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29/09/2017 | BELGIQUE | N°C.15.0269.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 29 septembre 2017, C.15.0269.F


Cour de cassation de Belgique

Arrêt

N° C.15.0269.F

ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Affaires étrangères, dont lecabinet est établi à Bruxelles, rue des Petits Carmes, 15,

demandeur en cassation,

représenté par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où ilest fait élection de domicile,

contre

 A. A.,

défendeur en cassation,

représenté par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est éta

bli à Bruxelles, avenue Louise, 65, où il est faitélection de domicile.

I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassatio...

Cour de cassation de Belgique

Arrêt

N° C.15.0269.F

ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Affaires étrangères, dont lecabinet est établi à Bruxelles, rue des Petits Carmes, 15,

demandeur en cassation,

représenté par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, où ilest fait élection de domicile,

contre

 A. A.,

défendeur en cassation,

représenté par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 65, où il est faitélection de domicile.

I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 9 septembre2014 par la cour d'appel de Bruxelles.

Le 6 septembre 2017, le premier avocat général André Henkes a déposé desconclusions au greffe.

Le président de section Christian Storck a fait rapport et le premieravocat général André Henkes a été entendu en ses conclusions.

II. Les moyens de cassation

Le demandeur présente quatre moyens, dont le premier est libellé dans lestermes suivants :

Dispositions légales violées

- articles 149 et 159 de la Constitution ;

- articles 584, alinéa 1^er, et 1039, alinéa 1^er, du Code judiciaire ;

- articles 1^er et 3 de la Convention de sauvegarde des droits del'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 etapprouvée par la loi du 13 mai 1955 ;

- articles 5 et 36 de la Convention sur les relations consulaires, signéeà Vienne le 24 avril 1963 et approuvée par la loi du 17 juillet 1970 ;

- article 53 de la Convention sur le droit des traités, signée à Vienne le23 mai 1969 et approuvée par la loi du 10 juin 1992 ;

- principe général du droit selon lequel une norme de droit internationalconventionnel ayant des effets directs dans l'ordre juridique interne doitprévaloir sur le droit interne ;

- principe général du droit de la séparation des pouvoirs, tel qu'ils'induit notamment des articles 33, spécialement alinéa 2, 36, 40, 109,144 et 145 de la Constitution et 6 du Code judiciaire ;

- principe général du droit, dit principe de légalité, suivant lequel lejuge ne peut appliquer une disposition qui viole une norme supérieure ;

- principe général du droit international public constituant une norme duius cogens interdisant la torture et les traitements inhumains oudégradants.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt « dit l'appel incident seul fondé dans la mesure précisée ci-après; confirmant l'ordonnance entreprise en tant qu'elle dit recevable lademande originaire [du défendeur] et statue sur les dépens, ordonne [audemandeur] de requérir de l'État du Maroc de permettre aux autoritésconsulaires belges au Maroc de rendre hebdomadairement visite [audéfendeur] et de s'entretenir avec lui, à la prison où il purge sa peine,et ce, pendant une période de six mois prenant cours le jour auquel cesvisites auront été permises par l'État du Maroc ; dit que [le demandeur]sera redevable d'une astreinte de cent euros par jour de retard pour lecas où il n'aurait pas exprimé cette demande dans le mois de lasignification du présent arrêt », et condamne le demandeur aux dépensd'appel.

Pour prononcer ce dispositif, l'arrêt écarte les conclusions parlesquelles le demandeur invoquait qu'il ne pouvait se voir imposerd'exercer l'assistance consulaire envers le défendeur ou l'un quelconquede ses ressortissants mais qu'il « entend bien poursuivre ses actions surle plan du droit international des droits de l'homme ; [qu'il] entendplus spécifiquement réitérer auprès du royaume du Maroc ses démarchesvisant à se tenir informé du respect par les autorités marocaines desdroits internationaux des droits de l'homme à l'égard [du défendeur] etinsister auprès du royaume du Maroc pour qu'il apporte un suivi effectifaux observations et demandes du rapporteur spécial des Nations Uniescontre la torture, M. J. M., concernant [le défendeur] ».

Ces décisions se fondent notamment sur les motifs suivants :

« L'article 5, e), de la Convention de Vienne [sur les relationsconsulaires du 24 avril 1963], sous le titre `Fonctions consulaires',prévoit que ces fonctions consistent à `prêter secours et assistance auxressortissants, personnes physiques et morales, de l'État d'envoi' ;

Selon la brochure éditée par le service public fédéral des Affairesétrangères, produite […] par [le défendeur] : `l'éventail des servicesque peuvent vous procurer nos représentations diplomatiques etconsulaires est fonction des situations et du pays où a lieul'arrestation ; à titre d'illustration, vous trouverez ci-dessous unaperçu des différents services que ces représentations peuvent, à votredemande, vous assurer : - informer votre famille ou vos proches au sujetde votre arrestation ; - en dehors de l'Europe, vous aider à correspondreavec votre famille ou vos proches ; - entretenir un contact direct etrégulier avec vous, si le besoin s'en fait sentir [...] ; - veiller à ceque les conditions de votre détention s'opèrent dans le respect desdroits de l'homme et qu'elles ne soient pas qualitativement inférieures àcelles que l'État où a été prononcée la condamnation réserve à sespropres ressortissants ; - vous fournir, ainsi qu'à votre famille, desrenseignements sur le système carcéral du pays ; - veiller à ce que vosconditions de vie soient décentes, notamment en ce qui concerne lanourriture et les soins médicaux ; - dans les pays en dehors de l'Europeoù les conditions de détention sont très difficiles : s'occuper del'achat, à vos frais et dans la limite de ce qui est permis, denourriture, de vêtements ainsi que d'autres biens de première nécessitéque vous ne pourriez vous procurer en milieu carcéral' ».

Après avoir reproduit intégralement l'article 36 de la Convention deVienne sur les relations consulaires, l'arrêt poursuit :

« Prima facie, et ainsi que semble également l'indiquer la circulairereproduite ci-dessus, l'article 5 précité oblige chaque État partie à laconvention à prêter secours et assistance à ses ressortissants qui en fontla demande et qui se trouvent en situation de besoin, la forme de l'aideconsulaire pouvant varier selon les besoins et circonstances ;

L'article 36 impose pour sa part à l'État de résidence des obligationsprécises qui sont destinées à `faciliter' (voir le texte de ladisposition en cause) le secours et l'assistance dus par l'État d'envoienvers ses nationaux. Le respect de ces obligations peut être exigé del'État de résidence, tant par le ressortissant lui-même que par son État ;

Même s'il fallait lire dans l'article 5 de la Convention de Vienne du 24avril 1963 l'expression d'une faculté discrétionnaire laissée à chaqueÉtat signataire envers ses ressortissants, cette faculté se transformeraiten tout état de cause en obligation lorsqu'un ressortissant subit dans unautre État des atteintes graves à son intégrité physique et morale et destraitements que le ius cogens et les conventions internationalesauxquelles cet État a également adhéré répriment, le pouvoirdiscrétionnaire cédant alors le pas devant l'obligation de mettre en œuvreles moyens dont cet État dispose pour tenter de mettre un terme à cesatteintes ;

[Les] conditions de détention [du défendeur dans les prisons marocaines]sont manifestement attentatoires au droit fondamental du ius cogens de nepas subir des traitements inhumains et dégradants ;

Elles sont également contraires aux articles 1^er et 3 de la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, quireconnaissent le droit subjectif de ne pas subir de traitements inhumainset dégradants et des actes de torture et obligent les États signataires,non seulement à s'abstenir de tels comportements, mais également à prendredes dispositions raisonnables pour éviter que des personnes qui relèventde leur juridiction ne subissent de tels traitements dans un autre État(voir à cet égard les arrêts de la Cour européenne des droits de l'hommecités par [le défendeur] en conclusions) ;

Sur ce point, l'État belge ne peut être suivi lorsqu'il prétend que sajuridiction ne se trouverait étendue en dehors de son territoire qu'à lacondition que et à partir du moment où lui-même ou l'agent consulaire`s'est effectivement engagé dans l'assistance consulaire ou a décidéd'intervenir à l'égard d'un individu' mais non lorsque, `comme enl'espèce, l'État ou les autorités consulaires ou diplomatiques ont décidéde ne pas octroyer leur assistance consulaire' ;

La notion de pouvoir de juridiction, au sens de l'article 1^er de laconvention précitée, d'un État sur un individu ne dépend pas de la volontédiscrétionnaire de cet État mais d'une situation de fait et de droit delaquelle il résulte, soit que l'individu se trouve sur le territoire decet État, soit qu'au regard de faits particuliers, il existe descirconstances exceptionnelles susceptibles d'emporter l'exercice par cetÉtat de sa juridiction à l'extérieur de ses propres frontières. Elle naîtainsi des actes et abstentions des agents diplomatiques ou consulairesprésents en territoire étranger dès lors que ces agents exercent uneautorité et un contrôle sur autrui (voir l'arrêt de la Cour européenne desdroits de l'homme du 7 juillet 2011, Al-Skeini et autres c/ Royaume Uni).L'État belge qui prétend exercer le pouvoir discrétionnaire d'accorder ounon une protection consulaire à un ressortissant ne peut nier, sans secontredire, qu'il exerce une forme d'autorité et de contrôle sur celui-ci.Son objection selon laquelle `tout État ne disposant pas d'un posteconsulaire dans chaque pays du monde violerait la convention etengagerait sa responsabilité' est manifestement hors de propos ;

Il résulte de ces considérations qu'en tout état de cause, en l'espèce etprima facie, les articles 5 et 36 de la Convention de Vienne sur lesrelations consulaires requièrent que l'État belge prête son assistanceconsulaire [au défendeur] en exigeant des autorités marocaines le respectde l'article 36, § 1^er, c), de [cette] convention ».

Griefs

I. La Belgique et le Maroc sont tous deux parties à la Convention sur lesrelations consulaires signée à Vienne le 24 avril 1963, entrée en vigueurle 19 mars 1967 : la Belgique a ratifié la Convention (après approbationpar la loi du 17 juillet 1970) le 9 septembre 1970, le Maroc y a adhéré le23 février 1977.

Cet instrument international contient les dispositions suivantes :

Article 5

« Fonctions consulaires

Les fonctions consulaires consistent à :

a) protéger dans l'État de résidence les intérêts de l'État d'envoi et deses ressortissants, personnes physiques et morales, dans les limitespermises par le droit international ; […]

e) prêter secours aux ressortissants, personnes physiques et morales, del'État d'envoi ».

Article 36

« Communication avec les ressortissants de l'État d'envoi

1. Afin que l'exercice des fonctions consulaires relatives auxressortissants de l'État d'envoi soit facilité :

a) Les fonctionnaires consulaires doivent avoir la liberté de communiqueravec les ressortissants de l'État d'envoi et de se rendre auprès d'eux.Les ressortissants de l'État d'envoi doivent avoir la même liberté decommuniquer avec les fonctionnaires consulaires et de se rendre auprèsd'eux ;

b) Si l'intéressé en fait la demande, les autorités compétentes de l'Étatde résidence doivent avertir sans retard le poste consulaire de l'Étatd'envoi lorsque, dans sa circonscription consulaire, un ressortissant decet État est arrêté, incarcéré ou mis en état de détention préventive outoute autre forme de détention. Toute communication adressée au posteconsulaire par la personne arrêtée, incarcérée ou mise en état dedétention préventive ou toute autre forme de détention doit également êtretransmise sans retard par lesdites autorités. Celles-ci doivent sansretard informer l'intéressé de ses droits aux termes du présent alinéa ;

c) Les fonctionnaires consulaires ont le droit de se rendre auprès d'unressortissant de l'État d'envoi qui est incarcéré, en état de détentionpréventive ou toute autre forme de détention, de s'entretenir et decorrespondre avec lui et de pourvoir à sa représentation en justice. Ilsont également le droit de se rendre auprès d'un ressortissant de l'Étatd'envoi qui, dans leur circonscription, est incarcéré ou détenu enexécution d'un jugement. Néanmoins, les fonctionnaires consulaires doivents'abstenir d'intervenir en faveur d'un ressortissant incarcéré ou mis enétat de détention préventive ou toute autre forme de détention lorsquel'intéressé s'y oppose expressément.

2. Les droits visés au paragraphe 1^er du présent article doivents'exercer dans le cadre des lois et règlements de l'État de résidence,étant entendu, toutefois, que ces lois et règlements doivent permettre lapleine réalisation des fins pour lesquelles les droits sont accordés envertu du présent article ».

Il ressort des termes non équivoques de ces dispositions, éclairés ausurplus par la jurisprudence des juridictions internationales et lapratique internationale, que, bien qu'elles confèrent un droit individuelau ressortissant de l'État d'envoi incarcéré dans l'État de résidence, ils'agit d'un droit subjectif dont le débiteur est exclusivement l'État derésidence [voyez en particulier les termes de l'article 36, § 1^er, b)].Les article 5 et 36 de la Convention de Vienne du 24 avril 1963,considérés isolément ou en combinaison l'un avec l'autre, dotent leressortissant étranger détenu de droits individuels qui sont lacontrepartie des obligations corrélatives de l'État de résidence. Lesdroits individuels créés par les articles 5 et 36 de cette convention,considérés isolément ou en combinaison l'un avec l'autre, peuvent êtreinvoqués, tant par la personne incarcérée que par l'État dont il a lanationalité, à l'encontre de l'État de résidence exclusivement.

En revanche, la personne détenue ne peut contraindre l'État d'envoi àexercer les prérogatives prévues par l'article 36, § 1^er, c). La questionsi et dans quelle mesure les intérêts d'un national incarcéré à l'étrangerdoivent être protégés par l'État dont il a la nationalité et si cetteprotection doit être exercée dans le cadre de l'assistance consulaire oupar d'autres voies est une question que le pouvoir exécutif doit régler aucas par cas. En conséquence, les articles 5 et 36 de la Convention deVienne du 24 avril 1963, considérés isolément ou en combinaison l'un avecl'autre, ne sauraient être raisonnablement interprétés comme donnant àl'étranger détenu le droit d'exiger de l'État dont il a la nationalitéqu'il exerce à son égard l'assistance consulaire.

Il n'en va pas autrement lorsqu'un ressortissant subit dans un autre Étatdes atteintes graves à son intégrité physique et morale et des traitementsréprimés par le ius cogens.

Certes, il existe un principe général du droit international, constituantune règle du ius cogens, qui interdit la torture et les traitementsinhumains ou dégradants. L'article 53 de la Convention de Vienne sur ledroit des traités dispose, sous l'intitulé « Traités en conflit avec unenorme impérative du droit international général (ius cogens) » : « Estnul tout traité qui, au moment de sa conclusion, est en conflit avec unenorme impérative du droit international général. Aux fins de la présenteconvention, une norme impérative du droit international général est unenorme acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dansson ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n'est permiseet qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droitinternational général ayant le même caractère ».

Ainsi que le demandeur l'a lui-même souligné dans ses conclusions d'appel,il résulte de ces principes et de l'ensemble du droit internationalgénéral que les États ont l'obligation de collaborer pour mettre fin àtoute violation grave de normes impératives du droit international, tellesles normes qui prohibent l'usage de la torture ou de traitementsinhumains ou dégradants. Il n'en résulte cependant pas que, pour tenter demettre un terme à de tels traitements, un État partie à la conventionserait obligé de recourir à l'assistance consulaire plutôt qu'à d'autresmécanismes d'intervention (tels que contacts intergouvernementaux,interventions devant des organismes internationaux), qu'il estimerait plusapproprié dans une situation déterminée.

II. L'article 1^er de la Convention de sauvegarde des droits de l'hommeet des libertés fondamentales dispose que « les hautes partiescontractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridictionles droits et libertés définis au titre 1^er de la présente convention ».L'article 3 de la même convention dispose que « nul ne peut être soumis àla torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». Àsupposer les conditions de l'article 1^er de la Convention de sauvegardedes droits de l'homme et des libertés fondamentales remplies et laConvention de Vienne sur les relations consulaires applicable, ces deuxdispositions ne sauraient être raisonnablement interprétées comme privantun État partie de sa liberté d'appréciation à l'égard des moyens à mettreen œuvre en faveur de l'un de ses ressortissants soumis à la torture ou àdes peines ou traitements inhumains ou dégradants dans un État non partieà cette convention. En particulier, les deux dispositions précitées nesauraient être raisonnablement interprétées comme obligeant un État partieà exercer l'assistance consulaire plutôt que d'autres formesd'intervention, lorsque l'un de ses ressortissants est soumis ou risqued'être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradantsdans un État non membre de la Convention de sauvegarde des droits del'homme et des libertés fondamentales où il est incarcéré.

III. Les cours et tribunaux connaissent de la demande d'une partie fondéesur un droit subjectif.

Pour qu'un justiciable puisse se prévaloir d'un pareil droit à l'égard del'autorité administrative, il faut que la compétence de cette autoritésoit liée. Un justiciable ne peut invoquer aucun droit subjectif à l'égarddu pouvoir exécutif ou d'une autorité administrative lorsque celle-cidispose d'un pouvoir d'appréciation à exercer au cas par cas à l'égard desmoyens à mettre en œuvre.

L'administration qui prend une décision en vertu de son pouvoirdiscrétionnaire bénéficie d'une liberté d'appréciation qui lui permet dedéterminer elle-même, dans les limites de la loi, les modalités d'exercicede ses compétences et les options qui lui semblent les plus adéquates.S'il a le pouvoir tant de prévenir que de réparer toute atteinteillicitement portée à des droits subjectifs par des autorités dansl'exercice de leur pouvoir discrétionnaire, le pouvoir judiciaire ne peut,à cette occasion, priver ces autorités de leur liberté politique ni sesubstituer à celles-ci.

Cette règle est également applicable au juge des référés.

S'il peut ordonner ou interdire certains actes à la lumière d'uneappréciation provisoire et marginale de la précaution avec laquellel'administration est tenue d'intervenir, le juge des référés ne peut endécider ainsi que s'il arrive raisonnablement à la conclusion quel'administration n'a pas agi dans les limites qui lui sont imposées.

Appelé à apprécier provisoirement la régularité de l'intervention desautorités, le juge des référés ne peut exclure le critère qui fonde ladécision de ces autorités sans constater que, prima facie, l'utilisationde ce critère n'est pas justifiée.

Il ne peut davantage y substituer personnellement des critères quientraînent une autre décision. En l'absence de faute de l'autoritépublique dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge ne peuts'immiscer dans cet exercice.

IV. Dès lors qu'elle n'est nécessaire que pour justifier la mesureprovisoire ordonnée, la motivation de la décision de référé est uniquementrelative aux droits apparents des parties. La décision rendue par le jugestatuant en référé est privée de base légale si le juge a donné de lanorme pertinente une interprétation qu'aucun autre juge devant appliquerla même norme n'aurait pu raisonnablement lui donner.

Première branche

Il ressort des motifs de l'arrêt reproduits en tête du moyen que la courd'appel, statuant en référé, a considéré que l'article 5 de la Conventionde Vienne du 24 avril 1963 « oblige chaque État partie à la convention àprêter secours et assistance à ses ressortissants qui en font la demandeet qui se trouvent en situation de besoin, la forme de l'aide consulairepouvant varier selon les besoins et circonstances », et a déduit de lacombinaison de cet article avec l'article 36 de la même convention quel'État d'envoi a l'obligation d'exercer l'assistance consulaire à l'égardd'un ressortissant incarcéré dans un autre État partie à la convention, àtout le moins lorsque ce ressortissant « subit dans un autre État desatteintes graves à son intégrité physique et morale et des traitements quele ius cogens et des conventions internationales auxquelles cet État aégalement adhéré répriment, le pouvoir discrétionnaire cédant alors le pasdevant l'obligation de mettre en œuvre les moyens dont cet État disposepour tenter de mettre un terme à ces atteintes ».

Ainsi que le demandeur l'a rappelé, les articles 5 et 36 de la Conventionde Vienne sur les relations consulaires, lus isolément ou en combinaisonl'un avec l'autre ou avec l'ensemble des normes impératives du droitinternational désignées par l'expression ius cogens, confèrent au détenuétranger des droits qui peuvent être exercés à l'égard de l'État derésidence exclusivement mais ne lui permettent pas de contraindre l'Étatd'envoi à exercer les prérogatives décrites à l'article 36 de cetteconvention, même lorsque le détenu a subi ou risque de subir la torture oudes traitements inhumains ou dégradants.

L'arrêt donne, dès lors, aux articles 5 et 36 de la Convention de Viennedu 24 avril 1963, lus isolément ou en combinaison avec l'ensemble desnormes impératives du droit international, une interprétation qu'aucunautre juge devant appliquer les mêmes normes n'aurait pu raisonnablementleur donner. La décision litigieuse est en conséquence privée de baselégale (violation de toutes les dispositions et principes généraux visésen tête du moyen, à l'exception des articles 149 et 159 de laConstitution, du principe général du droit de la séparation des pouvoirset du principe général du droit dit principe de légalité).

Deuxième branche

Ainsi que le demandeur l'a rappelé, les articles 1^er et 3 de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertésfondamentales ne sauraient être raisonnablement interprétés commeobligeant les États membres à exercer l'assistance consulaire prévue parl'article 36 de la Convention de Vienne du 24 avril 1963, combinée avecl'article 5 de celle-ci, à l'égard de l'un de leurs ressortissantsincarcéré dans un État non partie à la Convention de sauvegarde des droitsde l'homme et des libertés fondamentales où il subit ou risque de subirla torture ou d'autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. Lesmotifs reproduits dans l'énoncé du moyen ne peuvent, dès lors, légalementjustifier la décision prise par la juridiction de référé (violation detoutes les dispositions et principes généraux visés en tête du moyen, àl'exception des articles 149 et 159 de la Constitution, du principegénéral du droit de la séparation des pouvoirs et du principe général dudroit dit principe de légalité).

À tout le moins, les motifs de l'arrêt ne permettent pas de déterminerquelles conventions internationales autres que la Convention de sauvegardedes droits de l'homme et des libertés fondamentales auxquelles le Marocou la Belgique (l'arrêt laisse incertain quel est l'État visé) auraientadhéré imposeraient à la Belgique l'obligation d'exercer l'assistanceconsulaire à l'égard de l'un de ses ressortissants incarcéré au Maroc etsoumis dans cet État à des actes de torture ou à des peines ou traitementsinhumains ou dégradants mettant en péril son intégrité physique et morale,transformant ainsi une compétence discrétionnaire en compétence liée. Enraison de cette imprécision, qui ne permet pas de déterminer quelles sontles normes appliquées par la cour d'appel statuant en référé et, enconséquence, ne permet pas à la Cour de contrôler si l'interprétationdonnée de ces normes par l'arrêt est raisonnable, celui-ci n'est pasrégulièrement motivé (violation de l'article 149 de la Constitution).

Troisième branche

L'arrêt interprète l'article 5 de la Convention de Vienne sur lesrelations consulaires en ce sens que, « lorsqu'un ressortissant subitdans un autre État des atteintes graves à son intégrité physique etmorale et des traitements que le ius cogens et des conventionsinternationales [...] répriment », l'État partie à la convention a «l'obligation de mettre en œuvre les moyens dont il dispose pour tenter demettre un terme à ces atteintes » et déduit des articles 1^er et 3 de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertésfondamentales que, dans les mêmes circonstances, l'État dont leressortissant est incarcéré doit prendre « les dispositions raisonnables »pour tenter de mettre un terme à ces atteintes.

Lorsque, dans une matière déterminée, le pouvoir exécutif a l'obligation« de mettre en œuvre les moyens dont il dispose » ou celle de prendre «les dispositions raisonnables », cela signifie que sa compétence estdiscrétionnaire et qu'en conséquence, le justiciable ne dispose pas d'undroit subjectif à l'égard de ce pouvoir.

Aucun juge saisi de la question n'aurait pu raisonnablement qualifier de« liée » la compétence d'une autorité administrative caractérisée par lefait que cette autorité « a l'obligation de mettre en œuvre les moyensdont elle dispose » ou « de prendre les dispositions raisonnables » pourtenter de mettre fin à une situation donnée. Décidant, par les motifsprécités, que les articles 5 et 36 de la Convention de Vienne du 24 avril1963 imposent au demandeur « l'obligation de mettre en œuvre les moyensdont cet État dispose pour tenter de mettre un terme [aux] atteintes »graves à l'intégrité physique et morale du défendeur et qu'il découle desarticles 1^er et 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'hommeet des libertés fondamentales que le demandeur doit « prendre lesdispositions raisonnables pour éviter que des personnes qui relèvent de[sa] juridiction ne subissent [la torture ou des traitements inhumains oudégradants] dans un autre État », l'arrêt n'a pu, même dans le cadre del'appréciation provisoire qui incombe au juge des référés, raisonnablementen déduire que le pouvoir du demandeur en la matière n'était pas unpouvoir discrétionnaire. La décision attaquée manque, dès lors, de baselégale (violation des articles 584, alinéa 1^er, et 1039, alinéa 1^er, duCode judiciaire et du principe général du droit de la séparation despouvoirs).

Quatrième branche

Ne justifiant pas légalement sa décision que la compétence du demandeurdécoulant de la Convention de Vienne sur les relations consulaires seraitune compétence liée et non une compétence discrétionnaire, l'arrêt n'a pulégalement décider que le demandeur « est tenu de prêter [au défendeur] lesecours et l'assistance prévus par [cette] convention » et que «  la cour[d'appel] n'excède ni son pouvoir de juridiction ni le principe de laséparation des pouvoirs en veillant au respect de cette obligation pourautant qu'elle ne prévoie pas de modalités autres que celles qui sontexpressément mentionnées à l'article 36 de ladite convention ».

Par cette décision, l'arrêt ne se limite pas à une appréciation provisoireet marginale de la précaution avec laquelle l'administration est tenued'intervenir. Il ne se livre au demeurant à aucune appréciation descritères fondant la décision du demandeur de ne pas exercer l'assistanceconsulaire à l'égard du défendeur et de préférer recourir aux moyensd'intervention décrits dans le passage ci-dessus reproduit de sesconclusions d'appel. L'arrêt ne constate pas davantage que le demandeuraurait commis une faute dans l'exercice de son pouvoir « de prendre desdispositions raisonnables » pour « éviter que [le défendeur] ne subisse[des traitements inhumains] dans un autre État ».

En substituant à l'appréciation du demandeur sa propre appréciation de lapolitique à adopter face à la situation vécue par le défendeur, l'arrêts'immisce illégalement dans l'exercice de la fonction exécutive (violationdes articles 584, alinéa 1^er, et 1039, alinéa 1^er, du Code judiciaire,du principe général du droit de la séparation des pouvoirs et, en tant quede besoin, de tous les principes et dispositions visés en tête du moyen, àl'exception des articles 149 et 159 de la Constitution et du principegénéral du droit dit principe de légalité).

Cinquième branche

À supposer que la brochure éditée par le demandeur, reproduite par l'arrêtet qualifiée par lui de circulaire, donne aux articles 5 et 36 de laConvention de Vienne sur les relations consulaires une portée que n'ontpas ces dispositions, cette interprétation ne saurait prévaloir sur laconvention elle-même. En conséquence, le motif de l'arrêt citantlonguement le texte de cette brochure ne saurait justifier légalement sadécision. Lus en ce sens que la brochure précitée lierait le demandeur etl'obligerait à exercer l'assistance consulaire envers un ressortissantincarcéré dans un autre État partie à la Convention de Vienne du 24 avril1963, les considérations précitées violent le principe général du droitsuivant lequel le juge ne peut appliquer une disposition qui viole unenorme supérieure, dit principe de légalité, l'article 159 de laConstitution, qui consacre ce principe, et le principe général du droitselon lequel une norme de droit international conventionnel ayant deseffets directs dans l'ordre juridique interne doit prévaloir sur le droitinterne. Dès lors qu'aucun juge n'aurait pu raisonnablement faireprévaloir une simple brochure sur la Convention de Vienne sur lesrelations consulaires, l'arrêt, dans cette interprétation, est dépourvu debase légale (violation du principe général du droit suivant lequel le jugene peut appliquer une disposition qui viole une norme supérieure, ditprincipe de légalité, de l'article 159 de la Constitution, qui leconsacre, du principe général du droit selon lequel une norme de droitinternational conventionnel ayant des effets directs dans l'ordrejuridique interne doit prévaloir sur le droit interne et des articles 584,alinéa 1^er, et 1039, alinéa 1^er, du Code judiciaire).

III. La décision de la Cour

Sur le premier moyen :

Quant à la première branche :

Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen, en cette branche, par ledéfendeur et déduite de son imprécision :

Le défendeur fait valoir que le moyen, en cette branche, ne précise pas,sauf en ce qu'il est pris de la violation des articles 5 et 36 de laConvention de Vienne sur les relations consulaires, en quoi l'arrêtviolerait les autres dispositions légales, dispositions conventionnelleset principes généraux du droit qu'il mentionne.

Le moyen, en cette branche, expose avec une suffisante précision que laviolation qu'il allègue de l'article 584, alinéa 1^er, du Code judiciairerésulte de ce que l'arrêt fait des articles 5 et 36 précités uneapplication qui ne peut raisonnablement fonder sa décision.

La violation de cette seule disposition suffirait, si le moyen, en cettebranche, était fondé, à entraîner la cassation.

La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.

Sur le fondement du moyen, en cette branche :

En vertu de l'article 5, a) et e), de la Convention de Vienne sur lesrelations consulaires, les fonctions consulaires consistent à protégerdans l'État de résidence les intérêts de l'État d'envoi et de sesressortissants, personnes physiques et morales, dans les limites admisespar le droit international, et à prêter secours et assistance à cesressortissants.

L'article 36 de cette convention prévoit, en son paragraphe 1^er, alinéa1^er, que, afin que l'exercice des fonctions consulaires relatives auxressortissants de l'État d'envoi soit facilité, a) les fonctionnairesconsulaires doivent avoir la liberté de communiquer avec lesressortissants de l'État d'envoi et de se rendre auprès d'eux, et cesressortissants doivent avoir la même liberté envers les fonctionnairesconsulaires  ; b) si l'intéressé en fait la demande, les autoritéscompétentes de l'État de résidence doivent avertir sans tarder le posteconsulaire de l'État d'envoi lorsque, dans sa circonscription consulaire,un ressortissant de cet État est arrêté, incarcéré ou mis en état dedétention préventive ou toute autre forme de détention, toutecommunication adressée au poste consulaire par ce ressortissant doitégalement être transmise sans retard par lesdites autorités, et celles-cidoivent sans retard informer l'intéressé des droits qui lui sont ainsiconférés, et c) les fonctionnaires consulaires ont le droit de se rendreauprès d'un ressortissant de l'État d'envoi qui est incarcéré, en état dedétention préventive ou toute autre forme de détention, de s'entretenir etde correspondre avec lui et de pourvoir à sa représentation en justice.

L'alinéa 2 de ce paragraphe poursuit que ces fonctionnaires ont égalementle droit de se rendre auprès d'un ressortissant de l'État d'envoi qui,dans leur circonscription, est incarcéré ou détenu en exécution d'unjugement et qu'ils doivent néanmoins s'abstenir d'intervenir en faveurd'un ressortissant incarcéré ou mis en état de détention préventive outoute autre forme de détention lorsque l'intéressé s'y opposeexpressément.

Conformément au paragraphe 2 dudit article 36, les droits visés auparagraphe 1^er doivent s'exercer dans le cadre des lois et règlements del'État de résidence, étant entendu, toutefois, que ces lois et règlementsdoivent permettre la pleine réalisation des fins pour lesquelles lesdroits sont accordés en vertu de cet article.

Ces dispositions, qui ne reconnaissent qu'en faveur de l'État d'envoi etde ses ressortissants des droits qu'ils peuvent invoquer contre l'État derésidence, qui en est le seul débiteur, n'imposent en revanche pas àl'État d'envoi l'obligation de prêter l'assistance consulaire à l'un deses ressortissants et ne confère pas à ce dernier le droit de la luiréclamer.

Si la circonstance que ce ressortissant subisse dans l'État de résidencedes atteintes graves à son intégrité physique ou morale ou endure destraitements réprimés par des dispositions impératives du droitinternational général, au sens de l'article 53 de la Convention de Viennesur le droit des traités, oblige l'État d'envoi à mettre en œuvre lesmesures qu'il juge appropriées pour tenter de mettre fin à cettesituation, elle ne crée pas pour lui l'obligation de déclencher laprotection consulaire en faveur de ce ressortissant.

En considérant que, « prima facie, […] l'article 5 [de la Convention deVienne sur les relations consulaires] oblige chaque État partie à [cette]convention à prêter secours et assistance à ses ressortissants qui en fontla demande et qui se trouvent en situation de besoin » et que, « même s'ilfallait lire dans [ledit] article 5 […] l'expression d'une facultédiscrétionnaire laissée à chaque État signataire envers sesressortissants, cette faculté se transformerait en tout état de cause enobligation lorsqu'un ressortissant subit dans un autre État des atteintesgraves à son intégrité physique et morale et des traitements que le iuscogens et des conventions internationales auxquelles cet État a égalementadhéré répriment, le pouvoir discrétionnaire cédant alors le pas devantl'obligation de mettre en œuvre les moyens dont cet État dispose pourtenter de mettre un terme à ces atteintes », l'arrêt fait des articles 5et 36 de ladite convention une application qui ne peut raisonnablementfonder sa décision, rendue en référé, d'imposer au demandeur de prêterdans les limites qu'il précise son assistance consulaire au défendeur etviole, partant, l'article 584, alinéa 1^er, du Code judiciaire.

Le moyen, en cette branche, est fondé.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué ;

Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêtcassé ;

Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause devant la cour d'appel de Liège.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient le président de section Christian Storck, le conseiller DidierBatselé, les présidents de section Albert Fettweis et Martine Regout et leconseiller Sabine Geubel, et prononcé en audience publique du vingt-neufseptembre deux mille dix-sept par le président de section ChristianStorck, en présence du premier avocat général André Henkes, avecl'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+------------------------------------------------------------------------+
| P. De Wadripont | S. Geubel | M. Regout |
|------------------------+-----------------------+-----------------------|
| A. Fettweis | D. Batselé | Chr. Storck |
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29 SEPTEMBRE 2017 C.15.0269.F/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.15.0269.F
Date de la décision : 29/09/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2017
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2017-09-29;c.15.0269.f ?
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