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08/09/2016 | BELGIQUE | N°C.15.0385.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 08 septembre 2016, C.15.0385.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.15.0385.F

1. S. H.,

2. M. A.,

demandeurs en cassation,

admis au benefice de l'assistance judiciaire par decision du bureaud'assistance judiciaire du 19 aout 2015 (nDEG G.15.0091.F),

representes par Maitre Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile,

contre

Officier de l'etat civil de la commune de Jette, dont les bureaux sontetablis à Jette, chaussee de Wemmel, 100,

defendeu

r en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 15...

Cour de cassation de Belgique

Arret

NDEG C.15.0385.F

1. S. H.,

2. M. A.,

demandeurs en cassation,

admis au benefice de l'assistance judiciaire par decision du bureaud'assistance judiciaire du 19 aout 2015 (nDEG G.15.0091.F),

representes par Maitre Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou ilest fait election de domicile,

contre

Officier de l'etat civil de la commune de Jette, dont les bureaux sontetablis à Jette, chaussee de Wemmel, 100,

defendeur en cassation.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 15 janvier 2015par la cour d'appel de Bruxelles.

Le president de section Martine Regout a fait rapport.

L'avocat general Thierry Werquin a conclu.

II. Le moyen de cassation

Dans la requete en cassation, jointe au present arret en copie certifieeconforme, les demandeurs presentent un moyen.

III. La decision de la Cour

Sur le moyen :

Quant à la premiere branche :

Aux termes de l'article 167, alinea 1er, du Code civil, l'officier del'etat civil refuse de celebrer le mariage lorsqu'il apparait qu'il n'estpas satisfait aux qualites et conditions prescrites pour contractermariage, ou s'il est d'avis que la celebration est contraire aux principesde l'ordre public.

L'article 146bis du meme code dispose qu'il n'y a pas de mariage lorsque,bien que les consentements formels aient ete donnes en vue de celui-ci, ilressort d'une combinaison de circonstances que l'intention de l'un aumoins des epoux n'est manifestement pas la creation d'une communaute devie durable mais vise uniquement l'obtention d'un avantage en matiere desejour lie au statut d'epoux.

Il ne resulte ni des articles 22 de la Constitution et 8, S: 1er, de laConvention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertesfondamentales, qui garantissent le respect de la vie privee et familiale,ni de l'article 10 de cette convention, qui consacre le droit au mariage,que l'application de l'article 146bis du Code civil serait ecartee, ou quel'appreciation que requiert son application serait modifiee, lorsqu'ilapparait, parmi les circonstances à la combinaison desquelles cettedisposition prescrit d'avoir egard, que les candidats au mariage onteffectivement cohabite et ont eu un enfant.

L'arret constate que le demandeur, de nationalite marocaine, « a etedetenu à Tilburg depuis l'annee 2010 [...] jusqu'au 23 fevrier 2013 » ;qu'à cette date lui a ete signifie un ordre de quitter le territoireauquel il n'a pas obtempere ; que, « le 19 mars 2013, [a ete etablie] unefiche de signalement d'un projet de mariage [du demandeur] avec [lademanderesse] », de nationalite belge ; que celle-ci « a ete entendue àcette date par les services [du defendeur] », qui ont ensuite entendu ledemandeur le 28 mars 2013 ; que la demanderesse « a ete domiciliee chezses parents à Jette jusqu'au 2 avril 2013, date à laquelle elle a eteinscrite à Anvers » ; qu'apres avoir pris acte de la declaration demariage des demandeurs, le defendeur a decide le 28 mai 2013 de surseoirà la celebration du mariage et en a informe le procureur du Roi ; que,dans le cadre de l'information penale, « une visite domiciliaire a eulieu à Anvers le 27 juillet 2013, au cours de laquelle la cohabitationdes [demandeurs] a ete constatee » ; que, le 7 aout 2013, un nouvel ordrede quitter le territoire a ete signifie au demandeur, qui « a ete detenupuis expulse vers le Maroc », et que, le procureur du Roi ayant donne le16 aout 2013 un avis defavorable au projet de mariage des demandeurs, ledefendeur a pris le 21 aout la decision de refuser de celebrer ce mariage.

L'arret considere que, « des sa sortie de prison, [le demandeur], quietait en sejour irregulier [...], a immediatement projete un mariage avecune ressortissante belge » ; que « [les demandeurs] pretendent que leurmariage religieux a ete celebre le 28 avril 2013, soit, avec unempressement certain, un peu plus de deux mois apres la sortie de prison[du demandeur], [...] sans que le couple ait pu se connaitre reellementcompte tenu de la detention [du demandeur] » ; que, « le 28 mars 2013,[celui-ci] a [...] declare qu'il ne cohabitait pas avec [la demanderesse]mais qu'il vivait aux Pays-Bas » ; qu'« une premiere enquete decohabitation du 17 mai 2013 [a] fait apparaitre qu'à cette date, [lesdemandeurs] cohabitaient effectivement » ; que « [la demanderesse] adeclare le 19 mars 2013 qu'elle avait perdu un enfant [du demandeur] »,sans que les demandeurs « precisent [...] la periode de conception de cetenfant » ; qu'« elle a ensuite expose en juillet et aout 2013 etreenceinte des oeuvres [du demandeur] et [qu'elle] expose actuellement, enproduisant la copie du passeport belge d'une enfant [portant le nompatronymique du demandeur], qu'elle a donne naissance le 1er mars 201[4]à un enfant dont [celui-ci] serait le pere biologique », et que les« divergences importantes » entre « [les] versions successives » queles demandeurs ont donnees, et que l'arret relate, de leur premiererencontre « rendent leurs declarations quant à [la periode de celle-ci]tres sujettes à caution », « le seul element objectif qui permet deprouver la periode de l'existence de contacts reguliers entre [lesdemandeurs] etant un releve des [vingt-deux] visites effectuees en prison[au demandeur] par [la demanderesse] entre le 25 septembre 2012 et le 17fevrier 2013 ».

Sur la base de ces enonciations qui gisent en fait, l'arret a pu, sansvioler aucune des dispositions constitutionnelles, conventionnelles etlegales visees au moyen, en cette branche, decider qu'il est etabli« sans aucun doute possible que, par [leur] projet de mariage, [lesdemandeurs] n'ont pas pour intention de creer une communaute de viedurable mais n'ont pour seul objectif que de permettre [au demandeur] debeneficier d'un avantage en matiere de sejour ».

Le moyen, en cette branche, ne peut etre accueilli.

Quant aux deuxieme et troisieme branches reunies :

Des lors que les motifs vainement critiques par la premiere branchesuffisent à fonder la decision de l'arret de refuser la celebration dumariage des demandeurs, le moyen, qui, en ces branches, est dirige contreun motif surabondant, ne saurait entrainer la cassation de cette decisionet, denue d'interet, est, partant, irrecevable.

Et le moyen, en ces branches, etant irrecevable pour un motif propre à laprocedure en cassation, la question prejudicielle proposee par lesdemandeurs à l'appui du grief qui y est developpe ne doit pas etre poseeà la Cour constitutionnelle.

Quant à la quatrieme branche :

L'arret ne rejette pas la demande des demandeurs au motif qu'ils neprouvent pas que le demandeur est le pere biologique de l'enfant de lademanderesse.

Le moyen, en cette branche, manque en fait.

Par ces motifs,

La Cour

Rejette le pourvoi ;

Condamne les demandeurs aux depens.

Les depens taxes à la somme de quatre cent nonante-neuf euroscinquante-huit centimes en debet envers les parties demanderesses.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, le conseiller DidierBatsele, les presidents de section Albert Fettweis et Martine Regout et leconseiller Sabine Geubel, et prononce en audience publique du huitseptembre deux mille seize par le president de section Christian Storck,en presence de l'avocat general Thierry Werquin, avec l'assistance dugreffier Patricia De Wadripont.

+--------------------------------------------+
| P. De Wadripont | S. Geubel | M. Regout |
|-----------------+------------+-------------|
| A. Fettweis | D. Batsele | Chr. Storck |
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Requete

REQUETE EN CASSATION

_______________________________________________________________________

+------------------------------------------------------------------------+
| | 1) Madame S. H., |
| | |
| | 2) Monsieur M. A. |
| | |
| POUR : | Demandeurs en cassation, |
| | |
| | Assistes et representes par Me Simone Nudelholc, avocat à |
| | la Cour de cassation soussignee, dont le cabinet est etabli |
| | à 1000 Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 3, ou il est |
| | fait election de domicile. |
|----------+-------------------------------------------------------------|
| | L'Officier de l'Etat civil de la commune de Jette, dont les |
| | bureaux sont etablis à 1090 Bruxelles, chaussee de Wemmel, |
| CONTRE : | 100, |
| | |
| | Defendeur en cassation. |
|----------+-------------------------------------------------------------|
+------------------------------------------------------------------------+

*

* *

A Messieurs les Premier President et Presidents, à Mesdames et Messieursles Conseillers composant la Cour de cassation.

Messieurs, Mesdames,

Les demandeurs ont l'honneur de soumettre à votre censure l'arret renducontradictoirement entre les parties le 15 janvier 2015 par la courd'appel de Bruxelles, 43eme chambre, affaires civiles, RGnDEG 2014/AR/1036.

A l'encontre de cet arret, les demandeurs font valoir le moyen decassation suivant.

moyen unique de cassation

Dispositions legales et principes generaux du droit dont la violation estinvoquee

- Articles 22, 22bis et 142, specialement alinea 2, 3DEG, de laConstitution ;

- Articles 8.1 et 12 de la Convention de sauvegarde des droits de l'hommeet des libertes fondamentales signee à Rome le 4 novembre 1950, approuveepar la loi du 13 mai 1955 (ci-apres la C.E.D.H.) ;

- Articles 7, 9 et 24 de la Charte des droits fondamentaux de l'Unioneuropeenne du 7 decembre 2000, adaptee le 12 decembre 2007, ayant la memevaleur juridique que les Traites europeens en vertu de l'article premiersous 8 du Traite de Lisbonne du 13 decembre 2007, approuve par la loibelge du 19 juin 2008 (ledit article premier sous 8 modifiant l'article6, devenu article 6.1, du Traite sur l'Union europeenne) ;

- Articles 3, 7, 8, 16 et 18 de la Convention relative aux droits del'enfant, signee à New York le 20 novembre 1989, approuvee par la loi du25 novembre 1991 ;

- Articles 146bis , 167 et 1315 du Code civil (l'article 167, tel qu'iletait en vigueur tant avant qu'apres sa modification par les lois des 2juin 2013 et 30 juillet 2013) ;

- Article 870 du Code judiciaire ;

- Article 26, specialement S: 1er, 3DEG, de la loi speciale sur la Courconstitutionnelle du 6 janvier 1989 ;

- Principe general du droit de la primaute du droit communautaire europeensur toutes les normes internes ;

- Principe general du droit, dit principe de legalite, selon lequel lejuge ne peut appliquer une disposition qui viole une norme superieure ;

- principe general du droit selon lequel une norme de droit internationalconventionnel ayant des effets directs dans l'ordre juridique interne doitprevaloir sur le droit interne.

Decision et motifs critiques

Apres avoir constate les faits suivants : la demanderesse, nee àBruxelles en 1991, a la nationalite belge ; le demandeur, ne au Maroc en1984, a la nationalite marocaine ; le demandeur est connu des services depolice pour differents faits dont des faits de sejour illegal ; il a etedetenu à la prison de Tilburg depuis une date indeterminee en 2010jusqu'au 23 fevrier 2013 ; entre le 25 septembre 2012 et le 17 fevrier2013, la demanderesse rendit vingt-deux visites au demandeur en prison ;le 19 mars 2013, fut etablie une fiche de signalement d'un projet demariage des demandeurs, au sujet duquel ceux-ci furent entendus par lesservices de l'etat civil de la commune de Jette ; lors de son entretienavec lesdits services, le 19 mars 2013, la demanderesse a declare avoirperdu l'enfant du demandeur qu'elle portait ; les demandeurs ont celebreleur mariage religieux le 28 avril 2013 ; une premiere enquete decohabitation du 17 mai 2013 fit apparaitre qu'à cette date, lesdemandeurs cohabitaient effectivement ; le 28 mai 2013, le defendeur aacte la declaration de mariage, a pris la decision de surseoir à lacelebration du mariage et en a informe le Procureur du Roi ; le 27 juillet2013, une visite domiciliaire a eu lieu à Anvers ou la demanderesses'etait inscrite le 2 avril 2013 ; la cohabitation des demandeurs y a eteconstatee ; le 6 aout 2013, la demanderesse a ete entendue par lesservices de police d'Anvers ; elle a expose qu'elle etait enceinte desoeuvres du demandeur ; le 6 aout 2013 egalement, un dernier ordre dequitter le territoire a ete donne au demandeur qui a ete detenu puisexpulse vers le Maroc ; le 16 aout 2013, le Procureur du Roi a emis unavis defavorable au projet de mariage des demandeurs ; le 21 aout 2013, ledefendeur a pris la decision de refuser de celebrer le mariage ; le 8janvier 2014, le demandeur a comparu au Maroc devant un notaire pourdeclarer qu'il avait convenu avec la demanderesse de donner son nom defamille au nouveau-ne ; la demanderesse a donne naissance à l'enfant le1er mars 2013 [lire : 2014] ;

l'arret attaque, par confirmation de la decision du premier juge, debouteles demandeurs de leur demande tendant à faire ordonner la mainlevee dela decision de refus de celebrer le mariage prise par le defendeur le 21aout 2013 et à faire condamner le defendeur à celebrer le mariage desdemandeurs ; condamne les demandeurs aux depens des deux instances.

L'arret attaque fonde cette decision sur les motifs suivants, ensubstance :

1) le demandeur a un lourd passe judiciaire en Belgique ; il a faitl'objet d'interpellations pour des faits de sejour illegal en Belgique,n'a jamais obtempere aux ordres de quitter le territoire qui lui ont etenotifies et ne s'est pas soumis à l'arrete de renvoi pris à son encontreavec interdiction de rentrer en Belgique ; le sixieme et dernier ordre dequitter le territoire du 6 aout 2013 mentionne que le demandeur constitueune menace serieuse et actuelle contre l'ordre public ;

2) des la sortie de prison, le demandeur qui etait en sejour illegal etrefusait d'obtemperer à un ordre de quitter le territoire belge, aimmediatement projete un mariage avec une ressortissante belge, lademanderesse ; le mariage religieux a ete celebre avec empressement sansque le couple ait pu se connaitre reellement ; ce mariage religieux estcontraire à la Constitution belge ;

3) les demandeurs ne precisent pas la date de la conception de l'enfantque la demanderesse pretend avoir perdu ; la demanderesse a donnenaissance le 1er mars 2013 [lire : 2014] a une enfant S. A. dont ledemandeur serait le pere biologique ; elle produit la copie du passeportbelge de cet enfant et la photocopie d'un acte de comparution du demandeurdevant un notaire à Nador (Maroc) par lequel il declare avoir convenuavec son epouse de donner son nom de famille au nouveau-ne ; la copie del'acte de naissance de l'enfant n'est pas produite, pas plus qu'un acte dereconnaissance de l'enfant par le demandeur qui aurait ete accepte par lesautorites belges ;

4) les declarations des demandeurs lors de leur entretien avec lesservices de l'etat civil de la commune de Jette et lors de leur auditionpar les services de police d'Anvers comportent des divergences importantesquant à la periode de leur premiere rencontre, ce qui rend leursdeclarations tres sujettes à caution ; le seul element objectifpermettant de prouver la periode de l'existence de contacts reguliersentre les demandeurs est le releve des visites en prison ;

5) « les elements objectifs, precis et concordants releves ci-dessusetablissent sans aucun doute possible que par ce projet de mariage, (lesdemandeurs) n'ont pas pour intention de creer une communaute de viedurable mais n'ont pour seul but objectif que de permettre (au demandeur)de beneficier d'un avantage en matiere de sejour ; le fait que (lesdemandeurs) auraient conc,u un enfant ensemble, auquel la demanderesse adonne naissance, ne suffit pas pour qu'un doute soit retenu ; laconception de cet enfant, à supposer que (le demandeur) en soit le perebiologique, constitue en l'espece une instrumentalisation utilisee par les(demandeurs) en vue de parvenir à leurs fins d'un mariage tendantuniquement à procurer (au demandeur) un avantage d'acces et de sejour surle territoire belge ; la circonstance que (le demandeur) aurait introduit(...) une demande de regroupement familial au mois de juillet 2014 en sefondant sur le fait qu'il serait le pere d'un enfant belge ne permet pasà la cour de statuer autrement, ni du reste aucun autre element de faitinvoque par les (demandeurs), ni aucune piece de leur dossier, qu'ils'agisse des photos d'excursions, de l'envoi d'argent (au demandeur), desreleves telephoniques ou des deux sejours au Maroc de (la demanderesse),dont l'un avec son enfant ».

Griefs

Premiere branche

L'article 22 de la Constitution et l'article 8.1 de la C.E.D.H.garantissent le respect de la vie privee et familiale.

L'article 12 de la C.E.D.H. dispose : « A partir de l'age nubile, l'hommeet la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille, selon leslois nationales regissant l'exercice de ce droit ».

L'article 146bis du Code civil dispose : « Il n'y a pas de mariagelorsque, bien que les consentements formels aient ete donnes en vue decelui-ci, il ressort d'une combinaison de circonstances que l'intention del'un au moins des epoux n'est manifestement pas la creation d'unecommunaute de vie durable, mais vise uniquement l'obtention d'un avantageen matiere de sejour, lie au statut d'epoux ».

L'article 167, alinea 1er, du meme code dispose : « L'officier de l'etatcivil refuse de celebrer le mariage lorsqu'il apparait qu'il n'est passatisfait aux qualites et conditions prescrites pour contracter mariage,ou s'il est d'avis que la celebration est contraire aux principes del'ordre public ».

Il ressort de l'adverbe « manifestement » contenu dans l'article 146bisdu Code civil precite que ce n'est qu'à la condition de pouvoir excluretout doute quant à l'intention reelle des candidats au mariage de creerune communaute de vie durable que l'officier de l'etat civil peut refuserde celebrer le mariage, en consideration de ladite intention, des lors quela liberte de mariage garantie par l'article 12 de la C.E.D.H. doitprevaloir. Les candidats au mariage n'ont pas à prouver, pour pouvoir semarier, que leur intention reelle est de creer une communaute de viedurable.

Lorsque les candidats au mariage ont effectivement cohabites et que, decette cohabitation, il est resulte la naissance d'un enfant, l'officier del'etat civil ne peut refuser de celebrer le mariage pour le motif qu'il neserait pas satisfait à la condition inscrite à l'article 146bis du memecode, car il resulte necessairement des circonstances precitees quel'obtention par l'un des candidats au mariage d'un avantage en matiere desejour lie au statut d'epoux ne peut etre considere comme constituant leseul but du mariage. A tout le moins, le contraire ne peut etre presumesans violer les articles 22 de la Constitution et 8.1 de la C.E.D.H. quigarantissent le respect de la vie privee et familiale.

En l'espece, il ressort des constatations de l'arret que la demanderesse arendu vingt-deux visites en prison au demandeur jusqu'à sa sortie deprison le 23 fevrier 2013, que la cohabitation effective des demandeurs aete constatee tant lors de la premiere enquete de cohabitation effectueele 17 mai 2013 par les services de l'etat civil de la commune de Jette quelors de la seconde enquete effectuee le 27 juillet 2013 par les servicesde police d'Anvers ; que la demanderesse a affirme avoir ete enceinte d'unpremier enfant du demandeur qu'elle a perdu ; qu'elle a finalement mis aumonde le 1er mars 2014 un second enfant auquel le demandeur a declaredevant notaire vouloir donner son nom et qui porte effectivement le nom dudemandeur, selon la photocopie du passeport belge de cet enfant.

Partant, meme s'il emet un doute quant à la paternite du demandeur etqu'il constate que les demandeurs ne produisent pas un acte dereconnaissance de l'enfant par le demandeur, accepte par les autoritesbelges, l'arret attaque ne pouvait legalement debouter les demandeurs deleur demande, des lors qu'il ne ressort pas des constatations preciteesque la creation d'une communaute durable n'est manifestement pasl'intention des demandeurs (violation des articles 22 de la Constitution,146bis et 167 du Code civil, dans les differentes versions visees en tetedu moyen, 8.1 et 12 de la C.E.D.H. et, pour autant que de besoin,violation du principe general du droit selon lequel une norme de droitinternational conventionnel ayant des effets directs dans l'ordrejuridique interne doit prevaloir sur le droit interne.)

Deuxieme branche

Par les motifs precites, l'arret attaque ne denie pas qu'il est possibleque le demandeur soit le pere biologique de l'enfant auquel lademanderesse a donne naissance. Il refuse de se prononcer sur ce fait,qu'il declare non pertinent, pour le motif que «la conception del'enfant, à supposer que (le demandeur) en soit le pere biologique,constitue en l'espece une instrumentalisation utilisee par (lesdemandeurs) en vue de parvenir à leurs fins d'un mariage tendantuniquement à procurer au (demandeur) un avantage d'acces et de sejour surle territoire belge».

En ses alineas 3 et 4, l'article 22 bis de la Constitution dispose :

« Chaque enfant a le droit de beneficier des mesures et des services quiconcourent à son developpement.

Dans toute decision qui le concerne, l'interet de l'enfant est pris enconsideration de maniere primordiale. »

Cette disposition constitutionnelle consacre en droit interne le principede la primaute de l'interet de l'enfant, lequel est prevu explicitementpar la Convention relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 etpar l'article 24 de la Charte des droits fondamentaux de l'Unioneuropeenne. Avant l'entree en vigueur de ces conventions, le principe sededuisait dejà de l'article 8 de la C.E.D.H., qui consacre le droit aurespect de la vie privee et familiale. L'article 8 precite n'impose passeulement aux Etats parties une obligation negative de non-ingerence maisleur impose egalement de prendre des mesures positives pour permettre leplein epanouissement de la vie familiale (arret Marckx c/ Belgique du 13juin 1979, req. 6833/74).

Diverses dispositions de la Convention precitee relative aux droits del'enfant imposent egalement aux Etats parties des obligations positivespour permettre à l'enfant de vivre dans toute la mesure du possibleharmonieusement avec ses auteurs :

Article 7 :

« 1. L'enfant a ..., dans la mesure du possible, le droit de connaitreses parents et d'etre eleve par eux . »

Article 8 :

« 1. Les Etats parties s'engagent à respecter le droit de l'enfant depreserver ... ses relations familiales, telles qu'elles sont reconnues parla loi, sans ingerence illegale. »

Article 16 :

« Nul enfant ne fera l'objet d'immixtions arbitraires ou illegales danssa vie privee. »

Article 18 :

« 1. Les Etats parties s'emploient de leur mieux à assurer lareconnaissance du principe selon lequel les deux parents ont uneresponsabilite commune pour ce qui est d'elever l'enfant et d'assurer sondeveloppement. »

Eu egard aux obligations decoulant de l'article 22bis, specialementalineas 3 et 4, de la Constitution et des instruments internationauxprecites, les regles de droit interne relatives aux conditionsd'admissibilite du mariage ne peuvent aboutir à interdire le mariage desauteurs biologique d'un enfant pour le motif que ces auteurs auraientinstrumentalise la conception de l'enfant dans le but d'obtenir desavantages en matiere d'acces au territoire et de sejour.

Independamment des objectifs legitimes ou le cas echeant frauduleuxpoursuivis par les auteurs biologiques de l'enfant, independamment descirconstances qui ont entoure sa conception, celle-ci, la naissance quis'en est suivie, l'existence d'un etre humain innocent des fautes de sesauteurs, sont des faits dont le droit doit tenir compte. L'enfant ne peutetre prive de la possibilite d'epanouissement que pourrait lui procurer lemariage de ses auteurs, sous le pretexte que ceux-ci ont instrumentalisesa conception.

Les articles 146bis et 167 du Code civil doivent s'interpreter dans unsens qui permette de les concilier avec les normes constitutionnelles etinternationales precitees. Il s'en deduit que la conception et lanaissance d'un enfant issu des relations des candidats au mariage nepeuvent etre considerees comme des circonstances sans pertinence pourapprecier l'obligation faite à l'officier de l'etat civil de celebrercette union. En consequence, lorsqu'il est allegue que l'enfant de lacandidate au mariage est issu des oeuvres du candidat au mariage, letribunal auquel il est demande d'ordonner à l'officier de l'etat civil decelebrer cette union doit faire droit à la demande, sauf si l'officier del'etat civil etablit que le candidat n'est pas le pere biologique del'enfant.

En rejetant la demande par laquelle les demandeurs tendaient à faireordonner la mainlevee de la decision de refus de celebrer leur mariageprise par le defendeur et à faire condamner ce dernier à proceder à lacelebration, pour le motif que les demandeurs auraient« instrumentalise » la conception de l'enfant mis au monde par lademanderesse, sans constater qu'il est prouve que le demandeur n'est pasle pere biologique de cet enfant, l'arret attaque a viole les articles146bis et 167 du Code civil, interpretes à la lumiere des dispositions dedroit interne et international consacrant la primaute de l'interet del'enfant et imposant à l'Etat des obligations positives en vue depermettre son epanouissement (violation de toutes les dispositions etprincipes generaux du droit vises en tete du moyens, à l'exception desarticles 142, specialement alinea 2, 3DEG, de la Constitution, 1315 duCode civil, 870 du Code judiciaire et 26, specialement S: 1er, 3DEG, de laloi speciale sur la Cour constitutionnelle du 6 janvier 1989).

Troisieme branche

Dut-on interpreter les articles 146bis et 167 du Code civil commepermettant au juge de refuser la mainlevee de la decision de l'officier del'etat civil de refuser de proceder à la celebration d'un mariage,lorsqu'il est allegue que la candidate au mariage a mis au monde un enfantissu des oeuvres du candidat au mariage et qu'il n'est pas prouve que lecandidat n'est pas le pere biologique de l'enfant, pour le motif que lescandidats auraient instrumentalise la conception de l'enfant aux fins defaire celebrer un mariage n'ayant d'autre but que de procurer au perepretendu des avantages en matiere d'acces et de sejour, encore cesarticles ne pourraient-ils etre appliques parce qu'ils seraient contrairesà l'article 22bis de la Constitution considere isolement ou lu encombinaison avec les normes internationales visees en tete du moyen. Enfaisant application de regles legales contraires à la Constitution et auxnormes de droit international visees en tete du moyen, l'arret a violel'ensemble des dispositions et principes generaux du droit vises en tetedu moyen, à l'exception des articles 146bis, 167 et 1315 du Code civil et870 du Code judiciaire.

Quatrieme branche

Il resulte de la combinaison des articles 146bis et 167 du Code civil etdes regles relatives à la charge de la preuve que l'officier de l'etatcivil a la charge de prouver les conditions qui lui permettent de refuserlegalement de proceder à la celebration d'un mariage. Des lors, si lescandidats au mariage alleguent une circonstance dont il doit resulterqu'il n'y a pas d'obstacle legal au mariage, le juge ne peut refuserd'ordonner la mainlevee de la decision de refus pour le motif que cettecirconstance n'est pas etablie.

Si l'arret doit etre compris comme refusant de faire droit à la demandedes demandeurs parce que ceux-ci ne prouvent pas que le demandeur est lepere biologique de l'enfant de la demanderesse, alors l'arret attaqueviole les articles 146bis et 167 du Code civil, dans les differentesversions visees en tete du moyen, combines avec les regles relatives à lacharge de la preuve, telles qu'elles se deduisent des articles 1315 duCode civil et 870 du Code judiciaire.

Observations

Premiere branche

Sur ce que l'adverbe « manifestement » figurant à l'article 146bis duCode civil a pour objet d'exclure tout doute quant aux intentions reellesdes conjoints, en sorte qu'en cas de doute, la liberte de contractermariage doit prevaloir, voir D. Carre, « Le renforcement des mesures delutte contre les unions de complaisance », Actualites du droit de lafamille, Ub^3, Bruylant, 2015, p. 56, nDEG 18.

Sur ce que l'officier de l'etat civil ne peut refuser de celebrer lemariage de personnes cohabitant effectivement, voir Cass. 2 mai 2014,Pas., nDEG 313, specialement lorsque ces personnes se sont engagees dansun processus de procreation medicalement assistee, voir Cass. 8 fevrier2008, Pas., nDEG 97.

Deuxieme et troisieme branches

Sur l'obligation pour le legislateur belge de respecter les obligationsqui decoulent de la Convention relative aux droits de l'enfant signee àNew York le 20 novembre 1989, voyez notamment arret 30/2013 de la Courconstitutionnelle du 7 mars 2013.

Par ce moyen et ces considerations,

L'avocat à la Cour de cassation soussignee, pour les demandeurs, conclutqu'il vous plaise, Messieurs, Mesdames, casser l'arret attaque; ordonnerque mention de votre decision soit faite en marge de la decision annulee ;renvoyer la cause et les parties devant une autre cour d'appel ; depenscomme de droit.

Subsidiairement, avant de statuer sur la troisieme branche du moyen,soumettre à la Cour constitutionnelle la question prejudiciellesuivante :

Interpretee dans le sens qu'ils permettent au juge de refuser la mainleveede la decision de l'officier de l'etat civil de refuser de proceder à lacelebration d'un mariage, lorsqu'il est allegue que la candidate aumariage a mis au monde un enfant issu des oeuvres du candidat au mariageet qu'il n'est pas prouve que le candidat n'est pas le pere biologique del'enfant, pour le motif que les candidats auraient instrumentalise laconception de l'enfant aux fins de faire celebrer un mariage n'ayantd'autre but que de procurer au pere pretendu des avantages en matiered'acces et de sejour, les articles 146bis et 167, alinea 1er, du Codecivil violent-ils les articles 22 et 22bis de la Constitution, lusisolement ou en combinaison avec les articles 8.1 et 12 de la Conventionde sauvegarde des droits de l'homme et des libertes fondamentales signeeà Rome le 4 novembre 1950, 7, 9 et 24 de la Charte des droitsfondamentaux de l'Union europeenne du 7 decembre 2000, adaptee le 12decembre 2007, et 3, 7, 8, 16 et 18 de la Convention relative aux droitsde l'enfant, signee à New York le 20 novembre 1989 ?

Bruxelles, le 14 septembre 2015

Simone Nudelholc

8 septembre 2016 C.15.0385.F/6

Requete/15


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.15.0385.F
Date de la décision : 08/09/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 06/10/2016
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2016-09-08;c.15.0385.f ?
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