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13/05/2016 | BELGIQUE | N°C.15.0395.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 13 mai 2016, C.15.0395.F


Cour de cassation de Belgique

Arret

* NDEG C.15.0395.F

* ENTREPRISES GENERALES DE CONSTRUCTION G. M. ET FILS, societe anonymedont le siege social est etabli à Pecq (Obigies), chemin des Pilotes,6,



* demanderesse en cassation,

* representee par Maitre Pierre Van Ommeslaghe, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise,106, ou il est fait election de domicile,

* * contre

* VILLE DE TOURNAI, representee par son college communal, dont lesbureaux sont etablis à Tournai, en l'hotel de ville, EnclosSa

int-Martin, 52,

* defenderesse en cassation,

* representee par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avo...

Cour de cassation de Belgique

Arret

* NDEG C.15.0395.F

* ENTREPRISES GENERALES DE CONSTRUCTION G. M. ET FILS, societe anonymedont le siege social est etabli à Pecq (Obigies), chemin des Pilotes,6,

* demanderesse en cassation,

* representee par Maitre Pierre Van Ommeslaghe, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Bruxelles, avenue Louise,106, ou il est fait election de domicile,

* * contre

* VILLE DE TOURNAI, representee par son college communal, dont lesbureaux sont etablis à Tournai, en l'hotel de ville, EnclosSaint-Martin, 52,

* defenderesse en cassation,

* representee par Maitre Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à Liege, rue de Chaudfontaine,11, ou il est fait election de domicile.

I. La procedure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirige contre l'arret rendu le 25 juin 2014par la cour d'appel de Mons.

Le 25 avril 2016, l'avocat general Michel Nolet de Brauwere a depose desconclusions au greffe.

Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport et l'avocat generalMichel Nolet de Brauwere a ete entendu en ses conclusions.

II. Les moyens de cassation

Dans la requete en cassation, jointe au present arret en copie certifieeconforme, la demanderesse presente deux moyens.

III. La decision de la Cour

Sur le premier moyen :

Quant à la premiere branche :

En vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil, celui qui, par sa faute,a cause à autrui un dommage est tenu de le reparer, ce qui implique quele prejudicie soit replace dans la situation qui eut ete la sienne sil'acte illicite n'avait pas ete commis.

Lorsque le dommage consiste en la perte d'une chance d'obtenir un avantageespere, ce dommage est certain lorsque la perte, en relation causale avecla faute, porte sur un avantage probable.

Le defaut de certitude quant à l'obtention de l'avantage en l'absence dela faute n'exclut pas son caractere probable.

Apres avoir releve que, dans le cadre d'un premier appel d'offres, lademanderesse a soumissionne, que, « le 28 fevrier 2008, le college [de ladefenderesse] a decide de conserver dans le patrimoine communal le terrainlitigieux et d'arreter la publicite concernant la vente » et que, « le29 decembre 2008, le college communal decida de relancer la procedured'alienation du bien », l'arret enonce que « la faute de [ladefenderesse] [...] est etablie » des lors que « l'absence de touteinformation prealable et l'absence de toute publicite officielle lors dela remise en vente sont patentes » et que, « malgre la decision de [ladefenderesse] prevoyant la procedure de gre à gre, il n'y a jamais eud'appel d'offres ».

L'arret considere que le dommage subi par la demanderesse « ne consistepas dans la perte de la chance du benefice escompte suite à l'achat duterrain » car « cette perte de chance ne presente aucun caractere decertitude quant au fait que [la defenderesse] aurait, au terme de laprocedure d'appel d'offres, retenu celle de [la demanderesse] ».

En considerant que la perte de chance invoquee par la demanderesse neconstitue pas le dommage au motif que la chance que son offre soit retenueest, non pas inexistante, mais incertaine, l'arret viole les dispositionslegales precitees.

Le moyen, en cette branche, est fonde.

Sur les autres griefs :

Il n'y a pas lieu d'examiner les autres griefs, qui ne sauraient entrainerune cassation plus etendue.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arret attaque, sauf en tant qu'il rec,oit l'appel ;

Ordonne que mention du present arret sera faite en marge de l'arretpartiellement casse ;

Reserve les depens pour qu'il soit statue sur ceux-ci par le juge dufond ;

Renvoie la cause, ainsi limitee, devant la cour d'appel de Liege.

Ainsi juge par la Cour de cassation, premiere chambre, à Bruxelles, ousiegeaient le president de section Albert Fettweis, le conseiller DidierBatsele, le president de section Martine Regout, les conseillers MichelLemal et Marie-Claire Ernotte, et prononce en audience publique du treizemai deux mille seize par le president de section Albert Fettweis, enpresence de l'avocat general Michel Nolet de Brauwere, avec l'assistancedu greffier Patricia De Wadripont.

+------------------------------------------------+
| P. De Wadripont | M.-Cl. Ernotte | M. Lemal |
|-----------------+----------------+-------------|
| M. Regout | D. Batsele | A. Fettweis |
+------------------------------------------------+

Requete

Requete en cassation

Pour : La S.A. G. M. et Fils, dont le siege social est etabli à

7743 Obigies, Chemin des Pilotes, 6, inscrite à la Banque Carrefour desEntreprises sous le numero 0419.901.419,

demanderesse en cassation,

assistee et representee par Me Pierre Van Ommeslaghe, avocat à la Cour decassation, dont le cabinet est etabli à 1050 Bruxelles, avenue Louise106, chez qui il est fait election de domicile.

Contre : La Ville de Tournai, representee par son College echevinal, dontles bureaux sont etablis à 7500 Tournai, Enclos Saint-Martin, 52,

defenderesse en cassation.

A Messieurs les Premiers President et President, Mesdames et Messieurs lesConseillers à la Cour de cassation,

Mesdames,

Messieurs,

La demanderesse a l'honneur de soumettre à votre censure l'arret renducontradictoirement en degre d'appel, le 25 juin 2014 par la 21eme chambrede la Cour d'appel de Mons (RG 2013/RG/419).

1.- Les faits et antecedents de procedure tels qu'ils resultent des piecesauxquelles Votre Cour peut avoir egard peuvent se resumer comme suit.

Par courrier du 5 decembre 2006 adresse au Bourgmestre de la defenderesse,la demanderesse a manifeste son interet pour l'acquisition d'un terrainappartenant à la defenderesse, sis chaussee de Douai de 1 ha 31 a 67 cacadastre 3eme division section K 316 T2.

Elle precisait que son intention etait de construire des appartements de« type moyen » destines à la vente et abordables pour une largemajorite de la population.

Par decision du 25 janvier 2007, le College communal de la defenderesse adecide de se reserver le terrain et a annonce à la demanderesse que sademande ne pouvait etre accueillie favorablement.

2.- Le 20 mars 2007, la demanderesse a reitere sa demande.

Le Bourgmestre et le Secretaire communal de la defenderesse l'ont ensuiteinformee qu'en sa seance du 20 avril 2007, le College communal avaitdecide de proceder à l'alienation du bien par vente de gre à gre sur labase d'un appel d'offres.

Le 31 aout 2007, le Bourgmestre et le Secretaire communal de ladefenderesse ont ecrit à la demanderesse que le College communal avaitdecide de proposer au conseil communal l'alienation de la parcellelitigieuse par vente de gre à gre sur la base d'un appel d'offresmoyennant le prix minimum de 1.000.000 euros.

Ils precisaient egalement les prescriptions urbanistiques inherentes aubien.

3.- Le 11 septembre 2007, la demanderesse a adresse par ecrit au notaireB. une offre pour un prix d'un million d'euros outre les fraisd'enregistrement.

L'offre etait valable pendant trois semaines et n'etait pas conditionneepar l'obtention d'un credit hypothecaire.

Le meme jour, le notaire a repondu à la demanderesse que son offre etaitprematuree puisque le dossier de vente serait soumis à l'examen duprochain Conseil communal dont la date etait fixee au 24 septembresuivant. Il precisait que le depot des offres pourrait se fairevalablement à partir de la parution de la publicite.

4.- Le 5 novembre 2007, le Conseil communal a decide la vente de gre àgre de la parcelle litigieuse sur la base d'un appel d'offres au plusoffrant pour un montant de 1.000.000 euros hors frais selon les conditionset dans les termes du projet d'acte integre à la deliberation.

Le 8 novembre 2007, la demanderesse a reitere son offre et l'a confirmeeen janvier 2008 à la suite d'un courrier de la defenderesse du 13novembre 2007, communiquant la proposition au service concerne et d'uncourrier du notaire B. du 21 janvier 2008 l'informant du demarrage de lapublicite et des modalites de la procedure d'appel d'offres.

5.- Le 20 fevrier 2008, le College communal a decide de refuser laproposition d'acquisition de la demanderesse au prix d'un million d'euroset de prolonger la publicite de la vente du bien communal.

Le 28 fevrier 2008, le College communal a toutefois decide de conserver leterrain litigieux dans le patrimoine communal et d'arreter la publiciteconcernant la vente. La demanderesse en fut informee par un courrier dunotaire B. du 3 mars 2008.

6.- Quelques mois plus tard, le 29 decembre 2008, le College communaldecida de relancer la procedure d'alienation du bien.

Au terme de celle-ci, le College communal de la defenderesse s'est reuniet a decide de marquer son accord sur la cession par M. D. de l'optionqu'il avait obtenue prealablement, à la societe Besix Real EstateDevelopment Wallonie.

Le 12 octobre 2009, le conseil communal a constate que la vente s'etaitrealisee par la levee de l'option à la date du 28 septembre 2009 et aarrete les termes de l'acte authentique de vente lequel fut signe le 21decembre 2009.

7.- Par citation du 13 septembre 2011, la demanderesse a assigne ladefenderesse en lui reprochant diverses fautes commises dans la procedurerelative à la l'operation litigieuse. Elle demandait la condamnation dela defenderesse au payement de la somme provisionnelle de 15.000 euros,sur un dommage evalue sous toutes reserves en cours d'instance à1.000.000 d'euros.

Le jugement du Tribunal de premiere instance de Tournai a rec,u la demandeet l'a dite non fondee.

La demanderesse a interjete appel de cette decision.

8.- Par l'arret attaque du 25 juin 2014, la Cour d'appel de Mons, apresavoir rejete l'existence de diverses fautes alleguees par la demanderesse,a admis que la defenderesse avait commis une faute justifiantl'indemnisation du prejudice subi par la demanderesse. Cette fauteconsistait dans l'absence de publicite officielle relative à la mise envente de la parcelle.

L'arret procede en suite à l'evaluation de ce prejudice en equite et enfixe le montant à la somme limitee de 12.500 euros.

A l'encontre de l'arret attaque, les demandeurs ont l'honneur de presenterles moyens de cassation qui suivent.

Premier moyen de cassation

Dispositions legales dont la violation est invoquee

- Articles 1382 et 1383 du Code civil.

Partie critiquee de la decision attaquee

L'arret attaque qui decide que le dommage reparable dont la demanderessepeut se prevaloir dans le cadre de son action en responsabilite fondee surl'existence d'une faute dans le chef de la defenderesse dans la procedurede mise en vente du terrain litigieux, ne consiste pas dans la perte d'unechance du benefice escompte suite à l'achat du terrain mais se limite àla perte d'une chance de n'avoir pu concourir dans le cadre de l'appeld'offres lance par la defenderesse le 23 mars 2009, et qui fixe enconsequence le montant du dommage en relation causale avec la fauteretenue à la somme evaluee de maniere forfaitaire à 12.500 euros par lesmotifs que :

« (...)

2. Discussion

(La demanderesse) reproche au premier juge d'avoir confondu le contentieuxadministratif de l'annulation d'un acte et l'action judiciaire enindemnisation d'un dommage.

Elle lui fait grief d'avoir limite l'examen des fautes de la(defenderesse) à la seule phase prealable de l'information de la remiseen vente du terrain litigieux.

Elle maintient enfin que le caractere certain de la perte de chance estetabli.

La demande de la (demanderesse) est fondee sur la base des articles 1382et 1383 du Code civil et (la demanderesse) recherche la responsabilite dela (defenderesse) sur la base de l'enseignement la cour de Cassation selonlaquelle la transgression materielle d'une disposition legale oureglementaire constitue une faute qui entraine la responsabilite civile deson auteur à condition que cette transgression soit commise librement etconsciemment (Cass. 22 septembre 1988, pas. 1989, p. 83).

Il incombe à (la demanderesse) de demontrer outre la faute, le liencausal avec le dommage qu'elle invoque.

Elle invoque à cet egard plusieurs manquements dans le chef de la(defenderesse) etant :

-(...)

Pour apprecier les conditions de la responsabilite de la (defenderesse),il convient au prealable de se pencher sur le dommage subi par (lademanderesse).

Contrairement à ce qu'elle soutient, son dommage ne consiste pas dans laperte de chance du benefice escompte suite à l'achat du terrain.

En effet, cette perte de chance ne presente aucun caractere de certitudequant au fait que (la defenderesse) aurait au terme de la procedured'appel d'offres retenu celle de (la demanderesse).

La demande d'expertise formulee par (la demanderesse)quant au beneficeescompte apparait ainsi sans interet.

La perte de chance que cette derniere peut par contre invoquer est cellede n'avoir pas pu concourir dans le cadre de l'appel d'offres lance par la(defenderesse) le 23 mars 2009.

Cette perte est reelle si l'on considere les demarches effectuees par (lademanderesse) avant et durant la procedure de premiere mise en ventedemontrant son vif interet pour la parcelle litigieuse.

Il est en effet certain qu'elle aurait repondu à la seconde offre emisepar la (defenderesse) comme elle l'avait fait quelques mois plus tot.

(...)» (arret attaque p. 5 et 6).

Griefs

Premiere branche

En vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil, celui qui cause undommage à autrui est tenu de le reparer.

Pour condamner la partie dont la responsabilite est engagee à indemniserle prejudice cause par sa faute, le juge doit constater, outre l'existenced'une faute, un lien de causalite entre cette faute et le dommage invoque.

La perte d'une chance est un dommage specifique qui se distingue del'avantage qui a ete perdu.

Lorsque le dommage consiste dans la perte d'une chance non encore courueet qui, en general, ne le sera jamais, en sorte que le resultat estdestine à demeurer inconnu, le dommage est certain et doit etreindemnise.

En l'espece, l'arret decide, que contrairement à ce que soutient lademanderesse, le dommage ne peut consister dans la perte d'une chance dubenefice escompte suite à l'achat du terrain litigieux, parce que cetteperte de chance ne presente aucun caractere de certitude quant au fait quela defenderesse aurait retenu au terme de la procedure d'appel d'offres,celle de la demanderesse.

L'arret exclut ce faisant l'existence du dommage tel qu'il etait defini etreclame par la demanderesse resultant de la perte d'une chance du beneficeescompte de l'acquisition du terrain litigieux sans constater que lademanderesse n'avait aucune chance qu'au terme de la procedure d'appeld'offres, celle de la demanderesse aurait ete retenue.

Or, l'absence de certitude quant à l'issue de la procedure d'appeld'offres à laquelle la demanderesse n'a pu participer ne permet pas deconclure à l'absence totale de chance pour la demanderesse, participantà l'appel d'offres litigieux, d'etre retenue pour l'acquisition duterrain litigieux, et la realisation en consequence du benefice escompte.

S'agissant de l'indemnisation de la perte d'une chance de participer àl'appel d'offres litigieux, l'arret ne pouvait exclure toute indemnisationdu prejudice reclame consistant dans le prejudice resultant pour lademanderesse de cette perte de chance que son offre soit retenue et dubenefice escompte dans l'hypothese de l'acceptation de son offre, que pourautant qu'il constate que la demanderesse n'avait aucun chance que sonoffre soit retenue.

L'arret, qui exclut l'existence d'un dommage decoulant de la perte d'unechance du benefice escompte dans l'hypothese ou l'offre de la demanderesseserait retenue sans constater que la demanderesse n'avait aucune chanceque son offre soit retenue, n'est des lors pas legalement justifie etviole les articles 1382 et 1383 du Code civil.

Deuxieme branche

Ainsi qu'il resulte de la premiere branche du moyen, l'arret a examineavant tout autre chose si la demanderesse pouvait se prevaloir d'undommage defini comme etant la perte d'une chance de realiser le beneficeescompte de l'acquisition du terrain litigieux, et a conclu que teln'etait pas le cas.

S'il fallait considerer que par les motifs critiques, l'arret fonde enrealite sa decision sur l'absence de lien de causalite entre la faute etle dommage, il ne serait pas non plus legalement justifie.

En vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil, celui qui subit unprejudice à la suite d'un acte illicite a le droit d'obtenir lareparation integrale de ce prejudice, pour autant qu'il etablissel'existence d'un lien de causalite entre la faute et le dommage reclame.

Pour ecarter tout lien de causalite entre la faute et le dommage, le jugedoit constater que le dommage, tel qu'il s'est produit concretement, seserait egalement realise de fac,on certaine meme si la faute n'avait pasete commise.

En l'espece, l'arret decide, que contrairement à ce que soutient lademanderesse, le dommage ne peut consister dans la perte d'une chance dubenefice escompte suite à l'achat du terrain litigieux, parce que cetteperte de chance ne presente aucun caractere de certitude quant au fait quela defenderesse aurait au terme de la procedure d'appel d'offres retenucelle de la demanderesse.

L'arret exclut ce faisant l'existence d'un lien de causalite entre ledommage tel qu'il etait defini et reclame par la demanderesse resultant dela perte d'une chance du benefice escompte de l'acquisition du terrainlitigieux et la faute, sans constater qu'en l'absence de la faute, ledommage dont se plaint la demanderesse se serait egalement produit defac,on certaine, ce qui supposait que l'arret constate que meme sans lafaute, la demanderesse n'avait aucune chance qu'au terme de la procedured'appel d'offres, celle de la demanderesse aurait ete retenue.

L'arret n'est des lors pas legalement justifie et viole les articles 1382et 1383 du Code civil.

Developpement

9.- Depuis la fin de l'annee 2006, la demanderesse avait manifeste àplusieurs reprises son interet aupres de la defenderesse pourl'acquisition d'un terrain appartenant à cette derniere.

Lorsqu'elle apprit que le terrain qu'elle convoitait avait ete cede en2009 à un tiers, au terme d'une procedure d'appel d'offres à laquelleelle n'avait pas pu participer par la faute de la defenderesse, lademanderesse entama la presente procedure pour obtenir l'indemnisation duprejudice subi.

10.- Apres avoir rappele les circonstances de fait de la cause, l'arretattaque enonce que pour apprecier les conditions de la responsabilite dela defenderesse, il convient au prealable de se pencher sur le dommagesubi par la demanderesse.

L'arret examine des lors d'abord quel dommage peut etre invoque par lademanderesse avant d'examiner l'existence d'une faute et d'un lien decausalite entre cette faute et ce dommage.

11.- La demanderesse avait defini le dommage dont elle reclamait lareparation comme consistant dans la perte d'une chance du beneficeescompte suite à l'achat du terrain.

Elle avait longuement developpe en conclusions les elements permettantl'evaluation de ce dommage ainsi defini.

La Cour d'appel a decide avant toute autre chose que le dommage reclamecorrespondant à la perte d'une chance du benefice escompte suite àl'achat du terrain ne pouvait etre admis à defaut de certitude quant aufait que la defenderesse aurait au terme de la procedure d'appel d'offresretenu celle de la demanderesse.

Le moyen critique cette decision dans la mesure ou elle revient à refuserl'indemnisation du prejudice resultant de la perte d'une chance alors quel'arret ne constate pas que la demanderesse n'avait aucune chance derealiser le benefice escompte suite à l'achat du terrain.

La premiere branche reproche à l'arret d'avoir exclu le droit de lademanderesse à la reparation du dommage consistant dans la perte d'unechance de realiser le prejudice escompte.

La deuxieme branche critique pour autant que de besoin l'arret dans lamesure ou il faudrait considerer que par les motifs critiques, l'arretexclut la responsabilite de la defenderesse en ecartant tout lien decausalite entre la faute et le dommage tel que reclame par lademanderesse.

12.- En ce qui concerne plus particulierement la premiere branche dumoyen.

L'application de l'article 1382 du Code civil suppose l'existence d'undommage.

Le dommage consiste dans la perte d'un interet ou dans la perte d'unavantage quelconque, pour autant qu'il soit stable et legitime.

Le dommage est reparable pour autant qu'il soit certain. Le caracterecertain du dommage suppose que le dommage ne soit pas simplementhypothetique, conjectural ou eventuel (Ouvrage du soussigne, Lesobligations, Tome II, Volume 2, nDEG 1068, in De page , Traite de droitcivil belge, Bruylant 2013).

Lorsqu'il est impossible de determiner avec certitude la situation quiaurait ete celle de la personne victime d'une faute qui n'affecte pasdirectement la situation de cette personne de maniere negative, il peutetre recouru à la notion de la perte d'une chance.

Traditionnellement, le droit belge a admis que la perte d'une chancepuisse constituer un dommage reparable (A propos de la perte d'une chance, cfr Ouvrage du soussigne, Les obligations, Tome II, Volume 2, nDEG 1069et ss, in De page , Traite de droit civil belge, Bruylant 2013 ; voiraussi Paul Alain Foriers, « Aspects du dommage et du lien decausalite (parcours dans la jurisprudence recente de la Cour decassation », UB^3 ; Droit des Obligations, Bruylant 2014, p. 24 etsuivantes et N. Estienne, « la perte d'une chance dans la jurisprudencerecente de la Cour de cassation : la procession d'Echternach (deux pas enarriere, trois pas en avant...) » R.C.J.B., 2013, P. 603).

La perte d'une chance est un dommage specifique qui se distingue del'avantage qui a ete perdu (J.L. Fagnart, La causalite, 209, p. 45).

13.- Dans les remarquables conclusions de M. l'avocat general Th. Werquin,precedant l'arret rendu par Votre Cour le 6 decembre 2013 (RGC.10.0204.F), ce dernier enonce que « La perte d'une chance peut etredefinie comme la perte certaine d'un avantage probable. La perte doit etrecertaine, car le dommage doit etre certain dans son principe et se trouveren lien causal avec une faute ;et l'avantage probable, ce qui correspondà la definition meme de la chance.

La perte d'une chance presente un caractere direct et certain chaque foisqu'est constatee la disparition de l'eventualite ou de la probabilite d'unevenement favorable.»

Deux conditions doivent etre remplies pour admettre l'indemnisation d'undommage resultant de la perte d'une chance.

D'une part, il faut que la perte d'une chance soit etablie. Ceci supposeque la chance d'obtenir une certain avantage ait cesse pour qu'elle entreen consideration pour une indemnite.

D'autre part, la chance doit etre serieuse ou reelle.

14.- La situation ne pose pas de difficulte particuliere si l'on est enmesure d'etablir que la chance se serait realisee. Dans ce cas, lecaractere certain du prejudice est rapportee.

De meme, s'il est etabli que la chance ne se serait en aucune maniererealisee, il faut considerer qu'il est certain qu'il n'y a pas de dommage.

15.- Lorsqu'il n'est plus possible de determiner quel aurait ete le coursdes evenements dont dependait la realisation de la chance, la victimesubit un prejudice certain consistant dans la perte de la chance qu'ellepossedait.

Pour reprendre les termes utilises par M. l'avocat general Th. Werquin, sereferant à cet egard à De Page « des l'instant ou on se trouve enpresence d'une suppression de chances que la victime pouvait escompter, ily a en principe dommage certain » (voir De Page, Traite elementaire dedroit civil belge, T.II, 1964, p. 1061).

Il ajoute à juste titre que « Le dommage que constitue la perte d'unechance de gain suppose que la faute du defendeur n'ait pas cause à lavictime un prejudice consistant en l'absence de realisation d'un profit ouen la survenance d'une perte et que la faute du defendeur empeche desavoir si la victime aurait obtenu un gain ou aurait subi une perte, desorte que la realisation future de cette chance perdue restera à jamaisincertaine. ».

16.- Il resulte de ce qui precede que pour exclure l'indemnisation d'undommage consistant en la perte de la chance d'un benefice escompte, telqu'il etait defini par la demanderesse en l'espece, le juge doit constaterque la chance ne se serait en aucune maniere realisee.

La Cour d'appel n'a nullement constate que la demanderesse n'avait aucunechance de realiser le benefice escompte par l'acquisition du terrain enquestion.

Il decide que le dommage en question ne peut etre pris en considerationdes lors qu'il n'y a aucune certitude que la demanderesse aurait puacquerir le terrain en question ce qui n'exclut pas toute probabilitequ'elle l'obtienne.

En decidant d'ecarter le dommage tel que defini par la demanderesse parles motifs critiques par le pourvoi, la cour d'appel n'a pas justifielegalement sa decision.

17.- En ce qui concerne plus particulierement la deuxieme branche, s'ilfaut considerer que les motifs de l'arret portent en realite sur l'absencede lien de causalite entre la faute et le dommage tel que defini par lademanderesse, l'arret est critiquable. En effet, par ces motifs l'arret neconstate pas que sans la faute le dommage se serait produit de la mememaniere avec certitude (Cass. 25 mars 1997, Pas., 1997, I,

p. 405).

Des motifs de l'arret, il ne ressort pas que si la demanderesse avait puparticiper à l'appel d'offres litigieux, elle n'avait aucune chance depouvoir acquerir le terrain litigieux.

Deuxieme moyen de cassation

Dispositions legales dont la violation est invoquee

- Articles 807, 774 et 1138, 2DEG du Code judiciaire;

- Principe general du droit dit principe dispositif;

- Principe general du droit relatif au respect des droits de la defense;

- Articles 1382 et 1383 du Code civil;

- Article 149 de la Constitution.

Partie critiquee de la decision attaquee

L'arret attaque qui, apres avoir retenu l'existence d'une faute dans lechef de la defenderesse dans la procedure de mise en vente du terrainlitigieux, evalue et limite le montant du dommage en relation causale avecla faute retenue à la somme fixee de maniere forfaitaire à 12.500 eurospar les motifs que :

« (...)

2. Discussion

(La demanderesse) reproche au premier juge d'avoir confondu le contentieuxadministratif de l'annulation d'un acte et l'action judiciaire enindemnisation d'un dommage.

Elle lui fait grief d'avoir limite l'examen des fautes de la(defenderesse) à la seule phase prealable de l'information de la remiseen vente du terrain litigieux.

Elle maintient enfin que le caractere certain de la perte de chance estetabli.

La demande de la (demanderesse) est fondee sur la base des articles 1382et 1383 du Code civil et (la demanderesse) recherche la responsabilite dela (defenderesse) sur la base de l'enseignement la cour de Cassation selonlaquelle la transgression materielle d'une disposition legale oureglementaire constitue une faute qui entraine la responsabilite civile deson auteur à condition que cette transgression soit commise librement etconsciemment (Cass. 22 septembre 1988, pas. 1989, p. 83).

Il incombe à (la demanderesse) de demontrer outre la faute, le liencausal avec le dommage qu'elle invoque.

Elle invoque à cet egard plusieurs manquements dans le chef de la(defenderesse) etant :

-(...)

Pour apprecier les conditions de la responsabilite de la (defenderesse),il convient au prealable de se pencher sur le dommage subi par (lademanderesse).

(...)

La perte de chance que cette derniere peut par contre invoquer est cellede n'avoir pas pu concourir dans le cadre de l'appel d'offres lance par la(defenderesse) le 23 mars 2009.

Cette perte est reelle si l'on considere les demarches effectuees par (lademanderesse) avant et durant la procedure de premiere mise en ventedemontrant son vif interet pour la parcelle litigieuse.

Il est en effet certain qu'elle aurait repondu à la seconde offre emisepar (la defenderesse) comme elle l'avait fait quelques mois plus tot.

(...)

Il s'ensuit que la faute de (la defenderesse) en relation causale avec laperte de chance telle qu'elle est definie ci-avant est etablie.

Le dommage subi par la demanderesse compte tenu de l'interet qu'elle avaitmanifeste pour le bien litigieux peut etre evalue en equite à la somme de12.500 euros.

(...)» (arret attaque p. 5, 6 et 8).

Griefs

Premiere branche

Ainsi que l'arret le releve, la demanderesse reclamait l'indemnisationd'un dommage resultant de la perte de chance du benefice escompte suite àl'achat du terrain (arret attaque p. 6).

Il ressort des conclusions des parties, que les debats relatifs àl'evaluation du dommage ont porte sur l'evaluation d'un prejudice definide cette maniere et non sur l'evaluation d'une prejudice resultant dans laperte d'une chance de concourir dans le cadre de l'appel d'offres lancepar la defenderesse le 23 mars 2009.

L'arret decide que le dommage ne peut consister dans la perte d'une chancedu benefice escompte suite à l'achat du terrain et que le dommageindemnisable consiste dans la perte d'une chance de concourir dans lecadre de l'appel d'offres lance par la defenderesse le 23 mars 2009.

La Cour d'appel a ensuite procede à l'evaluation du dommage tel qu'ellel'avait defini et a procede à son evaluation en equite.

Ce faisant, l'arret modifie l'objet de la demande en violation desarticles 807 et 1138, 2DEG du Code judiciaire, et du principe dispositifqui y est inscrit.

A tout le moins, en procedant d'office à cette modification de la demandesans ordonner la reouverture des debats, l'arret viole le principe generaldu droit relatif au respect des droits de la defense ainsi que l'article774 du Code judiciaire qui lui imposait d'ordonner la reouverture desdebats avant de rejeter la demande d'indemnisation telle qu'elle etaitformulee par la demanderesse et telle qu'elle avait fait l'objet de debatscontradictoires.

Deuxieme branche

Celui qui, par sa faute, a cause un dommage à autrui est tenu de lereparer et la victime a le droit à la reparation integrale du prejudicequ'elle a subi.

Le juge evalue in concreto le prejudice cause par un fait illicite.

Il peut recourir à une evaluation en equite du dommage cause par la fauteà la condition qu'il indique les motifs pour lesquels il ne peut admettrele mode de calcul propose par la victime et qu'il constate en outrel'impossibilite de determiner autrement le dommage.

L'arret enonce que le dommage subi par la demanderesse compte tenu del'interet qu'elle avait manifeste pour le bien litigieux peut etre evalueen equite à la somme de 12.500 euros.

Il ne precise cependant pas les motifs pour lesquels il n'est pas possiblede determiner le dommage autrement que par une evaluation ex aequo et bonoet ne justifie des lors pas legalement sa decision de fixerforfaitairement à 12.500 euros le montant du dommage de la demanderesse(violation des articles 1382 et 1383 du Code civil).

A tout le moins, l'arret reste se faisant en defaut de motiver sa decision(violation de l'article 149 de la Constitution).

Par ces considerations,

L'avocat à la Cour de cassation soussigne conclut qu'il vous plaise,Mesdames, Messieurs, casser l'arret attaque, ordonner que mention en soitfaite en marge de l'arret attaque, renvoyer l'affaire devant une autreCour d'appel et statuer comme de droit sur les depens.

Bruxelles, le 21 septembre 2015

Pour Pierre Van Ommeslaghe

Absent à la signature

Martin Lebbe Avocat à la Cour de cassation

13 MAI 2016 C.15.0395.F/1

Requete/11


Synthèse
Numéro d'arrêt : C.15.0395.F
Date de la décision : 13/05/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2016
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2016-05-13;c.15.0395.f ?
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