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06/09/2016 | BELGIQUE | N°P.15.0614.N

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 06 septembre 2016, P.15.0614.N


Cour de cassation de Belgique

Arrêt

N° P.15.0614.N

1. L. B.,

2. ANTROPOLOGIE STUDYCENTER OF AMAZON FOREST, association sans butlucratif,

prévenus,

demandeurs en cassation,

Me Joachim Meese, avocat au barreau de Gand.

I. la procédure devant la cour

Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 31 mars 2015 par lacour d'appel de Gand, chambre correctionnelle.

Les demandeurs invoquent un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt,en copie certifiée conforme.

Les demandeurs déclarent se désister de

leur pourvoi, en tant qu'ils sontdirigés contre les décisions les ayant déchargés des circonstancesaggravantes qui pesaient su...

Cour de cassation de Belgique

Arrêt

N° P.15.0614.N

1. L. B.,

2. ANTROPOLOGIE STUDYCENTER OF AMAZON FOREST, association sans butlucratif,

prévenus,

demandeurs en cassation,

Me Joachim Meese, avocat au barreau de Gand.

I. la procédure devant la cour

Les pourvois sont dirigés contre un arrêt rendu le 31 mars 2015 par lacour d'appel de Gand, chambre correctionnelle.

Les demandeurs invoquent un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt,en copie certifiée conforme.

Les demandeurs déclarent se désister de leur pourvoi, en tant qu'ils sontdirigés contre les décisions les ayant déchargés des circonstancesaggravantes qui pesaient sur eux.

Le conseiller Erwin Francis a fait rapport.

L'avocat général Marc Timperman a conclu. 

II. la décision de la cour

Sur le moyen :

Quant à la troisième branche :

1. Le moyen, en cette branche, invoque la violation des articles 9.2 dela Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertésfondamentales, 18.3 du Pacte international relatif aux droits civils etpolitiques, 19 de la Constitution, 1, 2bis, § 1^er, § 4, b et § 5, 4, §1^er, § 4 et § 6, 5 et 6 de la loi concernant le trafic des substancesvénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, psychotropes, désinfectantes ouantiseptiques, et 1, 2, §1^er, a, 25, 26, § 1^er, 31, § 1^er, 40bis et 45,§§ 1 et 2, 3°, de l'arrêté royal du 22 janvier 1998 réglementant certainessubstances psychotropes, et relatif à la réduction des risques et à l'avisthérapeutique : l'arrêt, lu en ce sens qu'il décide qu'il s'impose desanctionner les demandeurs du chef des faits mis à leur charge dans lamesure où le principe de proportionnalité est respecté, même si la libertédes cultes est compromise de cette manière, plus précisément en tant qu'ildécide que les dispositions d'interdiction de la loi du 24 février 1921concernant le trafic de stupéfiants concernent une restriction qui, enl'espèce, eu égard à la santé publique, ne peut être considérée commeétant disproportionnée par rapport au droit des demandeurs à manifesterleur religion individuellement ou collectivement, viole les articles 9, §2, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertésfondamentales et 18, § 3, du Pacte international relatif aux droits civilset politiques ; il ne peut être conclu à pareille proportionnalité quelorsqu'il est question d'une atteinte grave à la santé publique en ce quetant la nature du phénomène médical que l'éventuelle étendue de sadiffusion ont pour conséquence qu'ils provoquent ou peuvent provoquer degraves inconvénients ou charges dans la vie en communauté ou pour lasociété ; l'arrêt ne constate pas et les éléments qu'il comporte nepermettent pas de conclure que l'utilisation du thé ayahuasca souscontrôle présente un tel danger ; la cour d'appel méconnaît laproportionnalité requise pour priver du droit de pratiquer librement lareligion, à défaut d'une constatation légale qu'il y a péril pour la santépublique.

2. L'article 9, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l'hommeet des libertés fondamentales dispose : « La liberté de manifester sareligion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictionsque celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires,dans une société démocratique, à la sécurité publique, à laprotection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à laprotection des droits et libertés d'autrui. » L'article 18, § 3, du Pacteinternational relatif aux droits civils et politiques a la même portée.

L'article 19 de la Constitution dispose : « La liberté des cultes, cellede leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinionsen toute matière, sont garanties, sauf la répression des délits commis àl'occasion de l'usage de ces libertés. »

3. Ni l'article 9.2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'hommeet des libertés fondamentales, tel qu'interprété par la Cour européennedes droits de l'homme, ni l'article 18.3 du Pacte international relatifaux droits civils et politiques, n'impliquent une interdiction derestreindre la liberté des cultes en soumettant des comportements liés àla manifestation d'un culte à l'application de dispositions pénales, dansla mesure où les mesures restrictives sont proportionnelles à l'objectifvisé tel qu'il est prévu auxdits articles. L'article 19 de la Constitutionn'implique pas davantage une telle interdiction.

4. L'arrêt décide :

- « L'ayahuasca contient ainsi la DMT qui est une substance interditereprise dans le Tableau I de la Convention sur les substancespsychotropes, faite à Vienne le 21 février 1971 et approuvée par la loi du25 juin 1992 (M.B. 21 mars 1996). La Convention prévoit de surcroit lesconditions les plus sévères à l'égard des parties signataires en ce quiconcerne notamment l'interdiction d'utiliser, de détenir ou d'importer lessubstances du Tableau I (voir notamment les articles 7, 11 et 12) ;

- Le rapport bisannuel du Centre d'information et d'avis sur lesorganisations sectaires nuisibles. (CIAOSN) 2009-2010 […] révèle deseffets néfastes parmi lesquels l'élévation de la pression artérielle, dela fréquence cardiaque, de la fréquence ventilatoire et de la températurecorporelle, la mydriase (augmentation de la dilatation de la pupille),l'augmentation du taux d'hormonémie de cortisol,… Des effetssomatiques-dysphoriques sont également rapportés, les plus communs étantune modification des sensations physiques et des nausées, diarrhées. »

- « Le rapport d'expertise du Professeur Dr F. De Wolf […] indique que lecomportement sous l'influence d'un hallucinogène peut être imprévisible.Outre les effets indésirables relativement modérés tels que leshaut-le-cœur et les vomissements, il faut tenir compte de la possibilitéque des symptômes plus graves de toxicité (aiguë) puissent apparaître :élévation de la pression artérielle et de la température corporelle,accélération du rythme cardiaque et de la respiration, perturbations de lamotricité dans les membres et démarche incertaine. »

- « Il y a une interaction dangereuse entre l'utilisation d'ayahuascacombinée à d'autres substances psychotropes, parmi lesquelles l'alcool etles médicaments, particulièrement les antidépresseurs, ce qui peutentraîner un syndrome sérotoninergique aux conséquences graves, voiremortelles. »

- « Le premier juge a fait référence, à bon droit, à l'avis de l'Académieroyale de Médecine de Belgique qui souligne la toxicité potentielle (etréelle dans certains cas décrits dans la littérature) des préparations àbase d'ayahuasca. »

- « Le fait que chaque participant au rituel soit soumis auparavant à unentretien préliminaire au cours duquel une liste de questions estparcourue concernant l'état de santé de chaque participant n'offre pas unegarantie suffisante. Ces informations ne sont pas vérifiées par desmédecins, de sorte qu'aucun contrôle n'est exercé pour savoir si cesdonnées correspondent ou non à la réalité. Les personnes qui assurentl'entretien ne sont absolument pas formées (d'un point de vue médical)pour détecter ce genre de problèmes. Les entretiens préliminaires sedéroulent parfois dans un café. Le fait que des numéros de téléphones demédecins soient disponibles ne résoudra pas le problème. Cet entretienn'empêche par ailleurs nullement que des personnes ne participent que pourle `trip'. »

- « La nature des visions peut provoquer des angoisses extrêmes auxquelleson ne s'attend pas. Cela comporte des risques. Les déclarations desmembres de la [seconde demanderesse] ont confirmé que cela s'est produitdans la réalité. »

- « Le Professeur Dr F.A. De Wolf indique que, tout comme les effetsattendus de l'ayahuasca, ses effets toxiques dépendent aussi de la doseemployée. Dans les préparations d'origine naturelle comme l'ayahuasca, ladose est toujours un élément difficile à définir. La concentration dessubstances actives peut varier selon par exemple la composition du sol,les saisons et le mode de préparation. Sans analyse chimique, il ne peut yavoir de réponse catégorique sur la nature et la quantité des substancesactives dans une préparation. »

- « Compte tenu de ce qui précède, il est invariablement établi que, mêmesi ce breuvage à base d'ayahuasca est utilisé dans un contexte rituéliquestructuré, il y a encore suffisamment de risques pour la santé publique. »

- « De plus, un contrôle insuffisant est exercé sur l'importation et lestockage de l'ayahuasca. […] Cela démontre d'autant plus que [le premierdemandeur] n'a pas suffisamment conscience des risques sanitaires en casd'abus de ce produit ou en ce qui concerne le risque que des tiers y aientaccès. »

- « La défense indique que la consommation de thé d'ayahuasca fait partiedu sacrement sacré essentiel du culte de l'Eglise Santo Daime sanslaquelle la religion ne peut être effectivement pratiquée. [K.P.],secrétaire de la [seconde demanderesse] a déclaré à cet égard : `Dans lerituel, il y a des règles pour t'aider à te concentrer, pour être plusfort, pour cela, le thé est un remède permettant d'accélérer les choses.Tu peux atteindre la même chose avec la méditation par exemple, mais alorsil te faudrait par exemple dix ans pour atteindre ce que tu peux obteniren un an avec Santo Daime'.

- La cour [d'appel] est ainsi d'avis que les dispositions d'interdictionde la législation belge en matière de drogues concernent une restrictionqui est nécessaire et légitime dans une société démocratique dansl'intérêt de la protection de la santé publique, conformément à l'article9 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertésfondamentales. Par rapport au droit des prévenus à manifester leurreligion, cette restriction ne peut être considérée comme étantdisproportionnée. »

Par ces motifs, l'arrêt décide que l'ayahuasca constitue un danger pour lasanté des utilisateurs et peut avoir une diffusion plus large que lesimple fait de vivre un rituel religieux. Il décide aussi, sans êtrecritiqué sur ce point, que ce produit n'est pas nécessaire à la pratiquereligieuse, mais uniquement une aide. Il en déduit que les dispositions dela législation belge en matière de drogues sont nécessaires à laprotection de la santé publique et proportionnelles à l'objectif visé, desorte qu'elles sont conformes à l'article 9 de la Convention de sauvegardedes droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ainsi, il justifielégalement la décision.

Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.

(…)

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Décrète le désistement ;

Rejette les pourvois pour le surplus ;

* Condamne les demandeurs aux frais de leur pourvoi.

* Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient Paul Maffei, président, Filip Van Volsem, Alain Bloch,Peter Hoet et Erwin Francis, conseillers, et prononcé en audiencepublique du six septembre deux mille seize par le président PaulMaffei, en présence de l'avocat général Marc Timperman, avecl'assistance du greffier Frank Adriaensen.

* Traduction établie sous le contrôle du conseiller Eric de Formanoir ettranscrite avec l'assistance du greffier Fabienne Gobert.

* Le greffier, Le conseiller,

6 SEPTEMBRE 2016 P.15.0614.N/1


Synthèse
Numéro d'arrêt : P.15.0614.N
Date de la décision : 06/09/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 22/09/2017
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2016-09-06;p.15.0614.n ?
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