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08/09/2016 | BELGIQUE | N°C.15.0523.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 08 septembre 2016, C.15.0523.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.15.0523.F

COMMUNAUTE FRANc,AISE, representee par son gouvernement, en la personne duministre de l'Education, de la Petite enfance, des Creches et de laCulture, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, place Surlet de Chokier,15-17,



demanderesse en cassation,

representee par Maitre Caroline De Baets, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile,

contre

BUREAU BELGE DES ASSUREURS AUTOMOBILES, association sans but luc

ratif,dont le siege est etabli à Saint-Josse-ten-Noode, rue de la Charite, 33,

defenderesse en ca...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.15.0523.F

COMMUNAUTE FRANc,AISE, representee par son gouvernement, en la personne duministre de l'Education, de la Petite enfance, des Creches et de laCulture, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, place Surlet de Chokier,15-17,

demanderesse en cassation,

representee par Maitre Caroline De Baets, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 149, ou il estfait election de domicile,

contre

BUREAU BELGE DES ASSUREURS AUTOMOBILES, association sans but lucratif,dont le siege est etabli à Saint-Josse-ten-Noode, rue de la Charite, 33,

defenderesse en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre le jugement rendu le 11 mai 2015par le tribunal de premiere instance francophone de Bruxelles, statuant endegre d'appel.

Le president de section Albert Fettweis a fait rapport.

L'avocat general Thierry Werquin a conclu.

II. Le moyen de cassation

Dans la requete en cassation, jointe au present arret en copie certifieeconforme, la demanderesse presente un moyen.

III. La decision de la Cour

Sur le moyen :

Quant à la deuxieme branche :

Les articles 1382 et 1383 du Code civil obligent celui qui, par sa faute,a cause à autrui un dommage à le reparer integralement, ce qui impliqueque la partie lesee doit se retrouver dans la situation dans laquelle ellese serait trouvee si la faute qu'elle allegue n'avait pas ete commise.

L'employeur public qui, en vertu de ses obligations legales oureglementaires, est tenu de verser une remuneration à son agent sansrecevoir de prestations de travail en contrepartie a droit à uneindemnite dans la mesure ou il subit ainsi un dommage.

Pour obtenir pareille indemnisation, l'employeur public n'est pas tenud'etablir qu'il subit un dommage distinct de celui resultant de lacirconstance qu'il a paye la remuneration et les charges sans beneficierde prestations de travail en contrepartie.

Le jugement attaque, qui, pour declarer « l'action originaire de [lademanderesse] [...] non fondee », considere que « l'absence deprestations de travail en contrepartie du paiement d'une remuneration etdes charges y afferentes constitue [...] une condition necessaire mais passuffisante pour determiner le dommage subi par l'employeur public », etreleve que « [la demanderesse], qui intervient en qualite d'employeurpublic et a [...] ete privee des prestations de [la victime], n'etablitpas avoir subi un dommage in concreto du fait de l'incapacite de cettederniere », qu'« ainsi, elle ne soutient ni [...] ne demontre quel'interessee aurait ete remplacee, et ce, pendant toute la duree desperiodes d'incapacite qui lui ont ete reconnues par le Medex », viole lesarticles 1382 et 1383 du Code civil.

Le moyen, en cette branche, est fonde.

Quant à la troisieme branche :

La personne de droit public, qui, ayant continue à payer la remunerationde l'agent victime d'un accident du travail ou sur le chemin du travail,sans beneficier des prestations de travail qui en sont la contrepartie, enreclame, sur la base de l'article 1382 du Code civil, le remboursement autiers responsable de l'accident, doit, en vertu des articles 1315 du Codecivil et 870 du Code judiciaire, etablir qu'elle a, en payant ces sommes,subi un dommage en relation causale avec la faute du tiers.

Elle doit des lors prouver, conformement au droit commun, non seulementles sommes qu'elle a deboursees, mais aussi que ces sommes ont ete payeesdurant une periode ou, par le fait du tiers, son agent a ete incapable detravailler alors qu'elle restait tenue de les lui payer.

Il resulte de la loi du 3 juillet 1967 sur la prevention ou la reparationdes dommages resultant des accidents du travail, des accidents survenussur le chemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteurpublic, ainsi que de l'arrete royal du 24 janvier 1969 relatif à lareparation, en faveur des membres du personnel du secteur public, desdommages resultant des accidents du travail ou des accidents sur le chemindu travail, specialement de l'article 8, d'une part, que le service desante administratif se prononce sur l'application de cette loi à l'agentvictime d'un accident, notamment sur le taux et la duree de l'incapacitetemporaire de travail qui en decoulent, d'autre part, que les decisions dece service lient l'employeur du secteur public et l'agent victime del'accident, ce dernier disposant toutefois d'un recours contre cesdecisions.

Dans le litige entre, d'une part, l'employeur, et, d'autre part, l'auteurde l'accident et l'assureur de la responsabilite civile de celui-ci,relatif au dommage propre de l'employeur, les decisions du service desante administratif, devenu Medex, valent à titre de presomptions del'homme.

Il en resulte que l'employeur du secteur public satisfait à la charge dela preuve qui lui incombe en presentant les decisions du Medex, à moinsque le tiers responsable ou son assureur ne rapporte la preuve contrairepar toutes voies de droit, eventuellement sur la base d'une expertisejudiciaire que le juge a, en vertu de l'article 962 du Code judiciaire,le pouvoir d'ordonner.

En considerant que la defenderesse souleve à l'egard des conclusions duMedex des critiques non denuees de pertinence et qui justifient des'interroger sur le lien causal entre l'accident et les periodesd'incapacite reconnues par le Medex tandis que la demanderesse « refusemanifestement la mise en place de toute mesure d'expertise de droitcommun, fut-elle amiable », le jugement attaque ne justifie paslegalement sa decision que la demanderesse « reste en defaut de justifierdu bien-fonde de son action ».

Le moyen, en cette branche, est fonde.

Sur les autres griefs :

Il n'y a pas lieu d'examiner la premiere branche du moyen, qui ne sauraitentrainer une cassation plus etendue.

Par ces motifs,

La Cour

Casse le jugement attaque, sauf en tant que, par confirmation du jugementdu premier juge, il declare les demandes recevables et deboute lademanderesse de sa demande dirigee contre la societe Allianz Belgium ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge du jugementpartiellement casse ;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause, ainsi limitee, devant le tribunal de premiere instancedu Brabant wallon, siegeant en degre d'appel.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, le conseiller DidierBatsele, les presidents de section Albert Fettweis et Martine Regout et leconseiller Sabine Geubel, et prononce en audience publique du huitseptembre deux mille seize par le president de section Christian Storck,en presence de l'avocat general Thierry Werquin, avec l'assistance dugreffier Patricia De Wadripont.

+--------------------------------------------+
| P. De Wadripont | S. Geubel | M. Regout |
|-----------------+------------+-------------|
| A. Fettweis | D. Batsele | Chr. Storck |
+--------------------------------------------+

Requete

REQUETE EN CASSATION

Pour : La COMMUNAUTE FRANC,AISE, representee par son Gouvernement,poursuites et diligences de la Vice-Presidente et Ministre de l'Education,de la Petite enfance, des Creches et de la Culture, dont les bureaux sontetablis à 1000 Bruxelles, place Surlet de Chokier, 15-17,

demanderesse en cassation,

assistee et representee par Maitre Caroline DE BAETS, avocat à la Cour decassation soussignee, dont le cabinet est etabli à 1050 Bruxelles, avenueLouise 149/20, ou il est fait election de domicile,

Contre : L'association sans but lucratif BUREAU BELGE DES ASSUREURSAUTOMOBILES, en abrege BBAA, inscrite à la Banque-Carrefour desentreprises sous le numero 0409.280.711, dont le siege social est etablià 1210 Saint-Josse-ten-Noode, rue de la Charite 33/bte 2,

defenderesse en cassation.

A Messieurs les Premier President et President, Mesdames et Messieurs lesConseillers composant la Cour de cassation de Belgique,

Messieurs,

Mesdames,

La demanderesse en cassation a l'honneur de deferer à votre censure lejugement rendu contradictoirement entre parties, le 11 mai 2015, par la77eme chambre du tribunal de premiere instance francophone de Bruxelles,section civile, statuant en degre d'appel (R.G. 12/2495/A).

FAITS ET ANTECEDENTS DE LA PROCEDURE

1.

Le litige trouve sa source dans les suites de l'accident de la circulationsurvenu sur le chemin du travail dont fut victime Mme F.D., institutricedans un etablissement d'enseignement organise par la demanderesse, en datedu 6 juin 2006.

La responsabilite de cet accident incombe à J.-L. M., assure aupres de las.a. AGF Assurances Luxembourg (devenue ensuite la s.a. Allianz Belgium),representee en Belgique par la defenderesse.

2.

A la suite de cet accident, l'institutrice concernee fut placee enincapacite de travail (degressive) pour la periode s'etendant du 12 juin2006 au 30 juin 2006 et du 18 octobre 2006 au 4 mai 2007.

La demanderesse a dans un premier temps invite la s.a. AGF Assurances, quiavait admis son intervention, à lui rembourser tant les traitements brutsverses à l'agent frappe d'incapacite pendant l'absence consecutive àl'accident, d'un montant de 12.150,40 euros, que les frais de deplacementsqu'elle a rembourses à son agent, d'un montant de 110,11 euros.

3.

Faute de reaction à cette demande, meme apres mise en demeure, lademanderesse a assigne la s.a. Allianz Belgium en paiement de ces sommes,majorees des interets compensatoires, devant le tribunal de police deBruxelles.

Par un premier jugement rendu par defaut le 11 juin 2009, il a ete faitdroit à cette demande. La compagnie d'assurances a forme oppositioncontre cette decision en faisant valoir qu'elle n'etait pas l'assureur del'auteur de l'accident litigieux et que l'action de la demanderesse devaitetre dirigee contre l'a.s.b.l. B.B.A.A., defenderesse.

Cette derniere est intervenue volontairement à la cause et lademanderesse a etendu sa demande d'indemnisation à l'interessee.

4.

Par jugement du 12 mai 2011 rendu sur opposition, le tribunal de police adeclare l'opposition recevable et fondee, mis à neant le jugement frapped'opposition et, statuant à nouveau, a declare la demande originaire àl'encontre de la s.a. Allianz Belgium recevable mais non fondee etcondamne la demanderesse aux depens.

Il a par ailleurs declare l'intervention volontaire de la defenderesse etla demande formee à l'encontre de celle-ci recevables mais dit pour droitque cette action ne pouvait se fonder sur l'article 1382 du Code civil etque les conclusions du Medex sont inopposables à la defenderesse, ordonnela reouverture des debats pour permettre aux parties de debattre dessuites de sa decision et renvoye la cause au role dans l'intervalle.

5.

La demanderesse a interjete appel de ce jugement par requete deposee augreffe le 10 fevrier 2012 afin qu'il soit fait droit à sa demandeoriginaire fondee sur les articles 1382 et 1383 du Code civil. Ladefenderesse sollicitait pour sa part, en conclusions, de rejeter l'appelde la demanderesse et, statuant sur l'appel incident forme sur ce point,de debouter celle-ci de sa demande originaire.

Le jugement attaque du tribunal de premiere instance de Bruxelles du 11mai 2015 declare les appels recevables mais dit uniquement l'appelincident fonde, reforme le jugement entrepris sauf en tant qu'il rec,oitles demandes et a deboute la demanderesse de celle dirigee contre la s.a.Allianz Belgium, declare la demande dirigee contre la defenderesse nonfondee et condamne la demanderesse aux depens des deux instances àl'egard de la defenderesse.

Ce jugement considere, en substance :

* que si l'employeur public, telle la defenderesse, peut se prevaloirdes articles 1382 et 1383 du Code civil lorsque les traitements versespendant l'absence de son agent ne doivent pas rester à sa charge,cette circonstance ne resulte, pour les montants excedant la portee durecours subrogatoire organise par l'article 14, S: 3, de la loi du 3juillet 1967, d'aucune des dispositions legales et reglementairesapplicables (pas davantage que ces dispositions ne l'excluent) ;

* qu'il appartient dans ce cas à la defenderesse d'etablir l'existenced'un dommage in concreto, qui ne peut equivaloir aux remunerationsbrutes versees sans contrepartie mais qui doit resulter decirconstances particulieres telles qu'un remplacement de l'agentfrappe d'incapacite ou d'absences pendant les periodes de service, etnon de vacances scolaires ;

* que le tribunal ne peut faire droit à l'action sur la base del'article 14, S: 3, precite faute des elements requis à cette fin ;

* qu'au surplus, des elements souleves par la defenderesse justifient des'interroger sur le lien causal entre l'accident et les periodesd'incapacite reconnues et que la demanderesse refuse toute mesured'expertise à cet egard.

6.

Au soutien du pourvoi qu'elle forme contre ce jugement, la demanderesse encassation a l'honneur d'invoquer le moyen de cassation ci-apres.

MOYEN UNIQUE DE CASSATION

Dispositions legales violees

* articles 1315, 1319, 1320, 1322, 1349, 1353, 1382 et 1383 du Codecivil ;

* article 870 du Code judiciaire ;

* articles 3bis, alinea 1er, 14, S:2 et S: 3, alinea 2, de la loi du 3juillet 1967 de la loi du 3 juillet 1967 sur la prevention ou lareparation des dommages resultant des accidents du travail, desaccidents survenus sur le chemin du travail et des maladiesprofessionnelles dans le secteur public ;

* articles 8, 32 et 32bis de l'arrete royal du 24 janvier 1969 relatifà la reparation, en faveur de membres du personnel du secteur public,des dommages resultant des accidents du travail et des accidentssurvenus sur le chemin du travail, tant avant qu'apres leurmodification par arrete royal du 7 juin 2007 (en ce qui concerne lapremiere disposition, avant sa modification par arrete royal du 26novembre 2012 et, en ce qui concerne la derniere, avant samodification par arrete royal du 1er decembre 2013).

Decision et motifs critiques

Le jugement attaque dit l'action de la demanderesse dirigee contre ladefenderesse non fondee sur la base de l'article 1382 du Code civil apresavoir decide :

* que l'application de cette disposition ne permet pas à lademanderesse de recuperer à charge du tiers responsable un dommageau-delà des limites du mecanisme subrogatoire et donc un dommageau-delà du montant que la victime aurait pu recuperer en droitcommun ;

* que pour etablir son dommage in concreto, la demanderesse ne doit passeulement demontrer qu'elle a continue à verser les remunerationspendant la periode d'incapacite temporaire de son agent mais elle doitegalement demontrer qu'elle a remplace son agent frappe d'incapacite ;

* que la demanderesse, en refusant la mise en place de toute expertisealors que la defenderesse souleve des critiques non denuees depertinence contre les conclusions du Medex, n'etablit pas le liencausal entre l'accident et les periodes d'incapacite reconnues par leMedex.

Ces decisions sont fondees sur l'ensemble des motifs du jugement attaque,tenus pour etre ici expressement reproduits, et specialement sur lesmotifs suivants (pp. 5 à 12) :

« III. Discussion

[...]

1. Les principes applicables au recours de [la demanderesse]

Dans le cas des recours introduits par un employeur public (ou un pouvoirsubsidiant) contre l'assureur du tiers responsable d'un accident dont aete victime un de ses agents, il convient de distinguer la question del'applicabilite de l'article 1382 du Code civil (A.) et celle du dommagede l'employeur public (ou du pouvoir subsidiant) qui est indemnisable (B.)

A. L'applicabilite de l'article 1382 du Code civil

En vertu de l'article 1382 du Code civil, celui qui, par sa faute, causeun dommage à autrui, est tenu de reparer integralement ce dommage.

L'existence d'une obligation contractuelle, legale ou reglementairen'exclut pas l'existence d'un dommage au sens de l'article 1382 du Codecivil, pour autant qu'il n'apparaisse pas du contenu ou de la portee ducontrat, de la loi ou du reglement que les depenses ou prestations àsupporter doivent rester definitivement à charge de ceux qui s'y ontengages ou qui y sont obliges par la loi ou le reglement (Cass., 1eroctobre 2007, Pas. 2007, nDEG1671 ; voy. egalement Cass., 23 octobre 2013,Pas., I, nDEG2021 et la jurisprudence citee par I. Boone, « L'abandon dela rupture du lien causal par la Cour de cassation », in La rupture dulien causal ou « L'avenement de l'action directe et le declin du recourssubrogatoire ? », Ed. du jeune barreau de Liege, 2007, p. 7).

Ce principe derive d'une application coherente du droit commun de laresponsabilite extracontractuelle et de la theorie de l'equivalence desconditions qui constitue un de ses fondements. Il ne peut y etre faitexception que s'il resulte de la volonte de l'autorite qui a adoptel'obligation prevoyant une depense ou une prestation que celle-ci doitrester definitivement à charge de ceux qui y sont obliges par la loi oule reglement, et donc echapper au regime de droit commun. Il s'agit d'unesimple application de l'adage « lex specialis posterior derogat priorigenerali ».

La question de savoir si des depenses doivent ou non rester definitivementà charge de celui qui a du les effectuer ne releve pas des elements qu'ilincombe aux parties d'etablir en vertu des regles relatives à la chargede la preuve mais implique une interpretation du contrat, de la loi ou dureglement qui incombe au juge (Cass., 18 septembre 2007, R.W., 2007-2008,987).

Dans cette appreciation, le simple fait que le pouvoir legislatif a prevuune subrogation en ce qui concerne certaines depenses de l'employeurpublic ne permet pas, contrairement à ce qu'a pu affirmer la Cour decassation, de conclure qu'il aurait ainsi marque sa volonte quel'employeur public puisse recuperer, à charge du tiers responsable,l'integralite de son dommage et ce, au-delà des limites du mecanismesubrogatoire (voy. à cet egard les nombreuses critiques doctrinales etjurisprudentielles resumees par E. Jacques, « Le recours de l'employeurpublic contre le tiers responsable - Les opinions dissidentes »,R.G.A.R., 2010, p. 14680). L'existence d'une subrogation legale ne permetpas davantage, de tirer la conclusion inverse mais autorise, tout au plus,à considerer que le legislateur n'a pas voulu que les depenses visees parla subrogation (et dans la mesure fixee par cette subrogation) restentdefinitivement à charge de l'employeur public.

La coexistence des deux regimes legaux n'entraine pas, du reste,l'inutilite du systeme subrogatoire, qui conserve une portee distincte. Enmatiere d'accident du travail, par exemple, il permet aux personnesmorales ou aux etablissements qui supportent la charge de la remunerationde la victime de l'accident d'etre subroges dans les droits de cettevictime en ce qui concerne le paiement de rentes prevu par la loi, meme àdefaut d'avoir ete prives de ses prestations de travail. Celles-ci nepeuvent des lors etre recuperees que sur la base de la subrogation legale,et non de l'article 1382 du Code civil (en ce sens, voy. B. Dubuisson,« Jurisprudence recente de la Cour de cassation sur la relationcausale », J.T., 2010, p. 746). Le systeme subrogatoire permet egalementà un pouvoir subsidiant de recuperer ses debours (dans les limitesprevues par ce recours), alors meme qu'il n'a pas ete prive desprestations de la victime, à defaut d'etre son employeur.

Il incombe donc au juge d'interpreter les dispositions legales pertinentesafin de determiner si les depenses ou prestations imposees à l'employeurpublic doivent ou non rester à sa charge. A defaut d'element permettantd'etablir avec suffisamment de certitude que le legislateur a souhaites'ecarter du droit commun, il convient de considerer que ce dernierdemeure d'application.

B. Le dommage indemnisable sur la base de l'article 1382 du Code civil

La notion de « dommage » est generalement decrite comme la differencenegative existant entre deux situations, la premiere etant celle de lavictime apres la realisation du fait dommageable et la seconde celle danslaquelle la victime se serait trouvee en l'absence de ce fait (Conclusionsdu Ministere public avant Cass., 1er avril 2004, R.G.D.C., 2005, p. 368 ;J.T., 2005, p. 357).

A defaut d'etablir que l'autorite qui a adopte l'obligation a eul'intention de laisser la depense ou la prestation definitivement à lacharge d'un employeur public, il convient de considerer que cet employeura droit à la reparation integrale du dommage qu'il subit à la suite del'incapacite de travail de son agent causee par la faute d'un tiers, cequi signifie que cette reparation n'est, en principe, pas limitee aumontant de l'indemnite qui serait due à la victime pour l'incapacite detravail fixee en droit commun (Cass., 30 mai 2011, R.G.A.R., 2011,p.14.790) mais equivaut à la remuneration et aux charges fiscales etsociales y afferentes qu'il doit payer, y compris les cotisationspatronales (Cass., 18 novembre 2011, R.G.A.R., 2012, p. 14880 ; voy.specialement Cass., 14 mai 2012, Pas., nDEG1074).

Il parait desormais acquis que le dommage indemnisable de l'employeurpublic se limite toutefois aux montants payes « sans beneficier deprestations de travail en contrepartie » (Cass. 18 novembre 2011,R.G.A.R., 2012, p. 14880 ; voy. egalement Cass., 14 mai 2012, Pas., nDEG1074). La Cour de cassation a ainsi juge que, lorsque, conformement à laloi ou au reglement, « l'employeur public est tenu de verser à sonagent, outre une remuneration, une rente d'incapacite permanente partiellealors qu'il n'est pas prive des prestations de celui-ci, le paiement decette rente ou du capital constitue pour la servir ne constitue pas undommage au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil » (Cass., 12novembre 2008, Pas., I, nDEG 627, le tribunal souligne) ou que l'employeur« qui est tenu, en vertu de l'article 8 de la loi du 3 juillet 1967(...), de verser une rente au conjoint de son agent decede à la suited'un accident survenu sur le chemin du travail, le payement de cetterente, qui ne constitue pas la contrepartie des prestations de travaildont l'employeur aurait beneficie en l'absence de l'accident, n'est pas undommage indemnisable au sens des articles 1382 et 1383 du Code civil »(Cass., 24 janvier 2013, J.L.M.B., 2013, p. 1057 et note N. Simar, letribunal souligne).

Comme le releve le professeur Dubuisson, « (l)'insistance que la Cour metsur ces termes suggere que ce n'est pas tant le salaire brut qui constituele dommage que l'absence de contrepartie au salaire verse. Dans cetteinterpretation, le salaire ne constituerait finalement que la mesure dudommage » (B. Dubuisson, « Jurisprudence recente de la Cour de cassationsur la relation causale », op. cit., p. 747).

Dans le meme sens, la Cour constitutionnelle a admis que « le dommageauquel est confronte l'employeur public qui, en raison de l'incapacite detravail frappant son agent victime d'un accident cause par un tiers, doitgarantir à cet agent, sans contrepartie, des prestations financieres, etreorganiser ses services, presente des points communs avec celui auquelserait confronte, dans des circonstances analogues, un employeur dusecteur prive » (C. const., arret nDEG135/2007 du 7 novembre 2007, B.8,le tribunal souligne).

Lorsque l'employeur public (ou le pouvoir subsidiant), qui reclame leremboursement des sommes qu'il a versees à son employeur (ou à l'employede l'etablissement subsidie) pendant qu'il etait en incapacite de travailà la suite d'un accident, se fonde sur l'article 1382 du Code civil, ildoit donc, en vertu des articles 1315 du Code civil et 870 du Codejudiciaire, etablir qu'il a, en payant ces sommes, subi un dommage enrelation causale avec la faute du tiers (Cass., 18 novembre 2001, Pas., p.2539). Il doit donc non seulement prouver le montant des sommesdecaissees, mais aussi le fait qu'il a ete prive des prestations detravail de son employe (Cass., 18 novembre 2001, Pas., p. 2539 ; dans lememe sens, civ. Bruxelles (14eme chambre), 12 mars 2013, J.L.M.B., 2013,p. 1076) ou dans le cas du pouvoir subsidiant, qu'il a subi un dommagedistinct.

Selon la Cour de cassation, les autorites ne sont cependant pas tenuesd'etablir qu'elle subissent un dommage « distinct de celui resultant dela circonstance qu'elles ont paye la remuneration et les charges sansbeneficier de prestations de travail en contrepartie » (Cass., 9 avril2003, Lar. Cass., 2003, p. 123 ; voy. egalement les references citees parE. Jacques, op. cit., p. 14680).

Cette derniere affirmation parait cependant difficilement conciliable avecla jurisprudence constante selon laquelle une decision de justice violeles articles 1382 et 1383 du Code civil si elle meconnait « l'obligationd'apprecier in concreto le dommage » (Cass., 13 septembre 1995, Pas.,1995, nDEG 381 ; voy. egalement Cass., 24 mars 2005, Pas., I, nDEG703 ;Cass. 17 fevrier 2012, Pas., I, nDEG374). La Cour de cassation a encorerappele, recemment, « la regle selon laquelle la victime a droit à lareparation integrale de son prejudice, celui-ci devant etre evalue inconcreto » (Cass., 15 janvier 2014, RG nDEG P.13.1110.F.,www.juridat.be).

Or, il convient d'avoir egard au fait que, dans la plupart des cas danslesquels l'employeur public (et, a fortiori, un pouvoir subsidiant) estprive de la presence d'un agent, ce n'est pas lui qui subit un dommagemais les collegues de cet agent qui font son travail ou l'usager qui setrouve prive du service rendu (en ce sens, voy. J.-C. Thiry, « Le recoursdirect de l'employeur public sur la base de 1382 : un chemin semed'embuches », C.R.A., 2009, p. 103 ; voy. egalement I. Boone, op. cit.,p. 45 : « On utilise donc ici un concept abstrait du dommage. Pour eviterdes problemes de preuve, ce dommage abstrait est, en outre, evalueegalement de maniere abstraite, sur la base des montants que l'employeurdoit payer pour les prestations de travail » ; E. Jacques, op. cit., p.14680 : « il semble que la Cour ait precisement cherche, en la matiere,à substituer à l'analyse du dommage subi in concreto une analysetheorique, presque mecanique, du dommage »).

Le tribunal ne perc,oit pas ce qui justifierait, lorsqu'un pouvoir publicdoit etablir la realite de son dommage, de s'ecarter des regles de droitcommun de la responsabilite extracontractuelle, regime que [lademanderesse] s'evertue par ailleurs - à juste titre - à invoquer en safaveur.

L'absence de prestations de travail en contrepartie du paiement d'uneremuneration et des charges y afferentes constitue donc une conditionnecessaire mais pas suffisante pour determiner le dommage subi parl'employeur public, qui doit l'etablir in concreto.

C. L'opposabilite de l'evaluation du dommage de la victime dans le cadred'un regime propre à l'employeur public

Le tribunal rappelle que le principe general de respect des droits de ladefense implique que les decisions du Medex puissent etre contestees parle tiers des lors que ces decisions ne valent qu'à titre de presomptionsde l'homme laissees à l'appreciation du juge (Cass., 18 novembre 2011,Pas., p. 2539).

Il est vrai que, dans un arret plus recent (Cass., 23 octobre 2013, Pas.,I, nDEG2021), la Cour de cassation a decide, apres avoir rappele que lerecours propre de l'employeur public a necessairement pour objet undommage distinct de celui subi directement par la victime de l'accident,que le « dommage specifique subi par l'employeur public consiste dans laremuneration brute dont il a ete contraint de poursuivre le payement auprofit de son agent, victime d'un accident du à la faute d'un tiers » etque ce « dommage peut etre defini par la decision du service de santeadministratif, qui s'impose à l'employeur, et d'ou il suit que la victimen'a pas ete autorisee à reprendre le travail pendant une periodedeterminee, quel que soit le taux, eventuellement degressif, del'incapacite subie durant cette periode ».

La Cour de cassation en a conclu que les juges d'appel avaient legalementjustifie leur decision selon laquelle « la degressivite des tauxd'incapacite temporaire de la victime, tels qu'ils ont ete fixes parl'expert judiciaire, est sans incidence sur le dommage, distinct, del'employeur public qui s'est vu contraint de verser à son agent laremuneration brute correspondant à des prestations dont il a ete, pendantla periode d'incapacite, integralement prive ».

Il convient cependant de rappeler que le droit à un proces equitable, telqu'il est consacre par l'article 6 de la Convention de sauvegarde desdroits de l'homme et des libertes fondamentales, prime le droit interne,de sorte qu'il interdit que l'application de la combinaison des reglesrelatives à l'evaluation du prejudice subi par un agent du service publicet des regles relatives à la subrogation ou la responsabiliteextracontractuelle puisse empecher un justiciable de contesterl'evaluation du dommage qui a ete faite en son absence et dont il lui estreclame reparation.

Un tel principe est, du reste, egalement applicable en faveur del'employeur public. La Cour de cassation a ainsi juge, en matiered'accident du travail, que l'article 14, S:3 de la loi du 3 juillet 1967faisait « obstacle à ce que les droits de la personne subrogee puissentetre determines en fonction de ceux qui sont reconnus à la victime, endroit commun, sur la base du rapport d'un expert designe amiablement parune convention passee entre la victime et l'assureur du tiersresponsable » et que, en fixant les droits de [la demanderesse] « sur labase du seul rapport medical d'expertise amiable etabli à la suite d'uneconvention passee entre la victime et l'assureur du tiers responsable,sans avoir egard aux autres elements d'appreciation du dommage invoques »par [la demanderesse], l'arret attaque avait viole cette dispositionlegale (Cass., 23 fevrier 2004, Pas., I, nDEG300). Il convient derappeler, à cet egard, que le « transfert des droits et actions dusubrogeant au subroge s'effectuant par le paiement de la remuneration, etdonc au moment de celui-ci, la convention sur l'etendue du dommage concluepar la victime apres ce paiement n'affecte pas les droits et actionstransferes » (Cass., 3 decembre 2012, Pas., I, nDEG 2385).

2. Application des principes à la legislation en cause et au casd'espece

La reparation du dommage resultant d'un accident survenu sur le chemin dutravail dans le secteur public est regie par la loi du 3 juillet 1967, etson arrete royal d'execution du 24 janvier 1969.

L'article 3bis de la loi du 3 juillet 1967 dispose que, « (s)ous reservede l'application d'une disposition legale ou reglementaire plus favorable,les membres du personnel auxquels la presente loi a ete rendue applicable,beneficient pendant la periode d'incapacite temporaire jusqu'à la date dereprise complete du travail, des dispositions prevues en cas d'incapacitetemporaire totale par la legislation sur les accidents du travail ou parla legislation relative à la reparation des dommages resultant desmaladies professionnelles ».

L'article 32 de l'arrete royal du 24 janvier 1969, qui constitue unedisposition reglementaire plus favorable, dispose que « les membres dupersonnel soumis au present arrete conservent pendant la periode del'incapacite temporaire la remuneration due en raison de leur contrat detravail ou de leur statut legal ou reglementaire ».

En vertu de l'article 14, S:2, de la loi du 3 juillet 1967, les personnesou les etablissements vises à l'article 1er de la loi (dont [lademanderesse]), restent tenus de payer les indemnites et rentes resultantde ladite loi, meme si une action en justice a ete intentee par la victimede l'accident du travail.

En vertu de l'article 14, S:3, alinea 1er de la meme loi, l'applicationdes dispositions de cette loi implique, de plein droit, subrogation auprofit des personnes morales ou des etablissements qui supportent lacharge de la rente dans tous les droits, actions et moyens generalementquelconques que la victime ou ses ayants droits seraient en droit de fairevaloir contre la personne responsable et ce, à concurrence du montant desrentes et des indemnites prevues par la loi et du montant egal au capitalrepresentatif de ces rentes. L'alinea 3 prevoit une subrogation identiquepour les personnes morales ou les etablissements qui supportent la chargede la remuneration de la victime de l'accident du travail contre lapersonne responsable jusqu'à concurrence de la remuneration payee pendantla periode d'incapacite temporaire.

Ainsi qu'il a ete rappele, la simple existence d'un droit de subrogationne permet pas de determiner si le legislateur communautaire a ou non vouluque les depenses non visees par la subrogation restent definitivement àcharge de l'employeur public.

Le fait que le legislateur a prevu une subrogation legale en ce quiconcerne certaines depenses de l'employeur public permet de conclure qu'iln'a pas voulu que celles-ci restent definitivement à charge de cedernier. Cette circonstance ne permet, certes, pas de conclure qu'ilaurait ainsi marque sa volonte que l'employeur public puisse recuperer, àcharge du tiers responsable, l'integralite de son dommage et ce, au-delàdes limites du mecanisme subrogatoire. Les dispositions de la loi nepermettent cependant pas davantage de tirer la conclusion inverse (pasplus que les travaux preparatoires cites par [la demanderesse] dans sesconclusions).

Le tribunal doit, des lors, constater qu'il ne resulte ni du contenu, nide la portee de la loi que les depenses ou prestations en cas d'accidentsur le chemin du travail qui depassent celles qui peuvent etre recupereespar la voie de la subrogation devraient rester definitivement à charge del'employeur public. Il en resulte que le droit commun de la responsabiliteextracontractuelle est applicable aux accidents survenus sur le chemin dutravail et impliquant une victime travaillant dans le secteur public.

En l'espece, [la demanderesse], qui intervient en qualite d'employeurpublic et a donc ete privee des prestations de Mme [D.], n'etablit pasavoir subi un dommage in concreto du fait de l'incapacite de cettederniere.

Ainsi, elle ne soutient ni, a fortiori, ne demontre que l'interesseeaurait ete remplacee, et ce pendant toute la duree des periodesd'incapacite qui lui ont ete reconnues par le Medex.

Or, comme le souligne [la defenderesse], cette circonstance est d'autantplus douteuse que Mme [D.] a ete absente en toute fin d'annee scolaire,soit du 12 au 30 juin 2006, plus durant une periode partiellement couvertepar les vacances de Toussaint, soit du 18 octobre au 30 novembre 2006.

S'il convient de reformer le premier jugement en ce qu'il considere quel'employeur public n'a pas de recours direct, sur la base de l'article1382 du Code civil, afin de recuperer les montants debourses à titred'incapacite temporaire d'un de ses employes victime d'un accident sur lechemin du travail, il y a neanmoins lieu de considerer que l'actionoriginaire de [la demanderesse] est, en l'espece et en ce qu'elle estbasee sur cette disposition legale, non fondee ».

[...]

A cela s'ajoute, comme le denonce à bon droit [la defenderesse], que lesconclusions du Medex ne sont pas opposables à cette derniere et qu'ellesn'ont d'autre valeur que celle de simple presomption (a fortiori dans lecadre d'un recours subrogatoire et d'un recours non direct).

Or, [la defenderesse] souleve des critiques non denuees de pertinence àl'egard de ces conclusions qui, malgre la production par [la demanderesse]de ce qu'elle affirme etre l'ensemble du dossier medical de la victime, nepermettent pas de comprendre pourquoi l'incapacite temporaire de travailque lui a ete reconnue ne debute que six jours apres l'accident litigieuxpour s'interrompre et reprendre ensuite à 100% apres 110 jours, etjustifient de s'interroger sur le lien causal entre cet accident et lesperiodes reconnues par le Medex. Le dossier depose ne permet pas davantagede comprendre dans quelle mesure et pourquoi le Medex a modifie lespremieres conclusions qu'il avait prises ([la demanderesse] qualifiantelle-meme les conclusions du 7 novembre 2007 de « conclusionsd'appel »), qui ont ete contestees par la victime.

[La demanderesse] refuse pourtant manifestement la mise en place de toutemesure d'expertise en droit commun (qui serait opposable à [ladefenderesse]), fut-elle amiable.

Dans ces circonstances, il faut constater qu'elle reste en defaut dejustifier du bien-fonde de action, qui sera rejetee ».

Griefs

Premiere branche

1.

Le jugement attaque releve que l'action de la demanderesse se fonde surl'article 1382 du Code civil et que celle-ci intervient en qualited'employeur public de l'agent victime de l'accident du travail litigieux,qui releve de l'enseignement organise par la demanderesse (p. 5, sub III,al. 1er et 3, et p. 11, al. 4).

2.

En vertu de l'article 1382 du Code civil, celui qui, par sa faute, causeun dommage à autrui, est tenu de reparer integralement ce dommage, ce quiimplique le retablissement du prejudicie dans l'etat ou il serait demeuresi l'acte fautif n'avait pas ete commis.

Les pouvoirs publics qui, ensuite de la faute d'un tiers, doiventcontinuer à payer à l'un de leurs agents la remuneration et les chargesgrevant la remuneration en vertu d'obligations legales ou reglementairesqui leur incombent, sans beneficier de prestations de travail encontrepartie, ont droit à une indemnite reparant le dommage ainsi subi,pour autant qu'il resulte des dispositions legales et reglementairesapplicables que les decaissements precites auxquels ils sont tenus nedoivent pas rester definitivement à leur charge.

3.

Il n'etait pas conteste en l'espece que la demanderesse a, en vertu del'article 32 de l'arrete royal du 24 janvier 1969 relatif à lareparation, en faveur de membres du personnel du secteur public, desdommages resultant des accidents du travail et des accidents survenus surle chemin du travail, supporte la remuneration due à l'agent frapped'incapacite temporaire sans beneficier de ses prestations de travail(voy. egalement le jugement attaque, p. 11, al. 4).

En vertu de l'article 14, S: 3, alinea 2, de la loi du 3 juillet 1967 surla prevention ou la reparation des dommages resultant des accidents dutravail, des accidents survenus sur le chemin du travail et des maladiesprofessionnelles dans le secteur public, la demanderesse est subrogee deplein droit dans tous les droits, actions et moyens generalementquelconques que la victime serait en droit de faire valoir contre lapersonne responsable de l'accident du travail ou de la maladieprofessionnelle jusqu'à concurrence de la remuneration payee pendant laperiode d'incapacite temporaire.

Il se deduit de cette disposition que le legislateur n'entendait paslaisser les depenses faites par l'employeur public definitivement àcharge de celui-ci.

4.

Il en resulte que l'etendue du droit à la reparation du dommage quel'employeur public subit à la suite de l'incapacite de travail de sonagent et qui est fonde sur l'article 1382 du Code civil n'est pas limiteeau montant de l'indemnite que l'agent pourrait faire valoir contre leresponsable de l'accident et qui peut faire l'objet du recourssubrogatoire prevu à l'article 14, S:3, alinea 2 de la loi du 3 juillet1967 precitee.

5.

Le jugement attaque considere cependant (spec. pp. 6, al. 5, et 11, al. 2)que la regle instituant la subrogation legale precitee n'implique pas quele legislateur aurait entendu permettre à un employeur public depoursuivre la reparation de l'integralite de son dommage, au-delà deslimites du mecanisme subrogatoire (mais ne l'exclut pas davantage).

Le jugement attaque restreint ainsi illegalement le droit à reparationintegrale que la demanderesse tire des articles 1382 et 1383 du Code civilen deniant à l'article 14, S: 3, alinea 2, de la loi du 3 juillet 1967 laportee qu'il a sur le plan du recours indemnitaire propre de lademanderesse et, partant, viole les articles 1382 et 1383 du Code civilainsi que l'article 14, S:3, alinea 2, de la loi du 3 juillet 1967precitee.

Seconde branche

1.

En vertu de l'article 1382 du Code civil, celui qui, par sa faute, causeun dommage à autrui, est tenu de reparer integralement ce dommage, ce quiimplique le retablissement du prejudicie dans l'etat ou il serait demeuresi la faute n'avait pas ete commise.

Il incombe, en vertu des articles 1315 du Code civil et 870 du Codejudiciaire, à l'employeur public de demontrer qu'il a subi un dommage enlien causal avec la faute du tiers responsable et d'etablir en quoiconsiste ce dommage.

2.

En vertu de l'article 32 de l'arrete royal du 24 janvier 1969 relatif àla reparation, en faveur de membres du personnel du secteur public, desdommages resultant des accidents du travail et des accidents survenus surle chemin du travail, l'employeur public est tenu de continuer verser àl'agent frappe d'incapacite temporaire sa remuneration alors meme qu'il nebeneficie pas de ses prestations de travail (voy. egalement le jugementattaque, p. 11, al. 4).

3.

Il en resulte que les pouvoirs publics qui, ensuite de la faute d'untiers, doivent continuer à payer à l'un de leurs agents la remunerationet les charges grevant la remuneration en vertu d'obligations legales oureglementaires qui leur incombent, sans beneficier de prestations detravail en contrepartie, ont droit à une indemnite reparant le dommageainsi subi, pour autant qu'il resulte des dispositions legales etreglementaires applicables que les decaissements precites auxquels ilssont tenus ne doivent pas rester definitivement à leur charge.

Pour obtenir l'indemnite prevue aux articles 1382 et 1383 du Code civil,l'employeur public doit donc etablir qu'il a continue à verser laremuneration de son agent et les charges pendant la periode d'incapacitetemporaire de celui-ci alors qu'il ne beneficiait pas de ses prestationsen contrepartie mais ne doit pas en outre etablir un dommage distinct decelui-ci.

4.

Le jugement attaque considere cependant que « l'absence de prestations detravail en contrepartie du paiement d'une remuneration et des charges yafferentes constitue donc une condition necessaire mais pas suffisantepour determiner le dommage subi par l'employeur public, qui doit l'etablirin concreto » (p. 9, al. 1er) que la demanderesse n'etablit pas.

Il releve ainsi qu'« elle ne soutient ni, a fortiori, ne demontre quel'interessee aurait ete remplacee, et ce pendant toute la duree desperiodes d'incapacite qui lui ont ete reconnues par le Medex » et que« comme le souligne [la defenderesse], cette circonstance est d'autantplus douteuse que Mme D. a ete absente en toute fin d'annee scolaire, soitdu 12 au 30 juin 2006, plus durant une periode partiellement couverte parles vacances de Toussaint, soit du 18 octobre au 30 novembre 2006 » (p.11, al. 5 et 6).

En astreignant ainsi la demanderesse à demontrer un dommage distinct decelui d'avoir continue à verser une remuneration à son agent alorsqu'elle ne beneficiait pas de ses prestations en contrepartie, le jugementattaque viole les articles 1382 et 1383 du Code civil et l'article 32 del'arrete royal du 24 janvier 1969 precite ainsi que les articles 1315 dumeme Code et 870 du Code judiciaire.

Troisieme branche

1.

En vertu des articles 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire, ilincombe d'abord à celui qui pretend subir un dommage en lien causal avecla faute d'un tiers de prouver son dommage et le lien causal avec la fauteet ensuite au tiers responsable d'apporter la preuve contraire.

2.

L'employeur public qui, ayant continue à payer la remuneration de sonagent frappe d'incapacite temporaire à la suite d'un accident du travailet à supporter les charges grevant celle-ci, en reclame le remboursementsur la base de l'article 1382 du Code civil, doit donc etablir le montantde ces sommes ainsi que le fait qu'elles ont ete payees pour une perioded'incapacite de l'agent consecutive à l'accident. Il peut apporter cespreuves par toute voie de droit.

3.

Il resulte de la loi du 3 juillet 1967 sur la prevention ou la reparationdes dommages resultant des accidents du travail, des accidents sur lechemin du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public,en particulier de ses articles 3bis, al. 1er, et 14, S: 2, ainsi que del'arrete royal du 24 janvier 1969 relatif à la reparation, en faveur demembres du secteur public, des dommages resultant des accidents du travailet des accidents survenus sur le chemin du travail, specialement de sesarticles 8, 32 et 32bis (tels que vises au moyen) :

* d'une part, que le service de sante administratif (Medex) se prononcesur l'application de cette loi à l'agent victime d'un accident, surle taux et la duree de l'incapacite temporaire de travail, sur la datede la consolidation, sur l'existence de sequelles et sur lepourcentage d'incapacite permanente qui en decoule ;

* et d'autre part, que les decisions de ce service lient l'employeur dusecteur public ainsi que l'agent victime de l'accident, ce dernierdisposant toutefois d'un recours contre ces decisions ; qu'ainsi, lavictime ne peut effectuer des prestations de travail pendant toute laduree d'incapacite de travail etablie par le Medex et l'employeurpublic est tenu de continuer à lui verser sa remuneration integralependant toute cette periode.

4.

Il en resulte que l'employeur public invoquera le rapport du service desante administratif (Medex), qui s'impose à lui et à son agent victimede l'accident, pour demontrer le lien causal entre son dommage etl'accident du travail de cet agent.

Les droits de la defense du tiers responsable s'opposent à ce que lerapport du Medex s'impose à lui sans qu'il ne puisse le contester. Cerapport ne vaut donc, dans le litige entre l'employeur et l'auteur del'accident ou son assureur, qu'à titre de presomption de l'homme au sensdes articles 1349 et 1353 du Code civil, laissee à l'appreciation dujuge.

5.

Il resulte de tout ce qui precede que l'employeur public satisfait à lacharge de la preuve qui lui incombe lorsqu'il invoque les conclusions duMedex, à moins que le tiers responsable n'apporte la preuve contraire,eventuellement sur la base d'une expertise judiciaire que le juge a, envertu des articles 962 et 972bis du Code judicaire, le pouvoir d'ordonner.

Il ne suffit des lors pas pour ce tiers de contester les conclusions duMedex, sans y opposer des conclusions concretes quant aux periodes et tauxd'incapacite à retenir ou sans solliciter d'expertise à cette fin, pourdenier aux conclusions du Medex leur valeur de presomption de l'homme etimposer ainsi à l'employeur public une charge de la preuve plus lourdeque celle resultant des articles 1315 du Code civil et 870 du Codejudiciaire.

En toute hypothese, le juge ne peut ecarter le rapport du Medex commeelement de preuve du dommage de l'employeur public en lien causal avec lafaute du tiers responsable de l'accident sans se prononcer sur la valeurprobante des arguments que le tiers responsable y oppose, si necessaireapres avoir ordonne une expertise judiciaire.

En decider autrement reviendrait à ne reconnaitre aucun effet auxconstatations du Medex et à priver l'employeur public de se prevaloir duprejudice qu'il subit en raison de l'incapacite temporaire reconnue parcet organisme federal en application des dispositions de la loi du 3juillet 1967 et de l'arrete royal du 24 janvier 1969 visees au moyen.

6.

En relevant que « les critiques non denuees de pertinence » souleveespar la defenderesse à l'egard des conclusions du Medex « justifient des'interroger sur le lien causal entre cet accident et les periodesreconnues par le Medex » (p.12, al. 3) et en admettant sur cette base etsur la consideration que la demanderesse « refuse [...] manifestement lamise en place de toute mesure d'expertise » (p. 12, al. 4), le jugementattaque decide que la demanderesse « reste en defaut de justifier dubien-fonde de son action » (p. 12, al. 5).

Le jugement attaque impose donc à la demanderesse de rapporter la preuvedu lien causal entre son dommage et l'accident cause à son agent pard'autres moyens de preuve que les conclusions du Medex, alors qu'ilconstate que la defenderesse s' etait bornee à critiquer les conclusionsdu Medex et qu'il ne se prononce par ailleurs pas sur le bien-fonde descritiques soulevees.

Ce faisant, il denie aux conclusions du Medex la valeur de presomption del'homme qu'elles ont dans le rapport entre la demanderesse et ladefenderesse ainsi que le droit pour la demanderesse de rapporter par cemoyen la preuve de son dommage et le lien causal l'unissant à la faute àdefaut de preuve contraire etablie. Partant, le jugement attaque viole lesarticles 1315, 1349, 1353, 1382 et 1383 du Code civil, l'article 870 duCode judiciaire et, pour autant que de besoin, les articles 962 et 972bisdu Code judiciaire, les articles 3bis, al. 1er, et 14, S: 2, de la loi du3 juillet 1967 precitee ainsi que les articles 8, 32 et 32bis de l'arreteroyal du 24 janvier 1969 precite tels que vises au moyen.

7.

En justifiant sa decision par reference au pretendu fait que « [lademanderesse] refuse pourtant manifestement la mise en place de toutemesure d'expertise en droit commun (qui serait opposable à [ladefenderesse], fut-elle amiable » (p. 12, al. 5), le jugement attaquemeconnait en outre la foi due aux conclusions de la demanderesse en ydonnant une lecture inconciliable avec leurs termes et viole, partant,egalement les articles 1319, 1320 et 1322 du Code civil.

La demanderesse faisait certes valoir en conclusions que « c'est à tortque le premier juge preconise une [...] expertise amiable » (conclusionsde synthese d'appel du 7 janvier 2014, p. 20 in fine). Cette considerationne concerne que l'expertise amiable mais ne contient pas d'objection « àtoute mesure d'expertise », notamment à l'expertise judiciaire.

Developpements

Premiere branche

Les pouvoirs publics qui, ensuite de la faute d'un tiers, doiventcontinuer à payer à l'un de leurs agents la remuneration et les chargesgrevant la remuneration en vertu d'obligations legales ou reglementairesqui leur incombent, sans beneficier de prestations de travail encontrepartie, ont droit à une indemnite reparant le dommage ainsi subi,pour autant qu'il resulte des dispositions legales et reglementairesapplicables que les decaissements precites auxquels ils sont tenus nedoivent pas rester definitivement à leur charge.

L'existence d'un mecanisme legal de subrogation suffit à etablir que lelegislateur n'a pas entendu laisser les depenses à charge de l'autoritequi y est tenue et celle-ci peut des lors se prevaloir des articles 1382et 1382 du Code civil pour obtenir une reparation integrale. L'etendue dela subrogation est sans incidence à cet egard (Cass., 30 mai 2011, Pas.,2011, nDEG 361, point 5 ; Cass., 7 novembre 2014, Pas., 2014, nDEG 679,points 11 et 12).

Seconde branche

En vertu de l'article 32 de l'arrete royal du 24 janvier 1969 relatif àla reparation, en faveur de membres du personnel du secteur public, desdommages resultant des accidents du travail et des accidents survenus surle chemin du travail, l'employeur public est tenu de continuer verser àl'agent frappe d'incapacite temporaire sa remuneration alors meme qu'il nebeneficie pas de ses prestations de travail.

Pour obtenir l'indemnisation de son dommage propre sur la base desarticles 1382 et 1383 du Code civil, l'autorite concernee n'est pas tenued'etablir qu'elle subit un dommage distinct de celui resultant de lacirconstance qu'elle a paye la remuneration et les charges sans beneficierde prestations de travail en contrepartie.

Elle n'est ainsi pas obligee de demontrer qu'elle a pourvu au remplacementde l'agent temporairement absent ou du proceder à une reorganisation duservice (Cass., 9 avril 2003, Pas., 2003, nDEG 235 ; voy. egalement Cass.,18 novembre 2011, Pas., 2011, nDEG 625, decidant que « le dommage del'employeur consistant dans la privation de prestations de travailequivaut à la remuneration et aux charges fiscales et sociales yafferentes qu'il doit payer »).

Troisieme branche

Votre Cour a considere que « le dommage specifique subi par l'employeurpublic consiste dans la remuneration brute dont il a ete contraint depoursuivre le payement au profit de son agent, victime d'un accident du àla faute d'un tiers. Ce dommage peut etre defini par la decision duservice de sante administratif, qui s'impose à l'employeur, et d'ou ilsuit que la victime n'a pas ete autorisee à reprendre le travail pendantune periode determinee, quel que soit le taux, eventuellement degressif,de l'incapacite subie durant cette periode » (Cass., 23 octobre 2013,Pas., 2013, nDEG 543).

Pour demontrer son prejudice et le lien causal entre celui-ci et la fautedu tiers, l'employeur public s'en referera aux conclusions du Medex (voy.egalement les conclusions conformes de M. l'avocat general Werquin prec.Cass., 18 novembre 2011, Pas., 2011, nDEG 625, p. 2544, point 2). Ladecision de ce service federal lie en effet la demanderesse (et du restela victime en l'absence de - ou apres - recours) quant aux suites del'accident et au prejudice qui en decoule pour elle et qui consiste dansles traitements qu'elle doit continuer à supporter pendant la perioded'inactivite de l'agent incapacite reconnue par le Medex, qui s'impose àelle.

A l'egard des tiers, les conclusions du service de sante administratif,devenu le Medex, valent à titre de presomption de l'homme et peuvent etrecontestees par ces tiers (voy. not. Cass., 30 mai 2011, Pas., 2011, nDEG361, point 16 ; Cass., 18 novembre 2011, Pas., 2011, nDEG 625 et Cass., 30janvier 2015, R.G. C.14.0276.N avec les conclusions conformes de M.l'avocat general Vandewal). Il resulte en particulier de ce dernier arretet des conclusions qui le precedent (points 22 et 23) que la solutionconsacree se fonde sur la production par le tiers responsable d'uneexpertise amiable realisee avec l'agent victime de l'accident.

Il suit de ce qui precede que s'il est loisible à un tiers de contesterla teneur des conclusions du Medex, cette contestation doit se fonder surdes elements qu'il lui appartient d'etablir et dont la valeur probantedoit etre appreciee par le juge.

Raisonner comme le fait le jugement attaque, en l'absence de preuvecontraire etablie, fut-ce une expertise judiciaire, revient en realite àne reconnaitre aucun effet aux constatations du Medex et à priver lespersonnes morales de droit public telle la demanderesse de la faculte dese prevaloir du prejudice qu'elles subissent en raison de l'incapacitetemporaire reconnue par cet organisme federal en application desdispositions de la loi du 3 juillet 1967 et de l'arrete royal du 24janvier 1969 visees au moyen.

PAR CES CONSIDERATIONS,

l'avocat à la Cour de cassation soussignee, pour la demanderesse encassation, conclut, Messieurs, Mesdames, qu'il vous plaise, recevant lepourvoi, casser le jugement attaque, ordonner que mention de votre arretsoit faite en marge du jugement casse, statuer comme de droit sur lesdepens et renvoyer la cause devant un autre tribunal de premiere instance.

Bruxelles, le 14 decembre 2015

Caroline De Baets

8 SEPTEMBRE 2016 C.15.0523.F/1

Requete/22


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.15.0523.F
Date de la décision : 08/09/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 06/10/2016
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2016-09-08;c.15.0523.f ?
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