La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/06/2017 | BELGIQUE | N°C.16.0114.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 08 juin 2017, C.16.0114.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.16.0114.F

M. N. D.,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Regence, 4, ou il estfait election de domicile,

contre

H. D., nee E. B.,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,

en presence de

E. D.,

partie ap

pelee en declaration d'arret commun.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret ren...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.16.0114.F

M. N. D.,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Regence, 4, ou il estfait election de domicile,

contre

H. D., nee E. B.,

defenderesse en cassation,

representee par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,

en presence de

E. D.,

partie appelee en declaration d'arret commun.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 8 mai 2015 parla cour d'appel de Bruxelles.

Le president de section Martine Regout a fait rapport.

L'avocat general Thierry Werquin a conclu.

II. Le moyen de cassation

Dans la requete en cassation, jointe au present arret en copie certifieeconforme, le demandeur presente un moyen.

III. La decision de la Cour

Sur le moyen :

Aux termes de l'article 25, S: 1er, 1DEG, du Code de droit internationalprive, une decision judiciaire etrangere n'est ni reconnue ni declareeexecutoire si l'effet de la reconnaissance ou de la declaration de laforce executoire serait manifestement incompatible avec l'ordre public etcette incompatibilite s'apprecie en tenant compte, notamment, del'intensite du rattachement de la situation avec l'ordre juridique belgeet de la gravite de l'effet ainsi produit.

L'article 25, S: 2, du meme code dispose qu'en aucun cas, la decisionjudiciaire etrangere ne peut faire l'objet d'une revision au fond.

Il suit de ces dispositions que, pour verifier la compatibilite avecl'ordre public belge des effets en Belgique de la reconnaissance ou de ladeclaration de la force executoire de la decision etrangere, le juge doiten apprecier la gravite en tenant compte des circonstances concretes de lacause.

L'arret attaque considere que « l'exception d'ordre public restreint etattenue consacree par [l'article 25, S: 1er, 1DEG, du Code de droitinternational prive] exclut de laisser produire en Belgique les effetsd'une situation juridique frauduleusement acquise à l'etranger qui [...]diminue artificiellement le gage du creancier de celui qui s'en prevaut,notamment pour ses creances futures, fussent-elles privilegiees ».

Il constate que, « dans le cadre des mesures provisoires afferentes àl'instance en divorce belge des epoux D.-E. B., E. D. a ete condamne àpayer à [la defenderesse] une provision alimentaire de 2.500 euros parmois, ainsi qu'une contribution alimentaire de 1.000 euros par mois pourS. [...] et de 800 euros par mois pour D. [...] (arret de la cour d'appelde Bruxelles du 13 mars 2008 [...]) ; qu'à cette epoque, la cour[d'appel] a considere que, nonobstant les denegations d'E. D., ses revenusglobaux pouvaient [...] etre estimes à un minimum de 12.500 euros parmois » ; que, « dans [son] arret du 14 mars 2011, la cour [d'appel] aestime qu'E. D. n'apporte pas la preuve que sa situation aurait etemodifiee par rapport à celle qui a ete decrite dans l'arret du 13 mars2008 » ; que « les decisions judiciaires belges precitees n'ont jamaisete volontairement executees par E. D. » ; que « le seul patrimoine d'E.D. en Belgique semble etre constitue, d'une part, de diverses sommeslogees sur des comptes bancaires [...] ayant fait l'objet de differentessaisies-arrets par [la defenderesse], d'autre part, de ses droits indivisdans l'immeuble sis à ..., qui constituait l'ancienne residence conjugaleet qui est toujours occupe par [la defenderesse] » ; que le demandeur« a fait proceder à la saisie-execution de cet immeuble [...] pourrecouvrer sa creance de 282.000 dollars americains et de 20.000 dollarsamericains et a cite les indivisaires en partage » et que « c'est cettecreance, consacree par le tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombedans son jugement du 19 novembre 2009, que [la defenderesse] tient pourfausse et volontairement attentatoire à ses droits ».

L'arret attaque releve qu'il resulte de ce jugement du 19 novembre 2009,« sans chercher à [en] reviser le fond, ce qu'interdit explicitementl'article 25, S: 2, du Code de droit international prive », que :

- « les deux parties à la cause dans le jugement precite sontdomiciliees à la meme adresse » ;

- le demandeur « etait assiste de l'ancien avocat de son frere E. D. » ;

- « E. D. declara au juge congolais `ne trouve[r] aucun inconvenient àce que son frere lui reclame sa creance', le tribunal constatant `qu'il lareconnait [...]', E. D. precisant par ailleurs que `son salaire estinsuffisant et qu'il ne saurait payer ladite creance, le seul espoir quilui reste [etant] de voir la procedure de divorce avec sa femme aboutir,pour lui permettre de recuperer une partie de ses comptes' ».

L'arret attaque considere que « la pretendue dette contractee par E. D.à l'egard [du demandeur] n'est pas compatible avec les decisionsjudiciaires belges qui se sont penchees sur les ressources d'[E. D.] à lameme epoque » et qu'« il ne ressort pas de la lecture de ces decisionsjudiciaires, pleinement opposables à E. D., qu'il aurait fait etat dupret qui lui aurait ete consenti par son frere en dix tranches de 28.200dollars americains à partir du mois de novembre 2007, ni des demarchesqui auraient ete entreprises par ce dernier `pour recouvrer sacreance' ».

Il deduit « de l'ensemble de ces constats et considerations que la preuvede la fraude alleguee [...] est etablie à suffisance de droit ».

Sur la base de ces considerations, qui n'emportent pas la revision au fonddu jugement rendu le 19 novembre 2009 par le tribunal de grande instancede Kinshasa/Gombe, l'arret attaque a pu decider que l'effet en Belgique dela declaration de force executoire de ce jugement serait manifestementincompatible avec l'ordre public belge, de sorte que ce jugement ne peutetre declare executoire en Belgique.

Le moyen ne peut etre accueilli.

Et le rejet du pourvoi prive d'interet la demande en declaration d'arretcommun.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi et la demande en declaration d'arret commun ;

Condamne le demandeur aux depens.

Les depens taxes à la somme de mille cent quatre-vingt-quatre eurosseptante et un centimes envers la partie demanderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, le conseiller DidierBatsele, les presidents de section Albert Fettweis et Martine Regout et leconseiller Mireille Delange, et prononce en audience publique du huit juindeux mille dix-sept par le president de section Christian Storck, enpresence de l'avocat general Thierry Werquin, avec l'assistance dugreffier Patricia De Wadripont.

+--------------------------------------------+
| P. De Wadripont | M. Delange | M. Regout |
|-----------------+------------+-------------|
| A. Fettweis | D. Batsele | Chr. Storck |
+--------------------------------------------+

.

Requete

REQUETE EN CASSATION

Pour : M. N. D.,

Demandeur en cassation,

Assiste et represente par Madame Michele Gregoire, avocate à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli rue de la Regence, 4, à 1000Bruxelles, chez qui il est fait election de domicile,

Contre : H. E. B.,

Defenderesse en cassation,

En presence de : E. D.,

*

* *

A Messieurs les Premier President et President, Mesdames et Messieurs lesConseillers composant la Cour de cassation,

Mesdames,

Messieurs,

La demanderesse a l'honneur de deferer à Votre Censure l'arret renducontradictoirement entre les parties le 8 mai 2015 par la 7eme chambre dela cour d'appel de Bruxelles (R.G. : 2012/AR/2252) (ci-apres « l'arretattaque ») dans les circonstances suivantes.

*

* *

I. Les faits de la cause et les antecedents de la procedure

1. Le litige est relatif à l'exequatur en Belgique du jugement prononcele 19 novembre 2009 par le tribunal de Grande Instance de Kinshasa/Gombe.

2. Par une ordonnance du 25 mai 2010, le president du tribunal de premiereinstance de Bruxelles declara executoire en Belgique le jugement prononcele 19 novembre 2009 par le tribunal de Grande Instance de Kinshasa/Gombe(RC 102.736) condamnant Monsieur E. D. à payer à son frere, Monsieur N.D., la somme de 282.000 USD en principal et l'equivalent en francscongolais de 20.000 USD à titre de dommages et interets.

Par exploit du 4 mai 2011, Monsieur N. D. fit pratiquer unesaisie-execution immobiliere sur l'ancienne residence conjugale indivisedu couple forme par Monsieur E. D. et Madame E. B. en Belgique, sur labase du jugement congolais litigieux. Constatant notamment que cettesaisie prenait appui sur un titre executoire regulier au sens de l'article1494 du Code judiciaire, le juge des saisies du tribunal de premiereinstance de Bruxelles rejeta la demande en mainlevee introduite par MadameE. B..

3. Par exploit introductif d'instance signifie le 27 mai 2011, Madame E.B. forma tierce-opposition à l'encontre de l'ordonnance declarantexecutoire en Belgique le jugement prononce le 19 novembre 2009 par letribunal de Grande Instance de Kinshasa/Gombe sur le fondement del'article 25, S:1er, 1DEG et 2DEG du Code de droit international prive(ci-apres, le « CODIP ») au motif qu'il validerait une manoeuvrefrauduleuse des freres D., destinee à organiser l'insolvabilite deMonsieur E. D. et partant, (i) à l'empecher de recuperer les montantsdont celui-ci etait redevable à titre alimentaire (arrieres de secoursalimentaire et de contributions alimentaires) et (ii) à echapper à sesobligations futures en matiere de pension apres divorce.

Par jugement du 3 mai 2012, le tribunal de premiere instance de Bruxellesdeclara la tierce opposition recevable mais non fondee apres avoir ecarteles conclusions et les pieces deposees tardivement pour Madame E. B. etestime qu'elle « ne demontre pas à suffisance de droit la veracite deses dires » et « n'etablit nullement les motifs de refus dereconnaissance ou d'execution de la decision litigieuse qui trouveraientà s'appliquer en l'espece ».

4. Par requete deposee le 17 decembre 2012, Madame E. B. sollicita lareformation de la decision susmentionnee.

Parallelement à la procedure d'appel, Madame E. B. forma tierceopposition contre le jugement du 19 novembre 2009 devant le tribunal deGrande Instance de Kinshasa/Kalamu. Elle exposait fonder celle-ci sur lesarticles 499 et suivants du Code congolais de la famille, qui auraientimpose de l'attraire à la cause car, selon elle, quel que soit le regimematrimonial des parties, l'accord des deux epoux serait necessaire pourcontracter un emprunt de plus de 1.000 Zaire sur les biens communs.

Son recours fut declare irrecevable à defaut d'interet par un jugement dutribunal de Grande Instance de Kinshasa/Kalamu du 1er novembre 2013 qui,quoique non produit, est cite en extraits dans les conclusions de MonsieurE. D. (page 11) et parait avoir considere qu'eu egard à la natureseparatiste du regime matrimonial des parties, le jugement du 19 novembre2009 n'etait pas susceptible de porter atteinte aux droits patrimoniaux deMadame E. B..

L'appel dirige par Madame E. B. contre ce jugement fut declareirrecevable, pour un motif procedural, par un arret de la cour d'appel deKinshasa/Gombe prononce le 8 mai 2014.

Par l'arret analyse, la cour d'appel de Bruxelles :

(i) dit l'appel recevable et fonde, en consequence,

(ii) met le jugement entrepris à neant, sauf en tant qu'il rec,oit latierce opposition de Madame E. B.,

(iii) statuant à nouveau pour le surplus, dit cette tierce-oppositionfondee,

(iv) met l'ordonnance prononcee par le premier juge le 25 mai 2010,declarant executoire en Belgique le jugement prononce contradictoirementle 19 novembre 2009 par le tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe(RC 102.736) à neant ;

(v) rejette le requete en exequatur deposee par Monsieur N. D. ;

(iv) condamne Messieurs N. et E. D. aux depens, liquides à 330,31 EUR +
1.320,00 EUR + 1.320,00 EUR pour Madame E. B..

C'est à l'encontre de cette decision que le demandeur fait valoirl'unique moyen de cassation suivant.

II. Moyen unique de cassation

A. Disposition legale et principe general du droit dont la violation estinvoquee

- Articles 21, 22 et 25 de la loi du 16 juillet 2004 portant le Code dedroit international prive (ci-apres, le « CODIP ») ;

- Principe general du droit fraus omnia corrumpit.

B. Decision attaquee et motifs critiques

1. L'arret attaque :

« Dit l'appel recevable et fonde,

En consequence,

Met le jugement entrepris à neant, sauf en tant qu'il rec,oit la tierceopposition de Mme H. E. B.,

Statuant à nouveau pour le surplus,

Dit cette tierce-opposition fondee ;

Met l'ordonnance prononcee par le premier juge le 25 mai 2010, declarantexecutoire en Belgique le jugement prononce contradictoirement le 19novembre 2009 par le tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe (RC102.736) à neant ;

Rejette la requete en exequatur deposee par M. M. N. (N.) D. ;

Condamne M. M. N. (N.) D. et M. E. D. aux depens, liquides à 330,31 EUR+ 1.320,00 EUR + 1.320,00 EURpour Mme H. E. B. » (voir page 16 del'arret attaque).

2. L'arret attaque fonde cette decision sur les motifs selon lesquels :

« 5.

Conformement à l'article 22, S:1er, alinea 4, du Code de droitinternational prive, une decision judiciaire etrangere rendue en matierecivile ou commerciale ne peut etre reconnue ou declaree executoire si« l'effet de la reconnaissance ou de la declaration de la forceexecutoire [est] manifestement incompatible avec l'ordre public » etantentendu que « cette incompatibilite s'apprecie en tenant compte,notamment, de l'intensite du rattachement de la situation avec l'ordrejuridique belge et de la gravite de l'effet ainsi produit » (article 25,S:1er, 1DEG).

L'exception d'ordre public restreint et attenue consacree par cettedisposition exclut de laisser produire en Belgique les effets d'unesituation juridique frauduleusement acquise à l'etranger, qui, parailleurs, diminue artificiellement le gage du creancier de celui qui s'enprevaut, notamment pour ses creances futures, fussent-elles privilegiees.

Il n'est, à cet egard, nullement etabli que « la valeur du bienimmobilier situe à ... constitue une garantie indiscutable poursatisfaire les creances alimentaires futures de Madame E. B. » (M. E. D.conclusions, p. 11).

6.

Avant d'examiner si Mme E. B. rapporte la preuve de la fraude qu'elleallegue, il importe de constater que :

* Dans le cadre des mesures provisoires afferentes à l'instance endivorce belge des epoux D.-E. B., M. E. D. a ete condamne à payer àMme E. B. une provision alimentaire de 2.500,00 EUR par mois, ainsiqu'une contribution alimentaire de 1.000,00 EUR par mois pour S., nele 4 juillet 1984 et de 800,00 EUR par mois pour D., nee le 13decembre 1991, outre l'integralite des frais extraordinaires et lesfrais relatifs à la jouissance de la residence conjugale (arret de lacour d'appel de ceans du 13 mars 2008, piece 2 du dossier de Mme E.B.) ;

A cette epoque, la cour a considere que, nonobstant les denegations de M.E. D., ses revenus globaux pouvaient, sur la base des pieces produites ethors le produit de la vente - contestee - des 19 appartements qu'ilpossedait à Gombe, etre à un minimum de 12.500,00 EUR par mois (arret,9eme feuillet) ;

* M. E. D. a diligente une procedure de divorce au Congo ; sa demande aete accueillie par un jugement du tribunal de Paix deKinshasa/Ngaliema du 7 juillet 2007, prononce par defaut à l'egard deMme E. B. ; cette decision a ete confirmee sur sa tierce opposition,par un jugement du 3 juin 2008 ; l'appel dirige contre ce jugement aete rejete par le Tribunal de Grande Instance de Kinshasa/Gombe(jugement du 3 fevrier 2009) ; le divorce congolais des parties aainsi ete transcrit dans les registres de l'Etat civil deKinshasa/Ngaliema le 14 janvier 2009 (pieces 7 et 16 du dossier de M.E. D.) ;

* Statuant sur les merites de l'action en divorce diligentee par Mme E.B. en Belgique, la cour d'appel de ceans (arret du 14 mars 2011, piece4 du dossier de Mme E. B.) a (i) refuse de reconnaitre cette decisioncongolaise par application de l'article 25, S:1er, 6DEG du Code dedroit international prive, (ii) prononce le divorce aux torts de M. E.D. et (iii) condamne celui-ci à payer à son ex-epouse une pensionalimentaire apres divorce de 3.000,00 EUR par mois ;

Dans cet arret du 14 mars 2011, la cour estime que M. E. D. n'apporte pasla preuve que sa situation financiere aurait ete modifiee par rapport àcelle decrite dans l'arret du 13 mars 2008 et constate que « la seulenouvelle piece deposee par Monsieur D. est celle relative au montant de lapension legale auquel il aurait droit, calculee au premier aout 2008 » endecidant toutefois que « cette piece n'atteste nullement de la cessationde ses activites, voire de l'absence d'autres revenus equivalentsremplac,ant les revenus professionnels perc,us anterieurement » (arret,33eme feuillet) ; elle releve encore que « ses fiches de salaires sontconstantes en 2007 et en 2008 (...) et [que] rien n'atteste d'unediminution à partir de 2011 », M. E. D. ne deposant « aucun compte dela societe dont il pourrait etre deduit une diminution de recettes, voireles benefices ou les pertes reportees » (arret, 33eme feuillet), nin'etablissant « la pretendue reduction de ses investissements mobiliersni la diminution de ses revenus mobiliers mensuels de 6.667 EUR à 300EUR » (arret, 34eme feuillet) ; elle decide au contraire que Mme E. B.« etablit par de nombreuses pieces que [son ex-epoux] ne peut etre crulorsqu'il affirme que les 19 appartements qu'il possedait à Kinshasa dansle quartier residentiel de Gombe auraient ete vendus en 2006 pour la sommeglobale de seulement 300.000 USD. Les pieces numerotees VII sous-farde IIdemontrent en effet des ventes et des paiements ulterieurs, qui jettent lediscredit sur certaines attestations qu'il convient de qualifier decomplaisance ou actes non probants » (arret, 34eme feuillet) ;

* Saisi d'une demande tendant à reduire la pension alimentaire apresdivorce à 100,00 EUR par mois à partir du 19 septembre 2011, le jugede paix du canton de ... constate que « M. D. n'apporte aucun elementneuf, donc datant d'apres l'arret de la cour d'appel du 14 mars 2011,justifiant » cette reduction et rejette la demande (jugement du 2avril 2013, piece 40 du dossier de Mme E. B.) ;

* Les decisions judiciaires belges precitees n'ont jamais etevolontairement executees par M. E. D. qui, en revanche, soutientqu'il « a toujours respecte ses obligations [alimentaires] sur basedes decisions congolaises » (conclusions, p. 6), à savoir lepaiement d'une somme de 1.000,00 EUR par mois pour les deux enfantsissus de l'union dissoute, à raison de 600,00 EUR pour S. et de400,00 EUR pour D. « pour les charges d'etudes et autres, jusqu'à lafin de leurs etudes » (jugement precite du tribunal de Paix deKinshasa/Ngaliema du 7 juillet 2007) ; cette affirmation estcontredite par la piece 17 du dossier de Mme E. B. dans laquelle onconstate qu'il ne paie que 300,00 EUR en octobre et novembre 2011 avecla mention « suivant mes possibilites » ;

* Le seul patrimoine de M. E. D. en Belgique semble etre constitue,d'une part, de diverses sommes logees sur des comptes bancairesouverts à la SA KBC Bank et à la SA Dexia Banque ayant fait l'objetde differentes saisies-arrets par Mme E. B. et, d'autre part, de sesdroits indivis dans l'immeuble sis à ..., avenue ..., qui constituaitl'ancienne residence conjugale et qui est toujours occupee par Mme E.B. (proces-verbal d'ouverture des operations de liquidation rec,u parle notaire Van Den Eynde le 5 septembre 2013, piece 12 du dossier deMme E. B.) ;

* Comme on l'a vu, M. M. N. (N.) D. a fait proceder à lasaisie-execution de cet immeuble en vertu de l'ordonnance du jugementdu 25 mai 2010 et du jugement attaque pour recouvrer sa creance de282.000 USD et de 20.000 USD et a cite les indivisaires en partage(conclusions de M. E. D., point 14, pp. 9 et 10).

7.

C'est cette creance, consacree par le tribunal de Grande Instance deKinshasa/Gombe dans son jugement du 19 novembre 2009, que Mme E. B. tientpour fausse et volontairement attentatoire à ses droits.

Sans chercher à reviser le fond de ce jugement, ce qu'interditexplicitement l'article 25, S:2 du Code de droit international prive, lacour releve qu'il en resulte que :

- les deux parties à la cause dans le jugement precite sont domicilieesà la meme adresse, soit à ... ;

* M. M. N. (N.) D. etait assiste de l'ancien avocat de son frere E. D.dans le cadre de la procedure en divorce congolaise, lequel sedefendit, dans l'espece litigieuse, en personne ;

* La somme de 282.000 USD a ete rec,ue par M. E. D. à titre de pret« en dix tranches, dont la derniere remonte au 20/08/2008 » et« depuis lors [M. M. N. (N.) D.] a entrepris des demarches pourrecouvrer sa creance aupres de son frere (...) sans succes », retardpour lequel il sollicita le paiement de dommages et interets de300.000 USD (jugement, 5eme et 6eme feuillet) ;

* M. E. D. declara au juge congolais « ne trouve[r] aucun inconvenientà ce que son frere lui reclame sa creance » le tribunal constatant« qu'il la reconnait avec des ecrits à l'appui, la lettre du10/10/2008 est eloquente quant à ce dans le sens qu'il reconnait quele montant qu'on lui reclame est assez important », M. E. D.precisant par ailleurs que « son salaire est insuffisant et [qu'il]ne saurait payer ladite creance, le seul espoir qui lui reste c'est devoir la procedure de divorce avec sa femme aboutir, pour lui permettrede recuperer une partie de ses comptes » (jugement, 6eme feuillet).

La lettre de M. E. D. du 10 octobre 2008 à laquelle la juridictioncongolaise se refere est redigee en ces termes :

« Concerne : Paiement de ma creance

Mon cher frere,

Ta lettre du 2 octobre courant relative à l'objet en concerne m'estparvenue et je t'en remercie.

Je te remercie pour la disponibilite et la grandeur dont tu as fait montrepour me preter les differentes sommes reclamees et dont la sommationrepresente à ce jour 282.000 USD. Je reconnais que le montant est assezimportant, je reconnais aussi que mon salaire ne suffirait jamais pourrembourser toutes mes dettes mais j'espere que mon divorce sera bientottermine et je pourrais recuperer une partie de mes comptes.

Evidemment si tu decides de saisir mes comptes je serai tres embete maisje ne peux pas t'en vouloir, tu m'as beaucoup aide et tu as beaucouppatiente.

Fraternellement ! » (annexe 8 à la piece du dossier de Mme E. B.).

8.

On souligne que, conformement à la « suggestion » que lui fait sonfrere dans ce courrier, M. M. N. (N.) D. fit effectivement usage decelui-ci pour proceder, le 7 octobre 2009, à deux saisies-arretsconservatoires des sommes deposees sur les comptes belges de son frere àla SA KBC Bank et à la SA Dexia Banque (pieces 8 et 38 du dossier de MmeE. B.).

Contrairement à ce que parait soutenir M. M. N. (N.) D., la circonstanceque Mme E. B. aurait eu connaissance de ces saisies à cette epoquen'indique pas qu'elle a renonce à se prevaloir du caractere frauduleux dutitre prive en vertu duquel celles-ci ont ete pratiquees, dont rienn'indique qu'il fut porte à sa connaissance.

9.

Mme E. B. releve à juste titre que la pretendue dette contractee par M.E. D. à l'egard de son frere M. M. N. (N.) D., à raison, selon lesdeclarations de ce dernier au tribunal de Grande Instance deKinshasa/Gombe, de dix tranches de 28.200 USD, soit quelques 25.000,00 EURpar mois, entre novembre 2007 et aout 2008, n'est pas compatible avec lesdecisions judiciaires belges qui se sont penchees sur les ressources deson ex-epoux à la meme epoque.

Dans son arret dejà cite du 13 mars 2008, la cour de ceans rappelait eneffet que M. E. D. :

* Etait architecte, vivant habituellement à Kinshasa et travaillant auCongo Brazzaville ;

* Avait cree en 1998, avec son frere, M. M. N. (N.) D. et un troisiemeassocie, la SARL N. Decor et Construction, qui s'est vue notammentconfier les travaux de la « tour N. » (immeuble de 30 etages àBrazzaville) ;

* Admettait que la societe precitee lui assurait, outre ses frais delogement à Brazzaville, des revenus de 12.500,00 EUR par moisjusqu'à la fin de l'annee 2003, ou ils auraient chute à 3.000,00 EURpar mois, et qu'il disposait encore d'un capital de 750.000,00 EUR luiprocurant un revenu mensuel de 1.850,00 EUR par mois.

Elle decida toutefois que l'allegation d'une chute sensible de revenusn'etait pas credible, au regard des elements verses aux debats par Mme E.B., dont il resultait :

* Qu'en 2006, le compte Dexia de son epoux etait alimente à concurrencede 5.000,00 EUR par mois ;

* Que durant la meme annee, son propre compte Fortis etait alimente parM. E. D., à concurrence de versements mensuels de 1.500,00 EUR ;

* Que les parties s'etaient rendues en vacances au Liban en avril 2006et en Syrie en juillet 2006 ;

* Que son epoux avait pris en location un appartement à Bruxelles àpartir du 1er decembre 2006, pour un loyer mensuel de 1.100,00 EUR+400,00 EUR de charges ;

* Qu'en 2006, un capital de l'ordre de 2.000.000,00 EURetait depose surles comptes bancaires de son epoux en Belgique, en France, en Suisseet au Luxembourg ;

* Que M. E. D. etait proprietaire avec son frere d'une luxueuse villaà Kinshasa qu'il occupait le weekend.

Comme on l'a vu, il fut deduit de ces elements que les ressources globalesde M. E. D. atteignaient au moins 12.500,00 EUR par mois (soit, selon lacour, 5.750,00 EUR de revenus professionnels et 6.667,00 EUR de revenusmobiliers), ressources jugees constantes par l'arret du 14 mars 2011,nonobstant les denegations de M. E. D. (supra, point 6), reiterees envain par celui-ci dans le cadre du present litige.

Par ailleurs, il ne ressort pas de la lecture de ces decisionsjudiciaires, pleinement opposables à M. E. D., qu'il aurait fait etat dupret de 282.000 USD qui lui aurait ete consenti par son frere en dixtranches de 28.200 USD à partir du mois de novembre 2007, ni desdemarches qui auraient ete entreprises par ce dernier « pour recouvrer sacreance (...) » (cf. les termes du jugement du tribunal de GrandeInstance de Kinshasa/Gombe du 19 novembre 2009).

L'allegation de M. E. D. suivant laquelle « le capital mobilier dont laCour fait etat a fondu par la multiplication des frais resultant desdifferentes procedures initiees par Madame E. B. tant au Congo qu'enFrance ou en Suisse ainsi que les deboires de la crise en 2009 qui ontfini par entamer une autre partie du capital de Monsieur D. », outrequ'elle a ete rejetee par la cour de ceans dans son arret du 14 mars 2011,n'est etayee par aucun piece.

Enfin, la circonstance que son frere a paye les pensions alimentairesqu'il reconnaissait devoir à Mme E. B. ne fait pas, en soi, la preuve deson denouement allegue en 2007 et 2008.

10.

Mme E. B. s'interroge encore à juste titre sur les conditions danslesquelles le proces congolais litigieux a ete mene par M. M. N. (N.) D.contre son frere.

En effet, comme on l'a vu, il resulte de la decision du 19 novembre 2009que M. M. N. (N.) D. etait assiste de Me C. M. K., ancien avocat de sonfrere E. D..

Certes, la deontologie congolaise admet qu'un avocat puisse plaider contreson ancien client apres l'ecoulement d'une annee depuis la rupture desliens existants entre eux (decision du 7 mars 2012 du Conseil de l'Ordredes avocats du barreau de Kinshasa/Gombe, piece 48 du dossier de M. E. D.).

Toutefois, on constate que Me C. M. K. assista M. E. D. dans le cadre dela procedure de divorce congolaise et des recours ou incidents y relatifsjusqu'au 12 decembre 2008, voire jusqu'à l'audience du 26 decembre 2008(jugement du tribunal de Grande Instance de Kinshasa/Gombe du 3 fevrier2009 dejà cite, piece 17 du dossier de M. E. D.) et que, bien qu'il soitimpossible de determiner, à la lecture du jugement prononce le 19novembre 2009 par le tribunal de Grande Instance de Kinshasa/Gombe, àquelle date « l'exploit d'assignation en recouvrement de creance et endommages et interets » a ete signifie au domicile commun des parties àla cause, Me M. K. plaidait en tout cas contre son ancien client le 4novembre 2009, soit moins d'un an apres la rupture hypothetique des liensexistants entre eux.

Le caractere hypothetique de cette rupture est conforte par le fait que MeM. K. assiste à nouveau M. E. D. lorsqu'il cite directement, le 22 avril2011, Mme E. B. devant le tribunal de Paix de Kinshasa/Gombe, siegeant enmatiere repressive, aux fins d'entendre dire etablie l'infraction detentative d'escroquerie imputee à celle-ci au motif qu'etant mariee sousun regime matrimonial separatiste, elle n'etait pas en droit de s'opposerà la vente de biens « propres » de son ex-epoux au Congo (piece 32 dudossier de Mme E. B.) (voir pages 6 à 15 de l'arret analyse).

3. L'arret attaque en deduit que :

« 11.

Il suit de l'ensemble de ces constats et considerations que la preuve dela fraude alleguee et de l'instrumentalisation subsequente de la justicecongolaise est etablie à suffisance de droit.

Il n'est pas requis, en outre, de s'interroger sur ce qu'aurait pu faireM. N. (N.) D. pour recouvrer, en son temps, sa pretendue creance au Congo,ni d'analyser la pertinence des griefs que se font les ex-epoux, à proposdes procedures menees dans le cadre de leur litige familial au Congo ou enBelgique, ni encore d'examiner si les autres accusations portees par MmeE. B. contre son ex-beau-frere sont etablies.

12.

Les intimes, qui succombent, doivent supporter les depens des deuxinstances, y compris les indemnites de procedure, liquidees à leur tauxde base.

Le litige n'est, en effet, pas particulierement complexe, contrairement àce que pretend Mme E. B. » (voir page 15 de l'arret attaque).

C. Grief

1. Les conditions auxquelles la reconnaissance d'une decision judiciaireetrangere a lieu sont presentees negativement par le CODIP. Celui-ciindique quels sont les motifs de refus de reconnaissance, parmi lesquelsla contrariete manifeste à l'ordre public (article 25, S:1er, 1DEG duCODIP).

Le motif de contrariete manifeste à l'ordre public ne peut servir àoperer une revision au fond car, en vertu de l'article 22 du CODIP, unedecision judiciaire etrangere executoire dans l'Etat ou elle a ete rendueest declaree executoire en Belgique, à l'issue d'une procedured'exequatur et sauf motifs de refus, parmi lesquels la contrariete àl'ordre public. Cependant, l'ordre public est appele à recevoir un effetattenue lorsqu'il s'agit d'apprecier les effets d'une situationvalablement creee à l'etranger. Dans ce cas, les autorites belges n'etantpas sollicitees pour participer à la creation d'une situaitonincompatible avec l'ordre public belge, mais simplement à se prononcersur les effets en Belgique d'une situation valablement constituee àl'etranger, l'ordre public appelle une appreciation plus souple.

Cette notion apparait pour la premiere fois en Belgique dans lajurisprudence de la Cour de cassation dans l'arret denomme « Josi I »qui jugea à l'egard d'un mariage à titre posthume celebre en France que« le juge ne doit verifier la compatibilite avec l'ordre publicinternational que des seuls effets juridiques susceptibles d'etre produitspar la regle du droit etranger declaree applicable ». En cette matiere,la jurisprudence de la Cour de cassation belge est inspiree de celle de laCour de cassation franc,aise qui, dans un arret du 17 avril 1953, retenaitdejà la distinction entre un ordre public plein et un ordre publicattenue en ces termes : « la reaction à l'encontre d'une dispositioncontraire à l'ordre public n'est pas la meme suivant qu'elle met obstacleà l'acquisition en France, ou suivant qu'il s'agit de laisser produire enFrance les effets d'un droit acquis sans fraude à l'etranger ».

Dans cette mesure, l'ordre public remplit sa fonction d'exception, degarde-fou ultime, qui est appele à intervenir uniquement en presenced'effets particulierement graves (comme la creation sur le territoirebelge d'une institution incompatible avec l'ordre public belge, parexemple, la celebration d'un mariage polygamique). C'est la raison pourlaquelle l'article 21 du CODIP conduit à envisager uniquement les effetsde la loi etrangere (et non la loi etrangere en tant que telle) et àapprecier la gravite de ceux-ci.

Cependant, au fil des arrets, il est devenu clair que les juridictionsbelges (comme franc,aises) modulaient leur analyse de la conformite avecl'ordre public international en fonction de l'intensite des liens derattachement entretenus par la situation avec le for. Il s'agit de l'ordrepublic de proximite.

L'ordre public de proximite a pour fonction d'assurer la defense desvaleurs jugees primordiales dans la vie societale de l'ordre juridique dufor aux situations qui s'ancrent dans cet ordre juridique.

L'article 21 du CODIP, applicable depuis octobre 2004 mais consolidant deselements apportes dejà par la jurisprudence anterieure, consacre donc uneapproche nuancee de l'exception d'ordre public, qui attire l'attention surla fonction de la notion et sur les criteres presidant à sa mise enoeuvre. Selon cet article, il faut d'abord prendre enconsideration « l'intensite du rattachement de la situation avec l'ordrejuridique belge ». On tient compte à cet egard des « liens plus oumoins etroits qui unissent la situation litigieuse à l'Etat dans lequell'exception d'ordre public est mise en oeuvre ». Ensuite, il convientd'evaluer « la gravite de l'effet que produirait l'application de cedroit etranger », le caractere « serieux » de son incompatibilite avecle droit materiel du for, c'est-à-dire avec le droit materiel belge.

Ainsi, deux criteres doivent etre pris en consideration afin d'apprecierla compatibilite de l'effet d'une disposition de droit etranger :l'intensite du rattachement de la situation avec l'ordre juridique belge(ordre juridique de proximite) et la gravite de l'effet produit parl'application du droit etranger (ordre public attenue).

Ce sont donc les effets de la reconnaissance ou de l'execution de ladecision etrangere - et non cette decision elle-meme - qui doivent etremanifestement incompatibles avec l'ordre public international belge.L'ordre juridique du for n'est en effet pas affecte de la meme manieres'il contribue à l'accomplissement sur son territoire d'un acte juridiqueou s'il doit simplement admettre certains effets d'un acte accompli àl'etranger.

L'appreciation de la proximite et des effets revient au juge du fond dansune approche in concreto.

Il est exclu qu'à la faveur de l'exercice d'une telle appreciation, lejuge belge procede, en realite, à une revision au fond de la decisionjudiciaire etrangere. L'article 25, S:2 du CODIP est clair à ce sujet :« En aucun cas », le juge belge ne pourrait proceder de la sorte.

2. En l'espece, par les motifs repris au present moyen et tenus ici pourintegralement reproduits, l'arret attaque estime, en substance, queMonsieur N. D. a acquis son droit de creance à l'encontre de son frere demaniere frauduleuse par le biais d'une instrumentalisation de la justicecongolaise des lors que :

(i) les deux parties à la cause dans le jugement du 19 novembre 2009 sontdomiciliees à la meme adresse, soit à ... ;

(ii) la dette contractee par Monsieur E. D. à l'egard de son frere neserait pas « compatible avec les decisions judiciaires belges qui se sontpenchees sur les ressources de [Monsieur E. D.] à la meme epoque »,« les ressources globales de Monsieur E. D. atteignaient au moins 12.500EUR par mois (...) ressources jugees constantes par l'arret du 14 mars2011 » ;

(iii) « il ne ressort pas de la lecture de ces decisions judiciaires,pleinement opposables à M. E. D., qu'il aurait fait etat du pret de282.000 USD (...), ni des demarches qui auraient ete entreprises par cedernier « pour recouvrer sa creance (...) » ;

(iv) il n'est pas etabli que le capital mobilier de M. E. D. « a fondupar la multiplication des frais resultants des differentes proceduresinitiees par Madame E. B. (...) » ;

(v) le fait que Monsieur N. D. « a paye les pensions alimentaires qu'ilreconnaissait devoir à Mme E. B. ne fait pas, en soi, la preuve de sondenuement allegue en 2007 et 2008 » ;

(vi) Me C. M. K. a agi en tant que conseil de Monsieur N. D. dans laprocedure contre son frere alors que cet avocat etait conseil de MonsieurE. D. dans le cadre de la procedure en divorce menee au Congo à uneperiode ou cette representation ne lui etait pas permise (selon l'arretattaque).

Or, l'arret attaque ne pouvait se fonder sur la consideration que lajustice congolaise aurait ete instrumentalisee et y voir une applicationde l'exception de fraude, pour rejeter la demande d'exequatur. Cetteconsideration est une question de droit et non une appreciation de fait,meme si elle prend appui sur le complexe de faits releve ci-dessus. Ellepeut donc faire l'objet de la presente critique.

Il ne ressort pas des constatations de l'arret attaque que lareconnaissance du jugement du 19 novembre 2009 consacrant la creance deMonsieur N. D. à l'egard de son frere contreviendrait à l'ordre publicinternational belge. L'arret attaque ne s'attache pas, comme il aurait dule faire, à verifier si la reconnaissance de la creance de Monsieur N. D.à l'egard de son frere ne heurte pas les valeurs primordiales de la viesocietale de l'ordre juridique du for. Il s'attache à verifier, alors quecette demarche est proscrite, comment a ete rendue la justice congolaise.

Malgre ses denegations sur ce point, l'arret attaque procede à uneveritable revision au fond de la decision du tribunal de Grande Instancede Kinshasa/Gombe du 19 novembre 2009, consacrant la creance litigieuse.

Par ailleurs, l'arret attaque ne pourrait etre interprete comme faisantapplication de l'article 25, S:1er, 5DEG du CODIP. En effet, l'arretattaque releve certes que la dette contractee par Monsieur E. D. àl'egard de son frere n'est « pas compatible » avec les decisionsjudiciaires belges qui se sont penchees sur les ressources de ce derniermais n'en deduit pas que la decision etrangere examinee serait« inconciliable » avec les decisions belges, au sens de cettedisposition. La cour d'appel de Bruxelles aurait d'ailleurs pu seprononcer en ce sens car le demandeur n'etait pas partie aux proceduresayant conduit aux arrets de la cour d'appel de Bruxelles du 13 mars 2008et 14 mars 2011, ce qui ressort clairement des constatations de l'arretattaque. Or, des decisions inconciliables au sens de l'article 25, S:1er,5DEG du CODIP sont considerees comme telles « si les decisions en causeentrainent des consequences juridiques qui s'excluent mutuellement ». Teln'est manifestement pas le cas, en l'espece.

De surcroit, il apparait clairement de l'ensemble des motifs de l'arretattaque que c'est sur la base de l'exception de fraude, alleguee par ladefenderesse, et deduite d'une « instrumentalisation subsequente de lajustice congolaise » (voir nDEG 11 de l'arret attaque) que la demanded'exequatur est rejetee. C'est cette demarche, ayant amene l'arret attaqueà proceder à une revision au fond de la decision judiciaire etrangere,qui est critiquee par le present moyen.

3. En consequence, l'arret attaque, en se fondant sur la considerationselon laquelle « la preuve de la fraude alleguee et del'instrumentalisation subsequente de la justice congolaise est etablie àsuffisance de droit », meconnait les articles 21, 22 et 25 du Code dedroit international prive et le principe general du droit fraus omniacorrumpit.

Par ce moyen et ces considerations,

L'avocate à la Cour de cassation soussignee conclut qu'il vous plaise,Messieurs, Mesdames, casser l'arret attaque, renvoyer la cause devant uneautre cour d'appel, statuer comme de droit sur les depens de l'instance encassation et ordonner que mention soit faite de votre arret en marge de ladecision annulee.

Bruxelles, le 16 mars 2016

Michele Gregoire

Avocate à la Cour de cassation

D. est decedee à une date non revelee par les parties, apparemment à lafin du mois d'octobre 2011.

La cour d'appel de Bruxelles a en effet considere que les juridictionsbelges avaient ete regulierement saisies en premier lieu d'une demandeentre les memes parties portant sur le meme objet, par la citationsignifiee à M. E. D. le 22 novembre 2006. Le Tribunal de Grande Instancede Nantes, saisie d'une demande d'exequatur du jugement de divorcecongolais par M. E. D. l'a egalement rejetee par un jugement du 9 fevrier2012, au motif que « c'est par une presentation inexacte des conditionsde l'installation en Belgique de l'epouse, soutenue comme faisant suite àun abandon du dernier domicile conjugal à Kinshasa, que Monsieur D. a puobtenir des juridictions congolaises qu'elles prononcent le divorce sanscomparution la defenderesse. En effet, Madame E. B., ressortissanteetrangere, n'ayant de fait ni domicile ni residence au Congo, au sens del'article 144 de l'Ordonnance-loi 82-020 du 31 mars 1982 portant code del'organisation et la competence judiciaire, ne pouvait, par applicationdes dispositions de l'article 145 de ladite ordonnance-loi, etre jugee parles juridictions congolaises, saisies en seule consideration du domiciledu demandeur, sans avoir comparu. En effet, suivant le dernier alinea decet article, le defendeur etranger defaillant est presume decliner lacompetence des juridictions congolaises » (piece 33 du dossier de Mme E.B.). M. E. D. a releve appel de cette decision.

La cour est dans l'impossibilite de verifier quelles sommes ont eteeffectivement payees par M. E. D. à Mme E. B. à titre alimentaire, quece soit volontairement ou dans le cadre des mesures d'execution sur sescomptes bancaires ; elle ignore egalement quelles sommes sont precisementet actuellement dues par M. E. D. de ce chef à son ex-epouse. En effet,en l'absence de production par les parties de l'arret de la 17eme chambrede la cour d'appel de ceans du 25 octobre 2011, il n'est pas possible deverifier si le decompte des montants "incontestablement" dus et exigiblesdresse pour Mme E. B. en avril 2013, totalisant, à cette date 191.066,15EUR (piece 6 du dossier de Mme E. B.), tient compte - ce que M. E. D.conteste - de la mainlevee partielle de la saisie-arret executionpratiquee le 26 mars 2009 entre les mains de la SA KBC Bank (qui declaraitalors que M. E. D. etait titulaire d'un compte à vue avec un solde de49.654,64 EUR et de deux comptes d'epargne, respectivement crediteurs de512,24 EUR et de 3.476,02 EUR, ce dernier montant etant bloque dans lecadre d'une garantie locative - document 12 de la piece 5 du dossier deMme E. B.).

Dans sa decision du 7 mars 2012, le Conseil de l'Ordre des avocats dubarreau de Kinshasa/Gombe estime, quant à lui, que le manquement audevoir de loyaute reproche à Me M. K. n'est pas etabli, des lors que« le tribunal de paix de Kinshasa/Ngaliema avait rendu son jugement dansl'affaire (...) depuis le 3 septembre 2008, soit une annee et deux moisapres » l'audience du 4 novembre 2009 (piece 48 precitee du dossier de M.E. D.).

J.-L. VAN BOXSTAEL, Syllabus de droit international prive notarial,Universite de Liege, 2005, p. 7.

Aux termes de l'article 25 du CODIP, « S: 1er. Une decision judiciaireetrangere n'est ni reconnue ni declaree executoire si :

1DEG l'effet de la reconnaissance ou de la declaration de la forceexecutoire serait manifestement incompatible avec l'ordre public; cetteincompatibilite s'apprecie en tenant compte, notamment, de l'intensite durattachement de la situation avec l'ordre juridique belge et de la gravitede l'effet ainsi produit ;

2DEG les droits de la defense ont ete violes ;

3DEG la decision a ete obtenue, en une matiere ou les personnes nedisposent pas librement de leurs droits, dans le seul but d'echapper àl'application du droit designe par la presente loi ;

4DEG sans prejudice de l'article 23, S: 4, elle peut encore faire l'objetd'un recours ordinaire selon le droit de l'Etat dans lequel elle a eterendue ;

5DEG elle est inconciliable avec une decision rendue en Belgique ou avecune decision rendue anterieurement à l'etranger et susceptible d'etrereconnue en Belgique ;

6DEG la demande a ete introduite à l'etranger apres l'introduction enBelgique d'une demande, encore pendante, entre les memes parties et sur lememe objet ;

7DEG les juridictions belges etaient seules competentes pour connaitre dela demande ;

8DEG la competence de la juridiction etrangere etait fondee uniquement surla presence du defendeur ou de biens sans relation directe avec le litigedans l'Etat dont releve cette juridiction ; ou

9DEG la reconnaissance ou la declaration de la force executoire se heurteà l'un des motifs de refus vises aux articles 39, 57, 72, 95, 115 et 121.

S: 2. En aucun cas, la decision judiciaire etrangere ne peut faire l'objetd'une revision au fond ».

Cass., 2 avril 1981, R.C.J.B., 1983, p. 499 et note F. RIGAUX. Pour desapplications plus recentes de ce meme principe : Cass., 15 decembre 2014,J.L.M.B., 215/36, p. 1728 ; Cass., 29 avril 2002, Pas., 2002, I, nDEG 259.

Cass., Fr., 1re Civ., 17 avril 1953, pourvoi nDEG 2.520, Bull, 1953, I,nDEG 121.

S. FRANCQ et J. MARY, « Les effets sociaux du mariage polygamique : pourune appreciation en contexte », R.T.D.F., 2013/4, p. 868.

S. FRANCQ et J. MARY, « Les effets sociaux du mariage polygamique : pourune appreciation en contexte », R.T.D.F., 2013/4, p. 869.

P. COURBE, « L'ordre public de proximite », in Le droit internationalprive : esprit et methodes. Melanges en l'honneur de Paul Lagarde, Paris,Dalloz, 2005, p. 238

F. RIGAUX et M. FALLON, Droit international prive, 3eme ed., Bruxelles,Larcier, 2005, p. 323, nDEG 7.53.

M. REVILLARD, Droit international prive et pratique notariale, Paris,Defrenois, 2010, p. 22, nDEG 28.

H. BOULARBAH, « Le nouveau droit international prive belge », J.T.,2005, p. 185, nDEG 95.

L. BARNICH, Les actes juridiques en droit international prive, Bruxelles,Bruylant, 2001, p. 275.

C.C. 4 mai 2005, nDEG 84/2005 : « sous reserve de ce que ses effets netroublent pas l'ordre public international belge, ce qu'il appartient aujuge a quo de controler in concreto ».

C.J.CE, aff. 145/86, 4 fevrier 1988, Hoffman c. Krieg, Rec., 1988, 645.

8 JUIN 2017 C.16.0114.F/6

Requete/18


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.16.0114.F
Date de la décision : 08/06/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2017
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2017-06-08;c.16.0114.f ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award