Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° S.16.0006.F
OFFICE NATIONAL DE SÉCURITÉ SOCIALE, établissement public dont le siègeest établi à Saint-Gilles, place Victor Horta, 11,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67,où il est fait élection de domicile,
contre
BELGACOM INTERNATIONAL CARRIER SERVICES, société anonyme dont le siègesocial est établi à Bruxelles, rue Lebeau, 4,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est établi à Anvers, Amerikalei, 187/302, où il est faitélection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 20 mai 2015 parla cour du travail de Bruxelles.
Le 19 avril 2017, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé desconclusions au greffe.
Le conseiller Mireille Delange a fait rapport et l'avocat général JeanMarie Genicot a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiéeconforme, le demandeur présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen par la défenderesse et déduitedu défaut d'intérêt :
L'arrêt décide que l' « allocation de transition » versée par ladéfenderesse aux enfants des travailleurs lors de leur douzièmeanniversaire ne constitue pas de la rémunération au sens de l'article 2 dela loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération destravailleurs.
La fin de non-recevoir propose de substituer au motif critiqué de cettedécision le motif de droit que cette prime doit être considérée comme uncomplément aux allocations familiales, avantages accordés pour une branchede la sécurité sociale au sens de l'alinéa 3, 1°, c), de l'article 2précité.
Les articles 68 et 69 de la loi générale du 19 décembre 1939 relative auxallocations familiales désignent la personne à laquelle les allocationssont effectivement payées, à savoir l'allocataire.
Les dispositions de l'article 69, § 1^er, de cette loi tendent à désignerla personne ou les personnes qui élèvent effectivement l'enfant et àassurer le respect de l'intérêt de ce dernier. Le paragraphe 2 prévoit queles allocations sont payées à l'enfant lui-même s'il est marié, s'il estémancipé, s'il a atteint l'âge de 16 ans et ne réside pas avec la personnevisée au paragraphe 1^er et s'il est lui-même allocataire pour un ouplusieurs de ses enfants, à la condition qu'il n'ait pas désigné dans sonpropre intérêt une autre personne comme allocataire. Le paragraphe 2bis del'article 69 désigne l'allocataire en cas d'enlèvement d'enfant. Leparagraphe 3 organise l'opposition dans l'intérêt de l'enfant au paiementdes allocations à la personne visée aux paragraphes 1^er, 2 et 2bis.
L'article 70 de la loi prévoit le paiement d'une partie des allocationsfamiliales à l'institution dans laquelle l'enfant est placé.
Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que, dans le régime organisépar la loi générale sur les allocations familiales en vue de compenserl'accroissement des dépenses provoqué par le fait d'élever les enfants,les allocations familiales sont payées en considération de l'intérêt del'enfant en principe à la personne qui élève effectivement celui-ci ou àl'enfant lui-même dans des circonstances exceptionnelles où ce dernier estsupposé assumer les décisions et les dépenses qui le concernent.
Ne peut dès lors être considérée comme un complément aux allocationsfamiliales, la prime payée, non en considération de l'intérêt de l'enfantet en principe à une personne susceptible d'élever un enfant ou à unenfant susceptible d'assumer les dépenses qui le concernent, mais auxenfants de douze ans des travailleurs de la défenderesse.
Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen par la défenderesse et déduitede ce qu'il critique une appréciation en fait de la cour du travail :
Contrairement à ce que suppose la fin de non-recevoir, le moyen necritique pas la considération de l'arrêt que l'« allocation detransition » n'est pas accordée en contrepartie du travail effectué enexécution du contrat de travail.
L'examen du surplus de la fin de non-recevoir ne peut être dissocié decelui du moyen.
Les fins de non-recevoir ne peuvent être accueillies.
Sur le fondement du moyen :
En vertu de l'article 14, §§ 1^er et 2, de la loi du 27 juin 1969 révisantl'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale destravailleurs, la rémunération sur la base de laquelle sont calculées lescotisations de sécurité sociale est, en règle, déterminée par l'article 2de la loi du 12 avril 1965 concernant la protection de la rémunération destravailleurs.
Suivant l'article 2, alinéa 1^er, 3°, de cette dernière loi, celle-cientend par rémunération les avantages évaluables en argent auxquels letravailleur a droit à charge de l'employeur en raison de son engagement.
Cette disposition élargit la notion de la rémunération visée à la loi du 3juillet 1978 relative aux contrats de travail, à savoir la contrepartie dutravail effectué en exécution du contrat de travail, aux avantages enespèces ou évaluables en argent auxquels le travailleur a droit à chargede l'employeur en raison de son engagement.
Les sommes d'argent payées par l'employeur à un tiers font partie de larémunération lorsque le travailleur a droit à leur paiement et qu'il fondece droit sur le contrat de travail ou sur un engagement de l'employeur.
Les sommes d'argent payées par l'employeur au travailleur, ou à un tierslorsque le travailleur a droit à leur paiement, sont dues en principe enraison de l'engagement.
Le législateur a entendu exclure de la notion de rémunération leslibéralités faites par l'employeur au travailleur.
Il résulte toutefois de ce qui précède que cette conclusion ne vaut quelorsque l'avantage n'est pas un droit du travailleur, à charge del'employeur et en raison de l'engagement, mais est alloué notamment lorsde la résiliation du contrat de travail, à l'occasion d'une interruptiondu travail ou en raison de circonstances spéciales telles que la sympathieou l'estime personnelles de l'employeur ou l'un ou l'autre événement de lavie personnelle ou familiale du travailleur.
L'arrêt constate que la défenderesse paie une prime dénommée « allocationde transition » aux enfants des travailleurs à l'occasion de leur douzièmeanniversaire suivant des « modalités largement définies dans un documentédité par la [défenderesse] ». Il considère que cette prime ne constituepas la contrepartie du travail effectué en exécution du contrat detravail.
Il suit de la constatation que la prime est versée lorsque sont réuniesles conditions d'octroi définies que le travailleur a droit à cette prime,fût-elle payée à son enfant. Il suit de la constatation qu'elle est payéepar l'employeur qu'elle est à la charge de ce dernier. Il suit, enfin, decelle qu'elle est payée au profit des seuls et de tous les travailleurs dela défenderesse qui en remplissent les conditions, qu'elle l'est en raisonde l'engagement.
En décidant que la prime ne constitue pas de la rémunération soumise auxcotisations de sécurité sociale aux motifs, d'une part, que « lebénéficiaire […] n'est [...] pas le travailleur lui-même mais sonenfant », d'autre part, qu'elle « est payée en raison de la considérationque la société porte au travailleur et à sa famille », dès lors qu'elleest dénommée « allocation de transition » et « qu'elle n'est accordéequ'une seule fois » à l'occasion du « douzième anniversaire, qui symbolisele passage à l'adolescence mais aussi de l'école primaire à l'écolesecondaire, [et] peut [dès lors] être considéré […] comme un événementparticulier de la vie familiale », l'arrêt viole les dispositionsprécitées.
Le moyen est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur l'allocation de transitionet sur les dépens ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêtpartiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge dufond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour du travail de Liège.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers KoenMestdagh, Mireille Delange, Antoine Lievens et Éric de Formanoir, etprononcé en audience publique du dix-neuf juin deux mille dix-sept par leprésident de section Christian Storck, en présence de l'avocat généralJean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.
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| L. Body | É. de Formanoir | A. Lievens |
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| M. Delange | K. Mestdagh | Chr. Storck |
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19 JUIN 2017 S.16.0006.F/6