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17/10/2016 | BELGIQUE | N°C.11.0062.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 17 octobre 2016, C.11.0062.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

* NDEG C.11.0062.F

VRIJE UNIVERSITEIT BRUSSEL, agissant sous la denomination de UniversitairZiekenhuis Brussel, dont le siege est etabli à Ixelles, boulevard de laPlaine, 2,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont lecabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Montagne, 11, ou il est faitelection de domicile,

contre

1. B. U:. et

2. G. K.-U:.,

defendeurs en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est

dirige contre l'arret rendu le 21 septembre2010 par la cour d'appel de Bruxelles.

Par ordonnance du 26 septembre 20...

Cour de cassation de Belgique

Arret

* NDEG C.11.0062.F

VRIJE UNIVERSITEIT BRUSSEL, agissant sous la denomination de UniversitairZiekenhuis Brussel, dont le siege est etabli à Ixelles, boulevard de laPlaine, 2,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont lecabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Montagne, 11, ou il est faitelection de domicile,

contre

1. B. U:. et

2. G. K.-U:.,

defendeurs en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 21 septembre2010 par la cour d'appel de Bruxelles.

Par ordonnance du 26 septembre 2016, le premier president a renvoye lacause devant la troisieme chambre.

Le president de section Christian Storck a fait rapport.

L'avocat general delegue Michel Palumbo a conclu.

II. Les moyens de cassation

Les demandeurs presentent deux moyens, dont le premier est libelle dansles termes suivants :

Dispositions legales violees

- articles 1382 et 1383 du Code civil ;

- article 350 du Code penal.

Decisions et motifs critiques

Apres avoir declare l'appel de la demanderesse non fonde, l'arret ditl'appel incident des defendeurs partiellement fonde. Statuant à nouveau,il dit la demande des defendeurs, agissant en qualite d'ayants droit deleur fille R., recevable et partiellement fondee, et condamne lademanderesse à leur payer en cette qualite 83.169 euros majoresd'interets pour le dommage moral de l'enfant et 5.000 euros majoresd'interets pour le prejudice esthetique de celle-ci, par les motifs

« Que [les defendeurs] soutiennent que, sans le diagnostic antenatalinexact, [la defenderesse] aurait interrompu sa grossesse, alors qu'à lasuite du diagnostic tel qu'il fut pose, la grossesse s'est developpee et amene à la naissance de l'enfant R. ;

Que [la demanderesse] conteste que soit valablement rapportee la preuved'un lien causal entre le vice du produit dont elle avait la garde, àl'origine du diagnostic errone pose en 2001 [lire : 1999], et le dommagevante par [les defendeurs], au motif qu'il n'est pas demontre aveccertitude qu'il aurait ete recouru à une interruption volontaire degrossesse si les parents avaient ete informes de la maladie dont l'enfantetait porteuse ;

Qu'elle souligne que, selon la loi islamique, l'avortement est interditau-delà du quarantieme jour de la grossesse mais neanmoins autorise àtout moment si une affection grave, attestee par le conseil medicalcompetent, met en danger et la vie de la mere et celle du foetus, auquelcas une interruption de grossesse doit etre decidee pour sauver la mere ;

Qu'il convient, en fait, d'admettre qu'il est certain que [les defendeurs]auraient eu recours à un avortement therapeutique s'ils avaient eteinformes que leur enfant etait porteuse de la maladie de Sanfilippo ;

Que cette constatation prend appui sur les presomptions suivantes :

- qu'il ressort des pieces produites que la maladie de Sanfilippo est uneaffection d'une particuliere gravite et reconnue comme incurable ;qu'apres un developpement normal jusque vers l'age de deux ou trois ans,les enfants qui sont atteints de cette maladie perdent leurs acquis etpresentent un retard psychomoteur associe à des traits dysmorphiques ;que l'affection evolue ensuite inexorablement vers une aggravation quifinira par entrainer le deces, de tels enfants n'atteignant pas l'ageadulte ;

- que, vu les caracteristiques de cette maladie, [la defenderesse] auraitete dans les conditions pour avoir recours à un avortement therapeutiqueau sens ou l'entend l'article 350 du Code penal, ce point n'etant du restepas conteste ;

- que la fille ainee des [defendeurs], F., nee le[ ...], etait dejàatteinte de cette maladie et en subissait les lourdes consequences àl'epoque ou fut conc,ue R. ; que les [defendeurs] ont eu, ensuite, unedeuxieme fille, en bonne sante, M., nee le [...] ; qu'ils ont eu ensuiteR., nee le[...], et enfin B., nee le [...], en bonne sante ;

Qu'ainsi, à l'epoque ou fut realise le test litigieux, [les defendeurs]avaient parfaitement conscience de la maladie de leur fille ainee, alorsagee de huit ans, et de l'avenir qui etait le sien ;

Que l'evidence commande des lors d'admettre que, si [les defendeurs] ontdemande qu'il soit procede à un test antenatal specifiquement destine àdeceler cette maladie, c'est precisement en vue de leur permettre derecourir à l'avortement therapeutique dans le cas ou le test s'avereraitmalheureusement positif ;

Qu'il convient donc d'admettre que, si le diagnostic correct avait etepose, [la defenderesse] aurait procede à une interruption de grossesse,en sorte que le prejudice [des defendeurs] tel qu'il s'est produit inconcreto ne se serait pas realise ;

Que [les defendeurs] sont donc en droit de reclamer à [la demanderesse]la reparation du prejudice qu'ils ont subi, en nom personnel, du fait decette situation dommageable ;

Que [la demanderesse] conteste le droit des [defendeurs] de reclamer lareparation d'un quelconque prejudice en leur qualite d'ayants droit deleur fille R., en faisant valoir que c'est en raison de son heredite etnon de l'erreur de diagnostic ou du substrat qu'elle etait atteinte dusyndrome de Sanfilippo B ;

Qu'il a ete vu ci-avant qu'il est etabli à suffisance que [ladefenderesse] aurait procede à un avortement therapeutique si elle avaitete informee du fait que l'enfant à naitre souffrait du syndrome encause ;

Que, des lors, l'enfant R. ne serait pas nee ;

Qu'il n'est pas douteux que le handicap dont souffrait R. etait d'uneparticuliere gravite et qu'il etait incurable ;

Que le rapport de l'expert O. du 20 mars 2007 est suffisamment eclairantà ce sujet ; qu'il peut en etre retenu que R. souffrait d'un retardmental et psychomoteur important ; que, ayant examine R. au centrePerce-Neige le 3 mai 2006, l'expert a releve qu'elle etait incontinente,qu'elle portait tous les objets en bouche et s'automutilait, qu'elle marchait de maniere saccadee, tournait en rond, n'avait pas acces au langage mais poussait des cris ou des roucoulements, qu'elle souffrait de douleurs musculaires se traduisant par des pleurs ; qu'il a egalement souligne que le handicap de cette enfant avait vocation à se degraderencore davantage, avec perte de la marche ; que le besoin de surveillanceet d'aide de tierces personnes etait constant, necessitant la prise encharge par une institution specialisee ;

Que cet expert a retenu une invalidite temporaire partielle de trente p.c.du 14 mars 2000 au 13 mars 2001 (entre six mois et dix-huit mois), desoixante p.c. du 14 mars 2001 au 1er janvier 2004 (admission au centrePerce-Neige) et de nonante p.c. à partir du 1er janvier 2004 ;

Que l'enfant ne handicape dans de telles conditions peut demander lareparation de son propre prejudice resultant de cette situation, enrelation causale directe avec l'erreur de diagnostic qui a empeche sa mered'interrompre sa grossesse ;

Que, certes, l'erreur de diagnostic n'a pas cause le handicap de l'enfant,qui preexistait à cette erreur et auquel il ne pouvait pas etre remedie ;

Que, cependant, le dommage qui doit etre indemnise n'est pas le handicapen tant que tel mais le fait d'etre ne avec pareil handicap ;

Que, sans l'erreur de diagnostic, ce dommage tel qu'il s'est produit inconcreto ne se serait pas realise ;

Qu'il ne s'agit pas, pour la cour [d'appel], d'apprecier si la vie de R.valait ou non la peine d'etre vecue, appreciation assurement subjective,mais d'entendre à cet egard le point de vue exprime par les [defendeurs],en leur qualite de representants legaux de leur fille mineure d'abord -et, à ce titre, seuls titulaires du droit d'agir en son nom -, et en leurqualite d'ayants droit de celle-ci ensuite - et, à ce titre, autorises àfaire valoir les droits qu'ils avaient mis en oeuvre en son nom avant sondeces ;

Que l'existence, dans notre arsenal legislatif, de l'article 350, alinea2, 4DEG, du Code penal autorisant l'avortement therapeutique demontre quele legislateur a lui-meme consacre juridiquement l'idee suivant laquellele prejudice lie au handicap n'est pas efface par le seul fait de vivre ;

Qu'en adoptant cette disposition, le legislateur a necessairement voulupermettre d'eviter de donner la vie à des enfants atteints d'anomaliesgraves, en ayant egard, non seulement à l'interet de la mere, mais aussià celui de l'enfant à naitre lui-meme ;

Qu'un dommage peut etre indemnise meme s'il ne consiste pas en la perted'un acquis ou en la degradation d'un etat anterieur ; qu'il peut aussiconsister, comme en l'espece, en la lesion d'un interet legitime ;

Qu'en l'espece, l'enfant à naitre avait un interet certain et legitime àfaire l'objet d'un avortement therapeutique, auquel il a ete vu que samere aurait eu recours si elle avait ete dument informee de l'affection del'enfant ;

Qu'en posant un diagnostic errone, [la demanderesse] a porte atteinte àcet interet ;

Que le dommage indemnisable consiste, pour l'enfant, dans le fait d'etrene avec un handicap et de devoir vivre handicape, alors que cettesituation ne se serait pas realisee si le diagnostic correct avait etepose ».

Griefs

Premiere branche

Apres avoir constate, en fait, qu'il est certain que les defendeursauraient eu recours à un avortement therapeutique s'ils avaient eteinformes que leur enfant etait porteuse de la maladie de Sanfilippo,l'arret, reformant la decision du premier juge, dit l'action desdefendeurs agissant en tant qu'ayants droit de leur fille R. partiellementfondee.

L'arret estime que la demanderesse a engage sa responsabilite tant commegardienne d'une chose viciee (article 1384, alinea 1er, du Code civil) quepar sa faute sur la base des articles 1382 et 1383 du Code civil etapprecie ensuite le dommage et le lien de causalite entre celui-ci et laresponsabilite engagee par la demanderesse.

L'arret emet à ce propos les considerations suivantes :

« Que l'enfant ne handicape dans de telles conditions peut demander lareparation de son propre prejudice resultant de cette situation, enrelation causale directe avec l'erreur de diagnostic qui a empeche sa mered'interrompre sa grossesse ;

Que, certes, l'erreur de diagnostic n'a pas cause le handicap de l'enfant,qui preexistait à cette erreur et auquel il ne pouvait pas etre remedie ;

Que, cependant, le dommage qui doit etre indemnise n'est pas le handicapen tant que tel mais le fait d'etre ne avec pareil handicap ;

Que, sans l'erreur de diagnostic, ce dommage tel qu'il s'est produit inconcreto ne se serait pas realise ;

Qu'il ne s'agit pas, pour la cour [d'appel], d'apprecier si la vie de R.valait ou non la peine d'etre vecue, appreciation assurement subjective,mais d'entendre à cet egard le point de vue exprime par les [defendeurs],en leur qualite de representants legaux de leur fille mineure d'abord -et, à ce titre, seuls titulaires du droit d'agir en son nom -, et en leurqualite d'ayants droit de celle-ci ensuite - et, à ce titre, autorises àfaire valoir les droits qu'ils avaient mis en oeuvre en son nom avant sondeces ;

Que l'existence, dans notre arsenal legislatif, de l'article 350, alinea2, 4DEG, du Code penal autorisant l'avortement therapeutique demontre quele legislateur a lui-meme consacre juridiquement l'idee suivant laquellele prejudice lie au handicap n'est pas efface par le seul fait de vivre ;

Qu'en adoptant cette disposition, le legislateur a necessairement voulupermettre d'eviter de donner la vie à des enfants atteints d'anomaliesgraves, en ayant egard, non seulement à l'interet de la mere, mais aussià celui de l'enfant à naitre lui-meme ;

Qu'un dommage peut etre indemnise meme s'il ne consiste pas en la perted'un acquis ou en la degradation d'un etat anterieur ; qu'il peut aussiconsister, comme en l'espece, en la lesion d'un interet legitime ;

Qu'en l'espece, l'enfant à naitre avait un interet certain et legitime àfaire l'objet d'un avortement therapeutique, auquel il a ete vu que samere aurait eu recours si elle avait ete dument informee de l'affection del'enfant ;

Qu'en posant un diagnostic errone, [la demanderesse] a porte atteinte àcet interet ;

Que le dommage indemnisable consiste, pour l'enfant, dans le fait d'etrene avec un handicap et de devoir vivre handicape, alors que cettesituation ne se serait pas realisee si le diagnostic correct avait etepose ».

Conformement aux articles 1382 et 1383 du Code civil, celui qui reclamedes dommages et interets est tenu de prouver qu'il existe un lien decausalite entre la faute et le dommage tel qu'il s'est produit.

Le meme lien causal doit unir la responsabilite du gardien de la chosevicieuse et le dommage.

Ce lien de causalite suppose qu'en l'absence de la chose viciee ou de lafaute, le dommage ne serait pas survenu tel qu'il s'est produit.

Des lors que le dommage peut avoir une autre cause que la responsabiliteconstatee, la responsabilite retenue ne peut etre censee constituer laconditio sine qua non du dommage.

Le juge ne peut legalement conclure à l'existence d'une relation causaleque s'il constate que, sans la faute ou la chose viciee, le dommage seserait produit tel qu'il s'est realise in concreto.

Si le juge du fond apprecie en fait l'existence d'un dommage en liencausai avec la faute, il appartient cependant à la Cour de verifier si,des faits qu'il a constates, il a legalement deduit l'existence d'undommage reparable et d'une relation causale entre la faute retenue et ledommage.

Il ressort des constatations de l'arret que la cour d'appel a appreciel'existence d'un lien de causalite entre la responsabilite de lademanderesse et le dommage decoulant, selon la cour [d'appel], du faitpour l'enfant de devoir vivre avec la maladie de Sanfilippo.

L'arret releve à cet egard que, « certes, l'erreur de diagnostic n'a pascause le handicap de l'enfant, qui preexistait à cette erreur et auquelil ne pouvait pas etre remedie ».

Il precise qu'en l'espece, « le dommage indemnisable consiste, pourl'enfant, dans le fait d'etre ne avec un handicap et de devoir vivrehandicape, alors que cette situation ne se serait pas realisee si lediagnostic correct avait ete pose ».

Par consequent, l'arret compare la situation concrete d'etre ne avec cellede ne pas etre ne et en deduit le dommage indemnisable dans les termessuivants :

« Qu'un dommage peut etre indemnise meme s'il ne consiste pas en la perted'un acquis ou en la degradation d'un etat anterieur ; qu'il peut aussiconsister, comme en l'espece, en la lesion d'un interet legitime ;

Qu'en l'espece, l'enfant à naitre avait un interet certain et legitime àfaire l'objet d'un avortement therapeutique, auquel il a ete vu que samere aurait eu recours si elle avait ete dument informee de l'affection del'enfant ;

Qu'en posant un diagnostic errone, [la demanderesse] a porte atteinte àcet interet ;

Que le dommage indemnisable consiste, pour l'enfant, dans le fait d'etrene avec un handicap et de devoir vivre handicape, alors que cettesituation ne se serait pas realisee si le diagnostic correct avait etepose ».

Le dommage pris en compte est donc le fait meme d'etre ne handicape et lefait pour l'enfant de vivre une vie handicapee.

L'action en reparation fondee sur les articles 1382, 1383 et 1384, alinea1er, du Code civil implique, par definition, le retablissement de lavictime dans la situation qui aurait ete la sienne si la responsabilite dela demanderesse n'avait pas ete engagee (si la faute n'avait pas etecommise ou si la chose n'avait pas ete vicieuse).

Le juge ne peut decider qu'il existe un dommage en relation causale avecla faute que lorsque le fait generateur de la responsabilite place lavictime dans une situation pire que celle dans laquelle elle se trouvaitavant la commission de la faute.

Or, en se fondant sur une situation anterieure ou l'enfant n'etait pas ne,l'arret ne constate pas de perte pour l'enfant par rapport à cettesituation anterieure.

Il est contraire à ces dispositions legales, des que l'enfant est nehandicape, de considerer comme un dommage indemnisable pour lui le faitd'etre ne avec un handicap et de devoir vivre handicape, apres avoir tenucompte de l'hypothese ou l'enfant ne serait pas ne et, partant, n'eut pasete apte à faire valoir un droit à indemnisation pour un quelconquedommage.

Des lors, l'arret n'a pu legalement constater l'existence d'un dommageindemnisable ni, partant, d'un lien causal entre la responsabilite de lademanderesse et ce dommage.

L'arret viole les notions legales de dommage indemnisable et de lien decausalite en matiere de responsabilite civile extracontractuelle(violation des articles 1382, 1383 et 1384, alinea 1er, du Code civil).

Seconde branche

En vertu des articles 1382, 1383 et 1384, alinea 1er, du Code civil, undommage au sens de ces articles n'est reparable que s'il consiste en uneatteinte portee à un droit subjectif ou à un interet stable et legitime.

L'article 350, alinea 2, 4DEG, du Code penal n'accorde le droit derecourir à une interruption volontaire de grossesse qu'à la femmeenceinte dans des conditions strictement limitees par la loi. Cettedisposition legale n'envisage pas l'interet de l'enfant à naitre :« Au-delà du delai de douze semaines, sous les conditions prevues aux1DEG, b), 2DEG et 3DEG, l'interruption volontaire de grossesse ne pourraetre pratiquee que lorsque la poursuite de la grossesse met en perilgrave la sante de la femme ou lorsqu'il est certain que l'enfant ànaitre sera atteint d'une affection d'une particuliere gravite etreconnue comme incurable au moment du diagnostic. Dans ce cas, le medecinsollicite s'assurera le concours d'un deuxieme medecin, dont l'avis serajoint au dossier ».

Il en resulte que l'interet à une interruption de grossesse pris encompte par le legislateur est exclusivement celui de la mere. L'article350 du Code penal ne confere, ni explicitement ni implicitement, àl'enfant à naitre un droit ou un interet à faire l'objet d'un avortementtherapeutique.

Dans ses conclusions d'appel, la demanderesse invoquait ce qui suit :

« La notion de dommage comporte deux elements : un element de fait,notamment le prejudice, et un element de droit, notamment la lesion d'undroit.

Le prejudice seul ne suffit pas. Sans lesion d'un droit subjectif, il peuty avoir prejudice mais non dommage reparable ».

L'arret decide qu'il existait pour l'enfant un dommage indemnisable enconsiderant que « l'enfant à naitre avait un interet certain et legitime à faire l'objet d'un avortement therapeutique » et qu' « enposant un diagnostic errone », la demanderesse y a porte atteinte.

Or, l'arret deduit l'existence d'un interet certain et legitime del'enfant d'une interpretation erronee de l'article 350 du Code penal.Cette disposition legale n'envisage que l'interet de la femme enceinte àrecourir à une interruption de grossesse therapeutique et non l'interetde l'enfant à naitre.

L'enfant ne handicape, qui se trouve dans la situation ou il n'avaitaucune chance de venir au monde sans handicap ou avec un handicap moindre,et qui ne pouvait donc que, soit naitre avec les consequences douloureusesimputables à son handicap auquel l'hopital est etranger, soit ne pasnaitre à la suite d'un avortement therapeutique dont la decisionn'appartient qu'à sa mere enceinte, n'a aucun droit, ni sur la base del'article 350 du Code penal, ni sur une autre base legale, à ne pas etrene, dont il puisse se prevaloir envers une tierce personne, au moment ouil est ne.

En outre, que ce soit sur la base de l'article 350 du Code penal ou surune autre base legale, l'enfant qui se trouve dans cette situation n'a pasdavantage d'interet legitime à ne pas etre ne, dont il puisse seprevaloir envers une tierce personne, au moment ou il est ne.

L'arret n'a pu, sur la base de l'article 350 du Code penal, constater quel'enfant en cause avait un « interet certain et legitime » à fairel'objet d'un avortement therapeutique pour declarer sa demande enreparation de son dommage subi consecutivement au fait d'etre ne handicaperecevable et fondee, sans violer cette disposition legale et les articles1382, 1383 et 1384, alinea 1er, du Code civil.

III. La decision de la Cour

Par un acte depose au greffe de la Cour le 5 octobre 2011, la demanderessese desiste du second moyen qu'elle a presente à l'appui du pourvoi.

Il y a lieu de lui en donner acte.

Sur le premier moyen :

Quant à la premiere branche :

En vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil, celui qui, par sa faute,sa negligence ou son imprudence cause à autrui un dommage est tenu de lereparer ; la meme obligation pese, en application de l'article 1384,alinea 1er, du meme code, sur le gardien de la chose qui a cause ledommage.

Le dommage au sens de ces dispositions consiste en l'atteinte à toutinteret ou en la perte de tout avantage legitime ; il suppose que lavictime du fait illicite se trouve apres celui-ci dans une situation moinsfavorable qu'avant.

Il ne peut exister de dommage lorsque les termes de la comparaison entreces deux situations consistent, d'une part, en l'existence d'une personnenee avec un handicap, d'autre part, en sa non-existence.

L'arret tient pour etabli que, sans le fait illicite dont doit repondre lademanderesse, la defenderesse « aurait procede à un avortementtherapeutique » et constate « que, des lors, l'enfant R. ne serait pasnee ».

En considerant, pour decider que cette enfant a subi un dommage dont, enleur qualite d'ayants droit de celle-ci, les defendeurs peuvent demanderla reparation, « que l'enfant ne handicape dans de telles conditions peutdemander la reparation de son propre prejudice [...] ; que, certes,l'erreur de diagnostic n'a pas cause le handicap de l'enfant, quipreexistait à cette erreur et auquel il ne pouvait etre remedie », maisque « le dommage qui doit etre indemnise n'est pas le handicap en tantque tel mais le fait d'etre ne avec pareil handicap », l'arret meconnaitla notion legale de dommage et viole, partant, les dispositions legalesprecitees.

Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est fonde.

Quant à la seconde branche :

Aux termes de l'article 350, alinea 2, 4DEG, du Code penal, au-delà dudelai de douze semaines, sous les conditions prevues aux 1DEG, b), 2DEG et3DEG, l'interruption volontaire de grossesse ne pourra etre pratiquee quelorsque la poursuite de la grossesse met en peril grave la sante de lafemme ou lorsqu'il est certain que l'enfant à naitre sera atteint d'uneaffection d'une particuliere gravite et reconnue comme incurable au momentdu diagnostic, et, dans ce cas, le medecin sollicite s'assurera leconcours d'un deuxieme medecin, dont l'avis sera joint au dossier.

Cette disposition a pour seul objet de fixer les conditions auxquelles unavortement pratique sur une femme qui y a consenti ne constitue pas uneinfraction.

En considerant, pour en deduire que la demanderesse « a porte atteinte à[l']interet [legitime] » de l'enfant R., « qu'en adoptant [l'article350, alinea 2, 4DEG, du Code penal], le legislateur a necessairement voulupermettre d'eviter de donner la vie à des enfants atteints d'anomaliesgraves, en ayant egard, non seulement à l'interet de la mere, mais aussià celui de l'enfant à naitre », et « qu'en l'espece, l'enfant ànaitre avait un interet certain et legitime à faire l'objet d'unavortement therapeutique, auquel [...] sa mere aurait eu recours si elleavait ete dument informee de l'affection » dont elle etait atteinte,l'arret viole cette disposition legale.

Le moyen, en cette branche, est fonde.

Par ces motifs,

La Cour

Donne acte à la demanderesse qu'elle se desiste du second moyen presentedans la requete ;

Casse l'arret attaque en tant qu'il statue sur le fondement de la demandeen reparation que les defendeurs exercent en qualite d'ayants droit deleur fille R. et qu'il statue sur les depens ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Liege.

Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersDidier Batsele, Mireille Delange, Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, etprononce en audience publique du dix-sept octobre deux mille seize par lepresident de section Christian Storck, en presence de l'avocat generaldelegue Michel Palumbo, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.

+-------------------------------------------+
| L. Body | M.-Cl. Ernotte | M. Lemal |
|------------+----------------+-------------|
| M. Delange | D. Batsele | Chr. Storck |
+-------------------------------------------+

* 17 OCTOBRE 2016 C.11.0062.F/1

Requete/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.11.0062.F
Date de la décision : 17/10/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 11/11/2016
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2016-10-17;c.11.0062.f ?
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