Cour de cassation de Belgique
Arret
NDEG C.13.0256.N
COMMISSION DE REGULATION DE L'ELECTRICITE ET DU GAZ (CREG),
Me Paul Lefebvre, avocat à la Cour de cassation,
contre
1. ELECTRABEL, s.a.,
Me Johan Verbist, avocat à la Cour de cassation,
2. E.ON GENERATION BELGIUM, s.a.,
3. E.ON BENELUX, s.a.,
4. EDF LUMINUS, s.a.,
5. EDF BELGIUM, s.a.,
Me Caroline De Baets, avocat à la Cour de cassation,
en presence de
1. ELLIA SYSTEM OPERATOR, s.a.,
2. BELGISCHE VERBRUIKERSUNIE TEST AANKOOP.
I. La procedure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 6 fevrier 2013par la cour d'appel de Bruxelles.
L'avocat general Andre Van Ingelgem a depose des conclusions ecrites le 4avril 2016.
Le president de section Alain Smetryns a fait rapport.
L'avocat general Andre Van Ingelgem a conclu.
II. Les moyens de cassation
Dans la requete en cassation, jointe au present arret en copie certifieeconforme, la demanderesse presente sept moyens.
III. La decision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant à la premiere branche :
1. Contrairement à ce que soutient la demanderesse, les juges d'appel ontconsidere que la decision en cause « releve de la categorie des àvis etcommunications' vises à l'article 40, alinea 2, des lois coordonnees du18 juillet 1966 sur l'emploi des langues en matiere administrative » et« qu'elle ne constitue manifestement pas l'un des actes administratifsvises à l'article 42 ».
Dans la mesure ou il invoque une contradiction ou une ambiguite, le moyen,en cette branche, repose sur une lecture erronee de l'arret et manque enfait.
2. En vertu de l'article 40, alinea 2, des lois coordonnees du 18 juillet1966, les avis et communications que les services centraux fontdirectement au public sont rediges en franc,ais et en neerlandais.
Aux termes de l'article 41, S: 1er, de ces lois, les services centrauxutilisent dans leurs rapports avec les particuliers celle des troislangues dont ces particuliers ont fait usage. Aux termes de l'article 41,S: 2, de ces memes lois, ils repondent cependant aux entreprises priveesetablies dans une commune sans regime special de la region de languefranc,aise ou de langue neerlandaise dans la langue de cette region.
Aux termes de l'article 42 de ces lois, les services centraux redigent lesactes, certificats, declarations et autorisations dans celle des troislangues dont le particulier interesse requiert l'emploi.
3. Il ressort de ces dispositions que les avis et communications desservices centraux dont il est question à l'article 40 des lois du 18juillet 1966 sont ceux qui sont destines au public en general, alors queles actes et autres pieces dont il est question aux articles 41 et 42s'appliquent aux relations individualisees de l'autorite avec lesparticuliers et les entreprises privees.
4. Les juges d'appel ont constate que :
- la demanderesse est un service central dont l'activite s'etend à toutle pays au sens de la loi sur l'emploi des langues precitee ;
- la decision attaquee approuve le revenu total, pour la perioderegulatoire 2012-2015, de la S.A. Elia System Operator, qui est designeegestionnaire de reseau au niveau federal depuis le 17 septembre 2002, uneproposition tarifaire d'Elia System Operator precitee et des tarifs dereseau se rapportant à l'ensemble du territoire belge ;
- les tarifs qui sont fixes par la decision attaquee concernentdirectement le consommateur ;
- la demanderesse est tenue d'assurer la publication de cette decision àl'intention du public afin que celui-ci puisse en prendre connaissance.
5. Sur la base de ces constatations, qui impliquaient que la decisionattaquee n'etait, en l'espece, pas uniquement destinee au gestionnaire dereseau qui avait introduit la proposition, mais s'adressait à tout usagereventuel, quelle que soit la region linguistique dans laquelle il setrouve, sans distinction de personnes, les juges d'appel ont pu considererque cette decision releve de la categorie des « avis et communications »visee à l'article 40, alinea 2, des lois coordonnees du 18 juillet 1966.
Dans la mesure ou il est pris de la violation des articles 40, alinea 2,41, S: 2, et 42 de ces lois, le moyen, en cette branche, ne peut etreaccueilli.
Quant à la deuxieme branche :
6. Les juges d'appel ont considere que la decision attaquee etait nulleconformement à l'article 58 des lois coordonnees du 18 juillet 1966 nonseulement sur la base de la constatation que deux des passages litigieuxde la decision attaquee n'avaient fait l'objet que d'une traduction libre,mais egalement sur la base de la constatation que cette decision attaquee« reproduit un extrait de 21 lignes sans reproduire la substance de cepassage en neerlandais », de sorte que « le texte neerlandais contientun passage en franc,ais non traduit en neerlandais », si bien que « laversion neerlandaise correspondant au texte franc,ais » de la decisionn'est pas disponible.
7. Dans la mesure ou il suppose que la decision attaquee a fourni unetraduction libre en neerlandais de tous les passages en franc,ais, lemoyen, en cette branche, repose sur une lecture incomplete de l'arret etmanque en fait.
8. En vertu de l'article 58, alinea 1er, des lois coordonnees du 18juillet 1966, sont nuls tous actes et reglements administratifscontraires, quant à leur forme ou quant au fond, aux dispositions de ceslois.
9. Cette disposition est d'ordre public et la sanction doit, le casecheant, en vertu de l'article 159 de la Constitution, etre appliquee parle juge independamment de l'existence d'un prejudice. Lorsque le jugeconstate que certains passages d'un avis ou d'une communication au sens del'article 40, alinea 2, des lois precitees n'ont pas ete traduits dansleur totalite en neerlandais ou en franc,ais, il n'a aucune possibilite dechoix et il est oblige de constater ou de prononcer la nullite de l'acte.
10. Dans la mesure ou il critique le motif selon lequel « la distinctionentre l'importance relative de divers elements de l'acte concerne est sanspertinence à cet egard », le moyen, en cette branche, ne peut etreaccueilli.
Quant à la troisieme branche :
11. Dans son arret du 15 septembre 2005, Intermodal Transports, C-495/03,la Cour de justice de l'Union europeenne a dit pour droit que lajuridiction dont les decisions ne sont pas susceptibles d'un recours dedroit interne est tenue, lorsqu'une question de droit communautaire sepose devant elle, de deferer à son obligation de saisine, à moinsqu'elle n'ait constate que la question soulevee n'est pas pertinente ouque la disposition communautaire en cause a dejà fait l'objet d'uneinterpretation de la part de la Cour ou que l'application correcte dudroit communautaire s'impose avec une telle evidence qu'elle ne laisseplace à aucun doute raisonnable.
Le critere suivant lequel « il ne peut exister de place pour un douteraisonnable » pour que le juge national ne soit pas tenu de poser unequestion prejudicielle conformement à l'article 267 du Traite sur lefonctionnement de l'Union europeenne (TFUE) s'applique au juge nationaldont les decisions ne peuvent plus faire l'objet d'un recours, mais pas aujuge dont les decisions peuvent encore faire l'objet d'un recours.
12. Le moyen, en cette branche, qui repose sur un soutenement juridiquedifferent, manque en droit.
Sur le deuxieme moyen :
Quant à la premiere branche :
13. Dans son arret du 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, la Cour dejustice de l'Union europeenne a considere :
« 23 (...) que la question de savoir si une disposition nationale, dansla mesure ou elle est contraire au droit de l'Union, doit etre laisseeinappliquee ne se pose que si aucune interpretation conforme de cettedisposition ne s'avere possible.
24. A cet egard, il est de jurisprudence constante que, en appliquant ledroit interne, les juridictions nationales sont tenues de l'interpreterdans toute la mesure du possible à la lumiere du texte et de la finalitede la directive en cause pour atteindre le resultat vise par celle-ci et,partant, se conformer à l'article 288, troisieme alinea, TFUE. Cetteobligation d'interpretation conforme du droit national est en effetinherente au systeme du traite FUE en ce qu'elle permet aux juridictionsnationales d'assurer, dans le cadre de leurs competences, la pleineefficacite du droit de l'Union lorsqu'elles tranchent les litiges dontelles sont saisies (...) ».
Si l'application d'une norme nationale menace de donner lieu à un conflitavec une norme europeenne, comme en cas de transposition tardive d'unedirective, une autorite gouvernementale nationale, comme la demanderesse,est tenue, en vertu du principe de cooperation loyale contenu à l'article4, alinea 3, du Traite sur le fonctionnement de l'Union europeenne,d'examiner si le droit national peut etre interprete de maniere telle queledit conflit soit evite, à savoir par une interpretation ou uneapplication conforme à la directive.
14. Il suit de ce qui precede que lorsqu'elle exerc,ait ses competences,la demanderesse etait tenue d'appliquer la legislation nationale,interpretee conformement à la norme europeenne transposee tardivement.
Le moyen, qui, en cette branche, repose sur un soutenement juridiquedifferent, manque en droit.
Quant à la deuxieme branche :
[...]
Quant au second rameau :
16. Il ressort du titre, des troisieme, sixieme, onzieme, treizieme ettrentieme considerants, ainsi que des articles 1, 13, 14 et 18 dureglement nDEG 714/2009 du 13 juillet 2009 sur les conditions d'acces aureseau pour les echanges transfrontaliers d'electricite et abrogeant lereglement (CE) nDEG 1228/2003 que ce reglement tend à procurer un cadreharmonise pour les echanges transfrontaliers d'electricite.
Ainsi, les regles qu'il contient tendant à l'harmonisation de l'acces aureseau et la tarification et les competences accordees à cet effet auxautorites de regulation nationales doivent etre considerees dans le cadredes echanges transfrontaliers.
17. Les juges d'appel qui, apres avoir rappele cet objectif, ont considereque la proposition tarifaire d'Elia concernait l'usage de son reseau detransport au « sens de la loi Electricite », « ce qui en soi necorrespond pas au champ d'application du reglement », ont legalementjustifie leur decision.
Le moyen, en ce rameau, ne peut etre accueilli.
[...]
Sur le quatrieme moyen :
Quant à la premiere branche :
[...]
Quant au second rameau :
22. Les « redevances annuelles moyennes versees pour le transport par lesproducteurs » visees au point 3 de la partie B du ReglementnDEG 838/2010 se referent « à la valeur des redevances annuellesmoyennes versees pour le transport par les producteurs » visee au point 2de cette partie, qui est calculee sur la base du total des redevancesannuelles moyennes par producteur et donc sur la base d'une moyenneindividuelle, ainsi qu'il ressort du document preparatoire dont questionau point 21, ainsi que du rapport E06-CBT-09-06 du 6 decembre 2006 del'ERGEG, qui decrit cette valeur comme etant « la somme des redevancesannuelles totales versees pour le transport par le nombre `n' deproducteurs, divisee par la somme des volumes totaux d'energie injectesdans le reseau de transport par le nombre `n' de producteurs ».
Dans la mesure ou il repose sur un soutenement juridique different, lemoyen, en ce rameau, manque en droit.
22. Par les motifs vises dans le rameau, les juges d'appel ont considereque « dans sa proposition, pour calculer le tarif d'injection etnotamment pour chiffrer le plafond de 0,5 EUR/MWh [...], Elia s'est baseesur le volume annuel total d'electricite injecte dans le reseau detransport, sans tenir compte du volume d'electricite emanant deproducteurs qu'elle exonere du paiement d'un tarif d'injection ».
23. Contrairement à ce que soutient la demanderesse, il ne ressort pas dece qui precede que seuls les chiffres de la premiere defenderesse, la S.A.Electrabel, ont ete pris en consideration par les juges d'appel.
Dans cette mesure, le moyen, en ce rameau, manque en fait.
24. Par ailleurs, l'arret ne deduit pas ainsi un fait inconnu d'un autrefait inconnu et les juges d'appel n'ont pas meconnu la force probante dela note de la demanderesse en rejetant la defense qui y est developpee.
Dans cette mesure, le moyen, en ce rameau, ne peut etre accueilli.
Quant à la deuxieme branche :
Quant au premier rameau :
25. Eu egard à l'objectif different qui est à la base de l'article 32.1de la directive nDEG 2009/72/CE (ci-apres dite « troisieme directive surl'electricite »), d'une part, qui concerne l'acces des tiers aux reseauxde transport et de distribution, fonde sur la transparence et lanon-discrimination et qui fait partie du chapitre VIII relatif à l'«Organisation de l'acces au reseau », et les articles 36 et 37 de la memedirective, d'autre part, qui concernent les mission, competences etobjectif generaux de l'autorite de regulation et qui font ainsi partie duchapitre IX relatif aux autorites de regulation nationales, cesdispositions ne se comportent pas comme une lex generalis à l'egard d'unelex specialis, de sorte qu'il ne peut s'en deduire que les articles 36 et37 priment l'article 32.1 de la directive.
Dans la mesure ou il repose sur un soutenement juridique different, lemoyen, en ce rameau, manque en droit.
26. Les dispositions invoquees dans le moyen, en ce rameau, qui accordentune certaine marge de manoeuvre à l'autorite de regulation, ne sauraientjustifier qu'un tarif d'injection aille, comme le constate l'arret, àl'encontre des regles de non-discrimination et de transparence imposeespar les dispositions de la troisieme directive sur l'electricite et deslois relatives à l'electricite citees dans le moyen, en cette branche.
Dans cette mesure, le moyen, en ce rameau, ne peut etre accueilli.
[...]
Quant au cinquieme rameau :
34. Aux termes de l'article 32.1. de la troisieme directive surl'electricite, les tarifs publies sont applicables à tous lesconsommateurs concernes et doivent etre appliques objectivement sansdiscrimination entre les utilisateurs du reseau.
Il ressort de cette disposition que l'obligation de l'autorite deregulation de respecter le principe de non-discrimination, dans le cadrede sa gestion, est d'application generale.
35. Manque en droit le moyen qui, en ce rameau, considere que dans lecontexte de la gestion menee par la demanderesse, le principe denon-discrimination ne s'applique que « dans le cadre de systemes orientesvers les clients » et pour les « services de compensation » de latroisieme directive sur l'electricite.
[...]
Quant au septieme rameau :
37. En vertu de l'article 3 de la loi du 29 juillet 1991 relative à lamotivation formelle des actes administratifs, la motivation exigeeconsiste en l'indication, dans l'acte, des considerations de droit et defait servant de fondement à la decision et doit etre adequate.
38. Le caractere adequat de la motivation implique que celle-ci doit etrepertinente et suffisante, c'est-à-dire que les motifs invoques doiventsuffire pour fonder la decision.
La motivation doit permettre à quiconque ayant le droit de critiquer unacte administratif, d'apprecier s'il peut le faire de maniere utile.
39. En vertu de l'article 6 de la loi du 29 juillet 1991 relative à lamotivation formelle des actes administratifs, cette loi ne s'applique auxregimes particuliers imposant la motivation formelle de certains actesadministratifs que dans la mesure ou ces regimes prevoient des obligationsmoins contraignantes que celles organisees par les articles precedents.
Il s'ensuit que le devoir de motivation le plus severe doit etre applique.
L'obligation de motiver imposee par l'article 12, S: 7, de la loi du 29avril 1999 relative à l'organisation du marche de l'electricite, telleque modifiee par la loi du 8 janvier 2012, ayant une portee au moins egaleà celle qui figure à l'article 3 de la loi du 29 juillet 1991 relativeà la motivation formelle des actes administratifs, l'article 6 de cettederniere loi est applicable.
40. Il suit de tout ce qui precede que l'obligation pour l'autorite deregularisation, contenue à l'article 12, S: 7, de la loi du 29 avril1999, de communiquer sa decision motivee relative à la propositiontarifaire au gestionnaire de reseau, s'applique non seulement à l'egardde ce dernier en tant que demandeur de l'autorisation et du juge, maisaussi à l'egard de toute personne interessee qui peut critiquer l'acteadministratif.
Il ressort aussi de l'exigence que la motivation doit permettre àquiconque ayant le droit de critiquer l'acte administratif d'appreciers'il peut le faire de maniere utile, qu'il est necessaire qu'elle exposeles motifs pour lesquels l'argumentation du gestionnaire de reseau estadmise.
41. Le moyen, qui, en ce rameau, repose sur un soutenement juridiquedifferent, manque en droit.
[...]
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi et la demande en declaration d'arret commun ;
Condamne la demanderesse aux depens.
Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Beatrijs Deconinck, president, lepresident de section Alain Smetryns, les conseillers Koen Mestdagh, ErwinFrancis et Bart Wylleman, et prononce en audience publique du dix-neuf maideux mille seize par le president de section Beatrijs Deconinck, enpresence de l'avocat general Andre Van Ingelgem, avec l'assistance dugreffier Kristel Vanden Bossche.
Traduction etablie sous le controle du president de section Martine Regoutet transcrite avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
Le greffier, Le president de section,
* Requete
19 MAI 2016 C.13.0256.N/1
Requete/1