrée au service de ladéfenderesse comme réceptionniste, sous contrat de travail à duréeindéterminée ;

- la défenderesse appliquait une règle, à l'origine non écrite, en vertude laquelle il était interdit aux travailleurs de porter sur les lieux dutravail des signes extérieurs de convictions politiques, philosophiques oureligieuses ;

- au départ, et ce pendant plus de trois ans, sans protestation, lademanderesse, qui était déjà musulmane au moment de son entrée enfonction, ne portait un voile qu'en dehors des heures de travail ;

- en avril 2006, la demanderesse fit savoir qu'elle avait l'intention deporter désormais un voile également pendant les heures de travail ;

- la direction de la défenderesse fit savoir à la demanderesse que ce neserait pas toléré au motif que le port de signes indiquant des convictionspolitiques, philosophiques ou religieuses irait à l'encontre des principesde neutralité chers à la société ;

- le 12 mai 2006, après une période de maladie, la demanderesse a annoncéqu'elle reprendrait le travail le 15 mai avec le voile ;

- le 29 mai 2006, le conseil d'entreprise de la défenderesse a approuvéune adaptation du règlement de travail, qui est entrée en vigueur le 13juin 2006, libellée comme suit : « il est interdit aux travailleurs deporter sur le lieu du travail des signes extérieurs de leurs convictionspolitiques, philosophiques ou religieuses et/ou de manifester tout rituelen découlant » ;

- le 12 juin 2016, la demanderesse a été licenciée en raison de sa fermeintention de porter le voile au travail en tant que musulmane, moyennantle paiement d'une indemnité de préavis correspondant à trois mois derémunération et aux avantages acquis en vertu du contrat de travail.

II. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 23 décembre2011 par la cour du travail d'Anvers.

Dans son arrêt du 9 mars 2015, la Cour a sursis à statuer jusqu'à ce quela Cour de justice de l'Union européenne, ait statué sur la questionpréjudicielle suivante :

L'article 2.2.a) de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitementen matière d'emploi et de travail, doit-il être interprété en ce sens quel'interdiction de porter un voile en tant que musulmane sur le lieu dutravail ne constitue pas une discrimination directe lorsque la règleexistant chez l'employeur interdit à tous les travailleurs de porter surle lieu du travail des signes extérieurs de convictions politiques,philosophiques et religieuses ?

Dans son arrêt rendu le 14 mars 2017, en la cause C-157/15, la Cour dejustice de l'Union européenne a répondu à cette question.

L'avocat général Henri Vanderlinden a déposé des conclusions écrites le 12septembre 2017.

Le président de section Alain Smetryns a fait rapport.

L'avocat général Henri Vanderlinden a conclu.

III. Les moyens de cassation

Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiéeconforme, les demandeurs présentent trois moyens qui sont repris dansl'arrêt de la Cour du 9 mars 2015.

III. La décision de la Cour

(…)

Sur le premier moyen :

Quant à la recevabilité :

3. La défenderesse oppose une fin de non-recevoir au moyen déduite de ceque le moyen ne saurait entraîner la cassation, et n'a partant aucunintérêt, dès lors que la décision attaquée est fondée sur le motif quel'interdiction infligée ne peut être considérée ni comme unediscrimination directe ni comme une discrimination indirecte.

4. Les juges d'appel n'ont pas considéré que l'interdiction infligée nepeut être considérée comme une discrimination indirecte mais bien quel'existence d'une discrimination indirecte peut être sérieusementcontestée.

La fin de non-recevoir opposée au moyen est fondée sur une lectureinexacte de l'arrêt et il y a lieu de la rejeter.

Sur le fondement :

5. Le licenciement d'un employé, fût-il fondé sur des motifs présentant unlien avec le comportement de ce dernier ou avec les nécessités du travail,est entaché d'abus de droit si le droit de licenciement est exercé d'unemanière qui excède les limites de l'exercice normal de ce droit par unemployeur prudent et diligent.

Suivant le droit belge, lorsque l'employeur ne sait pas ni ne doit savoirque l'ordre qu'il a donné est illégal, le licenciement qui est fondé surl'infraction à cet ordre par le travailleur ne doit en principe pas êtreconsidéré comme étant manifestement déraisonnable.

6. En vertu de l'article 1^er de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalitéde traitement en matière d'emploi et de travail, la présente directive apour but d'établir un cadre général pour lutter contre la discriminationfondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l'âge oul'orientation sexuelle, en ce qui concerne l'emploi et le travail, en vuede mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l'égalité detraitement.

En vertu des articles 2.1 et 2.2 de la même directive, aux fins de cettedirective, on entend par principe de l'égalité de traitement l'absence detoute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visésà l'article 1^er et, aux fins du paragraphe 1.b), une discriminationindirecte se produit lorsqu'une disposition, un critère ou une pratiqueapparemment neutre est susceptible d'entraîner un désavantage particulierpour des personnes d'une religion ou de convictions, d'un handicap, d'unâge ou d'une orientation sexuelle donnés, par rapport à d'autrespersonnes, à moins que: i) cette disposition, ce critère ou cette pratiquesoit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens deréaliser cet objectif soient appropriés et nécessaires.

En vertu de l'article 9.1 de la même directive, les États membres veillentà ce que des procédures judiciaires ou administratives, y compris,lorsqu'ils l'estiment approprié, des procédures de conciliation, visant àfaire respecter les obligations découlant de la directive soientaccessibles à toutes les personnes qui s'estiment lésées par lenon-respect à leur égard du principe de l'égalité de traitement, mêmeaprès que les relations dans lesquelles la discrimination est présumées'être produite se sont terminées.

En vertu de l'article 17 de la même directive, les États membresdéterminent le régime des sanctions applicables aux violations desdispositions nationales adoptées en application de cette directive etprennent toute mesure nécessaire pour assurer la mise en œuvre decelles-ci. Les sanctions ainsi prévues, qui peuvent comprendre leversement d'indemnité à la victime, doivent être effectives,proportionnées et dissuasives.

7. Dans son arrêt rendu le 8 novembre 1990, en la cause C-177/88, la Courde justice de l'Union européenne considère, à propos de la directive76/207/CEE du Conseil du 9 février 1976 relative à la mise en œuvre duprincipe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce quiconcerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotionprofessionnelles, et les conditions de travail que :

- dans les paragraphes 2 à 4 de l'article 2, la directive prévoit desexceptions au principe de l'égalité de traitement énoncé au paragraphe1^er de cet article, mais qu'elle ne subordonne nullement laresponsabilité de l'auteur d'une discrimination à la preuve d'une faute ouà l'absence de toute cause d'exonération ;

- l'article 6 de la directive reconnaît dans le chef des victimes dediscrimination l'existence de droits pouvant être invoqués en justice ;

- si une application complète de la directive n'impose pas une formedéterminée de sanction en cas de violation de l'interdiction dediscrimination, elle implique, en revanche, que cette sanction soit denature à assurer une protection juridictionnelle effective et efficaceElle doit, en outre, avoir à l'égard de l'employeur un effet dissuasifréel ;

- si la responsabilité d'un employeur pour violation du principe del'égalité de traitement était subordonnée à la preuve d'une faute qui luifût imputable et à l'absence de toute cause d'exonération reconnue par ledroit national applicable, l'effet utile de ces principes seraitsensiblement affaibli ;

- lorsque la sanction choisie par l'État membre s'inscrit dans le cadred'un régime de responsabilité civile de l'employeur, la violation del'interdiction de discrimination doit suffire pour engager, à elle seule,la responsabilité entière de son auteur, sans que puissent être retenuesles causes d'exonération prévues par le droit national.

8. Les dispositions précitées de la directive 2000/78/CE correspondent àcelles de la directive 76/207/CEE.

Elles prévoient des limitations aux droits et libertés qu'ellesmentionnent et des exceptions au principe de l'égalité de traitement, maisne subordonnent en aucun cas la responsabilité de l'auteur d'unediscrimination à la preuve d'une faute ou à l'absence de toute caused'exonération de la responsabilité.

Il ressort donc manifestement de la jurisprudence de la Cour de justiceque le droit à indemnisation du travailleur, qui est licencié en raison dunon-respect d'un ordre ou d'une interdiction de l'employeur qui impliqueune discrimination qui n'est pas autorisée par les dispositions de ladirective, ne peut être subordonné à la condition que la faute del'employeur soit prouvée et qu'il n'existe aucune cause d'exonérationprévue par le droit national applicable.

9. En rejetant la demande de la demanderesse tendant à obtenir uneindemnité du chef d'abus du droit de licenciement par la défenderesse aumotif que, eu égard notamment aux divergences existant à ce propos dans ladoctrine et la jurisprudence, il n'est pas établi qu'en tant qu'employeurla défenderesse savait ou devait savoir que son interdiction contenait unediscrimination non autorisée en matière de religion et qu'il ne peut doncpas davantage être considéré que la défenderesse a agi de manièremanifestement déraisonnable lorsqu'elle a exercé son droit delicenciement, les juges d'appel n'ont pas légalement justifié leurdécision.

Le moyen est fondé.

Sur les autres griefs

10. Les autres griefs ne sauraient entrainer une cassation plus étendue.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué, sauf en tant qu'il dit que l'interdiction imposéene constitue pas une discrimination directe et qu'il rejette, comme étantnon fondée, la demande de la demanderesse tendant à obtenir l'indemnitéforfaitaire prévue par la loi du 25 février 2003 tendant à lutter contrela discrimination et modifiant la loi du 15 février 1993 créant un Centrepour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme ;

Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêtpartiellement cassé ;

Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour du travail de Gand.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient le président de section Christian Storck, président, leprésident de section Alain Smetryns, les conseillers Koen Mestdagh,Mireille Delange et Antoine Lievens, et prononcé en audience publique duneuf octobre deux mille dix-sept par le président de section ChristianStorck, en présence de l'avocat général Henri Vanderlinden, avecl'assistance du greffier Vanessa Van de Sijpe.

Traduction établie sous le contrôle du président de section Martine Regoutet transcrite avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.

Le greffier, Le président de section,

Requête

9 OCTOBRE 2017 S.16.0062.N/1

Requête/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : S.12.0062.N
Date de la décision : 09/10/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 19/09/2018
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2017-10-09;s.12.0062.n ?
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