A. R.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,
contre
M. A.,
défendeur en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 19 novembre 2013 par la cour d'appel de Liège.
Le conseiller Michel Lemal a fait rapport.
L'avocat général Philippe de Koster a conclu.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- articles 203 et 204 du Code des sociétés ;
- articles 19 à 28 et 1122, spécialement alinéa 2, 4°, du Code judiciaire ;
- article 1350, spécialement 3°, du Code civil.
Décisions et motifs critiqués
1. L'arrêt « reçoit les appels, confirme le jugement entrepris sous la seule émendation que les dépens d'instance sont compensés et que la condamnation [du demandeur] de ce chef est supprimée, et compense les dépens d'appel ».
2. L'arrêt repose sur l'ensemble de ses motifs, tenus ici pour intégralement reproduits, et en particulier sur les motifs selon lesquels :
« La demande de condamnation formée par [le demandeur] contre le défendeur se fonde sur sa qualité d'associé de la société en nom collectif Orthobenelux, laquelle a été condamnée envers le demandeur en vertu d'un jugement rendu par défaut le 9 juin 2011 par le tribunal de commerce de Liège, cette décision étant passée en force de chose jugée pour avoir été signifiée le 18 août 2011 et n'avoir fait l'objet d'aucun recours de ladite société, ensuite déclarée en faillite le 24 septembre 2012.
Si, en vertu de l'article 204 du Code des sociétés, les associés sont tenus solidairement pour tous les engagements de la société, il reste que l'autorité de chose jugée invoquée par le demandeur pour obtenir la condamnation solidaire automatique du défendeur n'a lieu que si la demande est entre les mêmes parties, ce qui n 'est pas le cas.
Il en résulte que la force probante résultant de ce jugement du 9 juin 2011 ne fait pas naître d'obligations à l'égard des tiers et que ceux-ci, tel le défendeur, peuvent s'en dégager en exerçant une tierce-opposition par voie directe ou de manière incidente.
[...] S'il est exact qu'un associé solidaire est tenu de toutes les dettes sociales antérieures à sa démission, il ne saurait y avoir d'obligation [du défendeur] dès lors que la réclamation [du demandeur] ne porte pas sur une dette de la société à l'encontre de laquelle une procédure a été intentée. Le succès de cette procédure ne tient qu'au défaut de la société et du débiteur réel cité en même temps et non à la reconnaissance argumentée que la créance [du demandeur] concernait effectivement ladite société ».
3. L'arrêt en conclut que « n'ayant pas autorité de chose jugée à l'égard [du défendeur], le jugement du 9 juin 2011 ne peut justifier une exécution menée contre lui ».
Griefs
1. Aux termes de l'article 204 du Code des sociétés, « les associés en nom collectif sont solidaires pour tous les engagements de la société, encore qu'un seul des associés ait signé, pourvu que ce soit sous la dénomination sociale ».
Il découle de cette disposition que les associés en nom collectif sont solidaires pour tous les engagements de la société et qu'un acte imputé à la société est automatiquement imputé aux associés en nom collectif également. L'associé n'est pas tenu en tant que caution des dettes de la société mais en est personnellement débiteur.
Cette solidarité implique que le jugement condamnant une société en nom collectif a autorité de chose jugée, au sens des articles 19 à 28 du Code judiciaire, et dispose d'une force probante au regard de l'article 1350, 3°, du Code civil envers les associés en nom collectif. Le représentant de la société en nom collectif représente, en effet, chacun des associés. Comme les associés en nom collectif sont représentés dans la procédure par le représentant de la société, ils ne peuvent faire tierce-opposition contre le jugement condamnant la société, ainsi que le prévoit l'article 1122, alinéa 2, 4°, du Code judiciaire.
Le fait que le jugement ait été rendu par défaut contre la société n'a pas d'importance, dans la mesure où la décision de la société de ne pas comparaître est considérée comme étant également celle des associés.
Par ailleurs, l'article 203 du Code des sociétés, en vertu duquel « aucun jugement à raison d'engagements de la société, portant condamnation personnelle des associés en nom collectif ou en commandite simple, ne peut être rendu avant qu'il y ait condamnation contre la société », ne porte pas atteinte à l'obligation solidaire des associés. Cet article tend seulement à éviter que les décisions judiciaires rendues à l'égard des associés soient contraires aux décisions rendues à l'égard de la société en nom collectif mais ne déroge aucunement à l'engagement propre et direct des associés d'une société en nom collectif.
2. Après avoir constaté que « la société en nom collectif Orthobenelux [...] a été condamnée envers [le demandeur] en vertu d'un jugement rendu par défaut le 9 juin 2011 par le tribunal de commerce de Liège » et que cette décision est « passée en force de chose jugée pour avoir été signifiée le 18 août 2011 et n'avoir fait l'objet d'aucun recours de ladite société, ensuite déclarée en faillite le 24 septembre 2012 », l'arrêt décide que le jugement du 9 juin 2011 ne peut justifier une exécution menée contre le défendeur, en se fondant sur les motifs que, « si, en vertu de l'article 204 du Code des sociétés, les associés sont tenus solidairement pour tous les engagements de la société, il reste que l'autorité de chose jugée invoquée par [le demandeur] pour obtenir la condamnation solidaire automatique [du défendeur] n'a lieu que si la demande est entre les mêmes parties, ce qui n'est pas le cas ; qu'il en résulte que la force probante résultant de ce jugement du 9 juin 2011 ne fait pas naître d'obligations à l'égard des tiers et que ceux-ci, tel [le défendeur], peuvent s'en dégager en exerçant une tierce-opposition par voie directe ou de manière incidente », ainsi que sur le motif que, « s'il est exact qu'un associé solidaire est tenu de toutes les dettes sociales antérieures à sa démission, il ne saurait y avoir d'obligation [du défendeur] dès lors que la réclamation [du demandeur] ne porte pas sur une dette de la société à l'encontre de laquelle une procédure a été intentée. Le succès de cette procédure ne tient qu'au défaut de la société et du débiteur réel cité en même temps et non à la reconnaissance argumentée que la créance [du demandeur] concernait effectivement ladite société ».
Or, contrairement à ce que considère l'arrêt, le jugement du 9 juin 2011 du tribunal de commerce de Liège, portant condamnation de la société en nom collectif de verser les sommes réclamées par le demandeur, fût-il prononcé par défaut, a autorité de chose jugée envers le défendeur en sa qualité d'associé en nom collectif. Ce dernier ne dispose pas de la possibilité de former tierce-opposition à l'encontre de ce jugement afin d'en anéantir la force probante à son égard.
3. En conséquence, l'arrêt qui, sur la base des considérations qui précèdent, rejette la demande formée par le demandeur contre le défendeur, n'est pas légalement justifié au regard des dispositions légales visées au moyen.
III. La décision de la Cour
En vertu de l'article 23 du Code judiciaire, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'entre les parties.
L'article 204 du Code des sociétés dispose que les associés en nom collectif sont solidaires pour tous les engagements de la société, encore qu'un seul des associés ait signé, pourvu que ce soit sous la dénomination sociale.
En vertu de l'article 203 de ce code, aucun jugement à raison d'engagements de la société, portant condamnation personnelle des associés en nom collectif, ne peut être rendu avant qu'il y ait condamnation contre la société.
Cette disposition vise à protéger l'intérêt des associés en évitant que la décision judiciaire prononcée à leur encontre soit contraire à celle rendue à l'égard de la société en nom collectif.
Il ne suit pas de cette disposition que les associés, qui n'ont pas été mis à la cause dans la procédure tendant à la condamnation de la société en nom collectif, sont parties à cette procédure.
Le jugement portant condamnation de la société en nom collectif n'est dès lors pas revêtu de l'autorité de la chose jugée à leur égard.
Le moyen, qui est fondé sur le soutènement contraire, manque en droit.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de sept cent treize euros trente-trois centimes en débet envers la partie demanderesse.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Mireille Delange, Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du treize avril deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Philippe de Koster, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont
A. Jacquemin
M.-Cl. Ernotte
M. Lemal
M. Delange
Chr. Storck