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30/01/2017 | BELGIQUE | N°C.16.0332.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 30 janvier 2017, C.16.0332.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.16.0332.F

GROUPE ENTHEOS, societe anonyme dont le siege social est etabli àEtterbeek, boulevard Louis Schmidt, 4,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassationpretant son ministere sur requisition et projet, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il est fait election dedomicile,

contre

1. H. S.,

2. A. C. L.,

defendeurs en cassation,

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige con

tre le jugement rendu le 10 decembre2015 par le tribunal de premiere instance francophone de Bruxelles,statuant en d...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.16.0332.F

GROUPE ENTHEOS, societe anonyme dont le siege social est etabli àEtterbeek, boulevard Louis Schmidt, 4,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassationpretant son ministere sur requisition et projet, dont le cabinet estetabli à Bruxelles, avenue Louise, 480, ou il est fait election dedomicile,

contre

1. H. S.,

2. A. C. L.,

defendeurs en cassation,

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre le jugement rendu le 10 decembre2015 par le tribunal de premiere instance francophone de Bruxelles,statuant en degre d'appel.

Le 12 decembre 2016, l'avocat general Jean Marie Genicot a depose desconclusions au greffe.

Par ordonnance du 13 decembre 2016, le premier president a renvoye lacause devant la troisieme chambre.

Le conseiller Michel Lemal a fait rapport et l'avocat general Jean MarieGenicot a ete entendu en ses conclusions.

II. Les moyens de cassation

Dans la requete en cassation, jointe au present arret en copie certifieeconforme, la demanderesse presente deux moyens.

III. La decision de la Cour

Sur le premier moyen :

En vertu de l'article 3, S: 1er, alinea 1er, des regles particulieres auxbaux relatifs à la residence principale du preneur contenues dansl'article 2 de la loi du 20 fevrier 1991, tout bail relatif à laresidence principale du preneur, vise à l'article 1er, est repute conclupour une duree de neuf annees.

Ce bail prend fin conformement aux dispositions du S: 1er, alineas 2 et 3,et des S:S: 2 à 5 de l'article 3 precite.

Le S: 6, alineas 1er et 2, dispose toutefois que, par derogation au S:1er, un bail peut etre conclu, par ecrit, pour une duree inferieure ouegale à trois ans et que ce bail n'est pas regi par les dispositions desS:S: 2 à 5.

Conformement à l'alinea 4 du S: 6 precite, ce bail de courte duree prendfin moyennant un conge notifie par l'une ou l'autre des parties au moinstrois mois avant l'expiration de la duree convenue.

L'alinea 5 du S: 6 dispose que, nonobstant toute clause ou touteconvention contraire, à defaut d'un conge notifie dans les delais ou sile preneur continue à occuper les lieux sans opposition du bailleur, etmeme dans l'hypothese ou un nouveau contrat est conclu entre les memesparties, le bail est repute avoir ete conclu pour une periode de neuf ansà compter de la date à laquelle le bail initial de courte duree estentre en vigueur et est des lors regi par les S:S: 1er à 5.

Il suit de ces dispositions que, à defaut de conge notifie dans le delaiprevu par le S: 6, alinea 4, le bail de courte duree, cette duree fut-elleinferieure à trois ans, est repute avoir ete conclu pour une periode deneuf ans et est regi par les S:S: 1er à 5, des le premier jour dutroisieme mois precedant l'expiration de la duree initialement convenue.

Le moyen, qui soutient le contraire, manque en droit.

Sur le second moyen :

Quant à la premiere branche :

Le moyen, en cette branche, repose sur la consideration que le bail entreparties contient une clause stipulant que le conge devait etre donne parlettre recommandee.

Le jugement attaque ne constate ni l'existence de cette clause ni soncontenu.

Le moyen qui, en cette branche, suppose des verifications de fait pourlesquelles la Cour est sans pouvoir est irrecevable.

Quant à la seconde branche :

Le moyen, en cette branche, ne reproche pas au jugement attaque de deciderque les courriers electroniques du second defendeur contiennent uneaffirmation qui ne s'y trouve pas ou qu'ils ne contiennent pas uneaffirmation qui y figure, mais se borne à lui faire grief de donner deces actes une interpretation que la demanderesse estime etre encontradiction avec celle qu'elle propose.

Un tel grief ne constitue pas une violation de la foi due aux actes.

Le moyen, en cette branche, est irrecevable.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne la demanderesse aux depens.

Les depens taxes à la somme de huit cent trois euros quarante-quatrecentimes envers la partie demanderesse.

Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Martine Regout, les conseillers DidierBatsele, Mireille Delange, Michel Lemal et Sabine Geubel, et prononce enaudience publique du trente janvier deux mille dix-sept par le presidentde section Martine Regout, en presence de l'avocat general Jean MarieGenicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.

+-------------------------------------+
| L. Body | S. Geubel | M. Lemal |
|------------+------------+-----------|
| M. Delange | D. Batsele | M. Regout |
+-------------------------------------+

* Requete

Requete en cassation

Pour : La SA GROUPE ENTHEOS, dont le siege social est situe BoulevardLouis Schmidt 4/1 à 1040 Bruxelles, inscrite à la Banque-Carrefour desEntreprises au nDEG 0880.927.769 ;

Demanderesse en cassation,

Assistees et representees par Me Paul Lefebvre, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à 1050 Bruxelles, avenue Louise480/9, ou il est fait election de domicile ;

Contre : 1) Monsieur H. S.,

2) Monsieur A. C. L. ;

Defendeurs en cassation.

* * *

A Monsieur le Premier President, à Mesdames et Messieurs les Presidentset Conseillers composant la Cour de cassation de Belgique,

Messieurs,

Mesdames,

La demanderesse a l'honneur de deferer à votre censure le jugement renducontradictoirement entre les parties par la 16ieme chambre du Tribunal depremiere instance francophone de Bruxelles, section civile, à l'audiencedu 10 decembre 2015 (nDEG R.G. 2012/11642/A).

Faits et antecedents de la procedure

1. Par contrat de bail conclu le 14 septembre 2010, la SA Groupe Entheos(ci-apres « Entheos ») donna en location à MM. C. L. et S. unappartement situe à [...] Bruxelles, deuxieme etage, pour une duree d'unan prenant cours le 15 septembre 2010 et se terminant le 14 septembre2011.

2. L'article 2 du contrat de bail conclu entre parties (piece nDEG 1 dudossier de pieces d'Entheos) prevoit que :

« Le bail est conclu pour une duree de :

1 an prenant cours le 15 septembre 2010 se terminant le 14 septembre 2011.

Le bail ne peut etre prolonge qu'une seule fois, par ecrit et aux memesconditions, sans que la duree totale de la location ne puisse excedertrois ans.

Aussi bien le bailleur que le preneur peut mettre un terme au contrat àtout moment en donnant un preavis de 2 mois par lettre recommandee. Lepreavis de deux mois court à dater du premier jour du mois qui suitl'envoi du courrier ».

3. Le contrat ne fut pas resilie dans le delai de trois mois prevu par laloi.

Dans le courant de la fin du mois d'aout 2011, les locatairesmanifesterent leur intention de quitter le bien le 15 septembre 2011.Entheos s'y opposa en raison de l'absence de preavis.

4. Le 26 aout 2011, un des deux locataires, M. C. L., ecrivit par e-mailque :

« Nous arrivons bientot en fin de bail qui se termine le 14/09/2011. Noussouhaiterions nous organiser pour la mise en oeuvre de l'etat des lieux desortie. Je vous propose un rendez-vous ce mercredi à 18h».

5. Entheos (via son administrateur-delegue [...]) repondit à cet e-mailen expliquant :

« Je suis etonnee de recevoir cet e-mail de votre part.

Le probleme etant que :

Quelque soit la duree du bail, si vous decidez d'y mettre fin, il estOBLIGATOIRE ET LEGAL d'envoyer un preavis de fin de bail minimum TROISMOIS avant la date anniversaire du bail.

Et ce par courrier recommande (verifier votre bail) ».

6. Les parties ne parvinrent pas à trouver un accord. Entheos confirmaalors son refus de voir le bail se terminer le 15 septembre 2011 enjoignant l'avis de son conseil par e-mail du 7 septembre 2011 :

« (...) le preavis dans un bail de courte duree est egalement OBLIGATOIRE(...) », « etant donne que nous n'avons rec,u aucun preavis de votrepart, ce bail est tacitement reconduit à un bail de 9 ans ! (...) si vouspartez comme vous l'avez decide ce 14 septembre vous devrez à Mlle I. uneindemnite de 5 mois de loyer (...) ».

7. Entheos proposa, par e-mail du 13 septembre 2011, à ses locataires designer un proces-verbal dans lequel ils admettent que la garantie locativesoit payee à la concluante à titre de dedommagement partiel pour larupture avant terme et fautive du contrat et qu'ils doivent, en outre, undedommagement supplementaire de 3 mois pour la meme raison ainsi que lesfrais de consommation d'eau.

Le projet de proces-verbal est le suivant :

« Les locataires ont fait part au bailleur de leur volonte de mettre finau contrat de bail qui lie les parties. Le bailleur leur a repondu que cen'etait pas possible vu l'absence de preavis donne dans les delais. Deslors, le contrat de courte duree s'est mue en un contrat 3-6-9 avec toutesles consequences au niveau des delais de preavis et des indemnites. Suiteà la non-resiliation du contrat dans le respect de la loi ou de laconvention, le bailleur a fait enregistrer le contrat le 14 septembre2011.

Neanmoins, le bailleur ne peut empecher les locataires de partir. Lebailleur rec,oit donc sous toute reserve et sans reconnaissanceprejudiciable - vu que la legalite de la rupture du bail est formellementcontestee - les cles du bien loue et il procede à l'etat des lieux desortie.

Par consequent, le bailleur refuse de liberer la garantie locative de deuxmois de loyer à cause de cette rupture fautive du contrat par leslocataires.

Le bailleur emet en outre une reserve expresse pour reclamer desdommages-interets supplementaires qui lui sont dus (en principe 3 mois deloyer supplementaires en vertu de l'article 3 de la loi sur les baux deresidence) pour la rupture fautive du contrat de bail.

Enfin, les locataires s'engagent à payer la somme de .... EUR pour lesdegats locatifs (voir l'etat des lieux de sortie) endeans les 8 jours aucompte du bailleur, bien connu des locataires. »

8. Le 14 septembre 2011, vers 8 heures du matin, Entheos fit enregistrerla convention de bail.

9. MM. C. L. et S. quitterent les lieux litigieux le soir du 14 septembre2011. Au moment de la remise des cles qui eut lieu à la demande deslocataires, ces derniers refuserent de signer le proces-verbal (i) et depayer la moindre indemnite (ii).

10. Le 23 septembre 2011, le conseil d'Entheos mit les locataires endemeure de donner leur accord pour la liberation de la garantie locativede deux mois de loyer ainsi que pour le paiement de la somme de 2.757,42EUR et pour le paiement de la somme de 57, 42 EUR pour la consommationd'eau.

11. A defaut d'accord entre les parties, une procedure fut initiee devantle juge de paix du premier canton de Schaerbeek par voie de citationsignifiee à M. S. le 20 decembre 2012 et à M. C. L., le 22 decembre2012, à la requete d'Entheos.

Entheos y reclama la resolution du contrat de bail aux torts de MM. C. L.et S. et, partant :

* la liberation de la garantie locative de 1.600 EUR à son profit;

* le paiement de la somme de 3.200,00 EUR à Entheos representant quatremois de loyer à augmenter des interets conventionnels de 12% par anconformement à l'article 7 du contrat de bail à partir de la mise endemeure du 23 septembre 2011 ;

* le paiement de la somme de 57,42 EUR pour les frais de consommationd'eau à augmenter des interets conventionnels de 12% par anconformement à l'article 7 du contrat de bail à partir de la mise endemeure du 23 septembre 2011.

Les locataires conclurent au non-fondement de la demande d'Entheos et, àtitre reconventionnel, ils solliciterent la liberation de la garantielocative à leur profit. MM. C. L. et S. solliciterent egalement lacondamnation d'Entheos aux depens.

12. Par jugement du 10 juillet 2012, le juge de paix resilia le contrat debail conclu entre parties aux tors de MM. C. L. et S. et les condamna aupaiement de 3.200,00 EUR et de 57,42 EUR au profit d'Entheos, à majorerdes taux conventionnels depuis le 23 septembre 2011 et des depens.

Le premier juge libera la garantie locative au profit d'Entheos et dit lademande reconventionnelle non-fondee.

13. Par requete du 18 septembre 2012, MM. C. L et S interjeterent appelcontre ce jugement dont ils demanderent la reformation. En degre d'appel,ils demanderent au tribunal de dire pour droit que le bail conclu entreparties a pris fin le 14 septembre 2011 et de liberer la garantie locativeà leur profit ainsi que la condamnation d'Entheos aux depens des deuxinstances.

Entheos conclut au non-fondement de l'appel, à la confirmation dujugement entrepris et à la condamnation de MM. C. L. et S. aux depensd'appel.

14. Par jugement du 10 decembre 2015, le tribunal de premiere instancefrancophone de Bruxelles declara l'appel de MM. C L. et S. recevable etmit à neant le jugement du 10 juillet 2012 en tant qu'il resiliait lebail litigieux aux torts de MM. C. L. et S. et condamnait ces derniers àpayer 3.200 EUR à Entheos, à majorer des interets conventionnels depuisle 23 septembre 2011.

Le tribunal de premiere instance dit pour droit que le bail entre partiesprit fin le 14 septembre 2011 et declara la demande d'Entheos non-fondee.Le tribunal reserva à statuer pour le surplus.

15. Le jugement a ete signifie par exploit d'huissier du 28 avril 2016.

Contre ce jugement la demanderesse estime pouvoir faire valoir les moyenssuivants :

Premier moyen

Dispositions legales violees

L'article 3, S:6, al. 3 et 5 de la loi sur les baux de residence.

Article 10 de la Constitution

Decision attaquee

Celle concernant la duree du bail (point III.A du jugement attaque).

Griefs

A. Quant à la duree du bail

1. Le tribunal de premiere instance decide que « contrairement à ce quesoutient Entheos, la « transformation » du bail n'opere donc paslorsque plus aucune prorogation ou accord sur la fin du bail initialn'est possible » puisque « le conge aurait du etre notifie au plustard trois mois avant le terme du bail, soit le 14 juin 2011 » etdonc « le bail conclu entre parties est (...) repute, depuis le 15juin 2011, l'avoir ete pour une duree de neuf ans à dater du 15septembre 2010 » (p. 6 du jugement examine).

Le tribunal se base ici sur un arret de la Cour de cassation du 9 octobre2014.

1. Malgre le fait que le tribunal constate que « Certes, l'espece ayantdonne lieu à cet arret concernait un bail de trois ans et non unbail d'un an », le tribunal estime que l'arret de la Cour decassation du 9 octobre 2014 est transposable au cas d'espece etantdonne qu' « il ne ressort pas de l'article 3, S: 6, al. 5 preciteque le moment auquel le bail de courte duree se « transforme » enun bail de neuf ans differe selon la duree du bail de courte dureeinitial » (p. 6 du jugement examine).

L'arret de la Cour de cassation du 9 octobre 2014 dispose, en effet,que « à defaut de conge notifie dans le delai prevu par le S: 6, alinea4, le bail de courte duree est repute avoir ete conclu pour une periode deneuf ans et est regi par les S:S: 1er à 5, des le premier jour dutroisieme mois precedant l'expiration de la duree initialementconvenue ».

Le tribunal estime aussi qu'il :

* « ne ressort pas de l'article 3, S: 6, al. 5 precite que le momentauquel le bail de courte duree se « transforme » en un bail de neufans differe selon la duree du bail de courte duree initial » ;

* et qu' « une telle distinction ne trouve d'ailleurs pas non plusappui dans cet arret de la Cour de cassation, ni dans la deuxiemebranche du moyen ».

1. La question ne peut etre analysee uniquement au regard de l'article3, S: 6, al. 5.

L'alinea 5 du S: 6 de l'article 3 dispose que « nonobstant toute clauseou toute convention contraires, à defaut d'un conge notifie dans lesdelais ou si le preneur continue à occuper les lieux sans opposition dubailleur, et meme dans l'hypothese ou un nouveau contrat est conclu entreles memes parties, le bail est repute avoir ete conclu pour une periode deneuf ans à compter de la date à laquelle le bail initial de courte dureeest entre en vigueur et est des lors regi par les S:S: 1er à 5 ».

L'alinea 3 de ce meme paragraphe prevoit qu'« il [le bail] ne peut etreproroge qu'une seule fois, et seulement par ecrit et sous les memesconditions, sans que la duree totale de location ne puisse exceder troisans ». Cela implique que le bail de courte duree conclu pour une dureeegale à trois ans ne peut, à la difference du bail de courte dureeconclu pour une duree inferieure à trois ans, etre proroge.

Il y a donc une distinction à faire au sein meme de la categorie des bauxde courte duree : il y a d'une part des baux prolongeables ou prorogeablesd'une duree inferieure à trois ans et d'autre part des baux nonprolongeables ou non prorogeables d'une duree de trois ans. Ces categoriessont fondamentalement differentes et ne peuvent etre traitees de la memefac,on sans violer le principe de l'egalite entre les Belges inscrite àl'article 10 de la Constitution. Ce principe impose notamment de ne pastraiter des situations differentes de la meme fac,on.

Il n'est pas inutile de rappeler que la prolongation d'un contrat impliquequ'il n'y a pas ete mis fin prealablement et que cette prolongation peutdonc etre decidee le dernier jour du contrat de commun accord entre lesparties. Tant que cette decision peut etre prise, il est logique que lecontrat ne puisse pas encore se transformer en contrat de 9 ans.

Le principe d'egalite et de non-discrimination exige que « des situationsessentiellement differentes soient traitees de maniere differente ». Enl'espece, il semble en effet que le bail litigieux concerne une situationdifferente de celle d'un bail de courte duree conclu pour une duree egaleà trois ans.

L'arret de la Cour de Cassation du 9 octobre 2014 concerne donc unesituation fondamentalement differente de sorte que cet arret ne puissetrouver application dans ce cas d'espece.

1. Le tribunal soutient le contraire en s'appuyant egalement sur une-mail d'une employee d'Entheos (« sous reserve de son erreurlorsqu'elle parle d'un bail de trois ans ») le 26 aout 2011 quiprecise que « (...) Vous auriez du nous prevenir le 14/06 au plustard, faute de quoi le bail devient automatiquement un bail de 3ans ! Pour nous, nous ne pensions pas que vous alliez partir et doncle bail est dejà devenu un 3 ans (...) ».

Neanmoins, la demanderesse ne voit pas en quoi l'opinion, ou pire unlapsus d'une personne, en outre non juriste, et bien qu'elle soit uneemployee de la demanderesse, pourrait permettre de deroger à la loi et auprincipe constitutionnel de l'egalite.

Certes, le juge du fond apprecie « librement la valeur probante d'unecrit, d'un temoignage, de faits invoques à titre de presomptions ou d'unaveu », mais cela ne peut donner lieu à une modification ou àl'inapplication du droit en vigueur.

2. Le tribunal rejette egalement l'argumentation tiree des jugements dutribunal de premiere instance de Bruxelles du 9 mai 2009 et du jugede paix du canton d'Uccle du 21 juin 2010 en ce qu'ils « concernentdes questions differentes de celle de la « transformation » d'unbail de courte duree en un bail de neuf ans » (p. 6 du jugementexamine).

Ces deux jugements sont cites dans les secondes conclusions d'appeld'Entheos de la fac,on suivante :

* Jugement du tribunal civil de Bruxelles du 9 avril 2009 : « A justetitre, la juridiction rappelle aussi que pour determiner si uneindemnite est due par le locataire (pour rappel, une indemniteequivalente à trois, deux ou un mois de loyer si le bail prend fin aucours de la premiere, deuxieme ou troisieme annee), ce n'est pas à ladate à laquelle le conge est donne qu'il faut se placer mais à ladate à laquelle le bail prend fin effectivement ».

* Jugement du juge de paix d'Uccle du 21 juin 2010 : l'article 3, S: 5,alinea 3 ne s'applique qu' « aussi longtemps que le contrat de bailn'est pas enregistre ».

Le tribunal a raison de dire que la seconde decision ne s'applique pas àcette problematique, mais il n'en va pas de meme de la premiere selonlaquelle le moment à prendre à consideration, certes pour le calcul del'indemnite de preavis, n'est pas la date du conge, mais la date de la fineffective du contrat.

Par analogie, le meme raisonnement doit etre applique pour determiner àquel moment le contrat de courte duree de moins de trois ans,c'est-à-dire un contrat legalement prorogeable, devient un contrat de 9ans.

A defaut, on enleverait au bailleur une possibilite qui lui est offertepar la loi.

1. Aussi la doctrine a-t-elle adopte un point de vue similaire.

M. Vlies examinant la possibilite de l'application de la sanction del'article 3, S: 5, al. 3 de la loi du 20 fevrier 1991 aux baux de courteduree estime que la « sanction s'applique egalement aux baux de courteduree à compter du jour ou, par application du dernier alinea del'article 3, S: 6, ils sont « transformes », à defaut de conge, en bailde 9 ans à l'echeance de leur (courte) duree » .

Cet auteur confirme donc la these de la transformation du contrat en uncontrat de 9 ans à son echeance, ce qui est la seule solutionjuridiquement possible pour les contrats ayant une duree inferieure à 3ans.

2. Par consequent, le premier moyen est fonde.

Deuxieme moyen

Dispositions legales violees

Les articles 1134, 1319, 1320 et 1322 du Code civil (premiere branche)

Le principe general de la foi due aux actes (deuxieme branche)

Decision attaquee

Celle concernant le conge (point III.B du jugement attaque).

Griefs

B. Quant au conge

Premiere branche

3. A titre de rappel, « alors qu'en principe, les baux à dureedeterminee prennent fin par la seule arrivee du terme (art. 1737 C.civ.), le legislateur precise que le bail de courte duree « prend finmoyennant un conge notifie par l'une ou l'autre des parties au moinstrois mois avant l'expiration de la duree convenue » (art. 3, S: 6,al. 4) ». Il en decoule que « le bail ne cesse donc pas de pleindroit à l'expiration du terme convenu ; l'un ou l'autre contractantdoit exprimer sa volonte d'y mettre fin en notifiant un conge et enrespectant un certain delai de preavis » .

4. En l'espece, le tribunal note que « MM. C. L. et S. soutiennent avoiradresse un conge à Entheos le 26 aout 2011, ce que cette derniereconteste » (p. 6 in fine du jugement examine).

5. Le tribunal de premiere instance s'approprie la these de la doctrineselon laquelle le conge peut etre donne tant oralement que par simplelettre mais il implique que le bailleur ou le preneur fasse connaitreson intention de mettre fin au bail. Il considere, partant, que laformulation de l'e-mail du 26 aout 2011 de M. C. L. « n'est pasjuridiquement la plus appropriee, mais il n'en manifeste pas moins savolonte et celle de M. S. de quitter les lieux le 14 septembre2011 », « M. C. L. (...) [ayant] adresse son courrier electroniquedu 26 aout 2011 à 11 heures 21 en son nom propre et au nom de M.S. » (p. 7 du jugement examine).

Le jugement attaque constate ensuite qu' « Entheos ne peut actuellementnier avoir pris connaissance du conge de ses deux locataires des le 26aout 2011 », ce qui decoulerait de plusieurs e-mails de Mme C., employeed'Entheos (p. 7 du jugement examine).

1. De fac,on generale, il est vrai que :

« En principe, le conge n'est soumis à aucune forme ; il est considerevalable des lors qu'il manifeste clairement la volonte de l'une ou l'autrepartie de mettre fin à la location, sans qu'il soit besoin de viser aucuntexte.

Il faut et il suffit qu'il exprime la volonte de son auteur de mettre finau bail.

Toujours en principe, et pour autant qu'il s'agisse d'un bail regi par ledroit commun, et non sous statut special, le conge pourrait meme etredonne verbalement, sous reserve des difficultes de preuve.

Il a meme ete admis que le conge peut resulter de l'attitude non equivoqued'une des parties, pour autant qu'elle ait manifeste son intention demettre fin au bail et l'ait revele à l'autre (...) ».

2. En l'espece, il ressort du contrat de bail que le conge devait etredonne par recommande (cfr. egalement l'email du 26 aout 2011 : « etce par courrier recommande (verifier votre bail) »).

L'article 2 du contrat de bail conclu entre parties (piece nDEG 1 dudossier de pieces d'Entheos) prevoit, en effet, que :

« Le bail est conclu pour une duree de :

1 an prenant cours le 15 septembre 2010 se terminant le 14 septembre 2011.

Le bail ne peut etre prolonge qu'une seule fois, par ecrit et aux memesconditions, sans que la duree totale de la location ne puisse excedertrois ans.

Aussi bien le bailleur que le preneur peut mettre un terme au contrat àtout moment en donnant un preavis de 2 mois par lettre recommandee. Lepreavis de deux mois court à dater du premier jour du mois qui suitl'envoi du courrier ».

1. La doctrine admet cette possibilite de prevoir, dans le contrat debail, des conditions de forme auxquelles le conge doit repondre,meme si cela « n'est pas frequent » .

L'auteur precise :

« En fixant les modes de signification, les parties leur accordent uneimportance qui peut, le cas echeant, se justifier en raison descirconstances. Ainsi, l'une d'elles, souvent absente, prevoit pour cetteraison la signification par huissier, en vue d'eviter des surprises... » .

En jugeant que « le conge peut donc (...) etre donne tant oralement quepar simple lettre » (jugement examine, p. 7), le tribunal meconnait leprincipe de la convention-loi.

Le principe de la convention-loi, incontestablement qualifie de principegeneral de droit, est exprime dans l'article 1134, al. 1er, du Codecivil : « les conventions legalement formees tiennent lieu de loi à ceuxqui les ont faites ».

Ce principe s'impose aux parties ainsi qu'au juge. L'une des consequencesde ce principe est que le juge « ne peut dispenser les parties ou l'uned'elles de l'executer [la convention], meme partiellement, en modifier lateneur ou y ajouter des clauses ou des conditions, en dehors des casprevus par la loi » .

La meconnaissance d'un principe general du droit reconnu comme tel donneouverture à cassation.

2. Certes, le tribunal constate in casu que « Entheos ne peutactuellement nier avoir pris connaissance du conge » (p. 7 in finedu jugement examine) ce qui constitue un constat factuel noncritiquable devant la Cour de cassation mais cela n'empeche qu'unvice de forme a ete viole.

3. La premiere branche du moyen fondee sur la violation du principe deconvention-loi inscrit à l'article 1134 du Code civil est des lorsfondee.

Deuxieme branche

3. En cas de pluralite de preneurs, la doctrine precise que si le congeest « donne par le preneur seul quand il y en a plusieurs, qui ontconclu ensemble, il doit emaner de leur collectivite ou d'unmandataire commun » .

1. C'est ce que semble considerer le tribunal lorsqu'il constate que« la simple lecture de ce courrier electronique [du 26 aout 2011 à11h21] permet de distinguer les phrases à la premiere personne dupluriel, de celles à la premiere personne du singulier, ou M. C. L.s'exprime donc en son nom personnel ». Il ressort de cet email etd'un autre email du meme jour à 13h56 que « il n'en manifeste pasmoins sa volonte et celle de M. S. de quitter les lieux le 14septembre 2011 » (p. 7 du jugement examine).

Cette interpretation n'est pas conciliable avec le fait que M. C. n'estpas le mandataire de M. S. On peut des lors considerer que le tribunal endeduisant l'existence d'un mandat de l'utilisation par un locataire duprenom personnel « nous » « fait mentir l'acte », ce qui constitue uneviolation des articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil ainsi que duprincipe general de la foi due aux actes.

2. La deuxieme branche du moyen est donc fondee.

Par ces considerations,

L'avocat à la Cour de cassation soussigne conclut, qu'il vous plaise,Messieurs, Mesdames, de casser et annuler le jugement attaque, ordonnerque mention en soit faite en marge de la decision annulee, renvoyer lacause et les parties devant un autre tribunal de premiere instance du rolelinguistique francophone et statuer comme de droit sur les depens de lapresente instance.

Le pourvoi est introduit sur requete et concept.

Bruxelles, le 28 fevrier 2017

Pour la demanderesse,

Son conseil,

Paul LEFEBVRE

[sur requete et concept]

Annexes :

1. Copie de l'exploit de signification du jugement attaque avec electionde domicile des defendeurs ;

2. L'original de l'exploit d'huissier constatant sa signification à lademanderesse dont l'original sera joint à l'original du presentpourvoi ;

3. Declaration pro fisco

^2

La duree de conge imposee par la Loi sur le bail de residence principaleest en realite de trois mois et est sur ce point imperative : les partiesne peuvent, par consequent, valablement « imposer conventionnellement lerespect d'un conge plus long ni plus court » (Y. MERCHIERS, « Le bail deresidence principale », in Rep. not., Bruxelles, Larcier, 2010, p. 122).

Souligne par le soussigne.

Cass., 9 octobre 2014, J.L.M.B., 2015, p. 1060.

Cass., 9 octobre 2014, J.L.M.B., 2015, p. 1060.

P. Marchal, Principes generaux du droit, R.P.D.B., Bruxelles, Bruylant,2014, pp. 105-106.

C. Parmentier, Comprendre la technique de cassation, Bruxelles, Larcier,2011, pp. 92-93.

M. Vlies, « De quelques contours de la sanction de l'absenced'enregistrement d'un bail de residence principale », note sous J.P.Fontaine-L'Eveque, 11 decembre 2014, J.P. Fleron, 17 janvier 2013 et J.P.Uccle, 5 fevrier 2015, J.J.P., 2015, p. 267 ; la demanderesse souligne.

A. Cruquenaire, C. Delforge, I. Durant et P. Wery, Precis des contratsspeciaux, Waterloo, Wolters Kluwer, 2015, pp. 534-535 ; voy. en ce sens Y.Merchiers, « Le bail de residence principale », in Rep. not., Bruxelles,Larcier, 2010, p. 122.

Ce dernier cite Y. Merchiers, « Le bail de residence principale », inRep. not., Bruxelles, Larcier, 2010, p. 156 : « la loi n'impose lerespect d'aucune forme particuliere. La necessite de donner conge impliquesimplement que le bailleur ou le preneur fasse connaitre son intention demettre fin au bail. Le conge peut donc - sous reserve de difficultes depreuve - etre donne tant oralement que par simple lettre ».

J. Vankerckhove (sous la dir.), Le louage de choses - Les baux en general,2e edition, coll. Les Novelles, 2000, Larcier, p. 191.

Souligne par le soussigne.

J. Vankerckhove (sous la dir.), Le louage de choses - Les baux en general,2e edition, coll. Les Novelles, 2000, Larcier, pp. 194-195.

J. Vankerckhove (sous la dir.), Le louage de choses - Les baux en general,2e edition, coll. Les Novelles, 2000, Larcier, pp. 194-195.

P. Van Ommeslaghe, Traite de droit civil belge, Tome II, Les obligations,vol. I, Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 176.

P. Van Ommeslaghe, Traite de droit civil belge, Tome II, Les obligations,vol. I, Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 178.

P. Van Ommeslaghe, Traite de droit civil belge, Tome II, Les obligations,vol. I, Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 178.

J. Vankerckhove (sous la dir.), Le louage de choses - Les baux en general,2e edition, coll. Les Novelles, 2000, Larcier, pp. 197.

Discours du procureur general F. Dumon, alors premier avocat general, àl'audience solennelle de rentree du 1er septembre 1978, J.T., 1978, p.487, nDEG 37.

30 JANVIER 2017 C.16.0332.F/5

Requete/14


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.16.0332.F
Date de la décision : 30/01/2017

Origine de la décision
Date de l'import : 01/03/2017
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2017-01-30;c.16.0332.f ?
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