Cour de cassation de Belgique
Arret
* NDEG F.15.0052.F
* A. p., notaire,
* demandeur en cassation,
* represente par Maitre Michele Gregoire, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, rue de la Regence,4, ou il est fait election de domicile,
* * contre
* * Etat belge, represente par le ministre des Finances, dont le cabinetest etabli à Bruxelles, rue de la Loi, 12,
* defendeur en cassation,
* represente par Maitre Franc,ois T'Kint, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Charleroi, rue de l'Athenee,9, ou il est fait election de domicile.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 1er decembre2014 par la cour d'appel de Mons.
Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport.
Le premier avocat general Andre Henkes a conclu.
II. Les moyens de cassation
Le demandeur presente deux moyens libelles dans les termes suivants :
Premier moyen
Dispositions legales violees
* articles 33, 149 et 170, S: 1er, de la Constitution ;
* articles 2262bis, 2264 et 2276 du Code civil ;
* article 81bis, avant sa modification par la loi-programme du 22decembre 2008, et 93ter du Code de la taxe sur la valeur ajoutee ;
* articles 159, 8DEG, et 289, S: 3, du Code des droits d'enregistrement,d'hypotheque et de greffe, avant sa modification par la loi-programmedu 23 decembre 2009.
Decisions et motifs critiques
1. L'arret confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositionsdeferees en precisant que « la condamnation principale [doit] toutefoisetre libellee comme suit : condamne [le demandeur] à payer [au defendeur]la somme de 359.859,79 euros, à majorer des interets au taux legal àdater du 21 janvier 2005 jusqu'au complet paiement, ainsi que des fraispour un montant de 659,83 euros, sous deduction d'un montant d'interets de60.128,88 euros imputes conformement à l'article 19 de l'arrete royalnDEG 24 du 29 decembre 1992 ». Il condamne ensuite [le demandeur] auxdepens d'appel liquides à la somme de 7.700 euros pour [le defendeur].
2. L'arret se fonde sur les motifs suivants :
« L'administration fiscale a introduit la procedure en se fondant sur laresponsabilite aquilienne du notaire et en invoquant expressement lesarticles 1382 et suivants du Code civil.
Le premier juge, apres avoir rappele que l'article 2276quinquies du Codecivil dispose que les delais de prescription de droit commun sontapplicables à la responsabilite professionnelle du notaire, a considereque le delai de prescription applicable etait celui qui est prevu parl'article 2262bis, S: 1er, alinea 2, du Code civil relatif à laresponsabilite extracontractuelle.
[Le demandeur] soutient que c'est la prescription de l'article 81bis, S: 1er, du Code de la taxe sur la valeur ajoutee qui est d'application enfaisant valoir que ce qui lui est reproche, c'est de ne pas avoir respectela prescription de l'article 93ter du code.
Cet article, dans sa version de l'epoque, imposait au notaire, en cas devente immobiliere ou d'affectation immobiliere par un assujetti à la taxesur la valeur ajoutee d'en aviser, par pli recommande, le fonctionnairecompetent et disposait qu'à defaut de ce faire, il etait personnellementresponsable du paiement de la taxe sur la valeur ajoutee et desaccessoires pouvant donner lieu à inscription hypothecaire.
Meme s'il est reproche au notaire de ne pas avoir respecte cettedisposition, c'est bien sa responsabilite aquilienne qui est recherchee,l'administration fiscale invoquant qu'il a, ce faisant, commis une fauteunie par un lien causal avec son dommage.
Il convient de rappeler qu'il y a faute aquilienne :
* soit des qu'il y a violation d'une disposition legale oureglementaire, pour autant que cette violation soit libre etconsciente ;
* soit des que l'on meconnait l'obligation generale de prudence quen'aurait pas enfreinte un homme normalement prudent et raisonnable,place dans les memes circonstances d'espece, et ce, independamment detoute violation d'une obligation legale ou reglementaire.
C'est donc le delai de prescription prevu par l'article 2262bis, S: 1er,alinea 2, du Code civil qui est d'application et il importe peu que [ledefendeur] invoque la violation par le notaire d'une disposition legale(l'article 93ter du code) plutot que celle de l'obligation generale deprudence.
A titre subsidiaire, [le demandeur] sollicite qu'une questionprejudicielle soit posee à la Cour constitutionnelle, estimant etrediscrimine par rapport au redevable de la taxe, soumis au delai deprescription de trois ans prevu par l'article 81bis, S: 1er, du code.
Toutefois, contrairement à ce que soutient [le demandeur], il ne s'agitpas de la meme dette :
* l'assujetti est redevable de la taxe sur la valeur ajoutee, desamendes, des interets et frais resultant de l'application de lalegislation fiscale ;
* le notaire dont la responsabilite aquilienne est recherchee estredevable d'un montant correspondant au dommage uni par un lien causalavec la faute qui lui est imputee.
Ce qui serait discriminatoire, ce serait de faire beneficier le notaire,dont la responsabilite aquilienne est engagee, d'un delai de prescriptionreduit par rapport aux auteurs d'autres fautes aquiliennes, nonobstant lestermes expres de l'article 2276quinquies du Code civil.
Il n'y a donc pas lieu de poser une question prejudicielle.
A titre subsidiaire, [le demandeur] soutient que, si le delai deprescription de droit commun de cinq ans est applicable, il a commence àcourir le jour de la passation des actes ou en tout cas le jour ou ils ontfait l'objet d'un enregistrement en execution de la reglementationhypothecaire.
Il en deduit que la prescription est acquise pour les montants reclames àla suite des actes de ventes passes avant le 14 avril 2003.
L'article 2262bis du Code civil dispose que toute action en reparationd'un dommage fondee sur une responsabilite extracontractuelle se prescritpar cinq ans à compter du jour qui suit celui ou la personne lesee a euconnaissance du dommage ou de son aggravation et de l'identite de lapersonne responsable.
La personne lesee doit avoir cumulativement connaissance du dommage et del'identite de la personne responsable.
La charge de la preuve de cette connaissance incombe à celui qui invoquela prescription.
Une controverse est nee quant au point de savoir s'il fallait appliquerune conception subjective de la connaissance, ne tenant compte que de laconnaissance effective par la victime, ou une conception objective sur labase de la connaissance qu'aurait raisonnablement eue une personnenormalement diligente placee dans les memes circonstances concretes ;cette question etait intimement liee à celle de l'existence d'un devoird'investigation de la victime.
La Cour de cassation, en son arret du 26 avril 2012, a retenu laconception subjective du critere de la connaissance.
Elle y a precise qu'il ressort de la genese de l'article 2262bis, S: 1er,alinea 2, du Code civil que le legislateur a fixe le point de depart de laprescription au jour ou la personne lesee a eu effectivement connaissancedu dommage et non au jour ou elle doit etre presumee en avoir euconnaissance.
Celui qui invoque la prescription doit ainsi prouver que le prejudicie aeu, depuis plus de cinq ans, une connaissance effective du dommage et del'identite du responsable ; il ne peut se borner à invoquer unepresomption de connaissance dans le chef d'une personne normalementdiligente.
Cela ne signifie cependant pas qu'il faut s'en tenir aux affirmations dudemandeur quant à sa pretendue ignorance, la connaissance pouvant etrededuite des circonstances concretes de l'espece.
La Cour de cassation a egalement precise, par l'arret precite, qu'il neresulte pas de la transcription de l'acte que quiconque a la connaissancerequise par l'article 2262bis, S: 1er, alinea 2, du Code civil à partirdu moment de la transcription.
La seule passation des actes, leur enregistrement et leur transcription nesuffisent pas à demontrer que [le defendeur] avait connaissance de sondommage et de l'identite du responsable.
En l'espece, il n'est pas etabli que [le defendeur] a eu la connaissanceeffective de ces elements avant le controle fiscal opere en janvier2006 ».
3. L'arret en conclut que « la prescription n'est donc pas acquise » etqu'il n'y a pas lieu de poser une question prejudicielle à la Courconstitutionnelle à ce sujet.
Griefs
Premiere branche
1. Aux termes de l'article 93ter du Code de la taxe sur la valeur ajoutee,le notaire est personnellement responsable du paiement de la taxe sur lavaleur ajoutee et de ses accessoires s'il n'avise pas le receveur de lataxe sur la valeur ajoutee competent de ce qu'il a ete requis de dresserun acte ayant pour objet l'alienation ou l'affectation hypothecaire d'unbien susceptible d'hypotheque appartenant à un assujetti.
Cette disposition fut introduite dans le code par la loi du 8 aout 1980relative aux propositions budgetaires 1979-1980 afin de faire coinciderl'obligation d'information du notaire en matiere de taxe sur la valeurajoutee à celle, identique, prevue par les articles 433 et suivants duCode des impots sur les revenus 1992 [articles 324 et suivants du Codedes impots sur les revenus (1964)] en matiere d'impots directs (Doc. parl,Expose des motifs, Ch. repr., sess. 1979-1980, nDEG 323/1).
En vertu de l'article 81bis du code, avant sa modification par laloi-programme du 22 decembre 2008, « la prescription de l'action enrecouvrement de la taxe, des interets et des amendes fiscales est acquiseà l'expiration de la troisieme annee civile qui suit celle durantlaquelle la cause d'exigibilite de ces taxe, interets et amendes fiscalesest intervenue ».
Cette disposition legale ne fait pas de distinction entre l'action enrecouvrement de la taxe dirigee à l'encontre d'un assujetti et celle quiest dirigee à l'encontre du notaire. Libellee de maniere generale, c'esttoute « action en recouvrement de la taxe » qui se trouve ainsi visee.
L'action en recouvrement de la taxe, des interets et des amendes fiscalescommence à se prescrire des le jour ou cette action nait, à savoir àdater du jour ou cet impot est du.
Il decoule de ce qui precede que l'action en recouvrement de la taxe àl'encontre du notaire sur pied de l'article 93ter du Code de la taxe surla valeur ajoutee se prescrit par trois ans, conformement à l'article81bis du code.
Il est vrai que le non-paiement de la taxe sur la valeur ajoutee esttoujours et par definition constitutif d'une faute dans le chef de lapersonne redevable, qu'il s'agisse de l'assujetti ou du notaire,puisqu'elle a necessairement meconnu, ce faisant, une disposition de lalegislation fiscale.
Cependant, la mise en cause de la responsabilite du notaire sur la basedes obligations d'information envers l'administration fiscale necessite,selon le droit commun, la preuve d'un lien causal entre la meconnaissancede ces dispositions et le dommage subi par cette derniere (P. Watelet, `Laredaction des actes notaries', Larcier, 1980, 86).
C'est donc en raison de la specificite de la procedure fiscale et desprivileges dont dispose l'administration, notamment pour se delivrer àelle-meme un titre executoire, que celle-ci opte pour la poursuite parvoie de contrainte plutot que de mettre en cause, à chaque fois, laresponsabilite extracontractuelle des debiteurs en devant apporter lapreuve d'une faute, d'un lien causal et d'un dommage.
Ce choix ne peut modifier en rien la nature de la faute : elle s'identifieentierement à la violation de l'obligation de paiement de la taxe et seconfond avec elle.
S'agissant de la prescription, si, certes, l'article 2276quinquies du Codecivil enonce que les delais de prescription de droit commun sontapplicables à la responsabilite professionnelle des notaires, il n'enreste pas moins qu'en vertu de l'article 2264 du Code civil, les reglesgenerales de la prescription ne s'appliquent aux prescriptionsparticulieres qu'à la condition que la loi n'en dispose pas autrement.
Or, precisement, l'article 81bis du Code de la taxe sur la valeur ajoutee en dispose autrement.
Admettre l'ecartement du regime de prescription specifique en matiere detaxe sur la valeur ajoutee au seul motif que le fondement legal del'action à l'encontre du redevable pouvait trouver egalement son siegedans la responsabilite aquilienne de ce dernier aboutirait à priver ceregime de prescription specifique de toute utilite et le viderait de sasubstance.
2. Par les motifs precites tenus ici pour integralement reproduits,l'arret constate en substance que :
* les actes de vente litigieux ont ete dresses par [le demandeur]« entre le 7 janvier 2002 et le 14 juillet 2004 », les biens etantvendus sous le regime de la taxe sur la valeur ajoutee des batimentsneufs ;
* Mav Techni-Pro « n'a pas declare les ventes lors de ses declarationsà la taxe sur la valeur ajoutee » ;
* par citation du « 14 avril 2008, [le defendeur] a cite le [demandeur]devant le tribunal de premiere instance de Charleroi en demandant sacondamnation à payer la somme de 371.732,65 euros » ;
* [Le defendeur] « invoque la violation par le notaire d'unedisposition legale (l'article 93ter du Code de la taxe sur la valeurajoutee) plutot que celle de l'obligation generale de prudence ».
Apres avoir rappele la position des parties quant au regime deprescription applicable, l'arret affirme que « c'est bien [la]responsabilite acquilienne [du demandeur] qui est recherchee,l'administration fiscale invoquant qu'il a, ce faisant, commis une fauteunie par un lien causal avec son dommage ».
L'arret en deduit que « c'est donc le delai de prescription prevu parl'article 2262bis, S: 1er, alinea 2, du Code civil qui est d'applicationet qu'il importe peu que [le defendeur] invoque la violation par lenotaire d'une disposition legale (l'article 93ter du code) plutot quecelle de l'obligation generale de prudence ».
De la sorte, l'arret ecarte illegalement l'application de l'article 81bisdu Code de la taxe sur la valeur ajoutee en [faveur] des regles generalesde la prescription.
3. En consequence, l'arret, qui decide que la prescription relative àl'action introduite « par citation du 14 avril 2008 » pour lerecouvrement de taxes se rapportant à des operations effectuees « entrele 7 janvier 2002 et le 14 juillet 2004 », soit plus de trois ans plustard, « n'est donc pas acquise », n'est pas legalement justifie(violation des articles 2262bis, 2264, 2276 du Code civil, 81bis et 93terdu Code de la taxe sur la valeur ajoutee).
Seconde branche (subsidiaire)
1. Aux termes de l'article 2262bis, S: 1er, alinea 2, du Code civil,toute action en reparation d'un dommage fondee sur une responsabiliteextracontractuelle se prescrit par cinq ans à partir du jour qui suitcelui ou la personne lesee a eu connaissance du dommage ou de sonaggravation et de l'identite de la personne responsable.
Selon l'arret de la Cour du 26 avril 2012 (Cass., 26 avril 2012,C.11.0143.N), les actes vises à l'article 1er de la loi hypothecaire sontopposables aux tiers à partir de leur transcription sur un registre à cedestine au bureau de la conservation des hypotheques. Il resulte de latranscription que les tiers ayant un droit conflictuel ne peuvent plusinvoquer leur bonne foi à partir de ce moment mais non que chacun a laconnaissance requise par l'article 2262bis, S: 1er, alinea 2, du Codecivil à partir du moment ou cette formalite est accomplie.
Le meme arret precise quelles sont les consequences de la transcriptionsur la connaissance par des tiers des elements de fait pertinents pourl'application de l'article 2262bis, S: 1er, alinea 2, du Code civil.
Le demandeur n'ignore pas la jurisprudence de la Cour sur ce point.
Toute autre est toutefois la question si l'Etat belge, en tant quepersonne morale de droit public unique, selon l'article 33 de laConstitution, en percevant les droits lies à l'enregistrement d'un actede vente immobiliere en vertu de l'article 44 du Code des droitsd'enregistrement (ce qui constitue une formalite distincte de latranscription, engendrant des effets propres et specifiques), a uneconnaissance effective ou non de l'absence correlative de perception de lataxe sur la valeur ajoutee.
La reponse à cette question est necessairement positive. En effet, lasoumission d'une operation au droit d'enregistrement proportionnel exclutla perception de la taxe sur la valeur ajoutee pour les operations devente de batiments neufs, conformement à l'article 159, 8DEG, du Code desdroits d'enregistrement. Inversement, la perception d'un droitd'enregistrement fixe suppose necessairement que l'assujetti ait informel'administration de l'enregistrement de l'assujettissement de l'operationau regime de la taxe sur la valeur ajoutee des batiments neufs. Cesconsiderations ont une incidence directe sur la pleine conscience de sesdroits par l'Etat des l'instant de l'enregistrement.
En outre, l'identite de la partie venderesse, assujettie à la taxe sur lavaleur ajoutee, est necessairement une mention de l'acte de venteimmobiliere enregistree.
L'on sait qu'aux termes de l'article 33 de la Constitution, « tous lespouvoirs emanent de la Nation. Ils sont exerces de la maniere etablie parla Constitution ».
L'Etat dispose notamment du pouvoir de lever l'impot.
Selon l'article 170, S: 1er, de la Constitution, « aucun impot au profitde l'Etat ne peut etre etabli que par une loi ».
Tel est le cas aussi bien des droits d'enregistrement que de la taxe surla valeur ajoutee, tous deux destines à etre perc,us par l'Etat, qui, entant que personne publique investie de la capacite juridique, en est doncle creancier unique, lorsque les conditions d'application en sont reunies,quelles que soient les delegations conferees à des autorites subalternespour en assurer le recouvrement.
Que l'Etat dispose, dans l'exercice de ses pouvoirs, de la personnalitemorale et que celle-ci soit unique, decoule incontestablement de lacirconstance, par exemple, qu'il peut etre declare responsable du fait deses organes (Cass., 5 novembre 1920, Pas., 1920, I, 193, avec lesconclusions du procureur general P. Leclercq, alors avocat general ; 28septembre 2006, Pas., 2006, I, nDEG 445). Ainsi, selon la jurisprudence dela Cour, l'Etat a l'obligation de reparer la lesion d'un droit civil causeà un particulier par la faute de l'autorite administrative (Cass., 21decembre 2007, Pas., 2007, I, nDEG 661), du pouvoir executif dansl'exercice de ses activites reglementaires (Cass., 23 avril 1971, Pas., I,752, avec les conclusions du procureur general Vicomte Dumon, alors avocatgeneral), des juges et des magistrats du ministere public lorsqu'ilsagissent dans les limites de leur attributions legales (Cass., 19 decembre1991, Pas., 1992, I, nDEG 215, avec les conclusions du procureur generalbaron Velu, alors premier avocat general ; Cass., 25 mars 2010, Pas.,2010, I, nDEG 219) et du pouvoir legislatif lorsqu'il porte une atteintefautive à un droit consacre par une norme superieure (Cass., 28 septembre2006, Pas., 2006, p. nDEG 445, avec les conclusions du procureur generalLeclercq, alors premier avocat general ; Cass., 14 janvier 2000, Pas.,2000, I, nDEG 33).
De la meme maniere, en tant que creancier des droits d'enregistrement,l'Etat n'est pas une autre personne morale que lui-meme en tant quecreancier de la taxe sur la valeur ajoutee.
Certes, il existe des matieres specifiques ou, pour le bon fonctionnementdes divers departements de l'Etat et le respect de l'integrite des voieset moyens qui leur sont accordes, les budgets doivent demeurer etanches,interdisant les compensations de creances envers les contribuables, qui,de leur cote, seraient egalement creanciers de sommes à divers titres deplusieurs demembrements de la personne publique. Il s'agit là de reglesspeciales n'entamant pas le principe general de l'unicite de l'Etat.
Certes, egalement, une telle unicite ne permet pas de presumersystematiquement l'effectivite de la connaissance d'un fait concernantl'un des demembrements de l'Etat par l'ensemble de ses partiesintegrantes.
Cependant, precisement en matiere fiscale, des dispositions specialesimpliquent une telle connaissance effective, s'inscrivant de la sorte dansla ligne du principe de l'unicite de l'Etat.
Ainsi, aux termes de l'article 289, S: 3, du Code des droitsd'enregistrement, avant sa modification par la loi-programme du 23decembre 2009, « tout agent d'une administration fiscale de l'Etat,regulierement charge d'effectuer, chez une personne physique ou morale, uncontrole ou une enquete se rapportant à l'application d'un impotdetermine, est de plein droit habilite à prendre, rechercher ourecueillir tous renseignements propres à assurer l'exacte perception detous les impots dus par cette personne ».
Dans sa version actuelle, le legislateur a souhaite actualiser le texteafin de tenir compte des modifications qui ont eu lieu sur le plan de lacirculation et de la conservation des donnees (Doc. parl., Expose desmotifs, Ch. repr., sess. 2009-2010, nDEG 2278/001). L'article 289, S: 3,du Code des droits d'enregistrement est encore plus clair car il enonceaujourd'hui que « toutes les administrations qui ressortissent au servicepublic federal des Finances sont tenues de mettre à la disposition detous les agents dudit service regulierement charges de l'etablissement oudu recouvrement des impots tous les renseignements adequats, pertinents etnon excessifs en leur possession, qui contribuent à la poursuite de lamission de ces agents en vue de l'etablissement ou du recouvrement den'importe quel impot etabli par l'Etat ».
Il decoule de ce qui precede que l'enregistrement d'un acte de venteimmobiliere doit necessairement entrainer dans le chef de l'Etat belge laconnaissance effective de son dommage et de l'identite de la personneresponsable du dommage engendre par le non-paiement de la taxe sur lavaleur ajoutee, à savoir le vendeur.
2. C'est ce que faisait valoir, en l'espece, [le demandeur] dans sesconclusions regulierement prises en degre d'appel, en ces termes :
« En toute hypothese, à supposer meme que ce soit le delai deprescription de droit commun de cinq ans qui serait applicable (quod non),encore faudrait-il constater dans ce cas que la prescription seraitnecessairement acquise dans le chef du [demandeur] pour tous les actesanterieurs au 14 avril 2003 (c'est-à-dire cinq ans avant la citationintroductive du 14 avril 2008), puisque le point de depart de ce delai deprescription est, comme le prevoyait alors l'article 2262bis du Codecivil, `[le] jour qui suit celui ou la personne lesee a eu connaissance dudommage (...) et de l'identite de la personne responsable'.
En l'espece, [le defendeur] (qui constitue une seule personne juridique) anecessairement eu connaissance de son dommage (et de l'identite de lapersonne responsable) le jour ou les actes notaries litigieux ont etepasses ou, en tout cas, le jour ou ils ont fait l'objet d'unenregistrement en execution de la legislation de la reglementationhypothecaire.
Si [le defendeur] entend faire appliquer le droit commun de laprescription, les conditions d'application de ces delais de droit commundoivent alors aussi etre recherchees dans le droit commun et, paranalogie, le point de depart de ce delai de prescription est le jour ou[le defendeur], en tant que personne juridique, a eu connaissance de lapassation des actes notaries qui auraient en principe du donner lieu aupaiement de la taxe sur la valeur ajoutee (c'est-à-dire au plus tard lejour ou ils ont ete enregistres, l'administration de l'enregistrementetant une `emanation' de la personne de l'Etat) ».
En aucun des motifs precites, l'arret n'examine les effets del'enregistrement sur la connaissance effective dans le chef [dudefendeur], au regard de l'article 2262bis, de l'absence de paiement de lataxe sur la valeur ajoutee qui aurait du etre perc,ue à l'occasion desventes enregistrees.
L'arret se limite à exposer que la transcription de l'acte n'entraine paspour « quiconque » une telle connaissance effective. Pourtant, ilaffirme que l'enregistrement n'a pas non plus cette consequence mais sansle verifier ni en fait ni en droit.
3. En consequence, en decidant, sur la base des seules considerations quiprecedent, que « la seule passation des actes, leur enregistrement etleur transcription ne suffit pas à demontrer que [le defendeur] avaitconnaissance de son dommage et de l'identite du responsable », l'arretn'est pas legalement justifie (violation des articles 159, 8DEG, et 289,S: 3, du Code des droits d'enregistrement, avant sa modification par laloi-programme 23 decembre 2009, 33 et 171, S: 1er, de la Constitution)ou, à tout le moins, ne repond pas au moyen precite [du demandeur] etn'est pas regulierement motive (violation de l'article 149 de laConstitution).
Second moyen
Disposition legale violee
Article 149 de la Constitution
Decisions et motifs critiques
1. L'arret condamne [le demandeur] à payer [au defendeur] la somme de359.859,79 euros, à majorer des interets au taux legal à dater du 21janvier 2005 jusqu'au complet paiement.
2. L'arret se fonde sur l'ensemble des motifs repris au premier moyen ettenus ici pour integralement reproduits.
Griefs
1. Il est constant que les motifs d'une decision, pour repondre au voeu del'article 149 de la Constitution, doivent permettre à la Cour d'exercerle controle de legalite qui lui est confie (Cass., 19 octobre 2000, Pas.,2000, I, nDEG 562 ; Cass., 7 decembre 2001, Pas., 2001, I, nDEG 681 ;Cass., 7 janvier 2010, Pas., 2010, I, nDEG 10).
2. En l'espece l'arret condamne [le demandeur] à payer [au defendeur] lasomme de 359.859,79 euros « à majorer des interets au taux legal àdater du 21 janvier 2005 jusqu'au complet paiement ».
Il ne ressort toutefois d'aucun des motifs de l'arret ni des piecesauxquelles la Cour peut avoir egard que la date du 21 janvier 2005corresponde à un quelconque evenement à dater duquel les interets legauxdoivent commencer à courir.
En toutes hypotheses, l'arret ne livre pas les elements de nature àapprecier les raisons pour lesquelles cette date a ete determinee commeelle l'a ete.
3. En consequence, l'arret ne permet pas à la Cour d'effectuer soncontrole de legalite sur la date de prise de cours des interets legaux etn'est, partant, pas regulierement motive (violation de l'article 149 de laConstitution).
III. La decision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant à la premiere branche :
En vertu de l'article 93ter, S: 1er, du Code de la taxe sur la valeurajoutee, le notaire requis de dresser un acte ayant pour objetl'alienation ou l'affectation hypothecaire d'un bien susceptibled'hypotheque est tenu de demander au proprietaire ou à l'usufruitier detout ou partie de ce bien si celui-ci est un assujetti et, dans le cas oula reponse est affirmative, est personnellement responsable du paiement dela taxe sur la valeur ajoutee et des accessoires pouvant donner lieu àinscription hypothecaire s'il n'en avise pas dans les conditions prevuesle fonctionnaire designe par le Roi.
Il suit de cette disposition que le notaire, qui n'avise pas lefonctionnaire competent, commet une faute susceptible d'engager, dans leslimites prevues, sa responsabilite aquilienne envers l'Etat belge mais nonqu'il devient le debiteur direct de la taxe sur la valeur ajoutee pouvantfaire l'objet d'une action en recouvrement par ce dernier.
Le moyen, qui, en cette branche, repose tout entier sur le soutenement quele defendeur exerce une action en recouvrement de la taxe contre ledemandeur, manque en droit.
Quant à la seconde branche :
En vertu de l'article 1080 du Code judiciaire, le moyen doit, à peine denullite, indiquer les dispositions legales dont la violation est invoquee.
Ces dispositions legales doivent etre en relation avec le grief formecontre la decision attaquee.
Le moyen, qui, en cette branche, reproche à l'arret, pour determiner lepoint de depart de la prescription, de ne pas deduire de l'enregistrementdes actes de vente d'immeubles que le defendeur avait la connaissanceeffective de son dommage engendre par le non-paiement de la taxe sur lavaleur ajoutee et de l'identite de la personne responsable, est etrangerà la violation des articles 33, 170, S: 1er, de la Constitution, 159,8DEG, et 289, S: 3, du Code des droits d'enregistrement avant samodification par la loi-programme du 23 decembre 2009.
Dans cette mesure, il est irrecevable.
Pour le surplus, apres avoir releve que « celui qui invoque laprescription doit [...] prouver que le prejudicie a eu, depuis plus decinq ans, une connaissance effective du dommage et de l'identite de lapersonne responsable », qu'« il ne peut se borner à invoquer unepresomption de connaissance dans le chef d'une personne normalementdiligente » et que « la connaissance [peut] etre deduite descirconstances concretes de l'espece », l'arret considere que « la seulepassation des actes, leur enregistrement et leur transcription nesuffisent pas à demontrer que [le defendeur] avait connaissance de sondommage et de l'identite de la personne responsable » et qu'« enl'espece, il n'est pas etabli que [le defendeur] a eu la connaissanceeffective de ces elements avant le controle fiscal opere en janvier2006 ».
L'arret repond ainsi aux conclusions du demandeur visees au moyen.
Dans la mesure ou il est recevable, le moyen, en cette branche, manque enfait.
Sur le second moyen :
Le moyen fait grief à l'arret de ne pas indiquer les elements surlesquels il fonde sa decision que les interets legaux sont dus à partirdu 21 janvier 2005 et des lors de ne pas permettre à la Cour d'exercerson controle de legalite.
Il ne precise toutefois pas la disposition legale dont la Cour ne pourraitcontroler l'application par l'arret.
Le moyen est irrecevable.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux depens.
Les depens taxes à la somme de trois cent nonante-cinq euros nonante-neufcentimes envers la partie demanderesse.
* Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles,ou siegeaient le president de section Martine Regout, les conseillersMireille Delange, Michel Lemal, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel,et prononce en audience publique du trois juin deux mille seize par lepresident de section Martine Regout, en presence du premier avocatgeneral Andre Henkes, avec l'assistance du greffier PatriciaDe Wadripont.
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| P. De Wadripont | S. Geubel | M.-Cl. Ernotte |
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| M. Lemal | M. Delange | M. Regout |
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3 JUIN 2016 F.15.0052.F/1