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18/09/2017 | BELGIQUE | N°C.14.0156.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 18 septembre 2017, C.14.0156.F


Cour de cassation de Belgique

Arrêt

N° C.14.0156.F

1. G. B. et

2. N. D.,

demandeurs en cassation,

représentés par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11,où il est fait élection de domicile,

contre

M. L.,

défenderesse en cassation,

représentée par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 65, où il est faitélection de domicile,

en présence de
>L. V.,

partie appelée en déclaration d'arrêt commun.

I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt ren...

Cour de cassation de Belgique

Arrêt

N° C.14.0156.F

1. G. B. et

2. N. D.,

demandeurs en cassation,

représentés par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11,où il est fait élection de domicile,

contre

M. L.,

défenderesse en cassation,

représentée par Maître François T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 65, où il est faitélection de domicile,

en présence de

L. V.,

partie appelée en déclaration d'arrêt commun.

I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 16 octobre 2013par la cour d'appel de Mons.

Par ordonnance du 16 juin 2017, le premier président a renvoyé la causedevant la troisième chambre.

Le 19 juin 2017, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé desconclusions au greffe.

Le président de section Christian Storck a fait rapport et l'avocatgénéral Jean Marie Genicot a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation

La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

Articles 1104, alinéa 2, 1108, 1134, 1964 et 1976 du Code civil

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt dit non fondé l'appel des demandeurs et partiellement fondées leurdemande nouvelle ainsi que celle de la défenderesse, prononce, parconfirmation du jugement entrepris, la nullité de la vente en renteviagère passée par acte authentique du notaire [appelé en déclarationd'arrêt commun] du 15 février 2008, fixe provisionnellement les sommesréciproquement dues par chacune des parties à l'autre en conséquence decette nullité et rouvre les débats afin que les parties établissent « ledécompte précis des sommes dues entre elles en prosécution de cause », parles motifs suivants :

« Absence d'aléa

Le contrat qui stipule l'aliénation d'un bien meuble ou immeuble et quiprévoit comme contrepartie due par l'acquéreur l'obligation pour celui-cide payer une rente viagère est un contrat de vente régi par les articles1582 et 1583 du Code civil auquel est adjoint un contrat aléatoire derente viagère à titre onéreux régi par l'article 1868 [lire : 1968] de cecode ;

L'existence d'une chance de gain ou d'un risque de perte est essentielle àla validité d'un contrat aléatoire tel qu'un contrat de vente moyennantconstitution de rente viagère ;

En l'absence d'aléa, un tel contrat est nul à défaut d'objet [...] ;

Si la plus ou moins grande différence d'âge entre le crédirentier et ledébirentier n'implique pas en soi une absence d'aléa, il n'en est pas demême lorsque l'acquéreur connaissait le risque de décès imminent ducrédirentier, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, rien n'indiquant quel'état de santé de [la crédirentière] était à ce point précaire que [lesdemandeurs] auraient pu prévoir que celle-ci décéderait quelques moisaprès la vente ;

Il n'y a pas non plus d'aléa si le bien vendu procure à l'acquéreur desrevenus égaux ou même supérieurs au montant de la rente. Ainsi, si lesloyers de l'immeuble lui permettent de s'acquitter de l'intégralité de larente due ;

Il en est de même dans le cas de la vente d'une nue-propriété lorsque,comme c'est le cas en l'espèce, la rente est à ce point basse qu'elle esttrès largement inférieure au revenu annuel qu'aurait pu générer la valeurde la nue-propriété à l'époque de la vente ;

En effet, la rente annuelle de 7.800 euros (12 x 650 euros) équivaut aurevenu généré par la somme de 293.880 euros (prix de la nue-propriété)placée au taux de 2,66 p.c., soit un taux très inférieur au taux légal de6 p.c. en vigueur à l'époque, taux admis par les [demandeurs] devant lepremier juge, ou au taux de base maximum de l'épargne, qui était de 4,25p.c. en 2008 ;

Outre un taux pouvant être qualifié de dérisoire pour l'époque, ilconvient de relever qu'il aurait fallu que [la crédirentière] surviveencore plus de trente-sept ans pour espérer se voir payer la totalité dela valeur de la nue-propriété, ce qui, compte tenu de son âge au jour dela vente, était totalement illusoire ;

La fixation du montant de la rente est en principe libre mais son tauxdoit être fixé de manière raisonnable afin de respecter le caractère réelet sérieux du prix, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ;

C'est à tort que les débirentiers soutiennent qu'il faudrait prendre encompte un aléa complémentaire lié à l'usufruit dès lors que celui-cin'était nullement concerné par la vente litigieuse ;

Il en découle l'absence d'une chance de gain pour la crédirentière etcorrélativement l'absence de tout risque pour les débirentiers ».

Griefs

Il résulte des articles 1104 et 1964 du Code civil qu'un contrat estaléatoire lorsque l'équivalence des prestations réciproques auxquelles lesparties sont obligées est incertaine parce que l'existence ou la quotitéde l'une d'elles dépend d'un événement incertain.

Le contrat de vente avec constitution d'une rente viagère, régi par lesarticles 1968 à 1983 du même code, est un tel contrat. L'article 1976 dece code dispose que la rente viagère peut être constituée au taux qu'ilplaît aux parties contractantes de fixer, le contrat étant, le caséchéant, susceptible d'être rescindé pour lésion de plus de sept douzièmespar application des articles 1674 et suivants dudit code.

L'arrêt, après avoir rappelé que « la plus ou moins grande différenced'âge entre le crédirentier et le débirentier n'implique pas en soi uneabsence d'aléa », relève qu'« en l'espèce, rien n'indiqu[ait] que l'étatde santé de [la crédirentière] était à ce point précaire que [lesdemandeurs] auraient pu prévoir que celle-ci décéderait quelques moisaprès la vente ». Il constate ainsi que la quotité de la prestation àlaquelle les demandeurs étaient obligés dépendait d'un événementincertain.

Il n'a dès lors pu décider que le contrat litigieux « est nul à défautd'objet » aux motifs qu'il n'y a pas d'aléa « dans le cas de la vented'une nue-propriété lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, la rente està ce point basse qu'elle est très largement inférieure au revenu annuelqu'aurait pu générer la valeur de la nue-propriété à l'époque de lavente ; [qu']en effet, la rente annuelle de 7.800 euros (12 x 650 euros)équivaut au revenu généré par la somme de 293.880 euros (prix de lanue-propriété) placée au taux de 2,66 p.c., soit un taux très inférieur autaux légal de 6 p.c. en vigueur à l'époque, taux admis par les[demandeurs] devant le premier juge, ou au taux de base maximum del'épargne, qui était de 4,25 p.c. en 2008 ; [qu']outre un taux pouvantêtre qualifié de dérisoire pour l'époque, il convient de relever qu'ilaurait fallu que [la crédirentière] survive encore plus de trente-sept anspour espérer se voir payer la totalité de la valeur de la nue-propriété,ce qui, compte tenu de son âge au jour de la vente, était totalementillusoire ; [que] la fixation du montant de la rente est en principe libremais [que] son taux doit être fixé de manière raisonnable afin derespecter le caractère réel et sérieux du prix, ce qui n'est pas le cas enl'espèce ; [qu']il en découle l'absence d'une chance de gain pour lacrédirentière et corrélativement l'absence de tout risque pour lesdébirentiers ».

Ce faisant, il ne constate pas légalement l'absence totale d'aléa qui,seule, est de nature à justifier l'annulation d'un contrat de vente avecconstitution d'une rente viagère (violation de toutes les dispositionsvisées au moyen).

III La décision de la Cour

Il résulte des articles 1104 et 1964 du Code civil qu'un contrat estaléatoire lorsque l'équivalence des prestations réciproques auxquelles lesparties sont obligées est incertaine parce que l'existence ou la quotitéde l'une d'elles dépend d'un événement incertain.

Il s'ensuit que l'existence d'une chance de gain ou d'un risque de perteest essentielle à la validité d'un contrat aléatoire tel le contrat devente moyennant constitution d'une rente viagère.

En l'absence de cet aléa, pareil contrat est nul faute d'objet, lors mêmeque les conditions d'application des articles 1974 et 1975 du Code civilne sont pas réunies.

Si l'arrêt exclut que la différence d'âge entre les demandeurs et lacrédirentière puisse établir l'absence d'aléa dès lors que « rienn'indiqu[e] que l'état de santé de [celle-ci] était à ce point précaire[qu'ils] auraient pu prévoir [qu'elle] décéderait quelques mois après lavente », il considère, en revanche, par les motifs que le moyen reproduitet critique, que la rente annuelle convenue pour la vente de lanue-propriété « équivaut au revenu généré par [le prix de celle-ci] placéau taux de 2,66 p.c., soit un taux très inférieur au taux légal de 6 p.c.en vigueur à l'époque […] ou au taux de base minimum de l'épargne, quiétait [alors] de 4,25 p.c. », et que, « outre un taux pouvant êtrequalifié de dérisoire pour l'époque, […] il aurait fallu que [lacrédirentière] survive encore plus de trente-sept ans pour espérer se voirpayer la totalité de la valeur de la nue-propriété, ce qui, compte tenu deson âge au jour de la vente, était totalement illusoire ».

De ces considérations qui gisent en fait, l'arrêt a pu déduire « l'absenced'une chance de gain pour la crédirentière et, corrélativement, l'absencede tout risque pour les demandeurs ».

Il décide dès lors légalement que le contrat litigieux « est nul à défautd'objet ».

Le moyen ne peut être accueilli.

Et le rejet du pourvoi prive d'intérêt la demande en déclaration d'arrêtcommun.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi et la demande en déclaration d'arrêt commun ;

Condamne les demandeurs aux dépens.

Les dépens taxés à la somme de mille cent trente-six euros trente-sixcentimes envers les parties demanderesses.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient le président de section Christian Storck, les conseillersMireille Delange, Michel Lemal, Sabine Geubel et Ariane Jacquemin, etprononcé en audience publique du dix-huit septembre deux mille dix-septpar le président de section Christian Storck, en présence de l'avocatgénéral Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.

+------------------------------------------------------------------------+
| L. Body | A. Jacquemin | S. Geubel |
|----------------------+------------------------+------------------------|
| M. Lemal | M. Delange | Chr. Storck |
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18 SEPTEMBRE 2017 C.14.0156.F/7


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.14.0156.F
Date de la décision : 18/09/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 20/10/2017
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2017-09-18;c.14.0156.f ?
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