La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/09/2017 | BELGIQUE | N°F.15.0010.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 29 septembre 2017, F.15.0010.F


Cour de cassation de Belgique

Arrêt

* N° F.15.0010.F

* ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinetest établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12,

* demandeur en cassation,

* représenté par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 65, où il estfait élection de domicile,

contre

C. J.,

défendeur en cassation,

* représenté par Maître John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,et ayant pour conseil Maître Daniel Garabe

dian, avocat au barreau deBruxelles, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard del'Empereur, 3, où il est fait élection ...

Cour de cassation de Belgique

Arrêt

* N° F.15.0010.F

* ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinetest établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12,

* demandeur en cassation,

* représenté par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 65, où il estfait élection de domicile,

contre

C. J.,

défendeur en cassation,

* représenté par Maître John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,et ayant pour conseil Maître Daniel Garabedian, avocat au barreau deBruxelles, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard del'Empereur, 3, où il est fait élection de domicile.

I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 14 janvier 2014par la cour d'appel de Bruxelles.

Le 6 septembre 2017, le premier avocat général André Henkes a déposé desconclusions au greffe.

Le président de section Christian Storck a fait rapport et le premieravocat général André Henkes a été entendu en ses conclusions.

* II. Les moyens de cassation

Le demandeur présente trois moyens libellés dans les termes suivants :

Premier moyen

Dispositions légales violées

- articles 1319,1320 et 1322 du Code civil ;

- articles 1385decies et 1385undecies du Code judiciaire ;

- articles 366 à 376quinquies du Code des impôts sur les revenus 1992 ;

- articles 59 et 60 de l'arrêté royal du 17 juillet 1991 portantcoordination des lois sur la comptabilité de l'État, devenus l'article 35de la loi du 22 mai 2003 portant organisation du budget et de lacomptabilité de l'État fédéral, entré en vigueur le 1^er janvier 2012.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt attaqué, saisi d'un recours du [défendeur] fondé sur l'article1385decies du Code judiciaire, dit prescrites plusieurs cotisations àl'impôt des personnes physiques enrôlées à sa charge pour les exercicesd'imposition 1986 à 1990 et, par confirmation du jugement entrepris, ditle recours du [défendeur] fondé.

Il se fonde sur les motifs suivants :

« Par une requête contradictoire déposée au greffe du tribunal de premièreinstance le 14 novembre 2003, [le défendeur] demande au premier juge de :

- à titre principal, dire pour droit que les cotisations litigieuses sontprescrites ; interdire [au demandeur] de poursuivre le recouvrement de cescotisations et le condamner à rembourser, en principal et intérêts, toutessommes relatives à ces cotisations, dans la mesure où ces sommesn'auraient pas été payées volontairement ; condamner [le demandeur] auxdépens de l'instance, y compris l'indemnité de procédure ;

- à titre subsidiaire, renvoyer l'affaire au rôle pour permettre auxparties de conclure sur le fond si le tribunal devait décider que lescotisations litigieuses ne sont pas prescrites ».

L'arrêt attaqué relève aussi que

« Pour se prévaloir de l'impossibilité légale prévue à l'article 2251 duCode civil, [le demandeur] doit établir qu'en raison de circonstancespropres à ces réclamations, il ne pouvait rendre de décision sur celles-ciavant l'expiration du délai de prescription quinquennale du recouvrementdes cotisations litigieuses. Si ces circonstances ne sont pas démontrées,il n'est pas établi que l'impossibilité d'interrompre la prescription parle recours à des mesures d'exécution forcée dans le délai initial deprescription de cinq ans trouve sa cause dans l'impossibilité légaleprévue à l'article 410 du Code des impôts sur les revenus 1992 plutôt quedans la carence [du demandeur] à statuer sur des réclamations dans undélai raisonnable compte tenu des circonstances de l'espèce ;

Si [le demandeur] a négligé de statuer sur les réclamations en cause avantl'expiration du délai initial de prescription de cinq ans, alors qu'il nejustifie pas de motifs propres à ces réclamations qui rendent légitime lanécessité d'un délai plus long que cinq ans pour statuer sur cesréclamations, il ne peut se prévaloir d'une impossibilité légale telle quecelle qui est prévue à l'article 2251 du Code civil ;

En l'espèce, [le demandeur] ne justifie pas de l'existence de tels motifspropres aux réclamations en cause, tels que, notamment, la complexité del'instruction de ces réclamations ou des investigations complémentairesutiles à leur instruction, la nécessité d'attendre l'issue d'une autreprocédure pouvant influencer la décision, le manque de collaboration [dudéfendeur] pour l'instruction de ces réclamations, etc. ;

En l'absence du moindre élément de nature à justifier la longueur du délaid'instruction des réclamations en cause, [le demandeur] ne peut seprévaloir de l'article 2251 du Code civil en l'espèce »,

et encore que

« L'existence de circonstances exceptionnelles ou de motifs impérieuxd'intérêt général n'est pas établie en l'espèce. [Le demandeur] nedémontre en effet pas que la nécessité d'interrompre la prescription descotisations litigieuses par la signification de commandements se justifiepar les nécessités de l'instruction des réclamations et ne résulte pasd'une carence de l'administration à statuer dans un délai raisonnable surces réclamations ».

Griefs

Première branche

La cour d'appel n'a pas été saisie de la validité des cotisationslitigieuses, contre lesquelles la réclamation introduite par le défendeurest toujours pendante et aucun recours n'a été formé par application del'article 1385undecies du Code judiciaire.

La requête introductive d'instance [du défendeur] du 14 novembre 2003 estdirigée contre le receveur des contributions directes à Ixelles I sur lefondement de l'article 1385decies du Code judiciaire et cette requête estlibellée comme suit :

« Dire pour droit que les impositions enrôlées à charge du [défendeur]sous les articles 28111 (supplément à l'article 6708397) du rôle del'exercice d'imposition 1986, 028101 (supplément à l'article 8711446) durôle de l'exercice d'imposition 1987, 028121 (supplément à l'article8714024) du rôle de l'exercice d'imposition 1988, 028081 (supplément àl'article 9714295), 128440 (supplément à l'article 028081) et 229551(supplément à l'article 0128440) du rôle de l'exercice d'imposition 1989,02809 (supplément à l'article 028091) et 2706501 (supplément à l'article1714075) du rôle de l'exercice d'imposition 1990 sont prescrites ;

Émendant, interdire [au demandeur] d'en poursuivre le recouvrement parquelque voie que ce soit et condamner [le demandeur] à rembourser, enprincipal et intérêts, toute somme relative auxdites impositions dans lamesure où ces sommes n'auraient pas été payées volontairement par le[défendeur] ;

Condamner en outre [le demandeur] au paiement des dépens, y comprisl'indemnité de procédure ».

La requête ne comprend pas les termes suivants, cependant reproduits parl'arrêt comme s'y trouvant :

« À titre subsidiaire, renvoyer l'affaire au rôle pour permettre auxparties de conclure sur le fond si le tribunal devait décider que lescotisations litigieuses ne sont pas prescrites ».

La requête du défendeur a pour objet, par application de l'article1385decies du Code judiciaire, d'entendre dire pour droit que lescotisations litigieuses sont prescrites et interdire au demandeur d'enpoursuivre le recouvrement par quelque voie que ce soit.

Ce recours est étranger au « fond », c'est-à-dire à la validité descotisations litigieuses.

Il s'ensuit que l'arrêt attaqué méconnaît la foi due à la requêteintroductive d'instance du défendeur du 14 novembre 2003 (violation desarticles 1319, 1320 et 1322 du Code civil).

Seconde branche

Un tel recours n'aurait d'ailleurs été recevable que s'il avait étéintroduit par le défendeur sur la base de l'article 1385undecies du Codejudiciaire à l'encontre du directeur régional compétent, quod non enl'espèce.

Il s'en déduit que l'arrêt attaqué n'a pu [considérer], en l'espèce, quele demandeur, en la personne du receveur à la cause, avait la possibilitéd'interrompre la prescription du recouvrement des cotisations contestéespar le dépôt de conclusions dans le cadre d'une procédure judiciairedirigée contre ces cotisations (instance qui n'existe pas in casu et pourlaquelle le receveur des contributions directes n'est pas compétent).

C'est, en effet, manifestement à tort que l'arrêt attaqué fonde toute samotivation sur cette hypothèse et impose au receveur des contributions lerespect de normes légales pour lesquelles il n'est pas compétent.

L'arrêt attaqué statue ainsi sur un recours fiscal étranger au litige et àl'encontre d'un organe de l'État (le directeur régional de taxation) quin'est pas à la cause.

L'arrêt attaqué ne justifie donc pas légalement sa décision (violation desarticles 1385decies, 1385undecies du Code judiciaire, 366 à 376quinquiesdu Code des impôts sur les revenus, 59 et 60 de l'arrêté royal du 17juillet 1991).

Deuxième moyen

Dispositions légales violées

- article 149 de la Constitution ;

- article 410 du Code des impôts sur les revenus 1992, avant ou après sonremplacement par l'article 37 de la loi du 15 mars 1999 ;

- articles 2244 et 2251 du Code civil.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt attaqué, saisi d'un recours du [défendeur] fondé sur l'article1385decies du Code judiciaire, dit prescrites plusieurs cotisations àl'impôt des personnes physiques enrôlées à sa charge pour les exercicesd'imposition 1986 à 1990 et, par confirmation du jugement entrepris, ditle recours du [défendeur] fondé.

Il se fonde notamment sur les motifs que

« 1. L'État belge se prévaut de l'article 2251 du Code civil, suivantlequel la prescription court contre toutes personnes, à moins qu'ellessoient dans quelque exception établie par la loi. Il soutient qu'il setrouve dans la situation visée par cette disposition, dès lors que lesarticles 409 et 410 du Code des impôts sur les revenus 1992 empêchent lereceveur de procéder à des mesures d'exécution des impositionscontestées ;

Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que le receveur ne peutprocéder à des mesures d'exécution pour interrompre la prescription durecouvrement de cotisations contestées mais peut recourir à des mesuresconservatoires si les conditions légales en sont réunies ou se prévaloirde l'article 2244 du Code civil, suivant lequel la citation en justiceforme l'interruption civile de la prescription ;

Le dépôt de conclusions au greffe par la partie menacée de prescription ales mêmes effets que la citation en justice pour l'interruption de laprescription dès lors que, selon l'article 746 du Code judiciaire, ledépôt des conclusions au greffe vaut signification [...] ;

La citation en justice ou le dépôt de conclusions au greffe a pour effetd'interrompre la prescription de la demande qui y figure et des demandesqui y sont virtuellement comprises [...] ;

L'interruption de la prescription par une citation en justice ou par ledépôt de conclusions se poursuit jusqu'à la clôture de l'instance [...] ;

Ainsi, les conclusions déposées par l'État belge dans le cadre d'uneprocédure fiscale interrompent la prescription du recouvrement desimpositions contestées dès lors que ces conclusions ont pour objet dedéfendre le bien-fondé de ces impositions et de demander au juge saisi durecours leur maintien ;

L'interruption de la prescription des cotisations contestées vaut jusqu'àla clôture de l'instance ;

Il résulte de ces principes que l'État belge a la possibilitéd'interrompre la prescription du recouvrement de cotisations contestéespar le dépôt de conclusions dans le cadre d'une procédure judiciairedirigée contre ces cotisations ;

2. La suspension du cours de la prescription prévue à l'article 2251 duCode civil s'applique lorsqu'un régime légal empêche de procéder aurecouvrement de la créance ;

L'impossibilité d'obtenir le payement de sa créance doit trouver sa causedans la loi ;

Il convient dès lors d'examiner si tel est le cas en l'espèce ;

Des réclamations contre toutes les cotisations litigieuses ont étéintroduites les 10 mai 1990, 27 août 1992, 24 juin 1991 et 17 mars 1992.Il n'avait pas été statué sur ces réclamations au moment du dépôt de larequête contradictoire devant le premier juge, le 14 novembre 2003 ;

Il résulte des éléments exposés au point précédent que la prescription durecouvrement de cotisations contestées par une réclamation, pourlesquelles des mesures d'exécution forcées sont prohibées par l'article410 du Code des impôts sur les revenus 1992, peut être interrompue par ledépôt par l'État belge de conclusions dans le cadre d'un recoursjudiciaire dirigé contre ces cotisations. Dans ce cas, la prescription estsuspendue jusqu'à la clôture de l'instance ;

La clôture de la phase administrative du recours contre des cotisationsaux impôts directs, qui ouvre le recours judiciaire dans le cadre duquell'État belge peut déposer des conclusions qui ont pour effet d'interromprela prescription, repose sur l'État belge dans l'ancienne procédurefiscale, telle qu'elle était applicable avant l'entrée en vigueur de laloi du 15 mars 1999. Le contribuable concerné pouvait en effet saisir lacour d'appel d'un recours fiscal lorsque le directeur régional saisi de laréclamation avait rendu sa décision statuant sur celle-ci ;

Dans le cadre de la nouvelle procédure fiscale, la maîtrise de l'ouverturede la phase judiciaire du recours fiscal dépend à la fois de l'État belgeet du contribuable, dans les délais prévus à l'article 1385undecies duCode judiciaire ;

Pour se prévaloir de l'impossibilité légale prévue à l'article 2251 duCode civil, l'État belge doit établir qu'en raison de circonstancespropres à ces réclamations, il ne pouvait rendre de décision sur celles-ciavant l'expiration du délai de prescription quinquennale du recouvrementdes cotisations litigieuses. Si ces circonstances ne sont pas démontrées,il n'est pas établi que l'impossibilité d'interrompre la prescription parle recours à des mesures d'exécution forcée, dans le délai initial deprescription de cinq ans, trouve sa cause dans l'impossibilité légaleprévue à l'article 410 du Code des impôts sur les revenus 1992 plutôt quedans la carence de l'État belge à statuer sur des réclamations dans undélai raisonnable compte tenu des circonstances de l'espèce ;

Si l'État belge a négligé de statuer sur les réclamations en cause avantl'expiration du délai initial de prescription de cinq ans, alors qu'il nejustifie pas de motifs propres à ces réclamations qui rendent légitime lanécessité d'un délai plus long que cinq ans pour statuer sur cesréclamations, il ne peut se prévaloir d'une impossibilité légale tellequ'elle est prévue à l'article 2251 du Code civil ;

En l'espèce, l'État belge ne justifie pas de l'existence de tels motifspropres aux réclamations en cause, tels que, notamment, la complexité del'instruction de ces réclamations ou des investigations complémentairesutiles à leur instruction, la nécessité d'attendre l'issue d'une autreprocédure pouvant influencer la décision, le manque de collaboration [dudéfendeur] pour l'instruction de ces réclamations, etc. ;

En l'absence du moindre élément de nature à justifier la longueur du délaid'instruction des réclamations en cause, l'État belge ne peut se prévaloirde l'article 2251 du Code civil en l'espèce ».

Griefs

Première branche

Il ressort de l'article 410 du Code des impôts sur les revenus 1992, quece soit avant ou après son remplacement par l'article 37 de la loi du 15mars 1999, que l'impôt qui fait l'objet d'une réclamation ne peut êtrerecouvré par toute voie d'exécution que dans la mesure où il correspond àl'incontestablement dû.

Eu égard à l'absence d'un incontestablement dû, aucune voie d'exécution nepeut donc être engagée en l'espèce, de telle manière que l'exécution del'obligation fiscale se trouve suspendue dans l'attente de l'issue dulitige fiscal.

Il convient dès lors d'admettre que le receveur des contributions s'esttrouvé légalement empêché d'obtenir le paiement de sa créance durant laprocédure de réclamation.

Or, l'article 2251 du Code civil dispose que la prescription ne court pascontre les personnes qui sont dans quelque exception établie par la loi.

La Cour de cassation a précisé que « cette disposition empêche que laprescription soit acquise lorsqu'un régime légal empêche le créancierd'obtenir le paiement de sa créance ».

Par deux arrêts rendus le 22 septembre 2011 (Pas., n°^s 490 et 492) dansdes causes similaires, la Cour a précisé que la prescription d'un impôtcontesté est suspendue lorsque le receveur des contributions directes setrouve dans l'impossibilité d'obtenir le paiement de sa créance :

« Dans la mesure où il ressort de l'article 410 du Code des impôts sur lesrevenus 1992, tel qu'il est applicable, que l'introduction d'uneréclamation a pour conséquence que le paiement de la dette d'impôt ne peutpas être obtenue, il se déduit de cette disposition ainsi que de l'article2251 du Code civil que la prescription du recouvrement est suspendue »(arrêt n° 490), et

« Des articles 409 et 410 du Code des impôts sur les revenus 1992, ilrésulte que le receveur des contributions directes ne peut pas, enprincipe, obtenir le paiement d'un impôt contesté, à moins qu'une partiede cet impôt puisse être recouvrée immédiatement nonobstant laréclamation.

S'il n'y a pas de partie immédiatement due de la dette d'impôt, lereceveur ne peut pas obtenir le paiement de l'impôt contesté.

Sur la base de l'article 2251 du Code civil, cet empêchement légal a pourconséquence que la prescription de la dette d'impôt contestée estsuspendue.

Cela s'applique aussi à la période antérieure à l'entrée en vigueur del'article 443ter du Code des impôts sur les revenus 1992, lequel régitexpressément la suspension de la prescription durant la contestation del'imposition » (arrêt n° 492).

Ainsi, la Cour ne lie pas l'existence d'une cause de suspension enapplication de l'article 2251 du Code civil à une privation d'agir dontserait frappé le receveur. L'élément déterminant sur lequel se base laCour est le fait que le receveur ne puisse recourir à aucune mesured'exécution forcée pour obtenir le paiement de sa créance en applicationde l'article 410 du Code des impôts sur les revenus 1992.

Après avoir correctement énoncé le principe repris ci-avant en indiquantque « la suspension du cours de la prescription prévue à l'article 2251 duCode civil s'applique lorsqu'un régime légal empêche de procéder aurecouvrement de la créance » et que « l'impossibilité d'obtenir lepayement de sa créance doit trouver sa cause dans la loi », l'arrêtattaqué confond les notions « d'impossibilité d'obtenir le paiement de lacréance » avec celle « d'impossibilité d'agir ou d'interrompre laprescription » : « Il résulte des éléments exposés au point précédent quela prescription du recouvrement de cotisations contestées par uneréclamation, pour lesquelles des mesures d'exécution forcées sontprohibées par l'article 410 du Code des impôts sur les revenus 1992, peutêtre interrompue par le dépôt par l'État belge de conclusions dans lecadre d'un recours judiciaire dirigé contre ces cotisations. Dans ce cas,la prescription est suspendue jusqu'à la clôture de l'instance ».

Et, plus loin : « Si ces circonstances ne sont pas démontrées, il n'estpas établi que l'impossibilité d'interrompre la prescription par lerecours à des mesures d'exécution forcée dans le délai initial deprescription de cinq ans trouve sa cause dans l'impossibilité légaleprévue à l'article 410 du Code des impôts sur les revenus 1992 plutôt quedans la carence de l'État belge à statuer sur des réclamations dans undélai raisonnable compte tenu des circonstances de l'espèce ».

En liant l'application de l'article 2251 du Code civil à une prétendueimpossibilité d'interrompre la prescription, l'arrêt attaqué,méconnaissant l'enseignement des arrêts, viole l'article 2251 du Codecivil et l'article 410 du Code des impôts sur les revenus 1992 tel qu'ilest applicable.

Il y a également contradiction dans les motifs de l'arrêt attaqué et, parconséquent, violation de l'article 149 de la Constitution dès lors qu'iln'applique pas les principes qu'il énonce lui-même.

Deuxième branche

L'impossibilité d'obtenir le recouvrement de sa créance par le receveurtrouve sa cause dans le régime légal de l'article 410 du Code des impôtssur les revenus 1992 et uniquement dans celui-ci.

Outre qu'il confond « empêchement d'obtenir le paiement de la créance » et« empêchement d'interrompre la prescription », en subordonnantl'impossibilité légale prévue à l'article 2251 du Code civil à ladémonstration par le demandeur que, « en raison des circonstances propresà ces réclamations, il ne pouvait raisonnablement pas rendre de décisionsur celles-ci avant l'expiration du délai de prescription quinquennale durecouvrement des cotisations litigieuses », l'arrêt attaqué, ajoutant àl'enseignement des arrêts de la Cour du 22 septembre 2011, viole à nouveaules articles 2251 du Code civil et 410 du Code des impôts sur les revenus1992.

Troisième branche

Dès lors que le demandeur était empêché de prendre des mesures d'exécutionforcée, l'arrêt attaqué n'identifie, comme seul mode d'interruption de laprescription conforme à l'article 2244 du Code civil, que le dépôt par ledemandeur de conclusions dans le cadre d'un recours judiciaire dirigécontre ces cotisations, ce qui, dans le raisonnement de la cour d'appel,aurait été possible si une décision directoriale avait été prise dans ledélai de prescription quinquennale.

Or, par son arrêt du 18 novembre 2010 (F.09.0125.F), la Cour a consacré leprincipe suivant lequel les conclusions déposées par l'État belge dans lecadre d'un litige fiscal n'interrompent pas la prescription :

« En vertu de l'article 2244, alinéa 1^er, du Code civil, une citation enjustice interrompt la prescription.

Par citation au sens de cette disposition, il faut entendre toute demanded'une partie tendant à faire reconnaître en justice l'existence d'un droitmenacé.

Le dépôt de conclusions au greffe de la juridiction saisie interrompt laprescription au profit de la partie qui a conclu à condition que sesconclusions contiennent une demande tendant à faire reconnaître en justicel'existence de son droit.

L'arrêt considère que le demandeur n'a `formulé aucune demande dontl'accueil lui aurait permis de poursuivre le recouvrement des amendeslitigieuses dans ses conclusions déposées le 25 octobre 1991' et que lesconclusions du demandeur `se limitent à demander de déclarer non fondéesles demandes de la défenderesse'.

Il justifie ainsi légalement sa décision que le dépôt des conclusions dudemandeur n'a pas interrompu la prescription du recouvrement des amendeslitigieuses ».

En supposant que les conclusions déposées par le demandeur dans le cadredu litige fiscal auraient pu, si elles avaient été déposées en tempsutile, interrompre la prescription, l'arrêt attaqué viole l'article 2244,alinéa 1^er, du Code civil.

Troisième moyen

Dispositions légales violées

- article 6, § 1^er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'hommeet des libertés fondamentales ;

- article 149 de la Constitution ;

- articles 9, § 2, et 26, § 4, de la loi spéciale sur la Courconstitutionnelle ;

- article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt attaqué, saisi d'un recours du [défendeur] fondé sur l'article1385decies du Code judiciaire, dit prescrites plusieurs cotisations àl'impôt des personnes physiques enrôlées à sa charge pour les exercicesd'imposition 1986 à 1990 et, par confirmation du jugement entrepris, ditle recours du [défendeur] fondé.

Il justifie ainsi sa décision de refuser l'application rétroactive del'article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 :

« 5. [Le demandeur] invoque l'article 26, § 4, de la loi spéciale sur laCour d'arbitrage, suivant lequel, lorsqu'il est invoqué devant unejuridiction qu'une loi, un décret ou une règle visée à l'article 134 de laConstitution viole un droit fondamental garanti de manière totalement oupartiellement analogue par une disposition du titre II de la Constitutionainsi que par une disposition de droit européen ou de droit international,la juridiction est tenue de poser d'abord à la Cour constitutionnelle laquestion préjudicielle sur la compatibilité du titre II de laConstitution' ;

Cette disposition a pour objet de définir l'ordre dans lequel doits'opérer le contrôle de la constitutionnalité d'une loi lorsque estinvoquée devant le juge la violation d'une règle du droit internationaldont l'objet est totalement ou partiellement le même [...] ;

En l'espèce, [le défendeur] se prévaut de la violation du principe de lasécurité juridique dans son chef du fait de l'application rétroactive del'article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 aux cotisationscontestées établies à sa charge ;

L'État belge n'établit pas que le principe de la sécurité juridique auraitpartiellement ou totalement le même objet qu'une disposition du titre IIde la Constitution. En conséquence, l'article 26, § 4, précité de la loispéciale sur la Cour d'arbitrage n'est pas applicable en l'espèce ;

6. Par son arrêt n° 177/2005 du 7 décembre 2005, la Cour constitutionnelle[...] a rejeté le recours en annulation de l'article 49 de laloi-programme du 9 juillet 2004 ;

L'État belge invoque l'article 9, § 2, de la loi spéciale sur la Courd'arbitrage, qui prévoit que 'les arrêts rendus par la Courconstitutionnelle portant rejet des recours en annulation sontobligatoires pour les juridictions en ce qui concerne les questions dedroit tranchées par ces arrêts' ;

L'arrêt de la Cour constitutionnelle statue sur la violation par ladisposition en cause des articles 10 et 11 de la Constitution, prisisolément ou lus conjointement avec les articles 6 de la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1^er duPremier Protocole additionnel à cette convention ;

Conformément aux principe de primauté et d'applicabilité directe de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertésfondamentales, le juge saisi de la violation d'un droit fondé sur cetteconvention est tenu de statuer sur l'existence de cette violation par lasituation invoquée dans le cadre du litige dont il est saisi ;

Lorsqu'elle tranche un recours en annulation d'une disposition légale, laCour constitutionnelle examine in abstracto la conformité de cettedisposition à la Constitution lue en combinaison avec des droits fondéssur la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertésfondamentales, sans se pencher sur la situation concrète des personnesconcernées par cette question ;

Il en résulte que la cour [d'appel] doit examiner in concreto sil'application de l'article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 estconforme au principe de la sécurité juridique compte tenu descirconstances invoquées ;

7. Par un arrêt du 11 septembre 2012, la Cour européenne des droits del'homme a dit irrecevable le recours contre l'article 49 de laloi-programme du 9 juillet 2004 fondé sur l'article 6, § 1^er, de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertésfondamentales (23919/06) ;

Cette décision n'est pas applicable au cas d'espèce dès lors que lerecours vise 'un défaut d'indépendance et d'impartialité de la Courd'arbitrage [...] et, dans le cadre de la procédure relative à [la]réclamation fiscale, une violation [du] droit [des requérants] à unprocès équitable et de leur droit à voir leur cause jugée dans un délairaisonnable' (point A 22) ;

Tel n'est pas l'objet du présent litige ;

8. La question a pour objet le recouvrement de cotisations fiscales et,plus particulièrement, la prescription du droit au recouvrement decelles-ci. Dès lors qu'il ne concerne pas l'établissement de l'impôt maisson recouvrement, le droit en cause dans le présent litige est un droitcivil au sens de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits del'homme et des libertés fondamentales ;

Les règles relatives à l'interruption de la prescription du recouvrementde créances fiscales sont d'ailleurs celles du droit commun prévues par leCode civil, auxquelles renvoie le droit fiscal ;

En ce qui concerne l'effet rétroactif d'une loi qui a pour effetd'intervenir dans des litiges fiscaux en cours, les mesures tendant àassurer le payement des impôts doivent ménager un juste équilibre entrel'intérêt général et la protection des droits fondamentaux de l'individu.Un intérêt général évident et impérieux commande de veiller à ce que lesorganismes privés ne bénéficient pas d'une manne en cas de changement derégime dans la collecte de l'impôt et ne privent pas le fisc de recettespour de simples failles dues à l'inadvertance de la législation fiscaled'habilitation, surtout lorsque ces organismes ont suivi les débats sur laproposition initiale et, tout en la désapprouvant, ont manifestementcompris que le législateur avait la ferme intention de l'intégrer dans lalégislation' (C.E.D.H., Building Societies, 23 octobre 1997, Série A, p.2331) ;

Ainsi, lorsque le contribuable savait que le législateur allait adopterune disposition rétroactive pour corriger les effets indésirables d'unrégime légal en vigueur, il ne peut se prévaloir de la violation duprincipe de la sécurité juridique ;

Tel n'est pas le cas en l'espèce. [Le défendeur] a introduit, devant lepremier juge, sa demande dont l'objet est de constater la prescription durecouvrement des cotisations litigieuses, sur la base de la jurisprudencede la Cour de cassation, le 14 novembre 2003, soit bien avant l'adoptionde l'article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 et même avantl'adoption de la loi-programme du 22 décembre 2003 qui a introduit lesarticles 443bis et 443ter dans le Code des impôts sur les revenus 1992 ence qui concerne la prescription des droits du Trésor ;

Au moment où [le défendeur] a introduit sa demande devant le premier juge,il pouvait légitimement s'attendre à ce que le tribunal de premièreinstance constate la prescription du recouvrement des cotisationslitigieuses en faisant application de la jurisprudence de la Cour decassation concernant l'effet des commandements interruptifs deprescription. À ce moment, [il] ne pouvait pas s'attendre à ce que lelégislateur adopte une loi rétroactive afin de contrecarrer les effets desarrêts de la Cour de cassation et éviter la prescription du recouvrementdes cotisations contestées avant l'entrée en vigueur des articles 443biset 443ter du Code des impôts sur les revenus 1992 ;

Compte tenu des circonstances de l'espèce, l'application de l'article 49de la loi-programme du 9 juillet 2004 avec effet rétroactif viole leprincipe de la sécurité juridique et le droit au procès équitable [dudéfendeur] en ce que l'application rétroactive de cette disposition a poureffet de modifier la solution du litige en cours, alors que [le défendeur]ne pouvait pas s'attendre à une telle intervention du législateur aumoment où il a introduit sa demande ;

9. Conformément à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, s'ils'avère que 'la rétroactivité de la norme législative a pour effetd'influencer dans un sens déterminé l'issue d'une ou de plusieursprocédures judiciaires ou d'empêcher les juridictions de se prononcer, lanature du principe en cause exige que des circonstances exceptionnellesou des motifs impérieux d'intérêt général justifient cette interventiondu législateur qui porte atteinte, au détriment d'une catégorie decitoyens, aux garanties juridictionnelles offertes à tous' (Courconstitutionnelle, 7 décembre 2005, n° 177/2005, B.18.1) ;

L'existence de circonstances exceptionnelles ou de motifs impérieuxd'intérêt général n'est pas établie en l'espèce. L'État belge ne démontreen effet pas que la nécessité d'interrompre la prescription descotisations litigieuses par la signification de commandements se justifiepar les nécessités de l'instruction des réclamations et ne résulte pasd'une carence de l'administration à statuer dans un délai raisonnable surces réclamations ;

À défaut de motifs permettant de justifier la longueur du délai nécessaireà l'instruction des réclamations, l'État belge ne peut se prévaloir decirconstances exceptionnelles ou de motifs impérieux d'intérêt général quipermettent en l'espèce l'application rétroactive de l'article 49 de laloi-programme du 9 juillet 2004 aux cotisations litigieuses ».

Griefs

L'article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004, inséré sous larubrique « Interprétation de l'article 2244 du Code civil en matièred'impôts sur les revenus » de cette loi, est ainsi rédigé : « nonobstantle fait que le commandement constitue le premier acte de poursuitesdirectes au sens des articles 148 et 149 de l'arrêté royal d'exécution duCode des impôts sur les revenus 1992, le commandement doit être interprétécomme constituant également un acte interruptif de prescription au sens del'article 2244 du Code civil, même lorsque la dette d'impôt contestée n'apas de caractère certain et liquide ».

Pour comprendre la situation à laquelle s'est trouvé confronté lelégislateur lorsqu'il a adopté cette loi, il faut remonter à deux arrêtsrendus par la Cour de cassation le 28 octobre 1993 (Pas., n° 433, avec lesconclusions du procureur général baron Velu). Jusqu'à cette date,l'administration considérait que les articles 409 à 411 du Code des impôtssur les revenus 1992, lus en combinaison, l'autorisaient, même en présenced'un impôt contesté avec incontestablement dû payé ou fixé à néant, àpratiquer une saisie-exécution, nonobstant les dispositions de l'article1494 du Code judiciaire, et que, conformément à l'article 411 du mêmecode, l'exécution ne pouvait pas être menée à son terme pour la partie del'impôt qui excédait l'incontestablement dû.

Or, dans ces arrêts, la Cour a précisé que ce n'est que lorsqu'il existeun incontestablement dû qu'une saisie-exécution se justifie et que, encorollaire, une telle mesure est nulle et de nul effet lorsquel'incontestablement dû a été payé ou a été fixé à néant.

La question s'est alors posée de savoir si le commandement, qui, depuisl'entrée en vigueur du Code judiciaire, doit être considéré comme lepremier acte d'exécution (article 1499 du Code judiciaire) et qui, parconséquent, est nul et de nul effet en tant que tel lorsqu'il porte surune cotisation contestée pour laquelle aucune partie de la dette ne peutêtre considérée comme liquide et certaine au sens de l'article 410 du Codedes impôts sur les revenus 1992, peut avoir un effet interruptif de laprescription au sens de l'article 2244 du Code civil.

La doctrine largement majoritaire et la jurisprudence y ont répondu parl'affirmative, en admettant l'effet interruptif des commandementssignifiés à la requête de l'État en vue d'interrompre la prescription desimpôts contestés dont l'incontestablement dû avait été payé ou fixé ànéant.

Il ne faisait aucun doute pour l'administration - et cela était acceptépar les juridictions de fond - qu'en signifiant par exploit d'huissier uncommandement de payer au redevable, même en l'absence d'unincontestablement dû, le receveur des contributions affichait, sans autreinterprétation possible, son intention de ne pas perdre le droit en litigeet que cela suffisait pour interrompre la prescription au sens del'article 2244 du Code civil. C'est la thèse du double effet ducommandement en vertu de laquelle celui-ci peut produire des effetsindépendamment de toute exécution. Dans le contentieux qui est né de laquestion, l'administration invoquait la double fonction du commandementordinaire : premier acte d'exécution et acte interruptif de laprescription. Elle arguait qu'à défaut de quotité certaine et liquide ausens de l'article 410 du Code des impôts sur les revenus 1992, lecommandement de payer est certes irrégulier comme acte de poursuite maisporte effet comme acte interruptif de la prescription.

Cette thèse est conforme à l'esprit de l'article 2244 du Code civil. Eneffet, pour les rédacteurs du Code civil, le commandement était considérécomme un acte extrajudiciaire, une simple sommation visant à manifester,par exploit d'huissier, l'intention du créancier de ne pas perdre le droitlitigieux.

Elle réalise, ainsi, la synthèse entre les exigences liées à l'article1499 du Code judiciaire (dans la conception actuelle du commandement,premier acte d'exécution) et la ratio legis de l'article 2244 du Codecivil. Cela sera reconnu ultérieurement par la Cour constitutionnelle.

La Cour de cassation a, une première fois, sanctionné cette interprétationdans son arrêt du 10 octobre 2002 :

« Que l'article 2244 du Code civil n'exige pas, pour que le commandementforme l'interruption civile, que le signifiant mentionne dans l'acte quecelui-ci est signifié en vue d'interrompre la prescription ;

Que par la considération susvisée, que critique le moyen, l'arrêt nejustifie pas légalement sa décision ;

Que, toutefois, la Cour peut substituer au motif erroné que critique lemoyen un fondement juridique justifiant le dispositif de l'arrêt ;

Qu'en matière d'impôts sur les revenus, le commandement est un acte depoursuite judiciaire qui suppose un titre exécutoire et prélude à unesaisie-exécution ;

Qu'il s'ensuit que le commandement signifié par le défendeur, en l'absenced'impôt incontestablement dû, n'a pu produire d'effet interruptif ;

Que le moyen, fût-il fondé, ne saurait, dès lors, entraîner la cassation ;qu'à défaut d'intérêt, il est irrecevable ».

On précisera à ce stade que l'arrêt présenté à la censure de la Cour necontenait aucune condamnation de la thèse du double effet du commandementmais, au contraire, la soutenait, considérant seulement que lecommandement de payer l'impôt contesté n'était pas valable parce qu'il nementionnait pas expressément qu'il avait pour seul objet d'interrompre laprescription.

Dans son pourvoi, l'État belge se bornait à faire valoir que l'article2244 du Code civil ne prévoyait pas, pour que le commandement formel'interruption civile, qu'il contienne une telle précision.

C'est la Cour elle-même qui, après avoir reconnu le caractère illégal dumotif critiqué, a substitué le fondement juridique justifiant ledispositif de l'arrêt au motif qu'elle considérait comme erroné et qui aexclu la thèse du double effet du commandement sans que les redevablesaient défendu quoi que ce soit quant à ce et sans que l'administration aiteu la possibilité de défendre devant elle sa position.

Cette jurisprudence fut confirmée par les arrêts des 21 février 2003, 27février et 12 mars 2004.

D'aucuns, et non des moindres, se sont interrogés quant à la solutionapportée par la Cour : « Comment admettre que la loi ait organisé unsystème dans lequel, d'une part, la réclamation et les recours judiciairessuspendent la force exécutoire du rôle dans la mesure où il n'y a pasd'incontestablement dû mais n'interrompent pas la prescription pendant ladurée du litige, d'autre part, l'État n'a aucune possibilitéd'interrompre la prescription de cinq ans pendant cette durée » ?

Quoi qu'il en soit, la Cour ayant désavoué le mode généraliséd'interruption de la prescription, le Trésor fut pris au dépourvu et setrouva confronté à un préjudice financier sans précédent, le montant desimpositions concernées par cette problématique ayant été estimé, durantles débats devant la Cour constitutionnelle dont il sera questionultérieurement, à plus de 1.175.953.000 euros en principal.

Comme le souligna la doctrine, « [c]ette jurisprudence, catastrophique dupoint de vue de l'intérêt public, appelait évidemment une réactionlégislative » ou, sous une formulation interrogative : « [p]eut-onraisonnablement admettre que le législateur serait demeuré sans réactionpour empêcher que les innombrables cotisations contestées pour lesquellesle cours de la prescription n'avait pas été interrompu soient prescrites ?Poser la question, c'est y répondre ».

Afin de neutraliser les effets désastreux de la jurisprudence de la Coursur les finances de l'État, le législateur a agi en deux temps.

Par la loi-programme du 22 décembre 2003, il a inséré dans le Code desimpôts sur les revenus 1992 un article 443ter rédigé comme suit :

« § 1^er. Toute instance en justice relative à l'établissement ou aurecouvrement des impôts et des précomptes qui est introduite par l'Étatbelge, par le redevable de ces impôts ou précomptes ou par toute autrepersonne tenue au paiement de la dette en vertu du présent code, desarrêtés pris pour son exécution ou du droit commun, suspend le cours de laprescription.

La réclamation et la demande de dégrèvement visée à l'article 376suspendent également le cours de la prescription.

§ 2. La suspension débute avec l'acte introductif d'instance et se terminelorsque la décision judiciaire est passée en force de chose jugée.

Toutefois, en cas de réclamation ou de demande de dégrèvement d'officevisée à l'article 376, la suspension débute avec la demande introductivedu recours administratif. Elle se termine :

- lorsque le contribuable a introduit une action en justice, au jour où ladécision judiciaire est passée en force de chose jugée ;

- dans les autres cas, à l'expiration du délai ouvert au contribuable pourintroduire un recours contre la décision administrative ».

Il résulte de cette disposition que, depuis son entrée en vigueur, toutrecours administratif ou judiciaire relatif à l'établissement ou aurecouvrement des impôts, qu'il soit introduit par l'État belge, par leredevable ou par toute autre personne tenue au paiement de la dette,suspend le cours de la prescription.

Il était par contre fort douteux que cette nouvelle disposition fûtapplicable si la dette fiscale était déjà prescrite avant l'entrée envigueur de la loi, soit que le receveur n'eût pas fait signifier decommandement ou obtenu de renonciation au temps couru de la prescriptionen temps utile, soit que le commandement signifié dût être considéré commesans effet d'après la jurisprudence de la Cour.

L'administration a, alors, défendu la thèse de la suspension de laprescription fondée sur l'article 2251 du Code civil lu en combinaisonavec l'article 410 du Code des impôts sur les revenus.

Parallèlement, la loi-programme du 9 juillet 2004 a, sous le chapitre XII,intitulé « Interprétation de l'article 2244 du Code civil en matièred'impôts sur les revenus », prévu un article 49 rédigé comme suit : «Nonobstant le fait que le commandement constitue le premier acte depoursuites directes au sens des articles 148 et 149 de l'arrêté royald'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992, le commandement doitêtre interprété comme constituant également un acte interruptif deprescription au sens de l'article 2244 du Code civil, même lorsque ladette d'impôt contestée n'a pas de caractère certain et liquide ».

Cette disposition était présentée comme une disposition interprétative, desorte que, au vœu du législateur, elle était applicable aux cas danslesquels, suivant la jurisprudence issue des arrêts des 10 octobre 2002 et21 février 2003, l'impôt était menacé de prescription à la date del'entrée en vigueur de la loi-programme du 22 décembre 2003.

La Cour constitutionnelle a été saisie de huit recours en annulation del'article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 introduits par descontribuables qui revendiquaient pouvoir bénéficier de la jurisprudencedes arrêts des 10 octobre 2002 et 21 février 2003, et donc de la nullitédes commandements qui leur avaient été signifiés et de la prescription deleurs dettes fiscales, dans le cadre de procédures fiscales pendantes. Parailleurs, douze autres contribuables se sont portés parties intervenantesà la procédure, en soutien aux requérants en annulation.

Joignant les affaires, la Cour constitutionnelle, bien qu'elle ait déniéle caractère interprétatif de la disposition critiquée, a rejeté lesrecours dans un arrêt n° 177/2005 prononcé le 7 décembre 2005. Pourl'essentiel, on en retiendra ce qui suit :

« B.18.1. La rétroactivité de dispositions législatives, qui est denature à créer de l'insécurité juridique, ne peut se justifier quelorsqu'elle est indispensable au bon fonctionnement ou à la continuité duservice public.

S'il s'avère que la rétroactivité de la norme législative a pour effetd'influencer dans un sens déterminé l'issue d'une ou de plusieursprocédures judiciaires ou d'empêcher les juridictions de se prononcer, lanature du principe en cause exige que des circonstances exceptionnelles oudes motifs impérieux d'intérêt général justifient cette intervention dulégislateur qui porte atteinte, au détriment d'une catégorie de citoyens,aux garanties juridictionnelles offertes à tous.

B.18.2. Dès lors que la disposition entreprise influence des procédurespendantes, la Cour doit examiner si la rétroactivité de la dispositionattaquée satisfait à chacune des conditions exprimées en B.18.1.

B.19.1. Comme il a été indiqué en B.13.2, la disposition entreprise étaitjustifiée par le fait que la prescription d'impôts contestés avaittoujours été interrompue par la signification d'un commandement et lavalidité de ce dernier a toujours été reconnue jusqu'aux arrêts de la Courde cassation des 10 octobre 2002 et 21 février 2003.

S'il existait une controverse sur la nature du commandement au sens del'article 2244 du Code civil, rien ne permettait cependant, avant lesarrêts précités de la Cour de cassation, de rejeter la thèse du doubleeffet du commandement, avancée par l'administration, selon laquelle uncommandement, irrégulier en tant qu'acte d'exécution, pouvait toutefoisconserver ses effets en tant qu'acte interruptif de prescription.

En effet, lors de l'adoption du Code civil en 1804, le commandementn'était pas considéré comme un acte d'exécution mais comme un actepréparatoire contenant la manifestation de la volonté du créancierd'obtenir paiement des sommes dues.

Après l'entrée en vigueur du Code judiciaire, plus précisément de sesarticles 1404 et suivants, une controverse portant sur la nature ducommandement est née, certains considérant que le commandement n'étaitplus un acte préparatoire mais un acte d'exécution. Si le commandementvisé par les articles 148 et 149 de l'arrêté royal d'exécution du Code desimpôts sur les revenus constitue un acte d'exécution dont la validité estsubordonnée au caractère liquide et certain de la dette, les effets ducommandement au sens de l'article 2244 du Code civil ne sont passubordonnés à des conditions de validité légalement prévues.

Cependant, certaines décisions des juridictions de fond reconnaissaientcet effet interruptif de prescription à un commandement, indépendamment desa validité en tant qu'acte d'exécution.

B.19.2. Cette conception avait inspiré la pratique administrative enmatière d'impôt sur les revenus et elle avait incité de nombreuxcontribuables à signer une renonciation au temps couru de la prescription.

B.19.3. En outre, par un arrêt du 28 octobre 1993, la Cour de cassationavait cassé un arrêt de la cour d'appel de Liège parce que celui-cin'avait pas répondu aux conclusions de l'État belge qui faisait valoir quele commandement avait `notamment pour but d'interrompre la prescription,conformément à l'article 194 de l'arrêté royal d'exécution du Code desimpôts sur les revenus », et la cour d'appel de Bruxelles, juridiction derenvoi, avait jugé, par un arrêt du 24 juin 1997, « que pareilcommandement vaut comme acte interruptif au sens de l'article 2244 du Codecivil et n'est pas énervé par la nullité de la saisie-exécution qui l'asuivi, l'effet interruptif du commandement étant indépendant des effets del'acte exécutoire en tant que tel ».

B.19.4. Dès lors qu'il avait signifié un commandement, l'État pouvait donclégitimement estimer avoir valablement interrompu la prescription, mêmelorsque la dette d'impôt était contestée.

B.19.5. Par ailleurs, le ministre des Finances a fait observer ce qui suitau sujet de la disposition entreprise :

`[Elle] permet d'éviter une discrimination arbitraire entre lescontribuables qui ont souscrit une renonciation au temps couru de laprescription et ceux qui ont refusé de signer une telle renonciation etont attendu la signification d'un commandement.

Si aucune renonciation au temps couru de la prescription n'a été signée,la signification d'un commandement constitue la seule possibilité pour lereceveur d'interrompre la prescription. Selon la récente jurisprudence dela Cour de cassation, cette possibilité disparaîtrait également, de sorteque la prescription ne pourrait être évitée.

Étant donné que les contribuables ont eux-mêmes contesté les impôts, ilsne pouvaient légalement escompter que la dette fiscale serait prescrite dece fait. Il ne paraîtrait pas raisonnable pour un contribuable d'escompterse libérer en introduisant un recours tandis que l'État ne peut recouvrerl'imposition'.

B.19.6. Bien que les arrêts de la Cour de cassation des 10 octobre 2002 et21 février 2003 n'aient, juridiquement, qu'une autorité de chose jugéerelative, ils ont, en ce qu'ils ont tranché la question de droit quiconcerne la nature et les effets d'un commandement, une autorité de faitqui s'impose à toutes les juridictions puisque les décisions quis'écarteraient de la réponse donnée par le Cour de cassation risqueraientd'être cassées pour violation de la loi, telle qu'elle est interprétée parla Cour de cassation. Il ressort d'ailleurs de la jurisprudence invoquéepar les parties requérantes que les juridictions de fond se sont ralliéesà la solution adoptée par les deux arrêts de la Cour de cassationprécités.

B.19.7. Les arrêts des 10 octobre 2002 et 21 février 2003 ont donc eu pourconséquence de priver d'effet, de manière rétroactive, le moded'interruption de la prescription communément utilisé en matière d'impôtssur les revenus ainsi qu'il a été indiqué en B.13.2. Une catégorie decontribuables s'est ainsi vue libérée d'une dette qu'ils avaient contestéemais dont il ne peut être présumé qu'elle n'était pas due. C'est pourneutraliser l'effet rétroactif de la règle jurisprudentielle dégagée parles arrêts précités que le législateur a lui-même adopté une dispositionrétroactive.

B.19.8. Le recours à une disposition rétroactive peut égalements'expliquer en l'espèce par l'absence d'une disposition permettant dedemander à la Cour de cassation de limiter dans le temps les effets despositions de principe adoptées par ses arrêts, alors que tant la Cour dejustice des Communautés européennes (article 231, alinéa 2, du Traité CE)que la Cour d'arbitrage (article 8, alinéa 2, de la loi spéciale du 6janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage) et le Conseil d'État (article 14terdes lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973) peuventmaintenir les effets des actes qu'ils annulent.

B.19.9. La première réaction du législateur aux arrêts de la Cour decassation précités dans la loi-programme du 22 décembre 2003 a entraînél'insertion dans le Code des impôts sur les revenus 1992 des articles443bis et 443ter sous un nouveau chapitre IXbis : `Prescription des droitsdu Trésor'.

La disposition attaquée de la loi-programme du 9 juillet 2004 a complétécette réaction du législateur.

Compte tenu du délai rapproché séparant leur adoption, ces dispositionsdoivent être considérées comme formant, ensemble, la réaction dulégislateur aux arrêts précités.

B.19.10. Par ailleurs, il a été constaté, au cours des travauxpréparatoires, d'une part, que l'arriéré fiscal, en matière d'impôts surles revenus, `est constitué à plus de quarante pour cent de cotisationscontestées', d'autre part, que certains dossiers qui allaient bénéficierde la position adoptée par la Cour de cassation `concernaient la grandefraude fiscale'. La mesure a pu être considérée comme répondant à desexigences d'intérêt général en ce que, sans préjuger des droits descontribuables, elle préservait les droits du Trésor à l'égardd'impositions contestées.

B.19.11. Enfin, l'effet rétroactif de la disposition entreprise nerestreint pas de manière disproportionnée les droits des contribuables,qui estimaient, jusqu'aux arrêts de la Cour de cassation, que lecommandement qui leur avait été signifié avait valablement interrompu laprescription.

Le fait qu'ils ont pu, de manière inattendue, espérer bénéficier de lajurisprudence précitée de la Cour de cassation ne peut priver dejustification l'intervention du législateur.

B.20. Il apparaît donc que la mesure est justifiée par des circonstancesparticulières et exceptionnelles et qu'elle est dictée par des motifsimpérieux d'intérêt général.

En ce qui concerne les différences de traitement alléguées

B.21. Une deuxième série de moyens critiquent, indépendamment de laqualification de la disposition en cause, les différences de traitementque cette disposition engendrerait.

Ces moyens invoquent la violation des articles 10, 11, 13, 16 et 172 de laConstitution, lus en combinaison avec ses articles 77, 78, 84 et 144 etavec l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme etdes libertés fondamentales et l'article 1^er du Premier Protocoleadditionnel à cette convention.

Selon les requérants, la disposition entreprise créerait une différence detraitement injustifiée entre les débiteurs d'une dette fiscale contestéeet les débiteurs de droit commun, ainsi qu'entre l'État belge créancierd'un contribuable qui conteste sa dette d'impôt et les autres créanciersde ce contribuable, puisque, en droit commun, un commandement irrégulierest nul et de nul effet.

Par ailleurs, la disposition entreprise créerait une différence detraitement injustifiée entre les contribuables confrontés à la réouverturede la prescription de leur impôt et les contribuables qui ont vu laprescription de leur impôt constatée par une décision judiciaire sur labase de la jurisprudence de la Cour de cassation et dont les dossiers sontdéfinitivement clos.

B.22.1. Comme il a été rappelé précédemment, la disposition entreprisevise à protéger les intérêts du Trésor en réagissant à une jurisprudencedont les effets peuvent être considérés comme suffisamment inattendus pourjustifier une intervention du législateur.

Dès lors que cette jurisprudence ne concernait que la matière des impôtssur les revenus, le législateur pouvait limiter son intervention à cettematière.

B.22.2. En effet, même si les créanciers et débiteurs fiscaux et de droitcommun peuvent être considérés comme des personnes comparables, leproblème de l'effet interruptif de prescription d'un commandement signifiéen l'absence de titre exécutoire est étroitement lié au moded'établissement et de recouvrement de l'impôt, qui n'est pas comparable aumode d'établissement et de recouvrement d'une créance de droit commun.

B.23. En outre, la différence de traitement alléguée entre lescontribuables confrontés à la réouverture de la prescription de leur impôtet les contribuables qui ont vu la prescription de leur impôt constatéepar une décision judiciaire ne résulte pas de la disposition entreprise -dont l'effet rétroactif est justifié, comme il a été indiqué en B.19 àB.20 -, mais du respect qui s'attache aux décisions de justice passées enforce de chose jugée.

Même quand il légifère rétroactivement, le législateur ne peut, en effet,sous peine de méconnaître un des principes essentiels de l'État de droit,remettre en cause les décisions judiciaires devenues définitives.

B.24.1. Enfin, il n'apparaît pas que la mesure ait des effetsdisproportionnés ni qu'elle porte atteinte de manière disproportionnée auxdroits fondamentaux invoqués par les parties requérantes.

B.24.2. Les contribuables qui avaient contesté l'impôt qui leur étaitréclamé n'avaient pas acquis contre l'État un droit de créance égal aumontant de l'impôt contesté. À supposer qu'ils soient affectés dans leurdroit au respect de leurs biens au sens de l'article 1^er du PremierProtocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'hommeet des libertés fondamentales, ce serait conformément au deuxième alinéade cet article. Le législateur a pu, en se fondant sur cette disposition,pour les raisons exposées ci-dessus, considérer que la mesure critiquéeétait conforme à l'intérêt général et nécessaire pour assurer le paiementd'impôts dont il ne modifiait en rien les règles d'établissement.

B.24.3. Ces contribuables ne sont pas davantage privés du droit à unrecours effectif ou à un procès équitable puisqu'ils conservent le droitde poursuivre devant la juridiction compétente la réclamation qu'ils ontintroduite pour contester l'impôt qui leur était réclamé. Si la loiattaquée exercera une influence sur des procédures pendantes, elle nemodifie pas le droit fiscal matériel qui s'y applique et, en ce qu'elleexerce une influence sur la prescription des dettes contestées, celle-ciest justifiée par les motifs impérieux d'intérêt général mentionnésci-avant.

B.25. Les moyens ne peuvent être accueillis ».

Par ailleurs, l'arrêt du 7 décembre 2005 ne répondant pas explicitement àla question de savoir à partir de quel moment la loi rétroagit, la Courconstitutionnelle, par son arrêt n° 20/2006 du 1^er février 2006 rendu surquestion préjudicielle, a précisé que « l'intention expresse dulégislateur a été de donner à cette disposition une portée rétroactive,de sorte qu'elle doit être considérée comme applicable aux faits quin'ont pas encore donné lieu à une décision judiciaire passée en force dechose jugée » (B. 13.1).

Amenée également à se prononcer sur la rétroactivité de l'article 49 (maisnon quant à sa conformité aux articles 6, 1^er, de la Convention desauvegarde des droits de l'homme des libertés fondamentales et 1^er deson premier protocole additionnel), la Cour de cassation a consacrécelle-ci par trois fois (deux arrêts rendus le 17 janvier 2008,F.07.0056.N et F.07.0057.N, et un le 13 mars 2009, F.07.0084.N -F.07.0104.N) :

« L'article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 ne constitue dès lorspas une disposition légale interprétative. Cette nouvelle dispositiondoit toutefois être appliquée par le juge avec un effet rétroactifconformément à l'intention du législateur. Il ressort en effet clairementdes travaux préparatoires de cette disposition légale que le législateuravait l'intention de garantir les droits du Trésor public au moyen d'unemesure ayant un effet rétroactif au cours des procédures pendantes danslesquelles l'impôt contesté sur la base du point de vue adopté par la Courmenaçait de se prescrire ou était déjà prescrit ».

Par ailleurs, considérant que les cours et tribunaux n'étaient pas liéspar les arrêts de la Cour constitutionnelle en tant qu'ils se prononcentsur l'absence de violation de normes de droit international, de nombreuxcontribuables ont assigné l'État belge et sollicité des cours et tribunauxqu'ils refusent d'appliquer l'article 49, en se prévalant de lajurisprudence des arrêts des 10 octobre 2002 et 21 février 2003, etconstatent la prescription de leurs impositions.

Dans la plupart des cas, les cours et tribunaux ont rejeté ce grief, seralliant à la position de la Cour constitutionnelle. C'était le cas, etc'est assez remarquable pour le souligner, des cinq cours d'appel du paysunanimes, jusqu'à la prononciation de l'arrêt attaqué.

Enfin, tant l'article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 que l'arrêtde la Cour constitutionnelle du 7 décembre 2005 ont donné lieu à unrecours devant la Cour européenne des droits de l'homme, lequel a étédéclaré irrecevable par celle-ci.

Les griefs invoqués étaient les suivants :

- violation de l'article 6, § 1^er, de la Convention de sauvegarde desdroits de l'homme et des libertés fondamentales et du droit à un procèséquitable pour intervention de l'État dans des procédures en cours ;

- violation de l'article 6, § 1^er, de la Convention, dès lors que,suivant les requérants, la Cour constitutionnelle ne présente pas lesgaranties suffisantes d'indépendance et d'impartialité ;

- violation de l'article 6, § 1^er, de la Convention pour dépassement dudélai raisonnable dans le traitement des réclamations fiscales desrequérants ;

- violation de l'article 1^er du Premier Protocole additionnel à laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertésfondamentales, l'article 49 ayant privé les requérants de leur droit à laprescription de leur dette fiscale ;

- violation de l'article 14 de la Convention, lu en combinaison avecl'article 1^er du Premier Protocole, dès lors que, suivant les requérants,l'article 49 les discrimine par rapport à des débiteurs de droit commun.

En ce qui concerne l'article 6, § 1^er, de la Convention, la Coureuropéenne des droits de l'homme a constaté que :

- dès lors que le contentieux fiscal échappe au champ des droits etobligations de caractère civil, cette disposition n'est pas applicablesous son volet civil aux procédures relatives aux réclamations fiscalesdes requérants ;

- la même conclusion s'impose s'agissant de la procédure devant la Courconstitutionnelle, puisqu'il est manifeste qu'elle ne visait pas àtrancher une contestation sur les droits et obligations de caractère civil;

- les procédures dont il est question n'ont pas trait à une accusation enmatière pénale.

En ce qui concerne l'article 1^er du Premier Protocole, cette cour aconstaté que les dettes fiscales en question, étant contestées, ne sontque potentielles. Or, suivant la Cour, l'espoir de se voir libérer d'unedette potentielle ne saurait être assimilé à un bien au sens de l'article1^er.

En ce qui concerne l'article 14 de la Convention, il ne peut y avoir,suivant la Cour, de violation de cette disposition qu'en combinaison avecune autre disposition de la Convention. En l'occurrence, les requérantesinvoquaient la violation de l'article 14 lu en combinaison avec l'article1^er du Premier Protocole. La Cour ayant conclu à l'inapplicabilité decette disposition, elle n'a pu que constater l'inapplicabilité del'article 14 lu en combinaison avec celle-ci.

Première branche

L'article 26 de la loi spéciale sur la Cour constitutionnelle, modifié parla loi spéciale du 12 juillet 2009, dispose en son paragraphe 4

« Lorsqu'il est constaté devant une juridiction qu'une loi, un décret ouune règle visée à l'article 134 de la Constitution viole un droitfondamental garanti de manière totalement ou partiellement analogue parune disposition du titre II de la Constitution ainsi que par unedisposition de droit européen ou de droit international, la juridictionest tenue de poser d'abord à la Cour constitutionnelle la questionpréjudicielle sur la compatibilité avec la disposition du titre II de laConstitution.

Par dérogation à l'alinéa 1^er, l'obligation de poser une questionpréjudicielle à la Cour constitutionnelle ne s'applique pas :

1° dans les cas visés aux paragraphes 2 et 3 ;

2° lorsque la juridiction estime que la disposition du titre II n'estmanifestement pas violée ;

3° lorsque la juridiction estime qu'un arrêt d'une juridictioninternationale fait apparaître que la disposition de droit européen ou dedroit international est manifestement violée ;

4° lorsque la juridiction estime qu'un arrêt de la Cour constitutionnellefait apparaître que la disposition du titre II de la Constitution estmanifestement violée ».

De cette nouvelle disposition, il se déduit que la compétence de la Courconstitutionnelle a formellement été étendue à l'examen de la conformitédes lois et décrets belges aux normes de droit européen ou de droitinternational lorsqu'elles consacrent des droits fondamentaux égalementgarantis de manière partiellement ou totalement analogue par unedisposition du titre II de la Constitution.

Le demandeur avait précisé dans sa requête d'appel que c'était le cas del'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et deslibertés fondamentales et de l'article 1^er du Premier Protocoleadditionnel à cette convention, ce qui n'était pas contesté par ledéfendeur.

Suivant l'arrêt attaqué, «[le défendeur] se prévaut de la violation duprincipe de la sécurité juridique dans son chef du fait de l'applicationrétroactive de l'article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 auxcotisations contestées établies à sa charge » et « [le demandeur]n'établit pas que le principe de la sécurité juridique auraitpartiellement ou totalement le même objet qu'une disposition du titre IIde la Constitution. En conséquence, l'article 26, § 4, précité de la loispéciale sur la Cour constitutionnelle n'est pas applicable en l'espèce ».

L'affirmation du demandeur quant à ce n'étant pas contestée, l'arrêtattaqué n'a pu lui faire grief de ne pas avoir établi que « le principe dela sécurité juridique [avait] partiellement ou totalement le même objetqu'une disposition du titre II de la Constitution » sans violer sesdroits de la défense.

Surtout, il ressort, à l'évidence, des considérants B.11.1 à B.20 del'arrêt de la Cour constitutionnelle du 7 décembre 2005 que l'examen parcelle-ci d'une possible violation du principe de non-rétroactivité deslois participe à la fois du principe de la sécurité juridique, desarticles 10 et 11 de la Constitution, de l'article 6 de la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et del'article 1^er du Premier Protocole additionnel à ladite convention.

Le demandeur poursuivait son raisonnement en se référant à l'article 9, §2, de la loi sur la Cour constitutionnelle, qui dispose que « les arrêtsrendus par la Cour constitutionnelle portant rejet des recours enannulation sont obligatoires pour les juridictions en ce qui concerne lesquestions de droit tranchées par ces arrêts ».

De cette disposition lue en combinaison avec l'article 26, § 4, ildéduisait que les cours et tribunaux sont, en la matière, liés par l'arrêtprononcé par la Cour constitutionnelle le 7 décembre 2005.

La cour d'appel de Liège en a d'ailleurs décidé ainsi, sur la seule basede l'article 9, § 2, pris isolément, dans un arrêt du 11 septembre 2009.

Ce point de vue était également exprimé par la meilleure doctrine dèsavant l'entrée en vigueur de la loi spéciale du 12 juillet 2009.

Dans son arrêt du 7 décembre 2005, la Cour constitutionnelle a rejeté lesrecours en annulation pris de la violation des articles 10 et 11 de laConstitution, du principe de la sécurité juridique, de l'article 6 de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertésfondamentales et de l'article 1^er du Premier Protocole additionnel àcette convention.

En prétendant « examiner in concreto si l'application de l'article 49 dela loi programme du 9 juillet 2004 est conforme au principe de la sécuritéjuridique, compte tenu des circonstances invoquées », l'arrêt attaquéajoute au texte de la loi spéciale sur la Cour constitutionnelle etviole l'article 9, § 2, de cette loi, pris isolément ou lu en combinaisonavec l'article 26, § 4, de celle-ci.

Deuxième branche

Par son arrêt du 11 septembre 2012, la Cour européenne des droits del'homme a déclaré irrecevable le recours introduit contre l'article 49 dela loi-programme du 9 juillet 2004 et contre l'arrêt de la Courconstitutionnelle du 7 décembre 2005.

Les griefs invoqués étaient les suivants :

- violation de l'article 6, § 1^er, de la Convention de sauvegarde desdroits de l'homme et des libertés fondamentales et du droit à un procèséquitable pour intervention de l'État dans des procédures en cours ;

- violation de l'article 6, § 1^er, de la Convention, dès lors que,suivant les requérants, la Cour constitutionnelle ne présente pas lesgaranties suffisantes d'indépendance et d'impartialité ;

- violation de l'article 6, § 1^er, de la Convention pour dépassement dudélai raisonnable dans le traitement des réclamations fiscales desrequérants ;

- violation de l'article 1^er du Premier Protocole additionnel à laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertésfondamentales, l'article 49 ayant privé les requérants de leur droit à laprescription de leur dette fiscale ;

- violation de l'article 14 de la Convention, lu en combinaison avecl'article 1^er du Premier Protocole, dès lors que, suivant les requérants,l'article 49 les discrimine par rapport à des débiteurs de droit commun.

En ce qui concerne l'article 6, § 1^er, la Cour européenne des droits del'homme a constaté :

- dès lors que le contentieux fiscal échappe au champ des droits etobligations de caractère civil, cette disposition n'est pas applicablesous son volet civil aux procédures relatives aux réclamations fiscalesdes requérants ;

- la même conclusion s'impose s'agissant de la procédure devant la Courconstitutionnelle, puisqu'il est manifeste qu'elle ne visait pas àtrancher une contestation sur les droits et obligations de caractère civil;

- les procédures dont il est question n'ont pas trait à une accusation enmatière pénale.

En ce qui concerne l'article 1^er du Premier Protocole, cette cour aconstaté que les dettes fiscales en question, étant contestées, ne sontque potentielles. Or, suivant la Cour, l'espoir de se voir libéré d'unedette potentielle ne saurait être assimilé à un bien au sens de l'article1^er du Premier Protocole.

En ce qui concerne l'article 14 de la Convention, il ne peut y avoir,suivant la Cour, de violation de cette disposition qu'en combinaison avecune autre disposition de la Convention. En l'occurrence, les requérantsinvoquaient la violation de l'article 14 lu en combinaison avec l'article1^er du Premier Protocole. La Cour ayant conclu à l'inapplicabilité decette disposition, elle n'a pu que constater l'inapplicabilité del'article 14 lu en combinaison avec celle-ci.

Suivant l'arrêt attaqué, « cette décision n'est pas applicable au casd'espèce, dès lors que le recours vise un défaut d'indépendance etd'impartialité de la Cour constitutionnelle [...] et, dans le cadre de laprocédure relative à [la] réclamation fiscale, une violation d[u] droit[des requérants] à un procès équitable et de leur droit à voir leur causejugée dans un délai raisonnable' (point A.22) ».

L'arrêt attaqué précise que « la question a pour objet le recouvrement decotisations fiscales et, plus particulièrement, la prescription du droitau recouvrement de celles-ci. Dès lors qu'il ne concerne pasl'établissement de l'impôt mais son recouvrement, le droit en cause dansle litige est un droit civil au sens de l'article 6 de la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».

Ce faisant, il donne une interprétation erronée et réductrice de l'arrêtde la Cour européenne des droits de l'homme du 11 septembre 2012.

Par cet arrêt, la Cour européenne des droits de l'homme a en effet rappelé« qu'en dépit des effets patrimoniaux qu'il a sur la situation descontribuables, le contentieux fiscal échappe au champ des droits etobligations de caractère civil » et ajouté que « l'article 6, § 1^er,n'est donc pas applicable sous son volet civil aux procédures relativesaux réclamations fiscales des requérants ».

Par son arrêt du 7 décembre 2005, la Cour constitutionnelle, qui, pour cequi la concerne, avait examiné la question de la violation, par l'article49 de la loi-programme du 9 juillet 2004, de l'article 6 de la Conventionde sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, avaitsynthétisé la problématique de la manière suivante : « Ces contribuablesne sont pas davantage privés du droit à un recours effectif ou à unprocès équitable puisqu'ils conservent le droit de poursuivre devant lajuridiction compétente la réclamation qu'ils ont introduite pourcontester l'impôt qui leur était réclamé. Si la loi attaquée exercera uneinfluence sur des procédures pendantes, elle ne modifie pas le droitfiscal matériel qui s'y applique et, en ce qu'elle exerce une influencesur la prescription des dettes contestées, celle-ci est justifiée par lesmotifs impérieux d'intérêt général mentionnés ci-avant » (B.24.3).

Il s'agit donc bien d'examiner l'incidence de la disposition rétroactivede l'article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 sur des procéduresfiscales en cours et, en réalité, c'est strictement la même controversequi a été portée tantôt devant la Cour constitutionnelle, tantôt devant laCour européenne des droits de l'homme et tantôt devant la cour d'appel deBruxelles dans la présente cause.

Force est, du reste, à l'arrêt attaqué de reconnaître que, « en ce quiconcerne l'effet rétroactif d'une loi qui a pour effet d'intervenir dansdes litiges fiscaux en cours, les mesures tendant à assurer le paiementdes impôts doivent ménager un juste équilibre entre l'intérêt général etla protection des droits fondamentaux de l'individu ».

Surabondamment, la présente procédure a été portée devant le premier jugeconformément à l'article 1385decies du Code judiciaire.

L'arrêt attaqué n'a dès lors pu, sans violer les articles 6, § 1^er, de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertésfondamentales et 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004, et sans secontredire (violation de l'article 149 de la Constitution), refuser, aprèsque la Cour européenne des droits de l'homme eut déclaré irrecevable lerecours introduit contre ledit article 49 fondé sur une violation del'article 6, § 1^er, précité, d'examiner la conformité de la première deces disposition à la seconde.

Troisième branche

L'arrêt attaqué considère que, contrairement à la Cour constitutionnelle,qui exerce un contrôle in abstracto de la conformité de l'article 49 de laloi-programme du 9 juillet 2004 à la Constitution, lu en combinaison avecdes droits fondés sur la Convention de sauvegarde des droits de l'homme etdes libertés fondamentales, sans se pencher sur la situation concrète despersonnes concernées par cette question, la cour d'appel doit examiner inconcreto si l'application de l'article 49 au défendeur est conforme auprincipe de la sécurité juridique, compte tenu des circonstancesinvoquées.

Pour justifier cet examen in concreto, il fait valoir que « [le défendeur]a introduit, devant le premier juge, sa demande dont l'objet est deconstater la prescription du recouvrement des cotisations litigieuses,sur la base de la jurisprudence de la Cour de cassation, le 14 novembre2003, soit bien avant l'adoption de l'article 49 de la loi-programme du 9juillet 2004 et même avant l'adoption de la loi-programme du 22 décembre2003, qui a introduit les articles 443bis et 443ter dans le Code desimpôts sur les revenus 1992, en ce qui concerne la prescription des droitsdu Trésor », que, « au moment où [le défendeur] a introduit sa demandedevant le premier juge, il pouvait légitimement s'attendre à ce que letribunal de première instance constate la prescription du recouvrement descotisations litigieuses, en faisant application de la jurisprudence de laCour de cassation concernant l'effet des commandements interruptifs de laprescription », et que , « à ce moment, [le défendeur] ne pouvait pass'attendre à ce que le législateur adopte une loi rétroactive afin decontrecarrer les effets des arrêts de la Cour de cassation et éviter laprescription du recouvrement des cotisations contestées, avant l'entrée envigueur des articles 443bis et 443ter du Code des impôts sur les revenus1992 ».

Or, dès la prononciation des arrêts de la Cour de cassation des 10 octobre2002, 21 février 2003, 27 février et 12 mars 2004, de nombreuxcontribuables ont cherché à tirer parti de cette jurisprudence eninvoquant la prescription de leurs impositions.

Plusieurs des parties requérantes devant la Cour constitutionnelle avaientd'ailleurs déjà engagé des actions afin d'entendre prononcer laprescription de leurs dettes d'impôts contestés.

C'est précisément pour contrecarrer cet effet d'aubaine que le législateurest intervenu.

L'intervention législative était d'ailleurs, contrairement à ce qu'affirmel'arrêt attaqué, hautement prévisible.

Ce point de vue a été souligné par la doctrine : « [c]ette jurisprudence,catastrophique du point de vue de l'intérêt public, appelait évidemmentune réaction législative» ou, sous une formulation interrogative :«[p]eut-on raisonnablement admettre que le législateur serait demeurésans réaction pour empêcher que les innombrables cotisations contestéespour lesquelles le cours de la prescription n'avait pas été interrompusoient prescrites ? Poser la question, c'est y répondre ».

Lorsque la Cour constitutionnelle a dit pour droit que « la mesure estjustifiée par des circonstances particulières et exceptionnelles etqu'elle est dictée par des motifs impérieux d'intérêt général », elle apris en compte toutes les facettes de la problématique de la rétroactivitéde l'article 49.

Elle a d'ailleurs précisé que « le fait que [des contribuables] ont pu, demanière inattendue, espérer bénéficier de la jurisprudence de la Cour decassation ne peut priver de justification l'intervention du législateur ».

Au surplus, une éventuelle violation de l'article 6, § 1^er, de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertésfondamentales ne se conçoit que pour les contribuables qui, comme ledéfendeur, avaient introduit une demande visant à faire constater laprescription de leurs impositions avant l'adoption de la loi-programme du9 juillet 2004.

En effet, la nouvelle législation ne peut avoir exercé une influence surles procédures en cours que si la procédure judiciaire visant à faireconstater la prescription était déjà introduite au moment où la mesure estentrée en vigueur.

Cela signifie que, lorsque la Cour constitutionnelle s'est prononcée surla question de la violation de l'article 6, § 1^er, de la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, elle anécessairement rencontré le cas de tous les contribuables, tel ledéfendeur, qui ont introduit leur demande avant l'adoption de la loi.

Le cas du défendeur n'a donc rien de spécifique et la considération del'arrêt attaqué suivant laquelle, «[c]ompte tenu des circonstances enl'espèce, l'application de l'article 49 de la loi-programme du 9 juillet2004 avec effet rétroactif viole le principe de la sécurité juridique etle droit au procès équitable [du défendeur], en ce que l'applicationrétroactive de cette disposition a pour effet de modifier la solution dulitige en cours, alors qu'il ne pouvait pas s'attendre à une telleintervention du législateur au moment où il a introduit sa demande », nerésulte pas d'un examen in concreto afin de déterminer si l'applicationde l'article 49 au défendeur est conforme au principe de la sécuritéjuridique mais constitue un habillage maladroit visant à remettre en causele contrôle de conventionnalité effectué par la Cour constitutionnelle.

En décidant de la sorte, l'arrêt attaqué viole les articles 9, § 1^er, dela loi sur la Cour constitutionnelle, même dans l'interprétation erronéequ'il en donne, 149 de la Constitution, en ce qu'il contredit ses propresmotifs, et 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004, dont la conformitéaux articles 10 et 11 de la Constitution et à l'article 6, § 1^er, de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertésfondamentales a été consacrée par l'arrêt n° 177/2005 de la Courconstitutionnelle du 7 décembre 2005.

Quatrième branche

Suivant l'arrêt attaqué, l'arrêt de la Cour européenne des droits del'homme du 11 septembre 2012 « n'est pas applicable au cas d'espèce, dèslors que le recours vise 'un défaut d'indépendance et d'impartialité de laCour constitutionnelle [...] et, dans le cadre de la procédure relative à[la] réclamation fiscale, une violation d[u] droit [des requérants] à unprocès équitable et de leur droit à voir leur cause jugée dans un délairaisonnable' » et que « tel n'est pas l'objet du présent litige ».

Ce recours a effectivement été jugé irrecevable, la Cour européenne desdroits de l'homme ayant rappelé « qu'en dépit des effets patrimoniauxqu'il a sur la situation des contribuables, le contentieux fiscal échappeau champ des droits et obligations de caractère civil ».

C'est dès lors en parfaite contradiction avec ses propres motifs et avecl'enseignement de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du11 septembre 2012 que l'arrêt attaqué, toujours dans le cadre d'unprétendu examen in concreto de la conformité de l'article 49 de laloi-programme du 9 juillet 2004 au principe de la sécurité juridique,refuse d'appliquer cette disposition par les considérations que « [ledemandeur] ne démontre en effet pas que la nécessité d'interrompre laprescription des cotisations litigieuses par la signification decommandements se justifie par les nécessités de l'instruction desréclamations et ne résulte pas d'une carence de l'administration à statuerdans un délai raisonnable sur ces réclamations » et que, « [à] défaut demotifs permettant de justifier la longueur du délai nécessaire àl'instruction des réclamations, [le demandeur] ne peut se prévaloir decirconstances exceptionnelles ou de motifs impérieux d'intérêt général quipermettent l'application rétroactive de l'article 49 de la loi-programmedu 9 juillet 2004 aux cotisations litigieuses ».

Ce faisant, l'arrêt viole les articles 6, § 1^er, de la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 149 de laConstitution et 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004.

I. La décision de la Cour

Sur le premier moyen :

Quant à la première branche :

Dès lors que l'arrêt attaqué ne statue pas sur la validité des cotisationslitigieuses, que, comme le défendeur le demandait à titre principal, ildéclare prescrites, la circonstance qu'il prête à la requête introductived'instance de celui-ci une demande subsidiaire portant sur cette validitéqu'elle ne formulerait pas est sans incidence sur la légalité de sadécision.

Dénué d'intérêt, le moyen, en cette branche, est, comme le soutient ledéfendeur, irrecevable.

Quant à la seconde branche :

L'arrêt attaqué constate qu'« il n'avait toujours pas été statué sur [les]réclamations [du défendeur contre les cotisations litigieuses] au momentdu dépôt de la requête » dont celui-ci a saisi le premier juge le 14novembre 2003.

Il s'ensuit que l'arrêt attaqué, qui, par les motifs que le moyenreproduit et critique, n'examine que de manière théorique les possibilitésd'interrompre la prescription lorsque des cotisations sont contestéesdevant une juridiction, ne statue pas sur un recours fiscal étranger aulitige.

Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Sur le deuxième moyen :

Quant à la première branche :

Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen, en cette branche, par ledéfendeur et déduite de son imprécision :

Le moyen, en cette branche, ne précise pas les motifs de l'arrêt attaquéentre lesquels il dénonce une contradiction.

Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen, en cette branche, par ledéfendeur et déduite du défaut d'intérêt :

L'arrêt attaqué, qui, ainsi qu'il a été dit, constate qu'il n'avait pasencore été statué sur les réclamations du défendeur contre les cotisationslitigieuses au moment où celui-ci a saisi le premier juge de la demande àlaquelle il fait droit, considère que, « pour se prévaloir del'impossibilité légale prévue à l'article 2251 du Code civil, [ledemandeur] doit établir qu'en raison de circonstances propres à cesréclamations, il ne pouvait raisonnablement pas rendre de décisions surcelles-ci avant l'expiration du délai de prescription quinquennale durecouvrement des cotisations litigieuses », que, « si ces circonstances nesont pas démontrées, il n'est pas établi que l'impossibilité d'interromprela prescription par le recours à des mesures d'exécution forcée, dans ledélai initial de cinq ans, trouve sa cause dans l'impossibilité légaleprévue à l'article 410 du Code des impôts sur les revenus 1992 plutôt que[dans] la carence [du demandeur] [de] statuer sur les réclamations dans undélai raisonnable compte tenu des circonstances de l'espèce », et qu'« enl'espèce, [le demandeur] ne justifie pas de l'existence de tels motifspropres aux réclamations en cause », de sorte qu'il « ne peut se prévaloirde l'article 2251 du Code [civil] ».

Il suit de ces motifs que l'arrêt attaqué considère que la prescription dela cotisation litigieuse est acquise, non parce que le régime légal del'article 410 du Code des impôts sur les revenus 1992 ne pourrait pasconstituer un empêchement justifiant, sur la base de l'article 2251 duCode civil, la suspension de son cours, mais parce que le directeur descontributions directes a négligé de statuer dans un délai raisonnable surles réclamations du défendeur.

Le moyen, qui, en cette branche, ne critique pas ces motifs qui suffisentà fonder la décision de l'arrêt, ne saurait, dès lors, entraîner lacassation de celle-ci et est, partant, dénué d'intérêt.

Les fins de non-recevoir sont fondées.

Quant à la deuxième branche :

Si le moyen, en cette branche, expose que les motifs de l'arrêt attaquéreproduits en réponse à la première branche du moyen ajoutent àl'enseignement des arrêts de la Cour auxquels il se réfère, il ne précisepas en quoi ces motifs violeraient les articles 2251 du Code civil et 410du Code des impôts sur les revenus 1992.

Le moyen, en cette branche, est, comme le soutient le défendeur,irrecevable.

Quant à la troisième branche :

L'arrêt attaqué ne considère pas que la prescription des cotisationslitigieuses a été interrompue par le dépôt de conclusions.

Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Sur le troisième moyen :

Quant à la première branche :

Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen, en cette branche, par ledéfendeur et déduite de ce que, en tant qu'il fait grief à l'arrêt attaquéde violer le droit de défense du demandeur, il n'indique pas la loi quiserait violée :

Le moyen, en cette branche, n'invoque ni la méconnaissance du principegénéral du droit relatif au respect des droits de la défense ni laviolation d'aucune disposition légale en relation avec le grief qu'il faità l'arrêt attaqué de violer le droit de défense du demandeur.

La fin de non-recevoir est fondée.

Sur le surplus du moyen, en cette branche :

Aux termes de l'article 26, § 4, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 surla Cour constitutionnelle, tel qu'il s'applique au litige, lorsque estinvoquée devant une juridiction la violation par une loi, un décret ou unerègle visée à l'article 134 de la Constitution d'un droit fondamentalgaranti de manière totalement ou partiellement analogue par unedisposition du titre II de la Constitution ainsi que par une dispositionde droit européen ou de droit international, la juridiction est tenue deposer d'abord à la Cour constitutionnelle une question préjudicielle surla compatibilité avec la disposition du titre II de la Constitution.

Il ne résulte pas de cette disposition que la compétence de la Courconstitutionnelle s'étende à l'examen de la conformité des normes de droitinterne qui y sont visées aux normes de droit européen ou de droitinternational qui consacrent des droits fondamentaux également garantis demanière partiellement ou totalement analogue par une disposition du titreII de la Constitution.

Il s'ensuit que, lorsque la Cour constitutionnelle étend à ces normes dedroit européen ou de droit international l'examen de la conformité d'unenorme de droit interne à une disposition du titre II de la Constitution,sa décision n'a, dans la mesure où elle porte sur lesdites normes du droitinternational conventionnel directement applicables, pas l'autorité quelui attribue l'article 9, § 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989.

Dans la mesure où il est recevable, le moyen, qui, en cette branche,soutient le contraire, manque en droit.

Quant à la deuxième branche :

Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen, en cette branche, par ledéfendeur et déduite de ce qu'il n'indique pas la loi qui a approuvé laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertésfondamentales :

Le moyen, qui, en cette branche, invoque la violation de l'article 6 de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertésfondamentales, ne précise pas la loi qui a approuvé cette convention.

Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen, en cette branche, par ledéfendeur et déduite de son imprécision :

Le moyen, en cette branche, ne précise pas les motifs de l'arrêt attaquéentre lesquels il dénonce une contradiction.

Les fins de non-recevoir sont fondées.

Sur le surplus du moyen, en cette branche :

L'arrêt attaqué ne saurait violer l'article 49 de la loi-programme du 9juillet 2004 en décidant d'examiner sa conformité à l'article 6 de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertésfondamentales.

Dans la mesure où il est recevable, le moyen, en cette branche, ne peutêtre accueilli.

Quant à la troisième branche :

Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen, en cette branche, par ledéfendeur et déduite de son imprécision :

Le moyen, en cette branche, ne précise pas les motifs de l'arrêt attaquéentre lesquels il dénonce une contradiction.

La fin de non-recevoir est fondée.

Sur le surplus du moyen, en cette branche :

D'une part, ainsi qu'il a été dit en réponse à la première branche dumoyen, l'autorité que l'article 9, § 1^er, de la loi spéciale du 6 janvier1989 attribue aux arrêts de la Cour constitutionnelle ne s'étend pas auxdispositions de ces arrêts qui statuent sur la conformité d'une norme dudroit interne visée à l'article 26, § 4, de cette loi à une norme du droitinternational conventionnel ayant un effet direct en droit interne.

D'autre part, l'arrêt attaqué ne se prononce pas sur la conformité del'article 49 de la loi-programme du 9 juillet 2004 aux articles 10 et 11de la Constitution.

Dans la mesure où il est recevable, le moyen, en cette branche, ne peutêtre accueilli.

Quant à la quatrième branche :

D'une part, le moyen, qui, en cette branche, invoque la violation del'article 6, § 1^er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'hommeet des libertés fondamentales, ne précise pas la loi qui a approuvé cetteconvention.

D'autre part, la contradiction de motifs que dénonce le moyen, en cettebranche, suppose de déterminer le champ d'application dudit article 6, §1^er, dont l'arrêt attaqué fait application.

Pareil grief est étranger à la règle de forme de l'article 149 de laConstitution.

Pour le surplus, l'arrêt ne saurait violer l'article 49 de laloi-programme du 9 juillet 2004 en tenant, par application du principegénéral du droit de la primauté sur toute norme du droit interne d'unenorme du droit international directement applicable, cette dispositionpour contraire à l'article 6, § 1^er, précité.

Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.

Par ces motifs,

* La Cour

Rejette le pourvoi ;

* Condamne le demandeur aux dépens.

* Les dépens taxés à la somme de trois cent dix-sept euros dix centimesenvers la partie demanderesse.

* Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient le président de section Christian Storck, le conseillerDidier Batselé, les présidents de section Albert Fettweis et MartineRegout et le conseiller Sabine Geubel, et prononcé en audiencepublique du vingt-neuf septembre deux mille dix-sept par le présidentde section Christian Storck, en présence du premier avocat généralAndré Henkes, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+--------------------------------------------------------------------+
| P. De Wadripont | S. Geubel | M. Regout |
|-----------------------+---------------------+----------------------|
| A. Fettweis | D. Batselé | Chr. Storck |
+--------------------------------------------------------------------+

29 SEPTEMBRE 2017 F.15.0010.F/48


Synthèse
Numéro d'arrêt : F.15.0010.F
Date de la décision : 29/09/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2017
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2017-09-29;f.15.0010.f ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award