Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG D.16.0014.F
1. ORDRE DES AVOCATS DU BARREAU DE MONS, dont les bureaux sont etablis àMons, rue des Droits de l'homme, 1,
2. Maitre Olivier HAENECOUR, batonnier de l'Ordre des avocats du barreaude Mons, dont les bureaux sont etablis à Mons, rue des Droits del'homme, 1,
demandeurs en cassation,
representes par Maitre Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont lecabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Montagne, 11, ou il est faitelection de domicile,
contre
N. P.,
defendeur en cassation.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre la decision rendue le 20 avril2016 par le conseil de discipline d'appel francophone et germanophone desavocats, et datee du 20 mars 2016.
Le president de section Albert Fettweis a fait rapport.
L'avocat general Thierry Werquin a conclu.
II. Le moyen de cassation
Dans la requete en cassation, jointe au present arret en copie certifieeconforme, les demandeurs presentent un moyen.
III. La decision de la Cour
Sur le moyen :
Conformement à l'article 459, S: 1er, du Code judiciaire, le conseil dediscipline connait des affaires disciplinaires, à l'initiative dubatonnier de l'avocat concerne apres qu'en vertu de l'article 458, S:S:1er et 2, du meme code, le batonnier a rec,u et examine une plainte ou aprocede à une enquete d'office ou sur les denonciations ecrites duprocureur general.
Le batonnier agit ainsi en tant qu'organe de l'Ordre mais sans etre untribunal au sens de l'article 6, S: 1er, de la Convention de sauvegardedes droits de l'homme et des libertes fondamentales.
Des lors que cet organe ne se prononce pas sur le bien-fonde despoursuites disciplinaires, il n'est, en regle, pas assujetti aux garantiesde l'article 6, S: 1er, de cette convention ou au principe general dudroit relatif à l'impartialite et à l'independance du juge.
Il en est toutefois autrement lorsque l'inobservation des exigences decette disposition avant la saisine du juge disciplinaire comprometgravement le caractere equitable du proces.
La sentence attaquee, qui declare les poursuites disciplinairesirrecevables au motif que le batonnier qui les a engagees n'etait pas enmesure d'instruire la cause avec l'independance et l'impartialite requiseset que, des lors, l'instruction n'a pas satisfait aux exigences del'article 6, S: 1er, de la convention precitee, sans examiner sil'inobservation de ces exigences a compromis le caractere equitable duproces, viole cette disposition conventionnelle.
Le moyen est fonde.
Par ces motifs,
La Cour
Casse la sentence attaquee, sauf en tant qu'elle rec,oit les appels ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de la sentencepartiellement cassee ;
Condamne le defendeur aux depens ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, devant le conseil de discipline d'appelfrancophone et germanophone, autrement compose, qui se conformera à ladecision de la Cour sur le point de droit juge par elle.
Les depens taxes à la somme de neuf cent quarante-deux euros quarantecentimes envers les parties demanderesses.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, president, lepresident de section Albert Fettweis, les conseillers Mireille Delange,Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, et prononce en audience publique duvingt-six janvier deux mille dix-sept par le president de sectionChristian Storck, en presence de l'avocat general Thierry Werquin, avecl'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | S. Geubel | M.-Cl. Ernotte |
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| M. Delange | A. Fettweis | Chr. Storck |
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Requete
POURVOI EN CASSATION
POUR: 1. l'Ordre des avocats du barreau de Mons, dont les bureaux sontetablis à 7000 Mons, Cours de Justice, 1, rue des Droits de l'Homme,
2. Maitre Olivier Haenecour, batonnier de l'Ordre des avocats du barreaude Mons, dont les bureaux sont etablis à 7000 Mons, Cours de Justice, 1,rue des Droits de l'Homme,
Demandeurs en cassation, assistes et representes par Me. Bruno Maes,avocat à la Cour de cassation soussigne, dont le cabinet est situe à1000 Bruxelles, 11, rue de la Montagne, ou il est fait election dedomicile,
CONTRE: Monsieur N. P.,
Defendeur en cassation.
* * *
A Messieurs les Premier President et President, Mesdames et Messieurs lesConseillers, composant la Cour de cassation,
Mesdames,
Messieurs,
Le demandeur en cassation a l'honneur de soumettre à la censure de VotreCour la sentence du conseil disciplinaire d'appel francophone etgermanophone rendue contradictoirement entre parties le 20 mars 2016 (rolenDEG 153/2015)
* * *
RETROACTES
A cet egard, le demandeur se permet de renvoyer au resume reproduit dansla sentence attaquee (p. 2 à 4, nDEG 3.A), contre laquelle il estimepouvoir invoquer le moyen de cassation suivant.
MOYEN UNIQUE DE CASSATION
I. Dispositions legales violees :
* l'article 6, S: 1er, de la Convention de sauvegarde des droits del'homme et des libertes fondamentales, signee à Rome le 4 novembre1950 et approuvee par la loi du 13 mai 1955,
* les articles 458, S: 1er et 2, et 459, S: 1er du Code judiciaire,
* le principe general du droit relatif à l'impartialite etl'independance du juge
II. Decision attaquee:
Le conseil disciplinaire d'appel declare les poursuites disciplinaires àl'egard du
defendeur irrecevables, apres avoir declare l'appel introduit par ledefendeur recevable et fonde, notamment aux motifs suivants :
« 3.C. La recevabilite des poursuites
[Le defendeur] plaide l'irrecevabilite des poursuites menees à sonencontre au motif que ... .
...
A l'audience du 17 fevrier 2016, il n'a pas ete conteste par le batonnierde Mons que Me D., qui est effectivement intervenue dans la defense desinterets de M. ] V...partie plaignante, tant dans le cadre de la proceduredisciplinaire menee à charge [du defendeur] et ayant abouti à lasentence dont appel que dans le cadre de la contestation d'honoraires,collaborait, à l'epoque, avec le batonnier en exercice, Me B. Cettecollaboration est au demeurant etablie par la piece 28 du dossier deposepar [le defendeur] devant le premier juge, etant la consultation du siteinternet du cabinet B. & associes au 14 mars 2014 qui renseigne Me D. enqualite de collaboratrice au sein de ce cabinet.
Les relations professionnelles existant, à l'epoque de l'instructiondisciplinaire, entre le batonnier en exercice et Me D., sa collaboratrice,ne peuvent qu'interpeler au regard de la recevabilite des poursuitesmenees à l'egard [du defendeur].
L'article 6, S: 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'hommeet des libertes fondamentales et le principe general du droit relatif àl'impartialite du juge, sont une regle essentielle de l'administration dela justice (...).
...
Plus particulierement au regard d'un magistrat instructeur, BenoitDEJEMEPPE rappelle que selon la jurisprudence constante de la Cour decassation, « le juge d'instruction est tenu à un devoir d'impartialitelui interdisant de prejuger : ... » (...).
L'article 458, S: 1er, alinea 2, du Code judiciaire, dispose que « lebatonnier mene l'enquete ou qu'il designe un enqueteur ». Le role dubatonnier dans la procedure disciplinaire est donc important. Il est lepremier responsable de l'instruction et il conserve la saisine du conseilde discipline, sauf dans le cas vise à l'article 458, S:3, alinea 1.3. Ilrec,oit en outre une copie de la sentence, d'un eventuel recours contrecelle-ci, de la decision rendue en degre d'appel et il peur interjeterappel et se pourvoir en cassation. Il reste bien evidemment competent pourprendre des mesures conservatoires, comme le prevoit l'article 464 du Codejudiciaire. (...).
Certes, il a dejà ete souligne que la mission du batonnier ou del'enqueteur qu'il designe n'est pas à assimiler à celle d'un juged'instruction. ...
Il n'en demeure pas moins que la loi du 21 juin 2006, qui a reforme laprocedure disciplinaire des avocats, a voulu, notamment, renforcer lesentiment d'impartialite et accroitre la dynamique de la procedure (...).
L'impartialite, fusse (sic) meme l'apparence d'impartialite, doit des lorss'imposer à tous les acteurs de la procedure disciplinaire, en ce comprisau batonnier à qui revient le pouvoir d'ouvrir une instructiondisciplinaire, de mener celle-ci et de decider du renvoi eventuel d'unavocat devant le conseil de discipline.
Il y va d'une garantie essentielle pour la credibilite des ordresd'avocats, des institutions disciplinaires et pour la confiance quedoivent avoir en ceux-ci les avocats et les citoyens en general.
Au vu de ce qui precede, il peut des lors etre admis, en l'espece, del'existence d'une collaboration professionnelle averee entre le batonnierB. et Me D. et de l'intervention de cette derniere en qualite de conseilde la plaignante dans le cadre de l'intervention disciplinaire ouverte parle batonnier B. à charge [du defendeur] que le batonnier B. n'etait pasen mesure d'instruire la cause avec l'independance et l'impartialiterequises et que ces circonstances ont pu, et peuvent, susciter dans lechef [du defendeur] un doute legitime quant à son aptitude à instruirela cause de cette maniere.
Ce faisant, l'instruction disciplinaire n'a pas satisfait aux exigencesdecoulant de l'article 6, S:1er, de la Convention de sauvegarde des droitsde l'homme et des libertes fondamentales.
L'exception soulevee par [le defendeur] doit etre declaree fondee. »
III. Griefs:
1. L'article 6, S: 1er, de la Convention de sauvegarde des droits del'homme et des libertes fondamentales, dispose que toute personne adroit à ce que sa cause soit entendue equitablement, publiquement etdans un delai raisonnable par un tribunal independant et impartialetabli par la loi, qui decidera, soit des contestations sur ses droitset obligations de caractere civil, soit du bien-fonde de touteaccusation en matiere penale dirigee contre elle.
La regle selon laquelle le juge doit etre independant et impartial,consacree par ledit article 6, S: 1er , constitue egalement un principegeneral du droit s'appliquant à toutes les juridictions.
2. En vertu de l'article 459, S: 1er, du Code judiciaire, tel que modifiepar la loi du 21 juin 2006, le conseil de discipline connait desaffaires disciplinaires, à l'initiative du batonnier de l'avocatconcerne apres qu'en vertu de l'article 458, S: 1er et 2, du memecode, le batonnier a rec,u et examine une plainte ou designe unenqueteur à cette fin, ou apres avoir procede à une enquete d'officeou sur les denonciations ecrites du procureur general. Le batonnierqui estime qu'il y a lieu de faire comparaitre l'avocat devant leconseil de discipline transmet le dossier ainsi que sa decisionmotivee au president du conseil de discipline.
Le batonnier agit ainsi en tant qu'organe de l'Ordre mais sans etre uneinstance judiciaire au sens de l'article 6, S: 1er precite. Si cet organene se prononce pas sur le bien-fonde de poursuites disciplinaires, iln'est, en principe, pas assujetti aux garanties dudit art. 6, S: 1er ou auprincipe general du droit relatif à l'impartialite et l'independance dujuge.
3. Il ne saurait en etre autrement que si l'inobservation des exigencesde cette disposition avant la saisine du juge disciplinaire comprometgravement le caractere equitable du proces.
Or, ceci suppose la constatation que les circonstances relevees lors del'instruction disciplinaire par le batonnier ont ou ont pu exercer uneinfluence sur la decision du juge disciplinaire ou etaient de nature àsusciter dans l'esprit du defendeur un doute quant à l'aptitude du jugedisciplinaire à juger sa cause de maniere equitable.
4. Il ne suffit des lors pas, pour appliquer legalement les exigences del'article 6, S: 1er precite au batonnier dans l'exercice de sa missionlegale dans le cadre de l'information disciplinaire visee à l'article458 du Code judiciaire, et, le cas echeant, d'en deduirel'irrecevabilite des poursuites disciplinaires pour ne pas avoirsatisfait aux exigences decoulant de l'article 6, S: 1er, de constaterque le batonnier n'etait pas en mesure d'instruire la cause avecl'independance et l'impartialite requises et que ces circonstances ontpu, et peuvent, susciter dans le chef du defendeur un doute legitimequant à son aptitude à instruire la cause.
Conclusion :
Il resulte de tout ce qui precede que le conseil disciplinaire d'appel,apres avoir releve que l'article 6, S: 1er precite et le principe generaldu droit relatif à l'impartialite du juge, sont une regle essentielle del'administration de la justice, qu'un magistrat instructeur est tenu à undevoir d'impartialite lui interdisant de prejuger, et qu'il resulte del'article 458, S: 1er, alinea 2 du Code judiciaire que le role dubatonnier dans la procedure disciplinaire est important, n'a pu legalementconsiderer que « l'instruction disciplinaire n'a pas satisfait auxexigences decoulant de l'article 6, S: 1er, de la Convention de sauvegardedes droits de l'homme et des libertes fondamentales » ni legalementdeclarer les poursuites disciplinaires intentees à l'egard du defendeurirrecevables, aux seuls motifs : (a) que si la mission du batonnier ou del'enqueteur qu'il designe n'est pas à assimiler à celle d'un juged'instruction, il n'en demeure pas moins que la loi du 21 juin 2006 avoulu, notamment, renforcer le sentiment d'impartialite et accroitre ladynamique de la procedure ; (b) que meme l'apparence d'impartialite doitdes lors s'imposer à tous les acteurs de la procedure disciplinaire, ence compris au batonnier ; (c) qu'il y va d'une garantie essentielle pourla credibilite des ordres d'avocats, des institutions disciplinaires etpour la confiance que doivent avoir en ceux-ci les avocats et les citoyensen general ; (d) qu'il peut etre admis en l'espece, de l'existence d'unecollaboration professionnelle averee entre le batonnier B. et Me D. et del'intervention de cette derniere en qualite de conseil de la plaignantedans le cadre de l'instruction disciplinaire ouverte par la batonnier B.à charge du defendeur, que la batonnier B. n'etait pas en mesured'instruire la cause avec l'independance et l'impartialite requises et queces circonstances ont pu, et peuvent, susciter dans le chef du defendeurun doute legitime quant à son aptitude à instruire la cause de cettemaniere, sans toutefois constater que ces circonstances avaient exerce oupouvaient exercer une influence sur sa propre decision, ou etait de natureà susciter dans l'esprit du defendeur un doute quant à l'aptitude duconseil disciplinaire d'appel à juger sa cause de maniere equitable(violation des dispositions legales et du principe general du droitprecites).
DEVELOPPEMENTS
Selon la jurisprudence constante de Votre Cour, l'article 6, S: 1er nes'applique pas à l'instruction preparatoire disciplinaire.
S'il est vrai que le role du batonnier dans l'instruction disciplinaireest crucial ce que confirment les dispositions des articles 458, S: 1 et3, et 464 du Code judiciaire (v. supra nDEG 3), il n'en demeure pas moinsque le batonnier agit en tant qu'organe de l'Ordre et n'a pas en tant quetel la qualite de magistrat, de sorte que le moyen, deduit de la violationdu principe general du droit selon lequel le juge doit etre independant etimpartial et des articles 457 (actuellement 458) du Code judiciaire et 6,S: 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et deslibertes fondamentales, manque en droit.
Pour qu'il y ait violation de l'article 6, S:1er de la Convention par lamaniere dont l'enquete disciplinaire a ete menee, l'on doit pouvoirconstater que le vice releve au niveau de l'enquete disciplinaire a exerceune influence sur la decision du conseil disciplinaire (d'appel) ou est denature à susciter dans l'esprit du defendeur un doute quant à l'aptitudedu conseil disciplinaire à juger sa cause de maniere equitable, ce que ladecision entreprise ne fait pas.
PAR CES CONSIDERATIONS,
L'avocat à la Cour de cassation soussigne, conclut pour les demandeurs,à ce qu'il vous plaise, Mesdames, Messieurs, casser la decision attaquee,ordonner qu'il en soit fait mention en marge de la decision cassee,renvoyer la cause et les parties devant le conseil disciplinaire d'appelautrement compose, depens comme de droit.
Bruxelles, le 19 juin 2016
Bruno Maes
Piece ajoutee au pourvoi:
- l'exploit de signification du pourvoi au defendeur,
- declaration pro fisco,
Cass. 26 fevrier 2010, Pas. 2010, I, nDEG 138 et les conclusions de M.l'avocat general De Koster ; Cass. 21 fevrier 2014, Pas. 2014, I, nDEG140.
Cass. 24 juin 2004, Pas. 2004, I, 1135; Cass. 5 avril 2012, Pas. 2012, I,nDEG 220 ; cons. eg. : Cass. 18 fevrier 1994, Pas. 1994, I, n) 82 et lesarrets cites en note 2 ; J ; Bigwood e.a., Chronique de jurisprudence : ladiscipline des avocats, J.T. 2012, nDEG 41.
Cass. 24 octobre 1997, Pas. 1997, I, 427; Cass. 17 avril 2015, nDEGD.14.0006.N, www.cassonline.be.
26 JANVIER 2017 D.16.0014.F/2
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