Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.15.0221.F
M. T.,
demanderesse en cassation,
representee par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour de cassation,dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee, 9, ou il estfait election de domicile,
contre
1. M. L.,
2. H. T. et
3. G. L.,
defendeurs en cassation,
representes par Maitre Pierre Van Ommeslaghe, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise, 106, ouil est fait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre le jugement rendu le 27 novembre2012 par le tribunal de premiere instance d'Arlon, statuant en degred'appel.
Le conseiller Sabine Geubel a fait rapport.
L'avocat general Thierry Werquin a conclu.
II. Le moyen de cassation
Dans la requete en cassation, jointe au present arret en copie certifieeconforme, la demanderesse presente un moyen.
III. La decision de la Cour
Sur le moyen :
Dans la mesure ou, pris de la violation de l'article 1371bis du Codejudiciaire, il ne precise pas en quoi le jugement attaque violerait cettedisposition legale, le moyen est irrecevable.
Pour le surplus, l'article 682, S: 1er, du Code civil dispose que leproprietaire dont le fonds est enclave parce qu'il n'a aucune issue ouqu'il n'a qu'une issue insuffisante sur la voie publique, qui ne peut etreamenagee sans frais ou inconvenients excessifs, peut reclamer un passagesur le fonds de ses voisins pour l'utilisation normale de sa proprieted'apres sa destination, moyennant paiement d'une indemnite proportionneeau dommage qu'il peut occasionner.
Cette disposition legale tient compte, pour definir l'etat d'enclave dufonds, de l'utilisation normale de la parcelle d'apres sa destination, ycompris toute mise en valeur economique que permet la destination de cefonds.
Elle ne requiert pas que le proprietaire qui projette d'affecter son fondsà la batisse ait l'intention d'y faire eriger lui-meme une construction.
Dans la mesure ou il est recevable, le moyen, qui soutient le contraire,manque en droit.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux depens.
Les depens taxes à la somme de mille cent nonante-cinq eurossoixante-trois centimes envers la partie demanderesse.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Christian Storck, le conseiller DidierBatsele, les presidents de section Albert Fettweis et Martine Regout et leconseiller Sabine Geubel, et prononce en audience publique du huitseptembre deux mille seize par le president de section Christian Storck,en presence de l'avocat general Thierry Werquin, avec l'assistance dugreffier Patricia De Wadripont.
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| P. De Wadripont | S. Geubel | M. Regout |
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| A. Fettweis | D. Batsele | Chr. Storck |
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Requete
Requete en cassation
Pour
T. M.,
demanderesse en cassation,
assistee et representee par Me Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour decassation soussigne, dont le cabinet est etabli à 6000 Charleroi, rue del'Athenee, 9, ou il est elu domicile.
Contre
L. M.,
T. H.,
L. G.,
tous trois tant en nom personnel qu'en leur qualite d'heritiers de L. M.,
defendeurs en cassation.
A Messieurs les premier president et president, Mesdames et Messieurs lesconseillers qui composent la Cour de cassation,
Messieurs,
Mesdames,
La demanderesse a l'honneur de soumettre à votre censure le jugementcontradictoirement rendu entre parties le 27 novembre 2012 par la deuxiemechambre du tribunal de premiere instance d'Arlon (role general 11 600 A).
Les faits de la cause et les antecedents de la procedure, tels qu'ilsresultent des pieces auxquelles votre Cour peut avoir egard, se resumentcomme suit.
Les consorts L. sont usufruitier et nus-proprietaires d'une parcelle deterrain cadastree commune de M., deuxieme division de M., 1978 B. Lademanderesse est proprietaire d'une parcelle voisine cadastree (memecommune et meme division) 1977 L.
Par citation du 4 juin 2009 donnee contre la demanderesse, les consorts L.ont demande que leur soit reconnu un droit de passage sur le fonds de lademanderesse consistant en a) une « servitude en sous-sol pour lesreseaux d'eau, d'egout et d'electricite » et b) une « servitude depassage en surface d'une largeur à determiner (4 metres) » pourpermettre un acces pietons et voitures.
Le juge de paix de Virton, saisi de l'action, apres un premier jugementinterlocutoire rendu le 4 mars 2010 ordonnant une vue des lieux, laquelles'est tenue en presence des parties le 24 mars 2010, a, par jugement du 21fevrier 2011, deboute les consorts L. et les a condamnes aux depens.
Sur leur appel, apres un premier jugement interlocutoire, par le jugementattaque, le tribunal fait droit à leur demande sur le principe. Par desjugements ulterieurs, rendus les 25 mars 2014 et 20 janvier 2015, ildelimitera l'assiette de la servitude de passage ainsi que ses modalitesd'exercice et fixera à 2.280,00 euros « le montant de l'indemnite àpayer » par eux à la demanderesse, laquelle est condamnee aux depens desdeux instances.
En cours d'instance d'appel (avant le prononce du jugement attaque), L.M., demandeur initial au fond au cote de la premiere defenderesse, estdecede et l'instance a ete reprise par ses heritiers, les defendeurs, lapremiere defenderesse etant à la cause des l'origine.
A l'encontre du jugement attaque, la demanderesse croit pouvoir vousproposer le moyen unique de cassation suivant.
Moyen unique de cassation
Dispositions legales violees
Article 682, specialement S: 1er, du Code civil ;
article 1371bis du Code judiciaire.
Decision attaquee et motifs critiques
Apres avoir constate que les defendeurs sont usufruitier etnus-proprietaires d'un terrain situe à M., deuxieme division M., cadastre1978 B, qu'ils ont poursuivi une procedure (initialement engagee parl'auteur des defendeurs et la premiere defenderesse) devant le juge depaix de Virton à l'encontre de la demanderesse « en vue d'obtenir undroit de passage à charge de l'immeuble de celle-ci, situe au meme lieu,cadastre 1977 L », et qu'une « demande de certificat d'urbanisme nDEG 2relative à la parcelle 1978 B [la parcelle des defendeurs] avait en effetete introduite, cette parcelle etant situee pour partie dans une zoned'habitat à caractere rural et pour partie en zone agricole », lejugement attaque, statuant apres un premier jugement interlocutoire rendupar le meme tribunal le 22 mai 2012, reformant le jugement entrepris rendupar le juge de paix de Virton le 4 mars 2010, decide :
« Dit l'appel fondse en ce que la parcelle des (defendeurs) sise à M.,2eme division M., cadastree 1978 B ne dispose actuellement d'aucune issuesuffisante sur la voie publique pour son utilisation normale, est enclaveeet peut beneficier d'une servitude de passage sur et en sous-sol, àcharge de l'immeuble appartenant à (la demanderesse), situe à M., 2emedivision M., cadastree 1977 L. »
Et le tribunal ordonne la reouverture des debats « pour permettre auxparties de s'expliquer autant sur la localisation et l'importance del'assiette du passage que sur l'indemnisation liee à ce passage(questions sur lesquelles le tribunal statuera par deux jugements rendusen prosecution de cause les 25 mars 2004 et 20 janvier 2005) ».
Le tribunal fonde notamment sa decision sur les motifs suivants (termessoulignes par la demanderesse) attaques par la demanderesse :
« Une demande de certificat d'urbanisme nDEG 2 relative à la parcelle1978 B avait en effet ete introduite, cette parcelle etant situee pourpartie dans une zone d'habitat à caractere rural et pour partie en zoneagricole.
Le certificat avait ete refuse, le college communal precisant que lesreseaux d'eau, d'egouts, d'electricite etaient separes de la parcelle enquestion par un terrain prive, et qu'aucun document autorisant le passagen'etait produit.
Apres qu'une tentative de conciliation ait echoue, les (defendeurs)entendaient donc obtenir à charge de la parcelle de (la demanderesse)cadastree 1977 L une servitude en sous-sol pour les reseaux d'eau,d'egouts et d'electricite, ainsi qu'une servitude de passage en surfaced'une largeur à determiner, pour permettre un acces aux pietons et auxvoitures.
Dans sa decision dont appel, Monsieur le juge de paix a estime que lefonds des (defendeurs) ne pouvait etre qualifie d'enclave que dansl'hypothese ou il etait considere comme terrain à batir, mais pas auregard de sa destination actuelle. Le premier juge a donc rejete lademande originaire. »
(...)
L'article 682 S: 1 in fine du Code civil dispose (...) que le proprietairedont le fonds est enclave parce qu'il n'a aucune issue ou qu'il n'a qu'uneissue insuffisante sur la voie publique qui ne peut etre amenagee sansfrais ou inconvenients excessifs, peut reclamer un passage sur le fonds deses voisins pour l'utilisation normale de sa propriete d'apres sadestination, moyennant paiement d'une indemnite proportionnee au dommagequ'il peut occasionner.
La question posee ainsi celle de l'existence eventuelle d'une enclave, euegard à la destination du bien, soit sa destination initiale, soit sadestination future.
Invoquant un arret de la Cour de cassation prononce le 12 mars 1981, (lademanderesse) considere que ne peut etre prise en compte que ladestination initiale, et non la situation actuelle, encore moins donc unedestination future.
Les (defendeurs) quant à eux estiment que la notion d'enclave se definitpar rapport à la destination du bien et à l'usage qui peut en etre fait,invoquant donc une destination future du bien, en l'occurrence celle derecevoir une habitation.
(La demanderesse) conteste la volonte des (defendeurs) de construire unimmeuble sur leur terrain, malgre le certificat d'urbanisme demande, leurpretant le calcul de valoriser cette parcelle pour la vendre. (Lademanderesse) conteste la volonte des (defendeurs) de construire unimmeuble sur leur terrain, malgre le certificat d'urbanisme demande, leurpretant le calcul de valoriser cette parcelle pour la vendre. (Lademanderesse) ajoute à ce sujet que ce n'est qu'une petite partie de laparcelle, de l'ordre de 9 ares, qui est `en zone lui conferant uneaffectation potentielle à l'habitat à caractere rural' et que parailleurs la totalite de la parcelle possede actuellement une destinationagricole.
A cet egard, les (defendeurs) produisent un rapport d'evaluation etablipar le geometre F. S. date du 29 mars 2010, auquel est joint un plan desituation. Ce plan trace dans la parcelle des (defendeurs) la limite,parallele à la chaussee, qui separe la zone d'habitat de la zoneagricole. Ledit plan contient le contour d'une habitation, dans la zoned'habitat.
Ce plan a du etre joint à la demande de certificat d'urbanisme, puisquedans la decision de refus de ce certificat, il est renseigne que le planpropose mentionne un chemin de desserte situe en arriere zone, aboutissantà une voirie communale non equipee. Le plan de situation du geometre S.reprend en effet ce `chemin de desserte', partant du plan d'habitationprojete en direction de l'est, jusqu'à une voirie communale.
Il convient egalement de relever les motifs du refus du permisd'urbanisme :
* selon le fonctionnaire delegue, la propriete est enclavee par rapportà la voirie à laquelle la zone batissable doit se referer, et il esthors de question de creer un chemin traversant toute la longueur de laparcelle ; la zone batissable ne dispose pas d'un acces direct à unevoirie equipee ;
* selon le college communal, le projet prevoit un chemin d'acces de plusde 100 metres, dont 80 en zone agricole, l'acces au batiment (fac,adeavant, portes d'entree et garage) est oriente à l'est alors que lavoirie est equipee à l'ouest ; les reseaux d'eau, d'egout etd'electricite, ainsi que la parcelle concernee sont separes par unterrain prive, sans qu'aucune servitude de passage soit presentee, cedefaut d'accord entrainant un avis defavorable pour le projet.
Selon (la demanderesse) encore, la parcelle des (defendeurs) n'est pasenclavee parce qu'elle aboutit à une voirie communale sur toute salargeur, ce qui permet son exploitation conforme à son affectationagricole actuelle. Or precisement, la decision de refus du certificatd'urbanisme indique tout le contraire.
Cette objection de (la demanderesse) ne peut en tout etat de cause etreprise en compte que dans le cadre de la question posee plus haut, soitcelle de la destination qu'il y a lieu d'attribuer à la parcelleconcernee pour la qualifier d'enclavee ou non.
A cet egard, il faut relever que les (defendeurs) ont introduit unedemande de certificat d'urbanisme pour leur parcelle, le 11 fevrier 2008.
Et il resulte clairement du texte de la decision de l'autoriteadministrative que le refus de delivrance de ce permis est lie au fait quela parcelle des (defendeurs) 1978 B, pour ce qui concerne sa partie enzone d'habitat, n'a pas acces à la voie publique et aux equipementsclassiques de raccordement aux egouts, à l'eau et à l'electricite, saufvers le sud, soit par la parcelle 1977 L de (la demanderesse) qui separecelle des (defendeurs) de la chaussee.
Le principe du droit de passage sur le fonds d'autrui a ete consacre parceque l'interet general exige que tous les immeubles soient utilises aumieux de leurs possibilites (...). Selon l'article 682 S: 1 du Code civil,c'est pour l'utilisation normale de sa propriete d'apres sa destination,que le proprietaire dont le fonds est enclave peut reclamer un passage surle fonds voisin. Les fonds ne peuvent etre condamnes à une sorted''immobilisme economique' (...).
Ainsi, pour apprecier en l'espece l'etat d'enclave du bien concerne, ilfaut tenir compte de sa situation actuelle mais egalement de sa situationfuture, qui est celle de recevoir une habitation.
A cet egard importe donc peu que les (defendeurs) aient l'intention deconstruire eux-memes une maison sur leur parcelle ou de vendre cetteparcelle comme terrain à batir.
A defaut de disposer actuellement d'une issue suffisante vers la voiepublique, dans la perspective de la construction d'une habitation sur leurparcelle 1978 B, il faut considerer que cette parcelle est enclavee.L'article 682 S: 1 du Code civil tenant compte, tant pour definir l'etatd'enclave d'un fonds que pour apprecier le droit au passage sur ce ou cefonds de toute mise en valeur economique permise par la destination dufonds (...). »
Le jugement interlocutoire du 22 mai 2002 avait dejà releve :
« Les (consorts L.) ont introduit une demande de certificat d'urbanismenumero 2 (...). Cependant, le fonctionnaire delegue a rendu un avisdefavorable compte tenu, notamment, de ce que :
* la partie constructible ne pourra se faire que par un chemin dedesserte situe en arriere zone et (qui) aboutit à une voiriecommunale non equipee et que ce chemin d'acces de plus de 100 metrestraverse 80 metres en zone agricole ;
* les reseaux d'eau, d'egout et d'electricite et la parcelle concerneesont separes par un terrain prive et qu'aucun document autorisant uneservitude de passage n'est transmis au dossier, que sans cet accord leprojet ne peut aboutir à un avis favorable ;
* qu'au stade actuel, le projet est incoherent notamment du point de vuedes equipements, implantation et accessibilite au bien.
Le college des bourgmestre et echevins a egalement rendu un avisdefavorable considerant que la propriete concernee est enclavee parrapport à la voirie à laquelle la zone batissable doit se referer, qu'ilest hors de question de creer un chemin traversant tout la longueur de laparcelle dans la mesure ou cela destructure l'espace et compromet ladestination de la zone de cour et jardin, et que de ces observations, ilressort que la zone batissable ne dispose pas d'un acces direct à unevoirie equipee.
Le premier juge a ordonne une vue des lieux et indique que le terrainlitigieux est situe en zone d'habitat à caractere rural et pour partie enzone agricole (...).
Le premier juge a considere que le fonds des (defendeurs) n'est pasenclave puisque le chemin situe à l'arriere permet son exploitation etque les (defendeurs) souhaitent transformer cette parcelle en terrain àbatir en annexant en quelque sorte la parcelle de la (demanderesse) afind'obtenir un passage à l'avant et l'autorisation de construire ce quidonnera une nouvelle destination à leur bien.
Le premier juge considere que la propriete des (defendeurs) estrelativement enclavee si l'on veut en faire un terrain à batir mais quepour que son utilisation normale d'apres sa destination actuelle, elledispose d'une issue suffisante de sorte que la demande est non fondee. »
Griefs allegues
Le proprietaire dont le fonds est enclave peut reclamer un passage sur lefonds de ses voisins pour l'utilisation normale de sa propriete d'apres sadestination.
Et, pour definir l'etat d'enclave d'un fonds et apprecier le droit aupassage du proprietaire de ce fonds sur un autre fonds, il faut tenircompte de toute mise en valeur economique du fonds.
Le proprietaire d'un fonds enclave est en droit de modifier l'exploitationinitiale du fonds, meme si cette modification accroit les besoins lies àcette exploitation et, en consequence, oblige à apprecier differemmentl'etat d'enclave du fonds et le droit au passage de son proprietaire surun fonds voisin.
Il s'ensuit qu'un fonds affecte à une exploitation agricole peut, par lavolonte de son proprietaire, recevoir une habitation (pour autant que lalegislation relative à l'urbanisme et à l'amenagement du territoire lepermette), avec cette consequence que le fonds, qui n'etait pas enclave euegard à sa destination initiale, le devient en raison des exigencesaccrues d'acces à une propriete batie.
Encore faut-il, pour qu'une telle modification de l'exploitation du fondsconduise à reconnaitre son etat d'enclave, qui n'existait pas comme telinitialement, et, en consequence, le droit du proprietaire du fonds aupassage sur un fonds voisin, que cette modification soit acquise ou, entout cas, projetee par le proprietaire du fonds dont l'intention est biende construire une construction sur son fonds.
Une telle consequence ne saurait se deduire d'une intention seulementeventuelle du proprietaire du fonds dominant d'en modifier la destinationet, singulierement, sans qu'il ait lui-meme projete de construire sur lefonds mais envisage, sans plus, de vendre ce fonds comme terrain à batir,l'etat d'enclave reconnu et le droit de passage sur le fonds voisin acquisconferant au fonds une plus-value.
Or il se deduit des motifs reproduits du jugement que la demanderesseavait « contest(e) la volonte des (defendeurs) de construire un immeublesur leur terrain, malgre le certificat d'urbanisme demande, leur pretantle calcul de valoriser cette parcelle pour la vendre ».
Et le jugement n'ecarte pas cette hypothese - n'excluant pas quel'intention des defendeurs ne soit pas de construire un immeuble sur lefonds mais, sans plus, de le ceder comme terrain à batir - et decideneanmoins, apres avoir rappele que, « pour apprecier en l'espece l'etatd'enclave du bien concerne, il faut tenir compte de sa situation actuelle,mais egalement de sa situation future, qui est celle de recevoir unehabitation », qu'il « importe (...) peu que les (defendeurs) aientl'intention de construire eux-memes une maison sur leur parcelle ou devendre cette parcelle comme terrain à batir ».
Le tribunal ne justifie donc pas legalement sa decision.
Developpement
Le jugement releve :
« La question posee ainsi celle de l'existence eventuelle d'une enclave,eu egard à la destination du bien, soit sa destination initiale, soit sadestination future. » (termes soulignes par la demanderesse)
Et de se referer à l'evolution, sur cette question, de la jurisprudencede votre Cour.
Il est vrai que, dans un premier arret du 12 mars 1981, votre Cour avaitdecide, comme le releve expressement le jugement, s'agissant de seprononcer sur l'etat d'enclave d'un fonds, « que ne peut etre prise encompte que la destination initiale, et non la destination actuelle, encoremoins donc une destination future ».
Mais l'arret - dont le jugement s'inspire - de votre Cour du 14 octobre2010 (role general C 09 0032 F) parait etre revenu sur cettejurisprudence.
Dans cet arret, votre Cour rappelle d'abord - et, dans cette formulationtres generale, cette consideration est conforme à sa jurisprudencetraditionnelle - que tout « proprietaire dont le fonds est enclave (...)peut reclamer un passage sur le fonds de ses voisins pour l'utilisationnormale de sa propriete d'apres sa destination (...) ». (termes soulignespar la demanderesse)
Mais votre Cour ajoute aussitot : « Cette disposition legale tientcompte, tant pour definir l'etat d'enclave d'un fonds que pour apprecierle droit au passage sur ou sous ce fonds, de toute mise en valeureconomique que permet la destination du fonds. » (il semble qu'il fautlire : « pour apprecier le droit au passage sur ou sous [le fondsservant] »)
Ces attendus peuvent etre lus au regard des conclusions de l'avocatgeneral Th. Werquin.
La demanderesse reproduit ci-apres quelques extraits, qui paraissentessentiels, de l'avis de l'avocat general :
« L'interet general exige que tous les immeubles soient utilises d'unemaniere aussi complete que possible. Un fonds ne peut etre reduit àl'inertie et se voir pratiquement prive de toute finalite economique pourla raison qu'il serait fortuitement depourvu d'acces à la voie publique(...).
La ratio legis du droit de passage legal pour cause d'enclave reside dansle souci de ne pas laisser des terres inexploitees, ou en d'autres termes,de preserver un fonds enclave de l'improductivite economique (...).
La collectivite demande que l'exploitation de toutes les terres soitassuree : sa prosperite en depend. Or, la premiere condition de touteexploitation est la presence meme de l'homme ; et s'il se trouve des fondsqui rendent sa terre inaccessible, il faut qu'il puisse les traverser,sauf à indemniser celui qui pourrait en souffrir. Le droit de passagerepond à une necessite economique. (...)
(...)
Les auteurs sont quasi unanimes pour affirmer que le passage doit etreadapte en cas de modification de la destination du fonds dominant et pouradmettre que le proprietaire d'un fonds enclave est libre d'accroitre lesbesoins de son fonds en modifiant le genre d'exploitation primitif. Leproprietaire du fonds dominant peut librement modifier son exploitation,par exemple ouvrir une carriere dans un terrain exploite jusque-là commepature, et requerir l'issue indispensable en raison de la nouvelledestination donnee au fonds. (...)
(...)
Le mot `destination' designe à la fois une notion concrete,`l'utilisation', ce à quoi le bien est utilise à un moment donne, et unenotion abstraite, `la vocation', c'est-à-dire toute utilisation dont lebien est susceptible.
Respecter la volonte affirmee dans les travaux preparatoires et la ratiolegis de l'article 682 impliquent de reconnaitre au proprietaire enclaveun acces suffisant pour toute utilisation normale de son bien, pour autantque cette utilisation se situe dans le cadre d'un type de mise en oeuvreou d'affectation actuel et projete du fonds, compatible avec sa vocation,c'est-à-dire avec toute mise en oeuvre ou affectation dont le fonds estsusceptible.
(...)
A cet egard, l'amenagement du territoire defini comme l'expressionspatiale des politiques economique, sociale, culturelle et ecologique dela societe, qui a pour but d'eviter une occupation anarchique des sols etqui est organise par des plans d'amenagement dont la fonction principaleest de preciser les affectations qui peuvent etre donnees à chaqueparcelle du territoire, doit etre pris en consideration pour apprecier ladestination d'un fonds (...). »
Et l'avocat general de relever que l'arret du 12 mars 1981, cite plushaut, parait en sens contraire. Mais que la jurisprudence consacree parcet arret doit etre abandonnee - ce que decidera votre Cour.
L'ouvrage classique de J. Hansenne (Les biens, Fac. dr. Liege, 1996, t.II, nos 1186 et s.) est plus reserve que l'arret cite - de quatorze ansposterieur - de votre Cour, mais contient en germe l'evolution qu'ilconsacre.
Dans leur chronique de jurisprudence (Les biens, [1989 à 1998], R.C.J.B.,2000, spec. nDEG 203, p. 454), anterieure elle aussi à l'arret du 29 mars2010, N. Verheyden-Jeanmart et Ph. Coppens ecrivent dejà : « L'etatd'enclave doit (...) s'interpreter dans une perspective de dynamismeeconomique. »
La demanderesse a cependant fait etat dans ses conclusions du 24 novembre2011, precedant les jugements des 22 mai 2012 et 27 novembre 2012 : « Que(la demanderesse) tient à preciser que les (defendeurs) n'ont en realiteaucune volonte de construire un immeuble, leur objectif etant seulement devaloriser leur parcelle pour la vendre (ce qu'ils ne contestaientd'ailleurs pas dans leurs conclusions en reponse datees du 14 octobre 2009[devant le juge de paix]) en permettant à leur acheteur d'en changerl'affectation (...). »
Elle soutenait ainsi que la demande de permis d'urbanisme etait« bidon ». Au demeurant que le college communal avait lui-meme juge,selon le jugement interlocutoire du 22 mai 2012, « incoherent » leprojet qui etait à la base de cette demande.
Le tribunal repond à ce moyen de defense en rappelant la jurisprudencenouvelle de l'arret de votre Cour (termes soulignes par la demanderesse) :
« Ainsi, pour apprecier en l'espece l'etat d'enclave du bien concerne, ilfaut tenir compte de sa situation actuelle, mais egalement de sa situationfuture qui est celle de recevoir une habitation. A cet egard importe doncpeu que les (consorts L.) aient l'intention de construire eux-memes unemaison sur leur parcelle ou de vendre cette parcelle comme terrain àbatir. »
Mais il ne s'agit plus ici, pour les defendeurs, de revendiquer uneservitude pour permettre un acces suffisant à leur bien - etant entenduqu'ils se proposent de construire - mais, en quelque sorte, de« valoriser » ce bien dans la perspective de sa vente comme terrain àbatir.
Le jugement ne met pas en cause la sincerite de la demande de permisd'urbanisme en tant que telle. Mais le passage souligne de l'attendureproduit ci-avant indique que le tribunal n'exclut pas que cette demandede permis ne soit justifiee que par la seule perspective d'une vente àmeilleur prix du bien.
Votre Cour est autorisee, sur le fondement de ce motif qui est unsoutenement de la decision, à verifier si le jugement est legalementjustifie.
En d'autres termes, dato non concesso, le tribunal tient pour acquis qu'iln'y a pas hic et nunc affectation, par les consorts L., de leur fondss (àtout le moins pour partie) comme terrain à batir - ce que leur permet sonclassement en zone d'habitat agricole - mais seulement perspective devente du bien.
Ceci ne justifie pas legalement que l'enclave sollicitee leur soitreconnue.
Cette conclusion peut se deduire des conclusions de l'avocat general Th.Werquin precedant l'arret de la Cour de cassation du 14 octobre 2010 (voy.ci-avant).
L'avocat general a ecrit en outre dans des passages non reproduits plushaut (termes soulignes par la demanderesse) :
« Le proprietaire d'un fonds enclave peut reclamer un passage sur lefonds de ses voisins meme lorsque l'insuffisance de l'issue sur la voiepublique resulte d'une mise en valeur par lui de sa propriete (...).
(...)
L'attribution de ce droit est neanmoins subordonnee à la condition que lefonds soit utilise normalement d'apres sa destination (...), existante,projetee ou eventuelle, (...).
(...)
L'attribution du passage peut etre refusee à un proprietaire qui atransforme la destination de son fonds lorsqu'il reclame une assiette depassage qui presente un avantage disproportionne (...). »
Precedemment dans ses conclusions, l'avocat general avait releve qu'iln'est pas possible « de reconnaitre toute possibilite (termes soulignespar la demanderesse) de mutation dans la destination » d'un fonds.
Or c'est bien d'une possibilite qu'il s'agirait, s'il faut considerer queles defendeurs - hypothese que n'ecarte pas le tribunal - n'avaient pasl'intention de construire mais, simplement, de vendre leur bien commeterrain constructible.
Dans l'etude dejà citee, N. Verheyden-Jeanmart et Ph. Coppens (op. cit.,nDEG 203, p. 456 in fine) relevent qu'une simple intention d'exploitationd'un fonds n'est pas de nature à justifier une demande de droit depassage si ce fonds est enclave. J. Hansenne (op. cit., nDEG 187, p. 1202)parait d'un avis contraire, sans etre clair cependant. En realite, cesauteurs rappellent que le droit de servitude legale est imprescriptible.Sans doute, mais ceci ne signifie pas qu'il peut etre revendique dans uneperspective purement eventuelle.
La demanderesse croit des lors pouvoir soutenir que la decision n'est paslegalement justifiee.
La cassation du jugement du 27 novembre 2012 entrainerait, par voie deconsequence, annulation des jugements subsequents statuant sur l'assiettedu passage et l'indemnite accordee, qui en sont la suite necessaire etdeviendraient des lors sans objet.
PAR CES CONSIDERATIONS,
L'avocat à la Cour de cassation soussigne vous prie, Messieurs, Mesdames,casser le jugement attaque, ordonner que mention de votre decision serainscrite en marge du jugement casse, renvoyer la cause et les partiesdevant un autre tribunal de premiere instance siegeant en degre d'appel,annuler, en consequence, les jugement subsequents rendus en prosecution decause, par le tribunal, les 25 mars 2014 et 20 janvier 2015 et statuercomme de droit sur les depens.
Charleroi, le 4 oktober 2016
Annexe :
1. Exploit de signification du jugement attaque à la requete desdefendeurs contenant election de domicile des defendeurs.
Franc,ois T'Kint
Avocat à la Cour de cassation
8 SEPTEMBRE 2016 C.15.0221.F/1
Requete/20