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22/12/2016 | BELGIQUE | N°C.16.0068.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 22 décembre 2016, C.16.0068.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.16.0068.F

N. J.,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, ou il estfait election de domicile,

contre

M. O. J.,

defendeur en cassation,

represente par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cas

sation est dirige contre le jugement rendu le 28septembre 2015 par le tribunal de premiere instance francophone deBru...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.16.0068.F

N. J.,

demandeur en cassation,

represente par Maitre Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue des Quatre Bras, 6, ou il estfait election de domicile,

contre

M. O. J.,

defendeur en cassation,

represente par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre le jugement rendu le 28septembre 2015 par le tribunal de premiere instance francophone deBruxelles, statuant en degre d'appel.

Le conseiller Michel Lemal a fait rapport.

L'avocat general delegue Philippe de Koster a conclu.

II. Le moyen de cassation

Le demandeur presente un moyen libelle dans les termes suivants :

Dispositions legales violees

- articles 1319,1320 et 1322 du Code civil ;

- article 3, alineas 1er et 5, de la loi du 30 avril 1951 relative auxbaux commerciaux.

Decisions et motifs critiques

Le jugement attaque declare la demande nouvelle du defendeur recevable etfondee, en consequence, dit pour droit que le contrat de bail commercial,conclu le 1er aout 1994 et renouvele le 1er aout 2012, a pris fin le 31juillet 2015, condamne le demandeur à quitter et à mettre à la libre etentiere disposition du defendeur les lieux litigieux dans les 90 jours dela signification du jugement, et delaisse au defendeur et au demandeurleurs depens respectifs. Cette decision est fondee sur les motifs suivants:

« 2. La rupture du contrat de bail commercial pour occupation personnelle(demande nouvelle)

Le 8 novembre 2013, [le defendeur] a adresse un renon (au demandeur) afinde mettre fin au bail pour le 31 juillet 2015 en vue d'occuperpersonnellement les lieux loues.

L'article 3, alinea 3, du contrat de bail commercial autorise le bailleurà mettre fin au contrat `à l'expiration de chaque periode de trois ansmoyennant preavis notifie par lettre recommandee au moins un an àl'avance conformement aux dispositions de l'article 3 de la loi du 30avril 1951 relative aux baux commerciaux'.

Plus precisement, le contrat de bail renvoie à l'article 3, alinea 5, dela loi du 30 avril 1951 relative aux baux commerciaux, lequel disposeque : `le contrat de bail peut, en outre, autoriser le bailleur à mettrefin au bail à l'expiration de chaque triennat, moyennant un preavis d'unan, par exploit d'huissier de justice ou par lettre recommandee à laposte, en vue d'exercer effectivement lui-meme dans l'immeuble un commerceou d'en permettre l'exploitation effective par ses descendants, sesenfants adoptifs ou ses ascendants, par son conjoint, par les descendants,ascendants ou enfants adoptifs de celui-ci, ou par une societe depersonnes dont les associes actifs ou les associes possedant au moins lestrois quarts du capital ont avec le bailleur ou son conjoint les memesrelations de parente, d'alliance ou d'adoption'.

[Le demandeur] souleve la nullite de cette clause du bail, invoquant unarret de la Cour de cassation selon lequel, `pour que le bailleur puissebeneficier de la disposition de l'article 3, alinea 5, de la loi du 30avril 1951 relative aux baux commerciaux, qui permet de donner conge aupreneur à l'expiration de chaque triennat, il faut que le bail mentionneles conditions visees par cette disposition legale' (Cass., 4 octobre1999, Pas., 1999, I, p. 1247).

Selon [le demandeur], la Cour de cassation aurait clairement exprime, cefaisant, que le fait qu'une clause du bail renvoie aux conditionsmentionnees à l'article 3 de la loi du 30 avril 1951 ne serait passuffisant. La clause du bail litigieux se contentant de renvoyer àl'article 3 precite, [le defendeur] ne pourrait, des lors, pas y puiser ledroit de rompre le contrat de bail commercial à l'issue de chaquetriennat pour les motifs vises dans la loi.

A la lecture du contrat de bail, le tribunal constate toutefois qu'iln'est pas exact de pretendre que son article 3 se contente de renvoyer àl'article 3 de la loi du 30 avril 1951 relative aux baux commerciaux.

En effet, le bail precise que le bailleur peut mettre fin au contrat debail :

- à l'expiration de chaque periode de trois ans,

- moyennant preavis notifie par lettre recommandee au moins un an à l'avance,

- conformement aux dispositions de l'article 3 de la loi du 30 avril 1951relative aux baux commerciaux.

A la lecture de cette clause, le preneur est donc informe du moment auquelle contrat peut etre rompu, des modalites à respecter pour ce faire et dufait que la rupture n'est possible que pour des motifs conformes à la loi(imperative) du 30 avril 1951.

La Cour de cassation s'est exprimee à plusieurs reprises surl'interpretation qu'il convenait de donner à l'article 3, alinea 5, de laloi du 30 avril 1951 en rappelant que le bail devait mentionner lesconditions visees par cette disposition (Cass., 25 juin 1982, Pas., 1982,I, p. 1272 ; Cass., 5 decembre 1991, Pas., 1992, I, p. 265 ; Cass., 11decembre 1992, Pas., 1992, I, nDEG 786).

Ces arrets ont, cependant, toujours ete rendus dans des cas ou les clausescontractuelles soumises à l'appreciation des tribunaux se contentaient destipuler que le bailleur pouvait mettre fin au bail à la fin de chaquetriennat, sans plus de precisions.

Ainsi, la lecture de ces clauses ne permettait pas au preneur d'etreinforme des modalites de la rupture (duree du preavis et mode denotification du conge) et des motifs pour lesquels cette rupture pouvaitintervenir.

Tel n'est pas le cas de la clause litigieuse, dont il ne peut pas etreconteste qu'elle enonce le moment et les conditions auxquelles la rupturepeut intervenir, le renvoi à l'article 3 de la loi permettant de garantirau preneur que les motifs de rupture du contrat sont limites à ce que laloi imperative autorise.

Le tribunal constate egalement que l'arret de la Cour de cassation du 4octobre 1999 invoque par [le demandeur] sanctionnait la decision du juged'appel selon laquelle la clause qui donnait `le droit de mettre fin aubail à l'expiration de chaque triennat dans les conditions enoncees àl'article 3 de la loi sur les baux commerciaux' etait conforme à la loidu 30 avril 1951.

Cette clause contractuelle etait moins precise et moins complete que cellefigurant au contrat de bail liant [les parties] puisqu'elle ne precisaitni la duree du preavis ni le mode de notification du conge.

La Cour de cassation a donc pu estimer qu'une telle clause ne reproduisaitpas les conditions visees à l'article 3, alinea 5, de la loi du 30 avril1951.

Tel n'est cependant pas le cas en l'espece puisque la clause enonce bienles conditions auxquelles la loi autorise le bailleur à mettre fin aubail à la fin de chaque triennat.

L'article 3 du contrat de bail n'est, par consequent, pas nul.

Le tribunal rappelle, enfin, que le conge doit indiquer clairement lemotif pour lequel il est notifie (Cass., 25 novembre 1954, Pas., 1955, I,267) et que les precisions relatives au motif sont suffisantes desqu'elles permettent au juge de verifier si les conditions legales du congesont remplies (M. Godhaird, `Bail commercial', Rep. not., tome VIII, Lesbaux, livre 4, Bruxelles, Larcier, 2011, nDEG 158).

En l'espece, le conge mentionne qu'il est donne pour occupationpersonnelle.

Le motif indique est, des lors, conforme à la loi.

[...] Le conge notifie le 8 novembre 2013 en vue de mettre fin au bail àla date du 31 juillet 2015 est, par consequent, valide.

La demande nouvelle doit, partant, etre declaree fondee ».

Griefs

Premiere branche

Aux termes de l'article 3, alinea 1er, de la loi du 30 avril 1951 sur lesbaux commerciaux, la duree du bail ne peut etre inferieure à neuf annees.

L'article 3, alinea 5, de ladite loi dispose toutefois que le contrat debail peut autoriser le bailleur à mettre fin au bail à l'expiration dechaque triennat, moyennant un preavis d'un an, par exploit d'huissier dejustice ou par lettre recommandee à la poste, en vue d'exercereffectivement lui-meme dans l'immeuble un commerce ou d'en permettrel'exploitation effective par ses descendants, ses enfants adoptifs ou sesascendants, par son conjoint, par les descendants, ascendants ou enfantsadoptifs de celui-ci, ou par une societe de personnes dont les associesactifs ou les associes possedant au moins les trois quarts du capital ontavec le bailleur ou son conjoint les memes relations de parente,d'alliance ou d'adoption.

Pour permettre au bailleur de beneficier de cette disposition legale, lecontrat de bail doit mentionner les conditions qu'elle prevoit. Unemention generale de la faculte de resiliation ne suffit pas.

Non seulement le contrat doit mentionner la possibilite d'une resiliationanticipee par le bailleur, mais il doit egalement mentionner lesconditions de l'article 3, alinea 5, de la loi sur les baux commerciaux,ce qui implique que l'attention du locataire est fixee sur ce que lebailleur peut resilier le bail, mais uniquement en vue d'exercereffectivement lui-meme dans l'immeuble un commerce ou d'en permettrel'exploitation effective par certains proches, moyennant un preavis d'unan.

L'absence de mention des conditions legales rend la clause sans effet.

En l'occurrence, le jugement attaque constate que l'article 3, alinea 3,du contrat de bail commercial autorise le bailleur à mettre fin « àl'expiration de chaque periode de trois ans moyennant preavis notifie parlettre recommandee au moins un an à l'avance conformement auxdispositions de l'article 3 de la loi du 30 avril 1951 relative aux bauxcommerciaux ».

Analysant le contenu de cette clause, le jugement attaque constate que lebail precise que :

- le bailleur peut mettre fin au contrat de bail à l'expiration de chaqueperiode de trois ans,

- moyennant preavis notifie par lettre recommandee au moins un an àl'avance,

- conformement aux dispositions de l'article 3 de la loi du 30 avril 1951relative aux baux commerciaux.

Il s'ensuit que si le contrat de bail mentionne le mode de resiliation, ilne precise pas les motifs pour lesquels le bailleur peut resilier lecontrat à chaque fin de triennat mais se borne quant à ce à se refererà l'article 3 de la loi du 30 avril 1951.

Partant, le jugement attaque n'a pu decider legalement que la clauseenonc,ait bien les conditions auxquelles la loi autorise le bailleur àmettre fin au bail à la fin de chaque triennat (violation de l'article 3,alinea 5, de la loi du 30 avril 1951 relative aux baux commerciaux) et,partant, que l'article 3 du contrat de bail n'est pas nul et que le conge,notifie le 8 novembre 2013 en vue de mettre fin au bail à la date du 31juillet 2015, soit la fin du premier triennat du bail renouvele le 1er aout 2012, est, par consequent, valide (violation de l'article 3, alineas1er et 5, de la loi du 30 avril 1951 relative aux baux commerciaux).

Seconde branche

Il est interdit au juge qui interprete un document d'en meconnaitre lafoi, notamment en y lisant une mention qui n'y figure pas ou en y lisantune affirmation que celui-ci ne contient pas.

Il ressort de l'article 3, alinea 5, de la loi du 30 avril 1951 sur lesbaux commerciaux que le contrat de bail peut autoriser le bailleur àmettre fin au bail à l'expiration de chaque triennat, moyennant unpreavis d'un an, par exploit d'huissier de justice ou par lettrerecommandee à la poste, en vue d'exercer effectivement lui-meme dansl'immeuble un commerce ou d'en permettre l'exploitation effective par sesdescendants, ses enfants adoptifs ou ses ascendants, par son conjoint, parles descendants, ascendants ou enfants adoptifs de celui-ci, ou par unesociete de personnes dont les associes actifs ou les associes possedant aumoins les trois quarts du capital ont avec le bailleur ou son conjoint lesmemes relations de parente, d'alliance ou d'adoption.

La faculte de resiliation à chaque triennat est des lors limitee àl'hypothese de l'exploitation personnelle et effective d'un commerce dansles lieux ou à l'exploitation effective d'un commerce par des personnesenumerees limitativement dans l'article precite.

L'article 3, alinea 3, du contrat de bail initial du 18 juillet 1994,renouvele par deux fois, stipulait, selon les propres constatations dujugement attaque, que « le bailleur aura la faculte de renoncer àl'execution du present contrat à l'expiration de chaque periode de troisans moyennant preavis notifie par lettre recommandee au moins un an àl'avance conformement aux dispositions de l'article 3 de la loi du 30avril 1951 sur les baux commerciaux ».

Il ressort de la lecture de cette clause que celle-ci ne fait aucunementetat des motifs pour lesquels le bailleur peut resilier le bail à la findu triennat du bail, à savoir l'intention d'exercer effectivementlui-meme dans l'immeuble un commerce ou d'en permettre l'exploitationeffective par les personnes indiquees à l'article 3, alinea 5, de la loidu 30 avril 1951.

Partant, en considerant que « la clause enonce bien les conditionsauxquelles la loi autorise le bailleur à mettre fin au bail à la fin dechaque triennat », alors qu'une des conditions, à savoir les motifsjustifiant la resiliation anticipee du contrat de bail, n'est pas reprisedans le corps de l'article 3, alinea 3, du contrat de bail, le tribunallit dans la clause quelque chose que celle-ci ne contient pas et, partant,meconnait la foi due à l'article 3 du contrat de bail initial datant du18 juillet 1994 (violation des articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil).

III. La decision de la Cour

Quant à la premiere branche :

En vertu de l'article 3, alinea 5, de la loi du 30 avril 1951 sur les bauxcommerciaux, le contrat de bail peut autoriser le bailleur à mettre finau bail à l'expiration de chaque triennat, moyennant un preavis d'un an,par exploit d'huissier de justice ou par lettre recommandee à la poste,en vue d'exercer effectivement lui-meme dans l'immeuble un commerce oud'en permettre l'exploitation effective par les personnes ou la societevisees par cet article.

Pour permettre au bailleur de beneficier de cette disposition legale, lecontrat de bail doit mentionner les conditions qu'elle prevoit etnotamment les motifs qui autorisent le bailleur à resilierunilateralement le bail.

Le jugement attaque constate que l'article 3, alinea 3, du bail commercialliant les parties « autorise le bailleur à mettre fin au contrat `àl'expiration de chaque periode de trois ans moyennant preavis notifie parlettre recommandee au moins un an à l'avance conformement auxdispositions de l'article 3 de la loi du 30 avril 1951 relative aux bauxcommerciaux' » et que le defendeur a use de ce droit et a resilie le bailen vue d'occuper personnellement les lieux.

En considerant que cet article 3, alinea 3, satisfait aux exigenceslegales et en validant en consequence le conge donne par le defendeur, lejugement attaque viole l'article 3, alinea 5, de la loi sur les bauxcommerciaux.

Le moyen, en cette branche, est fonde.

Quant à la seconde branche :

Il n'y a pas lieu d'examiner la seconde branche du moyen, qui ne sauraitentrainer une cassation plus etendue.

Par ces motifs,

La Cour

Casse le jugement attaque en tant qu'il dit fondee la demande nouvelle dudefendeur, qu'il dit pour droit que le bail conclu entre les parties apris fin le 31 juillet 2015, qu'il condamne le demandeur à deguerpir deslieux loues et qu'il statue sur les depens entre les parties à l'instanceen cassation ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge du jugementpartiellement casse ;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge du fond;

Renvoie la cause, ainsi limitee, devant le tribunal de premiere instancedu Brabant wallon, siegeant en degre d'appel.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, president, lespresidents de section Albert Fettweis et Martine Regout, les conseillersMichel Lemal et Sabine Geubel, et prononce en audience publique duvingt-deux decembre deux mille seize par le president de section ChristianStorck, en presence de l'avocat general delegue Philippe de Koster, avecl'assistance du greffier Patricia De Wadripont.

+---------------------------------------------+
| P. De Wadripont | S. Geubel | M. Lemal |
|-----------------+-------------+-------------|
| M. Regout | A. Fettweis | Chr. Storck |
+---------------------------------------------+

22 DECEMBRE 2016 C.16.0068.F/10


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.16.0068.F
Date de la décision : 22/12/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 20/01/2017
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2016-12-22;c.16.0068.f ?
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