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17/10/2016 | BELGIQUE | N°C.09.0414.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 17 octobre 2016, C.09.0414.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.09.0414.F

I. K.,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile,

contre

1. ETHIAS, societe anonyme dont le siege social est etabli à Liege, ruedes Croisiers, 24,

2. ETHIAS DROIT COMMUN, association d'assurances mutuelles, dont le siegeest etabli à Liege, rue des Croisiers, 24,

3. CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE LIEGE, etablissemen

t public dont lesiege est etabli à Liege, Domaine universitaire du Sart-Tilman, avenue del'Hopital, 13, b...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.09.0414.F

I. K.,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre John Kirkpatrick, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile,

contre

1. ETHIAS, societe anonyme dont le siege social est etabli à Liege, ruedes Croisiers, 24,

2. ETHIAS DROIT COMMUN, association d'assurances mutuelles, dont le siegeest etabli à Liege, rue des Croisiers, 24,

3. CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE LIEGE, etablissement public dont lesiege est etabli à Liege, Domaine universitaire du Sart-Tilman, avenue del'Hopital, 13, batiment 35,

defendeurs en cassation,

representes par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine, 11,ou il est fait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 22 janvier 2009par la cour d'appel de Liege.

Par ordonnance du 26 septembre 2016, le premier president a renvoye lacause devant la troisieme chambre.

Le president de section Christian Storck a fait rapport.

L'avocat general delegue Michel Palumbo a conclu.

II. Les moyens de cassation

La demanderesse presente deux moyens libelles dans les termes suivants :

Premier moyen

Dispositions legales violees

- article 149 de la Constitution ;

- articles 6, 1101, 1131, 1134, 1135, 1142, 1147, 1149, 1150, 1151, 1382et 1383 du Code civil ;

- articles 17 et 1138, 2DEG et 4DEG, du Code judiciaire ;

- article 350 du Code penal, tel qu'il a ete modifie par la loi du 3 avril1990 ;

- articles 5, S: 2, alinea 1er, et 35, S: 1er, de la loi du 15 mai 2007relative à l'indemnisation des dommages resultant de soins de sante,l'article 35, S: 1er, tel qu'il a ete modifie par les articles 3, 1DEG, dela loi du 21 decembre 2007 et 97 de la loi du 22 decembre 2008 ;

- principe general du droit relatif au respect des droits de la defense ;

- principe general du droit dit principe dispositif.

Decisions et motifs critiques

Apres avoir constate en substance les faits suivants : 1. le 26 aout2004, la demanderesse a subi une intervention ayant pour but uneinterruption volontaire de grossesse, intervention qui fut pratiquee pardeux medecins attaches au troisieme defendeur ; 2. le 30 aout 2004, lelaboratoire charge d'effectuer l'analyse anatomopathologique a averti leservice gynecologique du troisieme defendeur de l'absence de tissu foetaldans les prelevements et donc de l'echec de l'intervention ; 3. ni lesmedecins qui ont pratique l'intervention ni l'hopital n'ont informe la demanderesse ou son medecin traitant de l'echec de l'intervention ; 4. cen'est que le 6 octobre 2004, soit apres l'expiration du delai legalpermettant de recourir à une interruption volontaire de grossesse, quela demanderesse a, à la suite d'une echographie, appris qu'elle etaittoujours enceinte ; 5. le 3 mars 2005, la demanderesse a accouche d'unefille,

et apres avoir decide 1. que l'absence de communication à lademanderesse ou à son medecin traitant de l'echec de l'interruptionvolontaire de grossesse « resulte d'un manquement fautif imputable àl'etablissement hospitalier », ici troisieme defendeur ; 2. que, sans «la faute qui a ete commise dans le suivi post-operatoire, [lademanderesse] aurait ete informee en temps utile de l'echec del'intervention et aurait pu en subir une seconde en vue de mettre un termeà sa grossesse dans le delai legal » ; 3. que, « s'agissant d'uneseconde intervention necessitee par un echec prealable, il n'est pasdouteux que les medecins auraient redouble de prudence lors de celle-ci etmis tout en oeuvre pour s'assurer, avant le depart de la patiente, parexemple [par] une echographie, que le but recherche avait ete atteint » ;4. que, « dans ce contexte, il peut etre affirme avec certitude que ledommage indemnisable ne se serait pas produit en l'absence de la fauteimputee au corps medical »,

l'arret decide que la demanderesse « n'est pas fondee à reclamer uneindemnisation pour les frais de garde, d'entretien et d'equipement pasplus qu'une indemnisation à titre de dommage moral consecutivement à lanaissance de son enfant » et, par voie de consequence, confirme ladecision par laquelle le premier juge avait condamne la deuxiemedefenderesse à payer à la demanderesse une indemnite limitee au montanten principal de dix mille euros, « sous la seule precision que la sommede dix mille euros est allouee à titre de dommages materiel et moralconfondus durant la grossesse ».

Ces decisions se fondent sur les motifs suivants :

« [La demanderesse], ayant pris conscience du fait que sa grossessecontinuait à evoluer apres l'echeance du delai legal de douze semaines, aete contrainte de la mener à son terme alors qu'il doit etre admis que,conformement à l'article 350 du Code penal, cet etat de grossesse laplac,ait dans une situation de detresse ;

[La demanderesse] est fondee à demander une indemnisation des dommagesmoral et materiel lies au fait de devoir subir cette grossesse. A defautd'evaluation precise par [la demanderesse], pres de trois ans apres lesfaits, du dommage materiel qu'elle a subi, il y a lieu de lui allouer àtitre de dommages materiel et moral confondus la somme de dix mille eurosen principal ;

Par contre, meme apres une tentative d'interruption volontaire degrossesse, la naissance d'un enfant normal et en bonne sante dont il n'esten outre pas conteste qu'il est issu de relations consenties n'entrainepas comme tel un dommage faisant naitre un droit à reparation pour lamere ;

Surabondamment, et en tout etat de cause, [...] [la demanderesse] avait,apres l'accouchement, la possibilite de confirmer sa volonte de ne pasgarder l'enfant et de 'l'abandonner' à la naissance en vue de sonadoption par un tiers. Le fait [pour la demanderesse] d'avoir pris endefinitive la decision d'elever son enfant a interrompu la relationcausale entre la faute retenue et l'existence d'un eventuel prejudice pourla periode posterieure à la naissance de son enfant ».

Griefs

Premiere branche

Dans ses conclusions d'appel, la demanderesse decrivait le dommage dontelle poursuivait la reparation et refutait les arguments invoques par lesdeuxieme et troisieme defendeurs à l'appui de la these selon laquelle ilne s'agissait pas d'un dommage reparable et ce, dans les termes suivants :

« Entretien de l'enfant

Dans son arret du 10 decembre 2001, la Cour de cassation considere que'l'existence d'une obligation contractuelle, legale ou reglementairen'exclut pas qu'il y ait dommage au sens de l'article 1382 du Code civil,sauf lorsqu'il ressort du contenu ou de la portee de la convention, de laloi ou du reglement que la depense ou la prestation à intervenir doitdefinitivement rester à la charge de celui qui s'y est oblige ou qui doitl'executer en vertu de la loi ou du reglement'. Le jugement entreprisconstate à bon droit que 'les dispositions du Code civil qui concernentla contribution des parents aux frais d'entretien et d'education de leursenfants n'interdisent pas d'en poursuivre le remboursement aupres d'untiers' ;

La [demanderesse] verse à son dossier un ensemble de piecesjustificatives de debours tels que consultations chez le pediatre,depenses de pharmacie, notamment pour le lait, achat de vetements et detout le necessaire pour un nouveau-ne ;

Il y a lieu d'allouer ex aequo et bono une somme mensuelle de cinq centseuros, soit pour le passe, de mars 2005 à octobre 2008, 44 x 500 = 22.000euros, à majorer des interets compensatoires aux taux legaux depuis le1er janvier 2007, date moyenne ;

Pour l'avenir, soit à partir du 1er novembre 2008, cette mensualite decinq cents euros doit etre payee à titre provisionnel jusqu'àmodification en fonction des besoins de l'enfant, avec indexation annuellele 1er novembre de chaque annee et pour la premiere fois le 1er novembre2009 selon la formule suivante : 500 x index d'octobre 2009/ index defevrier 2005 ;

Frais de garde : la garde de l'enfant, compte tenu des obligationsprofessionnelles combinees aux etudes de la [demanderesse], a du etreassumee par la grand-mere de maniere intensive apres le 11 mars 2005, datede la reprise d'activite de la [demanderesse]. Le cout peut en etreevalue au tarif d'une main-d'oeuvre specialisee ;

Frais d'equipement : la maison d'habitation dont la [demanderesse] etaitproprietaire et qu'elle habitait à Ougree ne comportait pas de chambrepour l'enfant. Le cout de la transformation pour l'amenagement d'unechambre supplementaire au deuxieme etage avec acces depuis la chambresituee au premier etage, en fac,ade avant, s'elevait, selon l'architecteDaubit, à 18.200 euros, taxe sur la valeur ajoutee comprise ; elle aprefere en acheter une plus vaste à Aywaille, à proximite du domicile deses parents ;

Une estimation des travaux d'amenagement par les architectes Bonnesire etDeprez s'eleve à 69.602,53 euros ;

Ces frais d'equipement relatifs à l'immeuble et à la voiture peuventetre evalues au total, vu les precisions fournies ci-avant, à 40.000euros, ex aequo et bono, à majorer des interets compensatoires aux tauxlegaux depuis le 15 novembre 2007, date moyenne ;

Dommage moral : [la deuxieme defenderesse] estime que, dans son principe,ce poste ne peut etre accueilli parce que la naissance d'un enfant ne peutetre consideree en elle-meme comme constitutive d'un prejudice ;

Le dommage de la [demanderesse] revet des aspects multiples etincontestables ;

Placee en situation de detresse, la [demanderesse] avait pris la penibledecision de demander aux medecins d'interrompre sa grossesse ; sa viedurant, elle sera confrontee, face à l'enfant, au souvenir de ce choixqui eut des consequences qu'elle n'avait pas decidees ;

Mere celibataire, la [demanderesse] doit faire face, seule, à la chargeet aux responsabilites d'elever un enfant ;

Ayant eu precedemment un autre enfant, elle se trouve dans une situationou elle pourra plus difficilement refaire sa vie, etant mere de deuxenfants en bas age ;

Elle sera astreinte, jusqu'à ce que l'enfant quitte le foyer, à desefforts accrus d'education, de travaux menagers, compte tenu de sesobligations professionnelles intenses, au detriment de ses loisirs ;

L'amour avec lequel la [demanderesse] supporte ses charges n'en supprimepas la realite et ne peut delivrer le responsable de son obligation dereparation ».

Il ressort des extraits precites des conclusions d'appel de lademanderesse que les dommages dont cette partie poursuivait la reparationne consistaient pas dans la naissance d'un enfant normal et en bonne santemais etaient de trois ordres : 1. Les depenses que la demanderesse avaitdejà supportees et celles qu'elle devrait engager dans le futur poursubvenir aux besoins de l'enfant (nourriture, frais medicaux, vetements,frais de garde et d'equipement) ; 2. le probleme relationnel qui nemanquerait pas de surgir entre la mere et l'enfant dont elle avait pris ladecision d'avorter ; 3. les efforts accrus imposes à une merecelibataire devant elever seule deux enfants en bas age, compte tenud'obligations professionnelles intenses.

Le motif precite selon lequel « la naissance d'un enfant normal et enbonne sante dont il n'est en outre pas conteste qu'il est issu derelations consenties n'entraine pas comme tel un dommage faisant naitre undroit à reparation pour la mere » ne rencontre pas les conclusions dela demanderesse decrivant la nature des prejudices dont elle poursuivaitla reparation. En fondant sur cette consideration le rejet des conclusionsprecitees de la demanderesse, l'arret ne motive pas regulierement sadecision (violation de l'article 149 de la Constitution).

A tout le moins, en se fondant sur la consideration que la demanderessereclamait la reparation du prejudice consistant dans la naissance d'unenfant normal et en bonne sante, l'arret attribue aux conclusions d'appelde la demanderesse une enonciation que ces conclusions ne contiennent paset fait abstraction des passages precites desdites conclusions decrivantla nature des prejudices dont la demanderesse poursuivait la reparation.L'arret viole ainsi la foi due à cet ecrit de procedure (violation desarticles 1319, 1320 et 1322 du Code civil).

Deuxieme branche

Il est contradictoire de considerer, d'une part, que constitue un dommagereparable le fait pour une femme en situation de detresse de devoir menersa grossesse à son terme et, d'autre part, que le fruit de cettegrossesse menee à terme, c'est-à-dire la naissance d'un enfant normal eten bonne sante, ne constitue pas un dommage reparable. En fondant sadecision sur ces motifs contradictoires, qui equivalent à l'absence demotifs, l'arret viole l'article 149 de la Constitution.

L'arret, qui comporte des dispositions contraires, viole en outrel'article 1138, 4DEG, du Code judiciaire.

Troisieme branche

La cour d'appel a decide qu'il pouvait « etre affirme avec certitude »que, sans la faute commise par les medecins operant au sein du servicehospitalier assure par la deuxieme defenderesse, la demanderesse auraitsubi avec succes une seconde interruption volontaire de grossesse etn'aurait donc pas mis au monde l'enfant nee le 3 mars 2005.

L'auteur d'un acte fautif (faute aquilienne ou violation d'une obligationcontractuelle) est tenu de reparer le dommage cause par cet acte des lorsque le dommage est certain et qu'il ne consiste pas en la privation d'unavantage illicite.

Aucune regle legale, aucun principe juridique ne limite, ni a fortiorin'exclut, l'obligation de reparation de l'auteur de la faute dans le casparticulier ou le dommage est lie à la naissance d'un enfant normal et enbonne sante issu de relations consenties.

Des lors, le motif dejà cite de l'arret selon lequel « la naissance d'unenfant normal et en bonne sante [...] issu de relations consentiesn'entraine pas comme tel [...] un droit à reparation pour la mere » nejustifie pas legalement le rejet de la demande par laquelle lademanderesse tendait à se voir indemniser des frais et charges financieres engendres par la naissance de son enfant (frais d'entretien,de garde et d'equipement). En fondant le rejet de cette demande sur lemotif precite, l'arret viole la notion legale de dommage reparable, quece soit en matiere de responsabilite contractuelle (violation desarticles 1101, 1134, 1135, 1142, 1147, 1149, 1150 et 1151 du Code civil)ou extracontractuelle (violation des articles 1382 et 1383 du Code civil).

Le motif precite ne justifie pas davantage le refus de l'arret d'allouerà la demanderesse la reparation du dommage moral lie aux difficultesrelationnelles previsibles avec son enfant ou du dommage resultant desefforts accrus imposes à cette mere celibataire pour elever seule deuxenfants en bas age. En fondant son refus d'accorder reparation desdommages ainsi decrits sur le motif precite, l'arret viole la notionlegale de dommage reparable, que ce soit en matiere de responsabilitecontractuelle (violation des articles 1101, 1134, 1135, 1142, 1147, 1149,1150 et 1151 du Code civil) ou extracontractuelle (violation des articles1382 et 1383 du Code civil).

Quatrieme branche

Il ressort de l'article 350 du Code penal que le souhait d'une femme ensituation de detresse d'interrompre sa grossesse dans les conditionsprevues par la loi n'est pas illegitime. Le corollaire de la dispositionlegale precitee est que n'est pas davantage illegitime l'interet d'unefemme enceinte à recevoir en temps utile l'information lui permettant derecourir à une interruption volontaire de grossesse dans les conditionsautorisees par la loi.

Ces principes impliquent que le dommage materiel et moral subi par unemere à la suite d'une naissance dont il est juge qu'elle est laconsequence certaine de l'absence fautive d'information adequateconcernant une interruption volontaire de grossesse doit etre repare commen'importe quel autre dommage resultant d'une faute aquilienne ou contractuelle et que l'action tendant à la reparation de ce prejudice nese fonde pas sur un interet illicite.

Des lors, si le motif dejà cite de l'arret signifie que la cour d'appel aconsidere comme illegitime l'interet de la demanderesse à obtenirreparation du dommage materiel et moral resultant de la naissanceconsecutive à la faute commise par les medecins operant dans un centrehospitalier, l'arret viole l'article 350 du Code penal, de meme que lanotion legale d'interet legitime (violation des articles 6 du Code civil,17 du Code judiciaire et 350 du Code penal et, en tant que de besoin,1101, 1131, 1134, 1135, 1142, 1147, 1149, 1150, 1151, 1382 et 1383 du Codecivil).

Cinquieme branche

L'article 5, S: 2, alinea 1er, de la loi du 15 mai 2007 relative àl'indemnisation des dommages resultant de soins de sante dispose que« nul ne peut se prevaloir d'un prejudice du seul fait de sa naissance».

Cette disposition ne saurait exercer aucune influence sur la solution dulitige soumis aux juges du fond, pour une double raison :

1. Il resulte de l'article 35, S: 1er, de la loi, modifie par l'article 3,1DEG, de la loi du 21 decembre 2007 et par l'article 97 de la loi du 22decembre 2008, que l'article 5, S: 2, alinea 1er, precite, n'est pas entreen vigueur ;

2. L'article 5, S: 2, alinea 1er, de la loi du 15 mai 2007 ne vise quel'action en reparation introduite par un etre humain contre ceux qu'ilconsidere comme responsables de sa propre naissance. Cet article estetranger à la reparation des prejudices resultant, pour certains tiers etnotamment pour la mere, d'une naissance non desiree.

En consequence, si elle a entendu faire application de la loi relative àl'indemnisation des dommages resultant des soins de sante, la courd'appel, en rejetant la demande en reparation du prejudice personnel subipar la demanderesse en sa qualite de mere d'un enfant dont la naissanceresulte de la faute prouvee d'un tiers, a viole l'article 5, S: 2, alinea1er, de ladite loi du 15 mai 2007, qui ne vise que l'action en reparationdu dommage resultant pour un etre humain de sa propre venue au monde. Ellea viole en outre l'article 35, S: 1er, de la loi du 15 mai 2007, modifiepar l'article 3, 1DEG, de la loi du 21 decembre 2007 et par l'article 97de la loi du 22 decembre 2008, dont il ressort que ledit article 5, S: 2,alinea 1er, de la meme loi n'est pas en vigueur.

Sixieme branche

Aucune des parties n'avait soutenu devant la cour d'appel que le liencausal entre la faute consistant à ne pas avoir informe en temps utile lademanderesse de l'echec de l'interruption volontaire de grossesse et ledommage dont la demanderesse demandait reparation aurait ete rompu enraison de la possibilite qu'aurait eue la demanderesse d'abandonner sonenfant, en vue de son adoption par un tiers, et de confirmer ainsi savolonte de ne pas le garder.

Des lors, en decidant que le lien de causalite entre la faute etl'existence d'un eventuel prejudice pour la periode posterieure à lanaissance de l'enfant est rompu pour le motif, souleve d'office, que lademanderesse avait la possibilite, apres l'accouchement, de confirmer savolonte de ne pas le garder en l'abandonnant à la naissance en vue de sonadoption, l'arret viole le principe general du droit relatif au respectdes droits de la defense en ne permettant pas à la demanderesse de fairevaloir ses moyens de defense ou ses observations à ce sujet. L'arretviole en outre le principe general du droit dit principe dispositif etl'article 1138, 2DEG, du Code judiciaire en elevant d'office unecontestation dont les conclusions des parties excluaient l'existence.

Septieme branche

Si le juge apprecie en fait l'existence ou l'inexistence du lien causalentre une faute et un dommage, il appartient cependant à la Cour deverifier si, des faits qu'il a constates, il a legalement deduit l'absenced'une telle relation causale. Le juge ne peut legalement exclurel'existence d'une relation causale que s'il constate que, sans la faute,le dommage se serait produit tel qu'il s'est realise in concreto, meme sile dommage est egalement cause par d'autres facteurs.

L'arret constate « qu'il peut etre affirme avec certitude que le dommageindemnisable », c'est-à-dire l'accouchement de la demanderesse, « ne seserait pas produit en l'absence de la faute imputee au corps medical »dont doit repondre l'assure de la deuxieme defenderesse.

En decidant que le lien causal entre la faute et les elements du dommagedecrits dans les conclusions precitees de la demanderesse - soit lesdepenses relatives à l'education et à l'entretien de l'enfant, ledommage moral resultant des difficultes relationnelles entre la mere etl'enfant et les efforts accrus imposes à une mere celibataire devantelever seule deux enfants en bas age, compte tenu d'occupationsprofessionnelles intenses - etait interrompu par la decision ulterieure dela demanderesse de ne pas abandonner son enfant en vue de son adoption parun tiers, sans constater que, meme sans l'erreur medicale constatee, leselements precites du dommage se seraient quand meme produits tels qu'ilsse sont realises in concreto, l'arret meconnait la notion legale de liende causalite entre la faute et le dommage dont la loi impose reparation,que ce soit dans le domaine de la responsabilite contractuelle (violationdes articles 1101, 1134, 1135, 1142, 1147, 1149, 1150 et 1151 du Codecivil) ou dans celui de la responsabilite aquilienne (violation desarticles 1382 et 1383 du Code civil).

Huitieme branche

La seule circonstance qu'une prestation est effectuee volontairementn'empeche pas necessairement que cette prestation puisse etre constitutived'un dommage au sens de l'article 1382 du Code civil ou au sens des reglesrelatives à la responsabilite contractuelle. La personne qui effectue desprestations sur une base volontaire, ou des prestations qui lui sontimposees par la loi en raison d'un acte volontaire qu'elle a accompli oud'un acte qu'elle s'est volontairement abstenue d'accomplir, a le droitd'etre indemnisee s'il est etabli que ces prestations n'auraient pas duetre accomplies en l'absence d'un acte fautif imputable à un tiers.

En consequence, en fondant le rejet partiel de la demande de reparation dela demanderesse sur le motif que « le fait [pour la demanderesse] d'avoirpris en definitive la decision d'elever son enfant a interrompu larelation causale entre la faute retenue et l'existence d'un eventuelprejudice pour la periode posterieure à la naissance », l'arret violeles notions legales de dommage reparable et de lien de causalite enmatiere de responsabilite contractuelle (violation des articles 1101,1134, 1135, 1142, 1147, 1149, 1150 et 1151 du Code civil) et en matiere deresponsabilite aquilienne (violation des articles 1382 et 1383 du Codecivil).

Au surplus, lors de l'evaluation du dommage dont reparation est dueensuite d'un acte illicite, le juge ne peut tenir compte d'evenementsposterieurs qui sont etrangers à l'acte illicite et au dommage et qui ontameliore ou aggrave la situation de la personne lesee. Le fait qu'apres lanaissance de l'enfant, la demanderesse ne l'ait pas abandonne est unelement posterieur à la faute et etranger à celle-ci, qui ne peutlegalement exercer aucune influence ni sur l'existence du lien causal nisur l'etendue de la reparation. En consequence, en fondant le rejetpartiel de la demande de reparation de la demanderesse sur le motif que «le fait [pour la demanderesse] d'avoir pris en definitive la decisiond'elever son enfant a interrompu la relation causale entre la fauteretenue et l'existence d'un eventuel prejudice pour la periode posterieureà la naissance », l'arret viole les notions legales de dommage reparableet de lien de causalite en matiere de responsabilite contractuelle(violation des articles 1101, 1134, 1135, 1142, 1147, 1149, 1150 et 1151du Code civil) et en matiere de responsabilite aquilienne (violation desarticles 1382 et 1383 du Code civil).

Second moyen

Dispositions legales violees

- articles 2, 1101, 1142, 1146 à 1151, 1382 et 1383 du Code civil ;

- articles 1017 à 1022 du Code judiciaire, tels qu'ils etaient en vigueuravant leur modification par la loi du 21 avril 2007 sur la repetibilitedes honoraires et des frais d'avocat ;

- articles 7, 13 et 14 de la loi du 21 avril 2007 sur la repetibilite deshonoraires et des frais d'avocat ;

- articles 1er, alinea 2, et 10 de l'arrete royal du 26 octobre 2007fixant le tarif des indemnites de procedure visees à l'article 1022 duCode judicaire et fixant la date de l'entree en vigueur des articles 1erà 13 de la loi du 21 avril 2007 relative à la repetibilite deshonoraires et des frais d'avocat ;

- principe general du droit de la non-retroactivite des lois, consacre parl'article 2 du Code civil.

Decision et motifs critiques

L'arret rejette la demande de la demanderesse tendant à la reformation dela decision du premier juge du 29 juin 2007 qui avait refuse à lademanderesse le remboursement de ses frais de defense en tant qu'elementde son prejudice, ladite demande tendant, en degre d'appel, au paiementd'un euro à titre provisionnel pour lesdits frais.

L'arret fonde cette decision sur les motifs suivants :

« Il ne peut [...] etre fait droit à la demande de [la demanderesse] encondamnation [de la premiere defenderesse] à lui payer un europrovisionnel à titre de frais de defense. En effet, la loi du 21 avril2007 relative à la repetibilite des honoraires et frais d'avocat, entreeen vigueur le 1er janvier 2008, consacre le principe selon lequell'indemnite de procedure prevue à l'article 1022 du Code judiciaire serala seule que pourra reclamer la partie qui gagne le proces du chef del'intervention d'un avocat ».

Griefs

Sous le regime anterieur à l'entree en vigueur de la loi du 21 avril 2007relative à la repetibilite des honoraires et des frais d'avocat, lesfrais d'avocat n'etaient pas des depens au sens des articles 1017 à 1022du Code judicaire mais constituaient un element du dommage dont la victimed'une faute pouvait demander reparation, que ce soit dans le domaine de laresponsabilite contractuelle, par application des articles 1101, 1142 et1146 à 1151 du Code civil, ou dans celui de la responsabilite aquilienne,par application des articles 1382 et 1383 de ce code.

La loi du 21 avril 2007 a mis fin à ce regime en prevoyant en son article7, qui modifie l'article 1022 du Code judiciaire, une indemniteforfaitaire de procedure dans les frais et honoraires d'avocat de lapartie qui a obtenu gain de cause dont les montants minima et maxima sontfixes par le Roi, tout en precisant qu' « aucune partie ne peut etretenue au paiement d'une indemnite pour l'intervention de l'avocatau-delà du montant de l'indemnite de procedure ».

L'article 2 du Code civil, en vertu duquel la loi ne dispose que pourl'avenir et n'a point d'effet retroactif, consacre le principe general dudroit de la non-retroactivite des lois.

La loi du 21 avril 2007 est entree en vigueur le 1er janvier 2008(articles 13 et 14 de la loi du 21 avril 2007 et 10 de l'arrete royal du26 octobre 2007 fixant le tarif des indemnites de procedure visees àl'article 1022 du Code judiciaire et fixant la date de l'entree en vigueurdes articles 1er à 13 de la loi du 21 avril 2007 relative à larepetibilite des honoraires et des frais d'avocat). L'article 13 de cetteloi dispose que les articles 2 à 12 de la loi (et donc notamment sonarticle 7, qui modifie l'article 1022 du Code judiciaire) sont applicablesaux affaires en cours au moment de leur entree en vigueur.

De plus, l'article 1er, alinea 2, de l'arrete royal du 26 octobre 2007precise que les montants de l'indemnite de procedure sont fixes parinstance.

Il decoule clairement de ces dispositions que, lorsque le juge d'appeldoit statuer sur l'appel d'une decision rendue en premiere instance avantle 1er janvier 2008 (date d'entree en vigueur de la loi du 21 avril 2007)sur le remboursement des frais et des honoraires d'avocat de premiereinstance, c'est le regime anterieur à la loi nouvelle du 21 avril 2007qui s'applique.

Par consequent en rejetant, par application de la nouvelle loi du 21 avril2007, la demande de la demanderesse tendant à la reformation de ladecision du premier juge relative au remboursement de ses frais de defenseen tant qu'element de son prejudice, sans avoir egard au regime anterieurà cette loi, l'arret viole l'ensemble des dispositions legales etmeconnait le principe general du droit vises en tete du moyen.

III. La decision de la Cour

Sur le premier moyen :

Quant à la premiere branche :

En enonc,ant que, « meme apres une tentative d'interruption volontaire degrossesse, la naissance d'un enfant normal et en bonne sante, dont iln'est en outre pas conteste qu'il est issu de relations consenties,n'entraine pas comme tel[le] un dommage faisant naitre un droit àreparation [pour] la mere », l'arret ne considere pas que la demanderessereclamait la reparation d'un prejudice consistant dans la naissance de sonenfant mais exclut que les depenses liees à l'accueil, à l'entretien età l'education de l'enfant, le probleme relationnel qui ne manquerait pasde surgir entre elle et cet enfant dont elle avait pris la decisiond'avorter et les efforts accrus imposes à une mere celibataire devantelever seule deux enfants en bas age puissent constituer un dommagereparable.

L'arret repond ainsi, en les contredisant, aux conclusions de lademanderesse decrivant la nature des prejudices dont elle se prevalait,sans d'ailleurs donner de ces conclusions une interpretation inconciliableavec leurs termes.

Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Quant à la deuxieme branche :

Eu egard à la difference de nature de ces prejudices, il n'est pascontradictoire de tenir, d'une part, pour reparable le fait pour une femmeen situation de detresse de devoir mener sa grossesse à terme, d'autrepart, pour non reparables les postes du dommage consecutifs à lanaissance de l'enfant qu'elle a porte qu'invoquait la demanderesse.

Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Quant aux troisieme et quatrieme branches reunies :

En vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil, celui qui, par sa faute,sa negligence ou son imprudence, cause à autrui un dommage est tenu de lereparer.

Le dommage consiste en l'atteinte à tout interet ou en la perte de toutavantage legitime ; il suppose que la victime du fait illicite se trouveapres celui-ci dans une situation moins favorable qu'avant.

L'arret considere que, sans la faute dont repond le troisieme defendeur,la demanderesse aurait subi avec succes une seconde interruptionvolontaire de grossesse.

Il constate que l'enfant auquel la demanderesse a donne la vie au terme dela grossesse qu'elle a, en raison de cette faute, du mener à terme, est« normal et en bonne sante ».

Des lors que la naissance d'un enfant qu'elle a conc,u ne peut, à elleseule, constituer pour sa mere un prejudice, meme si la naissance estsurvenue apres l'echec d'une intervention pratiquee en vue del'interruption de la grossesse, la cour d'appel a pu, sans violer lanotion legale de dommage ni denier la legitimite de l'interet qu'invoquaitla demanderesse, deduire de cette constatation que les chargesfinancieres, les difficultes relationnelles previsibles et les effortsaccrus entraines par cette naissance ne la plac,aient pas dans unesituation moins favorable que celle qu'elle connaissait avant lacommission du fait illicite.

Le moyen, en ces branches, ne peut etre accueilli.

Quant à la cinquieme branche :

Il ne ressort d'aucune de ses considerations que l'arret feraitapplication de l'article 5, S: 2, alinea 1er, de la loi du 15 mai 2007relative à l'indemnisation des dommages resultant de soins de sante.

Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Quant aux sixieme, septieme et huitieme branches reunies :

Des lors que le motif vainement critique par les cinq premieres branchesdu moyen suffit à fonder la decision de l'arret, le moyen, qui, en cesbranches, est dirige contre une consideration surabondante de celui-ci, nesaurait en entrainer la cassation et est, partant, comme le soutiennentles defendeurs, irrecevable.

Sur le second moyen :

Aux termes de l'article 1022, alinea 1er, du Code judiciaire, tel qu'il aete remplace par l'article 7 de la loi du 21 avril 2007 relative à larepetibilite des honoraires et des frais d'avocat, l'indemnite deprocedure est une intervention forfaitaire dans les frais et honorairesd'avocat de la partie ayant obtenu gain de cause.

Conformement à l'article 14 de la loi du 21 avril 2007, l'article 10 del'arrete royal du 26 octobre 2007 fixant le tarif des indemnites deprocedure visees à l'article 1022 du Code judiciaire et fixant la date del'entree en vigueur des articles 1er à 13 de la loi du 21 avril 2007dispose que les articles 1er à 13 de cette loi entrent en vigueur le 1erjanvier 2008.

En vertu de l'article 13 de la meme loi, les articles 2 à 12 de celle-cisont applicables aux affaires en cours au moment de leur entree envigueur.

Sont en cours au sens de cette disposition les affaires sur lesquelles ildoit encore etre statue, en premiere instance ou en degre d'appel, lors del'entree en vigueur de la loi nouvelle.

Il s'ensuit que, lorsque le juge d'appel doit statuer sur l'appel d'unedecision rendue en premiere instance avant le 1er janvier 2008, leremboursement des frais et honoraires d'avocat engages en premiereinstance est regi par la loi nouvelle.

L'arret fait des lors une exacte application des dispositions legales dontle moyen invoque la violation en rejetant la demande de la demanderessetendant à la reformation de la decision du premier juge lui refusant leremboursement de ses frais de defense en tant qu'element de son prejudice.

Le moyen ne peut etre accueilli.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne la demanderesse aux depens.

Les depens taxes à la somme de huit cent cinquante-neuf eurosquatre-vingt-trois centimes envers la partie demanderesse et à la sommede cent trente-trois euros septante-trois centimes envers les partiesdefenderesses.

Ainsi juge par la Cour de cassation, troisieme chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, les conseillersDidier Batsele, Mireille Delange, Michel Lemal et Marie-Claire Ernotte, etprononce en audience publique du dix-sept octobre deux mille seize par lepresident de section Christian Storck, en presence de l'avocat generaldelegue Michel Palumbo, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.

+-------------------------------------------+
| L. Body | M.-Cl. Ernotte | M. Lemal |
|------------+----------------+-------------|
| M. Delange | D. Batsele | Chr. Storck |
+-------------------------------------------+

* 17 OCTOBRE 2016 C.09.0414.F /1

Requete/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.09.0414.F
Date de la décision : 17/10/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 11/11/2016
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2016-10-17;c.09.0414.f ?
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