Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG P.16.0626.F
D. Q. D., partie civile,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maitres Shelley Henrotte et Nicolas Van der Smissen,avocats au barreau de Bruxelles,
contre
H.S., M.-L., inculpee,
defenderesse en cassation,
ayant pour conseils Maitres Thierry Moreau et Simon Van Keirsbilck,avocats au barreau du Brabant wallon.
I. la procedure devant la cour
Le pourvoi est dirige contre un arret rendu le 4 mai 2016 par la courd'appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque deux moyens dans un memoire annexe au present arret,en copie certifiee conforme.
Le conseiller Tamara Konsek a fait rapport.
L'avocat general Michel Nolet de Brauwere a conclu.
II. la decision de la cour
La Cour ne peut avoir egard au moyen invoque dans le second memoire dudemandeur, intitule « memoire en reponse », depose en dehors du delai dedeux mois prevu à l'article 429, alinea 2, du Code d'instructioncriminelle.
Sur le premier moyen :
Quant à la premiere branche :
Le demandeur soutient qu'il n'a pas viole le secret professionnel endivulguant à la justice des elements dont il a pris connaissance en saqualite d'avocat de la defenderesse. Selon lui, il n'a agi qu'en vued'assurer la sauvegarde de ses propres droits de la defense dans le cadred'une plainte qu'il a deposee contre la defenderesse pour des faits quipresentent un lien evident avec les informations donnees. Le moyen alleguequ'en decidant du contraire, les juges d'appel ont viole les articles 458du Code penal et 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits del'homme et des libertes fondamentales.
En tant qu'il invoque la violation de l'article 8 de la Convention sansindiquer en quoi l'arret violerait cette disposition, le moyen estirrecevable à defaut de precision.
Selon l'article 458 du Code penal, les personnes depositaires par etat oupar profession des secrets qu'on leur confie, ne peuvent les reveler, horsle cas ou ils sont appeles à rendre temoignage en justice ou devant unecommission d'enquete parlementaire et celui ou la loi les oblige à faireconnaitre ces secrets.
Le secret professionnel n'est pas absolu mais peut etre rompu, notamment,lorsque son depositaire est appele à se defendre en justice. Dans ce cas,la regle du secret professionnel doit ceder mais seulement lorsqu'unevaleur superieure entre en conflit avec elle, de telle sorte que laderogation à la regle ne s'opere que dans la mesure necessaire à ladefense des droits respectifs des parties à la cause.
L'arret enonce d'abord que le demandeur a porte plainte à la police ets'est constitue partie civile contre la defenderesse dont il avait ete leconseil et qu'il a, à chaque fois, fait etat d'une autre procedurejudiciaire ouverte à charge de celle-ci, dans laquelle il avait ete sonavocat, mentionnant des rapports psychiatriques etablis dans le cadre decet autre dossier et allant jusqu'à joindre l'un d'eux à sa plainte. Lesjuges d'appel ont ensuite considere que l'etat de necessite ne pouvaitetre retenu comme cause de justification puisque cet etat n'autorise uneviolation du secret professionnel que si le peril dont son depositaire aconnaissance ne peut etre evite autrement qu'en le revelant, ce qui, selonl'arret, n'est manifestement pas le cas en l'espece.
Par ces considerations, l'arret justifie legalement sa decision que ledemandeur a viole le secret professionnel.
Dans cette mesure, le moyen ne peut etre accueilli.
Sur le surplus du premier moyen et sur le second moyen :
Les moyens reprochent aux juges d'appel d'avoir dit les poursuitesirrecevables pour atteinte irremediable au droit à un proces equitableaux motifs, d'une part, que le demandeur a viole le secret professionnelet, d'autre part, que les premieres declarations de la defenderesse ontete faites devant la police et le juge d'instruction sans possibilite deconcertation prealable avec un avocat et sans l'assistance de celui-ci. Ledemandeur soutient qu'ainsi, les juges d'appel ont viole les articles 32du titre preliminaire du Code de procedure penale, 2bis de la loi du 20juillet 1990 relative à la detention preventive et 6 de la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales.
La loi determine la consequence attachee au constat de l'irregularite d'unelement de preuve en application de l'article 32 precite ou du non-respectdu droit d'une personne privee de liberte à la concertationconfidentielle prealable à son audition et à l'assistance d'un avocatlors de celle-ci.
En vertu des articles 131, S:S: 1 et 2, et 235bis, S: 6, du Coded'instruction criminelle, lorsque la juridiction d'instruction constateune cause de nullite affectant un acte d'instruction ou l'obtention de lapreuve, elle prononce, le cas echeant, la nullite de l'acte qui en estentache et de tout ou partie de la procedure ulterieure, et les piecesannulees sont retirees du dossier et deposees au greffe du tribunal depremiere instance.
En application de l'article 47bis, S: 6, 9), du Code d'instructioncriminelle, aucune condamnation ne peut etre prononcee contre une personnesur le fondement de declarations qu'elle a faites en violation des reglesy indiquees, en ce qui concerne la concertation confidentielle prealableou l'assistance d'un avocat au cours de l'audition.
Il resulte de ces dispositions que la consequence de la nullite d'unelement de preuve et la sanction de la meconnaissance du droit à laconcertation prealable et à l'assistance d'un avocat, ne sont pasl'irrecevabilite de la poursuite, mais, lorsque ces irregularites sontconstatees par la juridiction d'instruction, le retrait de l'element depreuve declare nul et l'interdiction faite à cette juridiction de trouverdes indices ou des charges dans une declaration faite en violation dudroit precite.
La juridiction d'instruction ne peut prononcer l'irrecevabilite del'action publique que si, nonobstant le retrait des elements de preuveannules et l'interdiction de relever des charges suffisantes deculpabilite sur le fondement d'une declaration irreguliere, il est devenuirremediablement impossible de poursuivre l'exercice de l'action publiquedans le respect du droit à un proces equitable garanti par l'article 6 dela Convention. L'atteinte irremediable au droit à un proces equitabledoit etre certaine. Elle ne peut resulter d'une possibilite ou d'unehypothese.
Par ailleurs, l'examen imparti au juge implique la prise en considerationdu poids de l'interet public à la poursuite de l'infraction et aujugement de son auteur, mis en balance avec l'interet de l'individu à ceque les preuves à sa charge soient recueillies regulierement.
Le droit du prevenu à un proces equitable, tel que garanti par l'article6 de la Convention, peut ainsi, dans certaines circonstances, etre toutentier atteint de fac,on irremediable de sorte qu'aucune autre sanctionque l'irrecevabilite de l'action publique ne peut en decouler.
L'arret considere que les poursuites diligentees contre la defenderessedoivent, des à present, etre declarees irrecevables aux motifs que,« meme à ecarter des debats les elements de preuve obtenus en violationdu secret professionnel [du demandeur] et en violation des droits deconcertation confidentielle prealable et d'assistance de [ladefenderesse], il y a lieu de constater que celle-ci ne peut plusbeneficier d'un proces equitable. En effet, il n'est pas certain que lesmagistrats appeles à connaitre du present dossier auraient euconnaissance de ces elements de preuve s'ils n'avaient pas ete obtenus decette maniere, et il n'est pas certain que leur maniere d'apprehender cedossier aurait ete la meme s'ils n'avaient pas connu ces elements depreuve. Les irregularites dont question ont donc vide de leur substance lapresomption d'innocence et le droit de ne pas s'auto-incriminer de la[defenderesse] ».
Ainsi, la chambre des mises en accusation, d'une part, ne fait etat qued'une hypothese et, d'autre part, n'indique pas pourquoi l'application dessanctions prevues par les articles 47bis, S: 6, 9), et 235bis, S: 6, duCode d'instruction criminelle ne suffirait pas à permettre au juge dufond, dans l'hypothese du renvoi, de statuer dans le respect du droit dela defenderesse à un proces equitable.
Par les considerations precitees, l'arret ne justifie des lors paslegalement sa decision.
Les moyens sont fondes.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l'arret attaque, sauf en ce qu'il decide que le demandeur a viole lesecret professionnel ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;
Condamne le demandeur aux tiers des frais, le surplus etant reserve pourqu'il soit statue sur celui-ci par la juridiction de renvoi ;
Renvoie la cause, ainsi limitee, à la cour d'appel de Bruxelles, chambredes mises en accusation, autrement composee.
Lesdits frais taxes en totalite à la somme de cinq cent nonante-six eurosseptante centimes dont deux cent vingt euros cinquante centimes dus ettrois cent septante-six euros vingt centimes payes par ce demandeur.
Ainsi juge par la Cour de cassation, deuxieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient Benoit Dejemeppe, conseiller faisant fonction de president,Eric de Formanoir, Tamara Konsek, Frederic Lugentz, conseillers, et PierreCornelis, conseiller emerite, magistrat suppleant, et prononce en audiencepublique du dix-huit janvier deux mille dix-sept par Benoit Dejemeppe,conseiller faisant fonction de president, en presence de Michel Nolet deBrauwere, avocat general, avec l'assistance de Fabienne Gobert, greffier.
+--------------------------------------------+
| F. Gobert | P. Cornelis | F. Lugentz |
|-----------+-----------------+--------------|
| T. Konsek | E. de Formanoir | B. Dejemeppe |
+--------------------------------------------+
18 JANVIER 2017 P.16.0626.F/2