Cour de cassation de Belgique
Arret
* NDEG S.08.0094.F
Y. E. F.,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre Antoine De Bruyn, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Vallee, 67, ou il estfait election de domicile,
contre
CLUB, societe anonyme dont le siege social est etabli à Uccle, rue VictorAllard, 7,
defenderesse en cassation,
representee par Maitre Paul Wouters, avocat à la Cour de cassation, dontle cabinet est etabli à Louvain, Koning Leopold I straat, 3, ou il estfait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 15 janvier 2008par la cour du travail de Bruxelles.
Le 6 octobre 2016, l'avocat general Jean Marie Genicot a depose desconclusions au greffe.
Le president de section Christian Storck a fait rapport et l'avocatgeneral Jean Marie Genicot a ete entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse presente un moyen libelle dans les termes suivants :
Dispositions legales violees
- article 764, [alinea 1er], 10DEG, du Code judiciaire, avant samodification par la loi du 17 septembre 2005 ;
- article 578, 12DEG (2), du Code judiciaire, tel qu'il a ete modifie parla loi du 25 fevrier 2003 et avant sa modification par la loi du 10 mai2007 ;
- article 30 de la loi du 25 fevrier 2003 tendant à lutter contre ladiscrimination et modifiant la loi du 15 fevrier 1993 creant le Centrepour l'egalite des chances et la lutte contre le racisme.
Decisions et motifs critiques
Par confirmation du jugement entrepris, l'arret deboute la demanderesse deson action en paiement d'une indemnite compensatoire de preavis (neuf moisde remuneration), d'une indemnite à titre de protection d'interruption decarriere (six mois de remuneration) et d'une indemnite pour licenciementabusif (25.000 euros), et la condamne aux depens, aux motifs que :
« L'insubordination resultant du retour anticipe au travail est iciaggravee par la circonstance que [la demanderesse] s'est presentee dansune tenue vestimentaire qu'elle savait ne pas convenir au travail qu'elleavait à executer ;
En effet, il ressort une fois encore du contenu de la lettre denotification des motifs graves - et il n'est pas conteste par [lademanderesse] - que [celle-ci] avait exprime par telephone sa volonte deporter un voile religieux sur son lieu de travail des son retour et que1'employeur lui avait indique qu'il lui etait impossible d'acceder à cesouhait ;
[...] La liberte de manifester sa religion n'est pas absolue ; desrestrictions sont possibles lorsque les pratiques religieuses sont denature à provoquer le desordre. L'usage interne à une societecommerciale interdisant au personnel en contact avec la clientele le portde certaines tenues vestimentaires ne cadrant pas avec une neutralite, etplus precisement le port du voile religieux, repose sur des considerationsobjectives propres à l'image de marque de l'entreprise commerciale. Untel usage, qui s'applique à 1'ensemble des travailleurs ou d'unecategorie de travailleurs, n'est pas discriminatoire ».
Griefs
Dans sa requete d'appel, la demanderesse s'est expressement prevalue de laloi du 25 fevrier 2003 tendant à lutter contre la discrimination.
Elle observait notamment :
« Que l'article 1er, S: 4, de la loi du 25 fevrier 2003 dispose que toutediscrimination directe ou indirecte est interdite lorsqu'elle porte surles conditions d'acces au travail salarie, non salarie ou independant, ycompris les criteres de selection et de recrutement, quelle que soit labranche d'activite et à tous les niveaux de la hierarchieprofessionnelle, y compris en matiere de promotion, les conditionsd'emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et deremuneration, tant dans le secteur prive que public ;
Que, selon la loi du 25 fevrier 2003, en conformite du droit europeen etde la doctrine majoritaire, une discrimination directe ne peut etrejustifiee par aucune raison ;
Qu'en 1'espece, [la demanderesse] a fait 1'objet d'une discriminationdirecte sur la base de l'expression de sa conviction religieuse ».
L'article 30 de la loi du 5 fevrier 2003 tendant à lutter contre ladiscrimination dispose qu'« à l'article 764, alinea 1er, du Codejudiciaire, le 10DEG est remplace par la disposition suivante : `lesdemandes prevues aux articles 578, 11DEG et 12DEG'».
En vertu de l'article 764, [alinea 1er], 10DEG, du Code judiciaire, avantsa modification par la loi du 17 septembre 2005 (la citation originaire dela demanderesse date du 12 mai 2005), les demandes prevues à l'article578, 11DEG et 12DEG, du meme code sont, à peine de nullite, communiqueesau ministere public, sauf devant le juge de paix, le juge des referes etle juge des saisies.
L'article 578, 12DEG, du Code judiciaire (tel qu'il a ete modifie par laloi du 25 fevrier 2003) vise « les contestations relatives auxdiscriminations au sens de la loi du 25 fevrier 2003 tendant à luttercontre la discrimination ».
Comme il vient d'etre vu, la contestation devant la cour du travail avaitnotamment pour objet l'application de ladite loi du 25 fevrier 2003.
L'arret ne constate pas que le ministere public aurait ete entendu en sonavis. Il mentionne seulement « l'audition des parties à l'audiencepublique du 23 octobre 2007 ».
Il s'ensuit que l'arret viole les dispositions legales citees en tete dumoyen et plus specialement l'article 764, [alinea 1er], 10DEG, du Codejudiciaire.
III. La decision de la Cour
L'arret, qui a ete rendu le 18 janvier 2008, les debats ayant ete cloturesle 23 octobre 2007, statue sur la demande que la demanderesse a, apres quela defenderesse, son employeur, lui eut donne conge pour motif grave,formee contre celle-ci en vue d'obtenir une indemnite compensatoire depreavis, une indemnite de protection d'interruption de carriere et uneindemnite pour licenciement abusif.
Le moyen, qui invoque la violation des dispositions des articles 578,12DEG(2), et 764, alinea 1er, 10DEG, tels qu'ils etaient applicables aumoment ou la demande a ete formee, soit le 12 mai 2005, fait grief àl'arret de statuer sans que la cause ait ete communiquee au ministerepublic alors que la demanderesse se prevalait, pour contester le motifgrave qui lui etait reproche, de la protection de la loi du 25 fevrier2003 tendant à lutter contre la discrimination et modifiant la loi du 15fevrier 1993 creant le Centre pour l'egalite des chances et la luttecontre le racisme.
En vertu des dispositions legales dont le moyen invoque la violation, saufdevant le juge de paix, le juge des referes et le juge des saisies, sont,à peine de nullite, communiquees au ministere public, les contestationsrelatives aux discriminations, au sens de la loi du 25 fevrier 2003, quiportent sur les conditions d'acces au travail salarie ou non salarie, ycompris les criteres de selection et les conditions de recrutement, quelleque soit la branche d'activite et à tous les niveaux de la hierarchieprofessionnelle, y compris en matiere de promotion, les conditionsd'emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et deremuneration, tant dans le secteur prive que dans le secteur public, àl'exception des relations regies par un statut de droit public.
Apres le remplacement, dont fait etat le moyen et qui est sans incidencesur l'examen de celui-ci, de l'article 764, alinea 1er, 10DEG, du Codejudiciaire par l'article 6 de la loi du 17 septembre 2005 portant desdispositions diverses en ce qui concerne l'institution d'un groupe denegociation, d'un organe de representation et de procedures relatives àl'implication des travailleurs au sein de la societe europeenne, leditarticle 764, alinea 1er, du Code judiciaire a encore ete modifie par lesarticles 13 et 14 de la loi du 10 mai 2007 adaptant le Code judiciaire àla legislation tendant à lutter contre les discriminations et reprimantcertains actes inspires par le racisme ou la xenophobie.
D'une part, tel qu'il a ete remplace par ledit article 13, l'article 764,alinea 1er, 10DEG, ne vise plus de contestations en matiere dediscrimination.
D'autre part, tel qu'il a ete complete par ledit article 14, l'article764, alinea 1er, 12DEG, prescrit la communication au ministere public desdemandes fondees sur la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contrecertaines formes de discrimination.
Cette disposition, qui est entree en vigueur le dixieme jour suivant sapublication au Moniteur belge du 30 mai 2007, est, conformement auxarticles 2 du Code civil et 3 du Code judiciaire, immediatement applicableaux proces en cours.
La loi qui regit la communication d'une cause au ministere public estcelle qui s'applique au moment ou cette cause doit etre jugee, et noncelle qui etait en vigueur au moment ou elle a ete introduite.
Le moyen, qui invoque la violation de dispositions legales inapplicablesau litige, est irrecevable.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux depens.
Les depens taxes à la somme de cent vingt-sept euros quarante-troiscentimes en debet envers la partie demanderesse et à la somme de centseize euros vingt-deux centimes envers la partie defenderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersDidier Batsele, Mireille Delange, Michel Lemal et Sabine Geubel, etprononce en audience publique du quatorze novembre deux mille seize par lepresident de section Christian Storck, en presence de l'avocat generalJean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.
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| L. Body | S. Geubel | M. Lemal |
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| M. Delange | D. Batsele | Chr. Storck |
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14 NOVEMBRE 2016 S.08.0094.F/7