Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° P.16.0294.N
H. V.,
inculpé,
demandeur en cassation,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. L. V.G.,
2. W. V.G.,
3. E. V.W.,
parties civiles,
défendeurs en cassation,
Me Filip Van Hende, avocat au barreau de Gand.
I. la procédure devant la cour
Le pourvoi est dirigé contre un arrêt rendu le 11 février 2016 par la courd'appel de Bruxelles, chambre des mises en accusation.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au présent arrêt,en copie certifiée conforme.
Le conseiller Filip Van Volsem a fait rapport.
L'avocat général Marc Timperman a conclu.
II. la décision de la cour
Sur la recevabilité du mémoire en réponse :
1. L'article 429, alinéa 3, du Code d'instruction criminelle dispose quele défendeur en cassation ne peut indiquer sa réponse que dans un mémoiresigné par un avocat, titulaire de l'attestation visée à l'article 425, §1^er, alinéa 2 et remis au greffe de la Cour, au plus tard huit joursavant l'audience. Selon l'article 429, alinéa 4, du Code d'instructioncriminelle, ce mémoire est communiqué au demandeur par courrier recommandéet la preuve de l'envoi est déposée au greffe dans le délai indiqué dehuit jours, à peine d'irrecevabilité.
2. Le délai de huit jours visé à cette disposition, est un délai franc, cequi implique que huit jours francs entiers doivent séparer le jour del'introduction du mémoire et le jour de l'audience. Si les neuvième etdixième jours précédant l'audience tombent un samedi, dimanche ou jourférié, le mémoire devra avoir été déposé au préalable.
3. Le mémoire en réponse des défendeurs et la preuve de son envoi audemandeur n'ont été reçus au greffe de la Cour que le lundi 30 mai 2016, àsavoir en dehors du délai précité de huit jours avant l'audience du 7 juin2016.
Le mémoire en réponse est irrecevable.
Sur le premier moyen :
4. Le moyen invoque la violation des articles 6, 8 de la Convention desauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 127, 130,131, 135 et 235bis du Code d'instruction criminelle : c'est à tort quel'arrêt ne procède pas lui-même à l'examen de la régularité invoquée desconversations téléphoniques déposées comme pièces à conviction par lesdéfendeurs mais laisse cette appréciation au juge du fond ; les jugesd'appel ont décidé que l'usage d'une communication privée à laquelle onprend soi-même part et enregistrée à l'insu des autres intervenants peutconstituer une violation de l'article 8 de la Convention, mais qu'ilappartient au juge du fond de l'apprécier sur la base des éléments de faitde la cause, compte tenu de l'attente raisonnable du respect de la vieprivée des intervenants, concernant notamment la teneur de la conversationet les circonstances dans lesquelles elle s'est déroulée.
5. L'usage d'une conversation enregistrée par l'un des intervenants, àl'insu des autres, hormis le cas du simple usage personnel et autre que lecas visé à l'article 314bis, § 2, alinéa 2, du Code pénal, peut constituerune violation de l'article 8 de la Convention.
6. Pour apprécier si cet usage constitue une violation dudit article 8,le juge considère notamment le critère de l'attente raisonnable du respectde la vie privée des intervenants ou le but visé par l'usage del'enregistrement. À cet égard, la teneur de la conversation, lescirconstances dans lesquelles elle s'est déroulée, la qualité desintervenants et du destinataire de l'enregistrement sont déterminants.
7. En vertu de l'article 235bis du Code d'instruction criminelle, lachambre des mises en accusation est tenue de contrôler, à la requêterégulière d'une partie, si les actes de l'instruction et l'obtention de lapreuve ne sont pas entachés par une irrégularité, omission ou causes denullité.
8. Un co-inculpé, ayant un intérêt parallèle à celui du demandeur, aallégué devant la chambre des mises en accusation que les conversationstéléphoniques enregistrées par les défendeurs à l'insu de l'interlocuteurconstituent un recueil de preuves illégal.
9. L'arrêt décide que :
- tout usage de communications privées à laquelle on ne prend pas soi-mêmepart et enregistrées à l'insu des autres intervenants, hormis le cas del'usage personnel et autre que le cas visé à l'article 314bis, § 2, alinéa2, du Code pénal, peut constituer une violation de l'article 8 de laConvention des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le juge est tenu de l'apprécier sur la base des éléments de fait de lacause, compte tenu de l'attente raisonnable du respect de la vie privéedes intervenants, concernant notamment la teneur de la conversation et lescirconstances dans lesquelles elle s'est déroulée ;
- les défendeurs peuvent se servir en l'instance des enregistrementstéléphoniques ou de leur version retranscrite s'ils ont été portés à laconnaissance des inculpés qui ont pu assurer une défense adéquate, ce quiest le cas en l'espèce ;
- il appartient au juge du fond d'apprécier la foi due aux piècesprésentées.
10. Ainsi, l'arrêt laisse l'appréciation de l'illégalité invoquée del'obtention de la preuve au juge du fond. L'arrêt ne pouvait ainsi déciderlégalement qu'aucune illégalité ou irrégularité n'est constatée dans lerecueil de la preuve.
Le moyen est fondé.
Sur le second moyen :
11. Le moyen invoque la violation de l'article 21bis du Coded'instruction criminelle, ainsi que la méconnaissance du principe généraldu droit relatif au respect des droits de la défense : l'arrêt décide, àtort, que la jonction de pièces provenant de l'instruction judiciairemenée à Courtrai à l'instruction judiciaire menée à Bruxelles estrégulière ; ces pièces ont été annexées sans que le ministère public aitautorisé leur consultation ou leur copie ; la simple circonstance que leministère public ait tout de même confirmé la jonction ne change rien àl'illégalité commise.
12. L'article 21bis, alinéa 3, du Code d'instruction criminelle disposeque, hormis les cas non applicables en l'espèce, la décision surl'autorisation de consulter le dossier ou d'en obtenir copie est prise parle ministère public, même pendant l'instruction.
13. Il résulte de cette disposition et de sa genèse légale que,lorsqu'un juge d'instruction veut consulter et obtenir copie de piècesissues d'un dossier d'une autre instruction judiciaire, en vue de lamanifestation de la vérité sur des faits dont il est saisi, le ministèrepublic doit préalablement y consentir.
14. L'arrêt qui se prononce autrement n'est pas légalement justifié.
Le moyen est fondé.
Sur l'étendue de la cassation :
15. La cassation de la décision qui n'a pas constaté d'irrégularité oud'illégalité dans le recueil de la preuve entraîne l'annulation desdécisions selon lesquelles il existe des charges sérieuses et suffisantesdans le chef du demandeur pour le renvoyer devant le tribunalcorrectionnel et que l'instruction est complète dès lors que tous lesactes d'instruction utiles à la manifestation de la vérité ont étéeffectués.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il déclare l'appel du demandeur non fondéet confirme l'ordonnance dont appel ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêtpartiellement cassé ;
Condamne le demandeur à un dixième des frais de son pourvoi ;
Réserve le surplus des frais pour qu'il soit statué sur ceux-ci par lajuridiction de renvoi ;
Renvoi la cause, ainsi limitée, à la cour d'appel de Bruxelles, chambredes mises en accusation, autrement composée.
* Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, oùsiégeaient Paul Maffei, président, Filip Van Volsem, Peter Hoet, ErwinFrancis et Sidney Berneman, conseillers, et prononcé en audiencepublique du sept juin deux mille seize par le président Paul Maffei,en présence de l'avocat général Marc Timperman, avec l'assistance dugreffier Frank Adriaensen.
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* Traduction établie sous le contrôle du conseiller Benoît Dejemeppe ettranscrite avec l'assistance du greffier Fabienne Gobert.
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* Le greffier, Le conseiller,
7 JUIN 2016 P.16.0294.N/1