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02/05/2017 | BELGIQUE | N°P.17.0290.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 02 mai 2017, P.17.0290.N


Cour de cassation de Belgique

Arrêt

N° P.17.0290.N

I. D. B.,

prévenu, détenu,

demandeur en cassation,

Me Thibaud Delva, avocat au barreau d'Anvers,

II. 1. H. B.,

2. E. B.,

prévenus, détenus,

demandeurs en cassation,

Me Tim Smet, avocat au barreau d'Anvers.

I. la procédure devant la cour

Le pourvoi I est dirigé contre un arrêt rendu le 18 janvier 2017 par lacour d'appel d'Anvers, chambre correctionnelle.

Les pourvois II sont dirigés contre un arrêt rendu le 1^er mars 2017 parla cour d

'appel d'Anvers, chambre correctionnelle.

Le demandeur I invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présentarrêt, en copie certifiée conforme...

Cour de cassation de Belgique

Arrêt

N° P.17.0290.N

I. D. B.,

prévenu, détenu,

demandeur en cassation,

Me Thibaud Delva, avocat au barreau d'Anvers,

II. 1. H. B.,

2. E. B.,

prévenus, détenus,

demandeurs en cassation,

Me Tim Smet, avocat au barreau d'Anvers.

I. la procédure devant la cour

Le pourvoi I est dirigé contre un arrêt rendu le 18 janvier 2017 par lacour d'appel d'Anvers, chambre correctionnelle.

Les pourvois II sont dirigés contre un arrêt rendu le 1^er mars 2017 parla cour d'appel d'Anvers, chambre correctionnelle.

Le demandeur I invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présentarrêt, en copie certifiée conforme.

Les demandeurs II invoquent un moyen identique dans un mémoire distinctannexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.

Le conseiller Ilse Couwenberg a fait rapport.

L'avocat général délégué Alain Winants a conclu. 

II. la décision de la cour

Sur le premier moyen du demandeur I, pris dans son ensemble :

1. Le moyen invoque la violation des articles 6 de la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 2 duProtocole additionnel n° 7 à la Convention de sauvegarde des droits del'homme et des libertés fondamentales : l'arrêt déclare, à tort, ledemandeur déchu de son appel en raison du dépôt tardif du formulaire degriefs ; il n'est pas possible pour un détenu, sans l'assistance d'unavocat, de déposer une requête comportant des griefs ; il s'agit ainsid'un cas de force majeure ; en décidant qu'il ne s'agit pas d'une forcemajeure dès lors que le demandeur pouvait consulter un avocat pro deo,l'arrêt viole l'article 6, § 3, e, de la Convention de sauvegarde desdroits de l'homme et des libertés fondamentales (première branche), ilfait preuve d'un formalisme excessif, contrairement à l'article 2 précité,(deuxième branche), portant ainsi substantiellement atteinte au droitd'appel du demandeur (troisième branche) qui s'en voit privé (quatrièmebranche).

2. En vertu de l'article 203, § 1^er, alinéa 1^er, du Code d'instructioncriminelle, il y aura déchéance de l'appel, si la déclaration d'appelern'a pas été faite au greffe du tribunal qui a rendu le jugementcontradictoirement, trente jours au plus tard après celui où il a étéprononcé.

Selon l'article 204 du Code d'instruction criminelle :

* à peine de déchéance de l'appel, la requête ou le formulaire de griefsindique précisément les griefs élevés contre le jugement et estremis(e), dans le même délai et au même greffe que la déclarationd'appel visée à l'article 203 ;

* cette requête ou ce formulaire de griefs peut aussi être remis(e)directement au greffe de la juridiction d'appel.

3. Il résulte du texte des articles 203 et 204 du Code d'instructioncriminelle, de leur genèse légale, de leurs objectifs et du lienréciproque entre ces articles que le juge doit déclarer le prévenu déchude son droit d'appel formé contre un jugement rendu contradictoirement sicelui-ci n'a pas introduit sa requête ou le formulaire comportant sesgriefs au greffe de la juridiction ayant rendu la décision attaquée ou dela juridiction d'appel, au plus tard trente jours suivant le jour duprononcé de cette décision.

Dans la mesure où il est déduit d'une autre prémisse juridique, le moyenmanque en droit.

4. Il résulte de l'article 1^er de la loi du 25 juillet 1893 relative auxdéclarations d'appel des personnes détenues ou internées dans sa versionapplicable que le détenu peut faire sa déclaration d'appel au directeur dela prison ou à son délégué.

Cette disposition a été insérée parce que la circonstance qu'un condamnéest privé de liberté peut avoir pour conséquence qu'il ne puisseinterjeter appel de la décision de condamnation en temps utile par ledépôt d'une déclaration au greffe du tribunal qui a rendu cette décision.

5. Il résulte de l'objectif de cette disposition, lue en combinaison avecles articles 203 et 204 du Code d'instruction criminelle, que même unerequête ou un formulaire de griefs, tels que visés à l'article 204 du Coded'instruction criminelle, dans lesquels sont précisément indiqués lesgriefs élevés contre le jugement, peuvent être transmis au directeur de laprison ou à son délégué.

Dans la mesure où il est déduit d'une autre prémisse juridique, le moyenmanque également en droit.

6. Dans la mesure où il invoque qu'en raison de son séjour en prison, ledemandeur n'a pu déposer le formulaire de griefs en temps utile au greffedésigné, le moyen impose à la Cour un examen des faits pour lequel elleest sans compétence et il est irrecevable.

(…)

Sur le moyen des demandeurs II :

10. Le moyen invoque la violation des articles 6, § 1^er, et 6, § 3, d, dela Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertésfondamentales, ainsi que la méconnaissance du principe général du droit àun procès équitable : les juges d'appel ont refusé, à tort, d'accéder à lademande formulée par les demandeurs visant à faire réentendre A. B. sur lecontenu de sa déclaration manuscrite du 9 novembre 2016 ou de la faireentendre à l'audience à ce propos en tant que témoin ; il n'y a pas demotifs sérieux de ne pas entendre cette personne ; le caractèreéventuellement peu crédible de cette déclaration, qui s'écarte desdéclarations initiales, et la possible influence ou loyauté familialen'empêche pas qu'il soit procédé de manière objective et indépendante à uninterrogatoire par la police ou à l'audience, permettant de mesurerprécisément cette influence ou cette loyauté ; les déclarations de la sœurde la prétendue victime ne sont certes pas l'élément probatoire unique,mais sont toutefois d'une importance déterminante ; il n'y a pas davantagede garanties compensatrices dans la procédure ; il en résulte que le refusde faire réentendre ou d'entendre ce témoin viole les droits de défensedes demandeurs, tels que consacrés à l'article 6, § 3, d, de la Conventionde sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. La question de savoir si le juge appelé à se prononcer sur lebien-fondé de l'action publique est tenu d'entendre en qualité de témoinune personne qui a fait une déclaration à charge d'un prévenu au cours del'information, si ce prévenu en fait la demande, doit s'apprécier à lalumière du droit à un procès équitable garanti à l'article 6, § 1^er, dela Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertésfondamentales et du droit à interroger ou faire interroger des témoins àcharge garanti à l'article 6, § 3, d, de cette même Convention.L'essentiel, à cet égard, est de savoir si, considérées dans leurensemble, les poursuites pénales engagées contre le prévenu se déroulentéquitablement, ce qui n'exclut pas que le juge tienne compte non seulementdes droits de la défense de ce prévenu, mais aussi de l'intérêt de lasociété, des victimes et même des témoins.

12. Il résulte en principe de l'article 6, § 1^er, de la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que lapreuve invoquée à charge d'un prévenu lui est soumise au cours del'audience publique et que ce prévenu peut contredire cette preuve.

13. Les articles 6, § 1^er, et 6, § 3, d, de la Convention de sauvegardedes droits de l'homme et des libertés fondamentales, tels qu'interprétéspar la Cour européenne des droits de l'Homme, requièrent que, pour prendreen considération à titre de preuve une déclaration incriminante faite parune personne entendue au cours de l'information, sans avoir donné à ceprévenu la possibilité que cette personne soit interrogée à l'audience entant que témoin, le juge vérifie  :

(i) s'il existe des motifs sérieux justifiant la non-audition du témoin, àsavoir s'il existe des motifs factuels ou juridiques permettant dejustifier l'absence du témoin à l'audience ;

(ii) si la déclaration à charge constitue le fondement unique oudéterminant de la condamnation, étant donné qu'on entend par déterminantle fait que la preuve est d'une importance telle que son admission ainduit l'issue de la cause ;

(iii) si, face à l'impossibilité d'interroger le témoin, il existe deséléments compensateurs suffisants, notamment des garanties procéduralessolides. De tels facteurs suffisamment compensateurs peuvent consister enle fait d'accorder une valeur probante réduite à de telles déclarations,en la diffusion de l'enregistrement vidéo de l'audition réalisée au stadede l'information permettant d'apprécier la fiabilité des déclarations, enla production d'éléments de preuve venant appuyer ou corroborer le contenudes déclarations faites au stade de l'enquête, en la possibilité de poserau témoin des questions écrites, en la possibilité offerte au prévenud'interroger ou de faire interroger le témoin au stade de l'information eten la possibilité offerte au prévenu de donner son point de vue quant à lafiabilité du témoin ou de souligner des contradictions internes dans cesdéclarations ou avec les déclarations d'autres témoins.

14. En principe, le juge appréciera l'impact sur le procès équitable del'absence d'audition à l'audience d'un témoin ayant fait une déclaration àcharge au cours de l'information, à la lumière des trois critères précitéset dans cet ordre, à moins qu'un seul de ces critères soit à ce pointdécisif que ledit critère suffise à établir si la procédure pénale, dansson ensemble, s'est déroulée ou non de manière équitable.

15. Il appartient au juge d'apprécier souverainement, à la lumière descritères précités, si le fait de ne pas entendre à l'audience un témoinayant fait au cours de l'information une déclaration à charge du prévenu,viole le droit de ce dernier à un procès équitable dans son ensemble. Lejuge doit fonder sa décision sur des circonstances concrètes qu'ilindique.

16. L'arrêt, qui prend en considération comme simple élément, parmid'autres, la déclaration faite par A. B. au cours de l'information, afinde conclure à la fiabilité de la déclaration de la victime, rejette lademande formulée par les demandeurs visant à entendre ou faire entendrecette personne en qualité de témoin, par les motifs suivants :

- à l'audience du 9 novembre 2016, les demandeurs ont déposé comme piècenouvelle une déclaration écrite de A. B. et les juges d'appel ont pris encompte cette nouvelle pièce pour apprécier la culpabilité ;

- la constatation que A. B. a été largement entendue au stade del'information, au cours d'une session audiovisuelle ayant permis de mettreen lumière sa relation avec sa sœur M. et les faits de mœurs dont cettedernière a été victime ; au cours de cette audition, elle n'a jamais faitmention de la thèse développée dans sa déclaration manuscrite actuelle,selon laquelle M. aurait laissé entendre avoir affabulé sur les faits demœurs, commis par les demandeurs, par crainte de la réaction à sagrossesse ;

- la constatation que A. B. a également été examinée au cours de cetteinformation par le médecin légiste Dillen et qu'elle n'a pas davantageévoqué, durant cet examen, une déclaration fantaisiste de sa sœurconcernant les faits de mœurs ;

- le fait que le contenu de la nouvelle déclaration est difficilementcompatible avec la constatation que les sœurs M. et A. B. ont été placéesen institution dans le cadre de leurs interrogatoires audiovisuels du 26novembre 2014 ; compte tenu de ce placement, il est effectivementdifficilement concevable que M. aurait confié à un moment où elle habitaitencore à la maison, que ses déclarations sur les faits de mœurs étaientfictives, d'autant qu'il est également difficile à croire qu'elle étaitdéjà au courant de sa grossesse à cet instant ;

- le caractère peu crédible de cette nouvelle déclaration, faite près dedeux mois entiers après le début de l'information.

En mentionnant ces circonstances concrètes, les juges d'appel ont rejetéla demande formulée par les demandeurs visant l'audition de A. B. enqualité de témoin à charge et ils ont indiqué les facteurs compensateursde cette absence d'audition de ce témoin. Ainsi, l'arrêt ne viole pas lesarticles 6, § 1^er, et 6, § 3, d, de la Convention de sauvegarde desdroits de l'homme et des libertés fondamentales, mais justifie légalementla décision.

Le moyen ne peut être accueilli.

Le contrôle d'office

17. Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont étéobservées et les décisions sont conformes à la loi.

Sur l'arrestation immédiate :

18. Ensuite du rejet à prononcer ci-après des pourvois introduits contreles décisions rendues sur l'action publique, ces décisions acquièrentforce de chose jugée. Les pourvois introduits contre la décision ordonnantl'arrestation immédiate des demandeurs n'ont, par conséquent, plusd'objet.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Rejette les pourvois ;

Condamne les demandeurs aux frais de leur pourvoi.

* Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient Paul Maffei, président, Filip Van Volsem, Alain Bloch,Erwin Francis et Ilse Couwenberg, conseillers, et prononcé en audiencepublique du deux mai deux mille dix-sept par le président Paul Maffei,en présence de l'avocat général délégué Alain Winants, avecl'assistance du greffier délégué Véronique Kosynsky.

* Traduction établie sous le contrôle du conseiller François StévenartMeeûs et transcrite avec l'assistance du greffier Tatiana Fenaux.

* Le greffier, Le conseiller,

2 MAI 2017 P.17.0290.N/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.17.0290.N
Date de la décision : 02/05/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 19/09/2018
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2017-05-02;p.17.0290.n ?
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